Suchet Posté(e) le 14 avril 2012 Share Posté(e) le 14 avril 2012 Les livres d'Histoire nous disent que le Directoire voulait, d'une part, éloigner ce général ambitieux, d'autre part, couper le route des Indes aux anglais.Mais Bonaparte n'était pas un naïf. Alors, qu'espérait-il ? Il est probable qu'Aboukir a coupé court à son projet. Quel projet ? Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Tancrède Posté(e) le 14 avril 2012 Share Posté(e) le 14 avril 2012 Il n'était pas forcément en position de refuser, et ce n'était pas non plus une mission suicide à la base vu les moyens énormes qui y ont été dévolus à un moment où pourtant les besoins immédiats aux frontières étaient grands. L'expédition n'a pas été bâclée dans sa préparation logistique et navale, pas plus que cette préparation n'a été mal encadrée ou éventée: le secret n'a pas filtré, et même les Anglais sont restés dans le noir quand à ses objectifs ou même sa date de départ. La motivation de se "débarrasser" de Bonaparte ne pèse donc pas lourd (si ça avait été le cas, il y aurait eu des fuites, de la légèreté dans les moyens alloués....), et l'idée de l'écarter pour un temps n'a pas non plus du être parmis les motivations les plus importantes et ayant beaucoup d'initiateurs. C'était donc bien une mission "réelle", avec beaucoup de risques mais aussi de poids dans les calculs stratégiques au plus haut niveau, soit un "investissement" stratégique réel sur la réussite duquel, oppositions politiques à part, tous comptaient au moins un peu. Mais le Directoire, ce sont avant tout des grands clans politiques qui s'affrontent, avec chacun ses généraux comme bras armé à mettre en avant, et Bonaparte n'échappe pas à la règle: il appartient à un clan. Grosso modo, via son frère et son clan purement politique, il est plus ou moins allié à ce qui gravite autour de Barras (lui un poids lourd qui manie plus qu'un simple pool de parlementaires), ce qui est ironique vu que Barras rallie aussi les Thermidoriens qui n'ont pas vraiment Bonaparte dans leur coeur. A ce moment, il n'est pas du tout un "joueur" en politique, et n'a pas de capital politique propre, du moins pas le genre qui permet d'avoir du pouvoir: il n'a alors que son nom et sa popularité relative (il y a alors d'autres généraux tout aussi populaires et capables de commandements indépendants: Moreau, Bernadotte, Valence, Masséna, Championnet, Jourdan, Kléber, Kellerman, Lecourbe, Brune, Lefèbvre, Soult, Desaix....). Cette idée de vouloir "l'écarter", si elle a quelques fondements, est avant tout une vision très rétrospective, parce qu'en 1798, Bonaparte n'est pas encore un "joueur" politique, juste une carte; une carte qui peut inquiéter à l'occasion, un atout dans les mains de ses patrons, mais il y a d'autres atouts militaires dans le jeu. Après, Bonaparte a pu aussi accepter parce que, de tempérament risqueur, il voit les opportunités de l'expédition bien plus que ses immenses risques. Et pour être honnête, l'expédition d'Egypte avait quand même de sérieuses probabilités, de succès. Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Suchet Posté(e) le 14 avril 2012 Auteur Share Posté(e) le 14 avril 2012 Ce qui aide grandement à son avancement c'est tout de même la campagne de 96-97 plutôt que l'Égypte il me semble ?Quand on voit la propagande très active que le chef de l'armée d'Italie met en action et son retour triomphant depuis Milan jusqu'à Paris démontre quand même un certain prestige ; même si son prestige, en 1798, n'est que militaire en effet. Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Tancrède Posté(e) le 14 avril 2012 Share Posté(e) le 14 avril 2012 Il n'est effectivement que militaire, et il faut arriver à faire abstraction de la légende napoléonienne ultérieure pour cerner qui était et surtout ce qu'était le citoyen général Bonaparte en 1797-98: il était un général désormais très populaire, mais il y en avait d'autres qui ne l'étaient pas moins, et plus encore, il n'était qu'un des "poulains" militaires d'une faction politique. Il faut donc voir aussi les "cotes de popularité" des généraux auprès des factions et individualités du Directoire, qui sont un tout autre public et ceux qui tirent les ficelles: tous ont besoin de faire et défaire des "sabres" comme on dit alors, de repérer les jeunes talents et de les favoriser (sur des campagnes "faciles" ou supposées telles), de rallier les confirmés et d'accroître leur prestige autant que les moyens de les contrôler, de détruire ceux de leurs adversaires.... Les ennuis économiques du Directoire et la situation d'urgence militaire de ces années ont d'autant favorisé cette politique de communication par l'auréolage militaire: une vraie course à l'audience où chacun a ses écuries de généraux qu'il essaie de placer dans les commandements en vue. Bonaparte a beaucoup de prestige, mais à ce moment là, des hommes comme Hoche, Moreau, Jourdan, Bernadotte, Kellerman, Kléber (voir les autres que j'ai mentionnés).... N'en ont pas forcément moins, ou en tout cas pas significativement. Tout comme en leur temps Dumouriez ou Pichegru dont les trahisons furent des "drames" nationaux alimentant les commentaires à tous les coins de rues. Et Bonaparte ne pèse rien politiquement par lui-même: il ne "tient" pas de source de revenus, de ministère ou de région, n'a pas de clientèle politique ou affairiste, n'a pas de presse ou autre moyen "médiatique" à sa disposition, et n'a pas d'armée ou de troupes en propres dont il peut décider du déplacement (juste des loyautés personnelles d'officiers qu'il parraine ou dont il est l'ami).... Par exemple, même au moment du 18 Brumaire, les officiers qui le soutiennent ont sur place agi en son sens, mais ce sont encore les poids lourds politique qui décident qu'il y a des troupes autour de Versailles pour que ce soit possible (avec choix des officiers): Bonaparte n'aurait même pas pu les faire marcher depuis Paris. C'est une star parmi d'autres, pas un producteur :lol:. Faut pas oublier, en fait, qu'en 1798, le poids lourd de la famille Bonaparte, c'est Lucien: lui est un homme politique d'un certain poids, qui dispose d'un niveau relatif d'influence et de contrôle au sein des Conseils (surtout les 500), avec un réseau et une clientèle certains, même si c'est pas non plus un des grands pontes du Directoire. De plus, il ne faut pas oublier que si l'Egypte représente pour le futur un potentiel de prestige et de capital politique conséquent (en plus de l'aspect médiatique que le cortège de scientifiques et d'artistes qui participe est censé servir), on est dans l'Europe du XVIIIème siècle, où rien n'égale le théâtre militaire européen en terme d'impact sur les esprits, surtout quand l'ennemi est de nouveau aux portes du pays (affaire de Suisse, énième campagne sur le Rhin, débarquement anglo-russe en Hollande, retour en force des Autrichiens en Italie où tout part à vau l'eau quand les Russes envoient le corps de Souvorov en renfort....). Ca parle plus, l'information circule plus vite, chacun est directement concerné.... Pour que l'Egypte "rapporte" autant politiquement, il faudrait que l'expédition ramène du fric, du contrôle (donc des postes pour placer des féaux politiques) et tout le tralala scientifique et artistique mis en valeur dans une campagne médiatique qui ferait exploser la mode d'alors du retour à l'antique et de la fascination égyptienne. Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Suchet Posté(e) le 15 avril 2012 Auteur Share Posté(e) le 15 avril 2012 Et pour être honnête, l'expédition d'Egypte avait quand même de sérieuses probabilités, de succès. Même après la perte de l'escadre de Méditerranée à Aboukir ? Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Tancrède Posté(e) le 15 avril 2012 Share Posté(e) le 15 avril 2012 Même là, y'avait encore moyen de faire des choses, même si il était désormais impossible à court terme, par rupture des communications avec la métropole, de facilement renforcer le corps expéditionnaire et/ou de faire circuler moyens et personnels (pas que militaires), soit en faire une pleine réussite politique immédiate. Mais pour le but de couper/limiter sérieusement le commerce anglais et de créer un front durable, y'avait de la marge de manoeuvre au moins partiellement renouvelable localement (pour peu qu'un projet politique local soit bâti et mené par Bonaparte) jusqu'aux erreurs de la campagne de Syrie et l'échec du siège de St Jean d'Acre qui en est découlé. Cependant, ma remarque que tu cites concernait surtout la période de lancement et préparation du projet: la flotte qui quitte Toulon, avec les bons moyens et les bonnes conditions, est pleine de très sérieuses chances de succès. Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
aigle Posté(e) le 16 avril 2012 Share Posté(e) le 16 avril 2012 je n'ai jamais compris l'argument selon lequel la conquête de l'Egypte pouvait menacer les Indes anglaises - 70 ans avant l'ouverture du canal de Suez ! qu'en pensez vous ?En revanche certains auteurs (Waresquiel notamment) pensent que l'expédition a pu se faire avec l'accord des Britanniques bien heureux d'occuper, la flotte, l'armée et Bonaparte loin de la Manche - au moment même ou Hoche tentait la conquête de l'Irlande.De même le retour de Bonaparte en 1799 aurait été (selon Guenifrey) négocié avec les Anglais heureux de se débarrasser du général et de favoriser un coup d'état de nature à favoriser la restauration de la monarchie (Bonaparte étant déjà vu comme un homme "de droite", c'est à dire un modéré) et l'ouverture de négociations de paix... Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Tancrède Posté(e) le 16 avril 2012 Share Posté(e) le 16 avril 2012 je n'ai jamais compris l'argument selon lequel la conquête de l'Egypte pouvait menacer les Indes anglaises - 70 ans avant l'ouverture du canal de Suez ! qu'en pensez vous ? Pas menacer les Indes en tant que territoires: menacer le commerce avec les Indes. Le contournement par le Cap de Bonne espérance est cher, long, hasardeux (tempêtes et autres aléas de mer) et susceptible d'interceptions (piraterie, corsaires, raids de marines adverses); il représente de ce fait à peine plus du quart des flux commerciaux entre les Indes et l'Angleterre. L'essentiel passe par le Moyen Orient, soit par la flotte annuelle de Smyrne (qui va récolter en une fois une masse de marchandises achetées et stockées dans quelques ports de l'Empire Ottoman), soit par l'énorme activité maritime entre la Mer Rouge et la côte occidentale des Indes, avec transbordement en grande partie à Suez. Faut avoir à l'esprit qu'à cette époque, cet espace est l'une des zones commerciales les plus actives du monde (et la première zone de piraterie du monde). Non seulement la saisie de l'Egypte permet de taper d'un coup ce commerce très brutalement, mais elle offre en plus une base pour menacer les ports marchands du proche Orient et l'Empire ottoman, et surtout se lancer dans le ciblage massif du commerce en Mer Rouge et au-delà, chose qui ne peut être qu'anecdotique s'il faut envoyer des expéditions maritimes devant contourner l'Afrique. Et taper le commerce anglais, surtout avec les Indes, c'est taper la volonté politique britannique qui repose en énorme partie sur les milieux commerçants de Londres (et par là le marché financier de Londres, donc la monnaie britannique) dont les intérêts font et défont les gouvernements. Les Anglais n'ignorent pas l'importance potentielle de l'Egypte dans ce commerce, mais le pays est alors verrouillé par les Mamelouks et plus ou moins enclavé: le projet du Directoire, il faut le rappeler, est celui d'une ouverture de l'Egypte avec création d'un double port sur la Méditerranée et la Mer Rouge, reliés par une route de transbordement terrestre, un canal de convoyage, et lancement d'une grande activité de guerre de course en Mer Rouge. Pour mémoire, Hoche est mort en 1797, soit avant l'expédition d'Egypte, et son expédition d'Irlande est celle de 1796. Celle de 1798 est celle du général Humbert et ne consiste qu'en un soutien très réduit en effectifs (moins de 3000h contre les plus de 15 000 de Hoche) aux United Irishmen, soit pas de quoi réellement inquiéter Londres en termes terrestres ou navals. De même le retour de Bonaparte en 1799 aurait été (selon Guenifrey) négocié avec les Anglais heureux de se débarrasser du général et de favoriser un coup d'éta Bonaparte est rentré bien avant le corps expéditionnaire, avec deux frégates et 2 corvettes qui sont passées inaperçues. Les combats ont continué contre les Anglo-Ottomans pendant encore un moment, d'abord avec Kléber comme chef, puis Menou qui est celui qui négocia le rapatriement en France du corps expéditionnaire par les Anglais, en échange de la reddition qui raccourcissait la campagne désormais sans espoir et donc économisait beaucoup aux Anglais dont on ne voit pas trop l'intérêt de se débarrasser du seul Bonaparte qui n'est pas encore Napoléon. Les opérations continuent, et ils envoient toujours plus de moyens en Egypte. Et le Directoire leur convient très bien comme régime: divisé et affaibli, que voudraient-ils un régime fort? Et pourquoi Bonaparte dont seuls ceux qui ont la connaissance de ce qu'il deviendra après peuvent alors trouver qu'il sort du lot et a des chances de s'imposer comme candidat pour diriger un tel régime? Au moment du retour d'Egypte, Bonaparte est plutôt mal, et surtout à la merci de ceux qui ont du pouvoir; si son frère n'avait pas rétabli un peu de son crédit, si Barras n'avait pas voulu de lui comme "sabre" de sa faction (entre autres, précisément parce que Bonaparte n'avait ni moyens ni soutiens et lui devrait tout), Bonaparte aurait risqué la disgrâce totale au pire, l'anonymat au mieux. Bonaparte quitte l'Egypte en août 1799 et arrive à Fréjus en octobre; les combats en Egypte continuent alors, avec un Kléber qui ne sera assassiné qu'en juin 1800, fait qui est connu en France fin août et publié début septembre par Bonaparte. Entretemps, Menou fait ce qu'il peut avec ce qui lui reste, et ce peu n'est pas rien, vu que les Brits n'arrêtent pas d'envoyer des renforts à Abercrombie: 60 000 Ottomans (financés en grande partie par Londres) et 30 000 Anglais semblent une dépense un peu exagérée (sur plus de 2 ans et outre mer..... Soit quelque chose de TRES cher) si tout était déjà réglé "en secret" :-X. Menou ne capitule qu'en août 1801 après des pourparlers très rapides, preuve qu'il a beaucoup combattu avec le reste du corps expéditionnaire (qui ne dépassait plus les 10 000h en état de combattre depuis début 1800), notamment à la bataille de Canope, une preuve parmi d'autre qu'il n'y a pas eu de "négociation" secrète ni d'accord britannique pour qui cette dépense est lourde. Ces théories du complot ne tiennent pas debout, et ça m'étonne de Waresquiel qu'il en accrédite un seul brin (dans quel ouvrage d'ailleurs? Jamais lu ça de lui). Rappelons aussi que ces années en Angleterre sont celles d'une mobilisation sans précédent qui voient l'île se mettre en défense en grand, lever des troupes sans cesse, bâtir des tours de guets partout, organiser des milices et réserves territoriales.... Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
aigle Posté(e) le 18 avril 2012 Share Posté(e) le 18 avril 2012 Waresquiel en parle avec prudence dans "le Prince immobile" (biographie de Talleyrand).Guenifrey est beaucoup plus précis dans "le 18 brumaire" : il a même retrouvé les dates des contacts entre Bonaparte et l'amiral anglais (sous couvert de négocier une trève pour l'échange de prisonniers).Pour le reste nous savons que les Anglais (jusqu'à Churchill) n'ont jamais rechigné à mener des politiques complexes par des voies parallèles qui ont toujours paru immorales ou impossibles aux Français !Guenifrey souligne fortement l'originalité et la modération des mesures prises par Bonaparte en Italie dès 1796 (à l'égard des familles royales, de la noblesse, de l'Eglise) ce qui conduit beaucoup de monde à voir en lui un futur "Monck" susceptible de restaurer la monarchie française. Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
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