Nous allons donc faire un petit tour dans Berlin, à la recherche de ses Flaktürme, ces monstres des bétons armé, donjon moderne devant repousser les bombardiers alliés.
Septembre 1939, Herman Goering, patron de la Luftwaffe et grand prophète, annonce que l’on pourra l’appeler Meyer si un seul bombardier allié survole ne serait-ce que la Ruhr..
Le 7 Juin 40, le Farman 223.4 Jules Vernes bombarde la banlieue de Berlin, dernière bravade de l’aéronautique navale française. Bombardement n’ayant qu’une valeur insignifiante sur le plan militaire tout comme symbolique hélas.
Ce ne sera pas le cas du raid de la RAF du 25 Aout 1940. Le Bomber Command envoie 95 bombardiers répondre à l’attaque de Londres. La capitale et son Führer prennent conscience que le patron de la Luftwaffe est un piètre voyant (piètre tout court diront les mauvaises langues).
L’interception aérienne nocturne étant encore très balbutiante, la seule solution est de défendre les villes avec le combo DCA/Projecteurs et une alerte donnée par un réseau de radars.
Décision est prise le 9 septembre 1940 : Berlin, Hambourg et Vienne vont voir pousser en quelques mois d’immenses tours en béton armé. Par exemple, la première tour, celle du zoo de Berlin fut construite en 7 mois (d’octobre 1940 à Avril 1941). Pour cela, il fallut 3500 ouvriers dont environs 1200 italiens et près de 400 prisonniers de guerre.
Au final, Berlin va disposer de trois Flaktürme: celle du zoo de Berlin, celle du parc de Friedrichshain et celle de Humboldthain. Une quatrième était prévue à l’aéroport de Tempelhof mais elle ne vit jamais le jour dans la capitale mais sera construite à Hambourg. Deux autre paires étaient prévues mais ne seront jamais bâties.
Ces emplacements sont sensés protéger la capitale et en particulier son centre historique et sa chancellerie . Les canons ayant une portée maximum de 20 km pour un plafond de 15000 mètres, toute la superficie de la capitale bénéficie en théorie de la couverture des tours. En particulier des raids venant d’Angleterre comme vous vous en doutez.
On parle tout de même d’un bâtiment en béton armé, de 70.5m par 70.5m sur une hauteur de 36m. De murs extérieurs de 2.5m d’épaisseur à la base et d’un toit renforcé de 3.5m de béton armé, pouvant résister à toutes les bombes « classiques » de l’époque. Il s’agit de la tour principale ou G-Turm G pour Gefechtsturm soit tour de combat en bon français) . Pour la petite histoire, le matériel qui était prévu pour l’Arc de Triomphe de la future capitale Germania fut utilisé.
En image, la Flackturm d'Hambourg photographiée après guerre:
Le but premier est de centraliser la défense aérienne de ces points stratégique et d’offrir une certaine dissuasion. Plus tard, ces tours serviront surtout de refuges pour les civils (30000 personnes tout de même pour une G-Turm ).
Une Flakturm c’est avant tout un duo : la G-Turm, la plus imposante et celle qui dispose des canons de DCA. La L-Turm(Leitturm) est construite à plusieurs centaines de mètres de distance et sert de base au radar. Pourquoi une telle séparation ? Tout simplement pour éviter que la puissance des canons endommage/perturbe le fragile équipement de guidage.
Car oui, une G-Turm ne manque pas de puissance avec à son sommet 4 paires de canons de 128mm (Ces derniers n’arrivant que en 1942, des 105mm feront l’intérim). A cela ajoutons différents armements courte portée qui varieront au fur et à mesure du temps (et qui ne serviront jamais à rien…)
La L-turm dispose de deux radars : un Würzburg de longue portée (environ 80 km) (FuMG 65 Würzburg Reise) pour la détection et le suivi des avions à longue distance. Sa précision peut permettre un guidage de la DCA. Etant donné sa valeur importante, celui-ci peut être descendu dans la tour. Un toit en acier est alors déployé pour le protéger. Un second radar , un FuMG 64 Mannheim reste sur le toit et assure le guidage des canons.
Quel bilan pour ces tours berlinoises ? Plutôt maigre, voire inexistant : on estime à 65 les appareils alliés abattu par les Flak turme (32 pour Humboldthain, 16 à 20 pour Friedrichshain et 13 pour le zoo ). A mettre en parallèle avec les 289 attaques aériennes anglo-US pour 45517 tonnes de bombes et 300 000 appartements détruits sur la ville de Berlin (Jean Lopez, Berlin, 2009).
Des chasseurs alliés s’amuseront même à passer en 44 entre les tours, la flak légère ne pouvant les engager aussi bas.
Leur vraie utilité sera ailleurs : protéger la population. Une paire de tours peut abriter jusqu’à 30000 civils pour une courte période et de manière très efficace. A la chute de la ville, les canons de 128 feront feu sur les chars soviétiques.
La tour d’Humboldthain sera une des toutes dernières à se rendre le 3 Mai. La reddition se passera sans heurts mais de nombreux suicides auront lieu juste avant, en particulier les Blitzmädchen, le personnel féminin qui assuré la mise en œuvre de la L-Turm.
Avec la fin du conflit, ces bâtiments immenses et surtout encore quasiment intact (soit un fait rarissime dans une ville totalement rasée), serviront d’hôpitaux et d’abris pendant le terrible hiver de 46/47.
Les soviétiques, à la suite de la partition de la ville, héritèrent de la Flak-Turm Friedrichshain. Ils souhaitèrent détruire celle-ci dès fin 45 mais l’hiver approchant ils remirent ça au début du printemps. Au bout de 2 tentatives, la tour était rasée le 2 mai 1946, donnant une colline de 79m pleine de gravats divers et variés. Le toit est toujours visible si on se donne la peine d’y monter.
Le guide québécois qui nous a fait visiter un bunker nous a expliqué que les soviétiques avaient été pragmatique en remplissant la tour de tout qu’il avait pu trouver d’explosif dans la ville.
De nos jours, on dirait que cela fait des IED potentiels en moins… Je n’ai rien trouvé d’écrit pouvant corroborer cette histoire, l’armée rouge étant resté discrète.
Ce qui ne fut pas le cas de nos amis anglais avec celle du zoo…
Le 30 juillet 47, devant le commandant en chef des forces britannique en Allemagne ainsi que toute la presse, les sapeurs anglais voulurent montrer leur savoir-faire à l’aide de 25 tonnes d’explosif bien placés.
Et ce fut un échec, une seconde tentative donna le même résultat et on congédia l’unité suite à ce camouflet. Finalement, le 30 juillet 48, après 4 mois de préparation et 35 tonnes d’explosifs percé dans les murs à différents endroits, la tour s’effondra. Mais sans la presse pour y assister il semblerait ;)
Ne rions pas trop car les tentatives en secteur français furent tout aussi pitoyables pour Humboldthain. Avec une difficulté en plus : la tour surplombe le métro périphérique de Berlin, le fameux Ring et celui-ci était géré dans son intégralité par les soviétiques.
En cette belle période de Guerre Froide naissante, on a préféré laisser le pan nord de la G-Turm intact plutôt que de commencer un 3ème round mondial. Ce qui fera le bonheur des associations d’escalade berlinoise ouest allemande !
Quid de ces Flak-Turme de nos jours ? Les seules « intactes », vous pourrez les trouver à Hambourg et Vienne. Ce sont des modèles différents de celles de Berlin mais vous aurez une bonne idée de ce à quoi cela ressemble.
Pour Berlin, il est simple de les trouver, si vous voyez une colline : c’est une G-Turm !
Celle du zoo n’est plus visible du tout. Celle d’Humboldthain et son pan effondré est désormais un parcours pour sportif. L’intérieur a été en partie aménagé pour permettre à des touristes de visiter en toute sécurité.
https://www.berliner-unterwelten.de/en/guided-tours/public-tours/from-flak-towers-to-mountains-of-debris.html
Et enfin Friedrichshain et son parc bénéficie d’une belle colline dont seulement quelques morceaux épars trahissent son origine artificielle.
Sources:
Données (Berlin Jean Lopez) : 289 attaques aériennes anglo-US pour 45517 tonnes de bombes et 300 000 appartements détruits.
Antony Beevor visitant Humboldthain https://www.youtube.com/watch?v=OkuWN16fV94
Présentation du principe d’une Flakturme : https://www.youtube.com/watch?v=6jgvkzD8d3k
Ouvrage en allemand : https://publik.tuwien.ac.at/files/pub-ar_9367.pdf
Source principale Flak – Towers de Michael Foedrowitz acheté auprès du Berliner Unterwelten, association gérant et organisant les visites des bunkers/souterrains de Berlin. Plus d’infos ici :
https://www.berliner-unterwelten.de/
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