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[Nouvelle] Morne plaine


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Le ballet durait déjà depuis une heure. Canonnades. Mousqueteries. Cris des officiers. Gémissement des blessés. C'était un vacarme permanent et assourdissant.

Trempé, fatigué, Florian de Montmorency avait un genoux à terre au front de son bataillon. Il tentait d'interpréter tout les bruits au-delà de son champ de vision. Il se demanda, résigné, à quel moment son tour arrivera. Il ferma ses yeux quelques secondes, demanda à Dieu de l'épargner. Un éclat d'obus avait frappé sa joue gauche au moment où son bataillon prit position sur la contre-pente. Il s'était cru perdu mais beaucoup d'alcool et un chiffon attaché autour de sa tête, il reprit son poste. Il marmonna dans sa barbe d'une semaine être bon pour une cicatrice.

 

 

* * *



À trente-neuf ans, il avait parcouru l'Europe en guerre depuis 1792. Dès les premiers signes d'insurrection, le seigneur son père, le duc Henri V de Montmorency, avait envoyé sa famille en Angleterre. En tant que député de la noblesse, il était resté en France et avait participé à toutes les délibérations des États généraux puis de la Constituante.

En 1632 Richelieu fit décapité Henri II de Montmorency. Son fils posthume, né la même année fut élevé par sa tante et son oncle après la mort en couche de sa mère. Grâce à l'appui de son cousin, le Grand Condé, il fut légitimé durant la Fronde parlementaire par le cardinal de Mazarin et la reine Anne d'Autriche en 1649. Son cousin lui donna le duché de Montmorency la même année. Il devient Henri III de Montmorency.

Héritier en ligne direct de la prestigieuse maison de Montmorency, Florian avait treize ans en 1789. La Révolution l'avait surpris mais il était resté auprès de son père. Dans les tribunes le jour de la fête de la Fédération, il s'était engagé dans la garde nationale de Paris juste après les festivités. Quand la Convention déclara la guerre à l'Autriche en avril 1792, il avait participé aux campagnes de 1792, 1793 avec Dumouriez et le suivit lorsque le général avait été injustement accusé de traîtrise. Après sa désertion donc, le trajet pour rejoindre l'Angleterre avait été une vraie aventure pour lui et quelques autres camarades et finit par rejoindre sa famille en Angleterre. Florian savait comment la Convention traitait ceux qui avait trop de succès au point de surpasser les dictateurs jacobins.
Combien de généraux, de nobles et de religieux injustement accusé de traîtrise ?
Combien de citoyens avaient été injustement condamnés par les tribunaux révolutionnaires ?

Florian ne le savait que trop, cela se chiffraient par milliers. Sans parler du génocide de Vendée et des Chouanneries.

Robespierre et ses complices avaient été des bouchers avides de sang à tel point qu'il avait fait guillotiner ses propre amis lui qui se disait l'incorruptible, « ça en aurait été comique s'il n'avait pas fait assassiné des milliers de Français ».
« République... Égalité... c'est quoi ces idées à la con ! Regarde-les, est-ce des fils de l'aristocratie qui sont en train de mourir sur le champ de bataille ? » songea-t-il. Dans les deux camps, le jeune capitaine savaient que l'on est rarement volontaire en temps de guerre.
« Ils se vautrent tous dans leurs principes d'Égalité, mais au moment de la révolution, ils en faisaient peu de cas ». Les massacres des nobles et des religieux avaient débuté dès la prise de la Bastille.
« Ces enfoirés ont même tué le roi ! ». Le 21 janvier 1793, c'est la tête de Louis XVI qui tomba dans le panier, guillotiné.

Depuis vingt-trois ans, la France était en guerre contre les monarchies européennes. D'abord dirigée par une oligarchie bourgeoise un peu copiée sur le système politique romain, elle avait viré rapidement en une dictature sanguinaire, une oligarchie corrompue et une nouvelle dictature militaire dirigée par le général Bonaparte. Il avait bien rit quand on lui avait parlé de république et l'Égalité devant la loi des citoyens sans distinction de naissance et de classe sociale. Trois ans et demi après la déclaration des droits de l'Homme les Français se retrouvèrent sous le pouvoir dictatorial d'un petit avocat d'Arras sans le sou, Maximilien de Robespierre, ainsi que son gang.

Florian ne participa plus à la guerre jusqu'en 1804 et les nouvelles provocations de Bonaparte. Les émigrés créèrent alors un régiment français composé de nobles et financés par ses même nobles, dont son père. Il s'engagea dans ce régiment en temps que sous-lieutenant et fit la campagne d'Espagne. En 1811, il fut affecté à l'état-major du duc de Wellington employé comme aide-de-camp de Sa Grâce. Il n'avait jamais affronté directement Napoléon. Mais la réputation dépassait largement les frontière,

Il paraîtrait que ce parvenu de la petite noblesse corse soit un des plus fameux généraux de l'Histoire. « Encore des foutaises pour sûr. Son sang bleu est depuis longtemps corrompu par ses affaires avec la vile populace. Mais surtout par le meurtre du duc d'Enghien dans les fossés de Vincennes. »

« Traître ! »
 

* * *

 

Autour de lui, c'était le chaos. Il pataugeait dans la boue, le sang et autres substances corporelles évacuées par la terreur. Son visage recouvert de poudre noire, ses oreilles sifflaient. Serrés épaule contre épaule, les hommes ne réagissaient qu'aux ordres répétés des milliers de fois tels des automates.

Florian s'agrippait fermement à son fusil, tête coincée dans le creux de son coude droit. Le front contre le bois. Il avait l'impression de devenir fou. Il tenta bien, à plusieurs reprises, d'oublier l'horreur de la bataille. En vain. Ce qu'il voyait, sentait ou entendait le ramenait immédiatement à la réalité. Son uniforme sale et en lambeau était couvert de crasse, de poudre noire et de boue. Rien à voir avec celui qu'il avait revêtu il y a trois mois. Il avait l'allure d'un mendiant.

Cette réalité là, elle craignait. D'autant plus qu'il ne savait rien, il ne comprenait rien à ce qu'il se déroulait autour de lui.

— Serrez les rangs ! hurlaient les sergents.

Cet ordre terrifiant signifiait que des camarades venaient de tomber. Sous ce déluge on ne pouvait ressentir que de la peur mais aussi de la surprise de ne pas encore avoir été fauché. Il ne pouvait croire que l'on arrivait à déverser autant de métal en une seule après-midi. Pourtant, le chef de bataillon restait dressé comme un I, proche du porte-drapeau. Il était réputé comme le soldat le plus valeureux de l'armée. Florian voulait bien le croire, un chef de bataillon ou un colonel sont des cibles de choix pour les tirailleurs ennemis. La mise hors de combat d'un officier supérieur accélérait la rupture de cohésion d'une unité de combat en éliminant son chef, ses officiers, ses sergents. Heureusement pour lui, il n'avait aucun insigne sur lui. Il était au moins rassuré sur ce point. Mais l'artillerie, elle, ne faisait aucune différence d'autant que ses tirs, guidés par les tirailleurs, devenaient de plus en plus précis. Dangereusement précis.

Un petit moment de calme permit aux tirailleurs anglo-alliés de ressortir chasser leurs vis-à-vis. Les artilleurs les suivirent. Ils coururent vers les batteries déployées sur la crête. Entre temps, la fumée se dissipa. Florian aperçut les bataillons du régiments déployés le long de la contre-pente. Le reste de l'armée se trouvait sur le plateau un peu plus bas.

Florian supportait très mal le harcèlement des tirailleurs. Avec ce manège incessant il comprit que la crête était l'enjeu des combats les plus intenses. Des échanges de coups de feux se firent entendre entre les tirailleurs des deux armées à l’abri dans les champs, les fossés, les cadavres de chevaux et d'hommes. Un instant plus tard, il vit les artilleurs se débander et pénétrèrent à l'intérieur des carrés. Les tirailleurs ennemis occupèrent la crête. Autour de lui, le feu s'intensifia de nouveau. Et de nouveau, des hommes tombèrent.

— Serrez les rangs !

La situation se dégrada. La fumée reprit ses droits.

Un son de trompette lointain lui parvint aux oreilles. D'abord distant, il se rapprocha de plus en plus. Il y eu un moment de silence. Plusieurs détonation, toutes proche. Plusieurs flashs jaunâtre. Un massacre.

— Serrez les rangs !

La mitraille ravagea les rangs. Balles de tous calibres, biscaïens, clous, vis et autres projectiles composé de tous métaux provoquèrent mutilations, coupures, décapitations, blessures horribles. Les explosions de sangs et de chair se répandirent sur les survivants et se mélangèrent à la boue. Un biscaïen frappa le fusil de Florian. Projeté en arrière, sa tête frappa lourdement le sol. Il se trouva allongé sur le dos. Ses yeux fixèrent le ciel. Il s'essuya avec nonchalance le visage couvert de sang. Quand il reprit ses esprits, c'était hurlement d'ordre, cris de blessés et gémissement des mourants.

— Serrez les rangs !

Une autre détonation. Un Vent de boulet. Nouvelle commotion. Il ne sut combien de temps il resta sans connaissance mais au moment où il se reprit, il vit un boulet fracassé le genoux de Lally, rebondir suffisamment proche pour entraîner quatre soldats au sol, arracher un morceau de la tête de Rollin dans un geyser d'hémoglobine et arrosa les soldats aux alentours. Le boulet finit par arracher le bras de Galvin. Hébété, il s'approcha du capitaine et l'agrippa, inonda de sang l'uniforme avant de s'effondrer. Dans le même temps, les tirailleurs ennemis ne cessaient de tirer. À sa droite, son ami Canville eu le nez arraché par une balle. Cette position devenait intenable et cette satanée fumée empêchait de voir à plus de cinq mètres ce qu'il s'y passait. Mais au bout d'une heure, les tirs cessèrent enfin et le champ de vision s'allongea.

Le voile de fumée se leva. Mais ce qu'il vit le glaça. Là, sur la crête, l'infanterie ennemie apparue. À la vue des bataillons, les Français manœuvrèrent. Les bataillons ennemis passèrent de la colonne d'assaut à la formation en ligne. Les officiers hurlèrent leurs ordres. Les bataillons français avancèrent vers les lignes anglo-alliées. Pendant quelques secondes, Florian observa les formations comme-ci le temps s'arrêtait. Et le chaos régna à nouveau.

— Serrez les rangs !

Le bataillon tenta de riposter mais son volume de feu était considérablement réduit. Des corps enchevêtrés s'empilèrent. Ce bastion morbide forma un mur protecteur. L'échange de tir fut bref et les Français reculèrent. Plusieurs détonations résonnèrent au travers de la fumée. Les boulets frappèrent les murs de cadavres dans un bruit écœurant emportant chair et os. Une deuxième, une troisième puis une quatrième détonations pilonnèrent les bataillons à très courtes distances. La cinquième, une charge à mitraille, acheva le mur de cadavre. Florian était un automate. Il chargeait, visait, tirait sans relâche. Proche de lui, le fusilier Morin n'était plus dans son état normal. Il ne se souciait plus du vacarme effrayant, des hurlements, des gémissements. Il ne cessait d'appuyer sur la gâchette, viser le néant, le regard vide, au travers de la fumée aveuglante. Il ne se rendit pas compte qu'il n'y avait que le clique du percuteur. Aucune détonation. Aucune balle ne sortait de son fusil.

Le sol vibra. Sortie de la fumée, la cavalerie lourde française.

Les cuirassiers français accompagnés d'escadrons de lanciers poussèrent des cris sauvages, dressés sur les étriers les sabres brandis en avant. Surpris, en plein découvert sur la pente légère de colline. Les hommes du bataillon se débandèrent. Comme tétanisé, l'horreur le submergea quand il fut bousculé et jeté au sol.

— Reste au sol gamin, chuchota le chef de bataillon, notre seule chance d'en sortir vivant, est de faire le mort.

Inconsciemment, il sourit en constatant l'ironie de la phrase. Il fut témoin, à ce moment, d'une scène d'horreur. Chacun des hommes du bataillon se virent séparé de ses camarades. Il se battait pour lui-même, essaya de préservé sa propre vie. Mais cette position n'était plus tenable pour les fantassins encerclés. Les sabres de cavalerie s'ouvrèrent des passages dans les chairs. Les hommes de son bataillon étaient taillés en pièce. La scène sembla durer une éternité. Les cuirassiers encerclèrent le bataillon et tuaient les uns après les autres les hommes piégés qui tentaient de se protéger avec leurs mains. Ils glissaient dans la boue où se répandaient le sang des blessés et des morts. Ils imploraient pour leur vie. Ils pleuraient, roulé en boule, la tête entre les cuisses. Ils tentaient de fuir. Il essayaient de se frayer un chemin entre les chevaux. Certains restaient debout, tiraient ou chargeaient à la baïonnette. Mais les cuirassiers les transperçaient. Ils resserrèrent leur cercle mortel. L'allonge d'un fusil-baïonnette ne peut rivaliser avec une longue épée de cavalerie lourde. Le tir d'un jeune soldat inexpérimenté, paniqué et encerclé n'aura aucune chance de toucher même un cheval.

— Reste calme gamin, il ne nous...

Sa phrase s'arrêta nette quand une balle traversa sa joue et ressortit de l'autre côté. Florian, seul au milieu des cavaliers ennemis, jeta son fusil et leva ses mains, prisonnier. Mais bientôt, des sons de trompette et des cris sauvages en même temps qu'une ligne de dragons lourd de la Household Brigade. Les cuirassiers français firent alors face à la cavalerie anglo-alliée. Ils abandonnèrent leurs prisonniers et s’avancèrent vers ce nouvel ennemi. À ce moment, Florian se jeta dans un champ de blé tout près et attendit que l'affrontement cessa. Ils vit le combat de cavalerie, violent. Mais, dans ce que l'on appelait la Furia francese, un régiment de lanciers apparut, peut-être le 4e régiment de lanciers. L'attaque était mené avec une furie rare. Les cuirassiers français sabrèrent et les lanciers jouèrent de la lance avec férocité. Les Britanniques ne purent contenir le choc. Ils s'enfuirent.

Florian sortit le plus discrètement qu'il put. Il se dirigea vers son unité quand il croisa le cadavre d'un officier français. Il remarqua une très belle chaîne qui sortait du gousset du mort. C'était une superbe montre en or qu'il s'empara. Une fouille plus minutieuse lui permit de trouver de l'argent. Quelques pas plus loin, il découvrit une gibecière garnie d'un écritoire, de l'argent, une flasque pleine de rhum et du linge. Il ramassa un fusil et fouilla les gibernes qu'il put dans le but de se reconstituer un stock de munition. Il aperçut plus loin quelques-uns de ses camarades vers lequel il se précipita. En leur compagnie, il se dirigea vers la fameuse ferme fortifiée de Hougoumont à portée de vue. Ils coururent et franchirent une porte cochère non sans s'être identifié avant aux sentinelles. Dans la cour, une foule de soldats se préparaient à une nouvelle attaque. Un officier s'approcha.

Mais déjà, les colonnes ennemies approchèrent. Balles, boulets et obus frappèrent les murs de la ferme de Hougoumont. Le combat commença quelques minutes plus tard. Et ce fut un bal de cris, d'insultes, de claquements de balles sur les murs. Maintenant, les Français se trouvaient juste de l'autre côtés du mur. Il pouvaient les entendre crier et insulter. Des boulets frappaient le grand portail de bois. Entre chacun d'eux, des sapeurs tentaient d'abattre la porte à coup de hache. Peu après, un cris résonna depuis la grange.

— Ils tentent d'entrée par le mur de la grange !

Florian et une dizaine de soldats s'y rendirent. Après quelques échanges de coup de feu, il remarqua de la fumée au travers des solives. Puis le feu s'étendit sur toute la charpente. Il ne pouvait plus rien faire, mais l'ennemi ne pouvait lui non plus plus traverser par la grange en feu. Une décharge de mousqueterie, venue des meurtrières précédemment occupées par Florian et ses camarades était maintenant submergés de soldat ennemis. Il rechargea précipitamment son arme. Il tira. Il n'eut pas le temps de recharger qu'un Français tenta de saisir son fusil mais son camarade fut plus rapide, tira un coup de fusil dans la tête. Au même moment, un ennemi se saisit de son arme. Un de ses camarades planta aussitôt sa baïonnette au travers de la gorge. Tout autours du groupe, les balles claquèrent contre les murs et la charpente en même temps que le feu se répandait à toute la ferme fortifiée. Bientôt, les munitions s'épuisèrent. Des cris s'élevèrent depuis la cour.

— Ils en arrive de partout !

Il était alors temps de fuir. Ils se défendirent comme ils purent mais submerger par le nombre, ils durent fuir à travers les bois. Quelque chose lui frappa l'occiput. Il tomba au sol, tête la première, assommé.

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À l'origine, c'est un texte court, sans fin. Mais là j'ai comme projet d'écrire une série sur le périple d'un groupe de soldats depuis les camps de Boulogne jusqu'à Austerlitz divisée en plusieurs nouvelles (environ une trentaine de pages).

J'ai déjà commencé.

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