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L'Arctique canadien, nouvel enjeu géostratégique

LE MONDE | 26.05.06 | 15h04 • Mis à jour le 26.05.06 | 15h04

La devise du Canada - "D'un océan à l'autre" - est le symbole de sa géographie : entre Atlantique et Pacifique. Certains ont récemment proposé qu'elle soit plutôt "D'un océan aux autres", pour inclure aussi l'Arctique. L'Arctique canadien couvre 3,4 millions de km2 et 40 % du territoire national, dont un immense archipel quasi inhabité, hormis par une poignée d'Inuits. Couvert de glace, avec des conditions climatiques extrêmes, il n'intéressait guère. Mais les temps changent. Les scientifiques l'ont abondamment démontré : il est l'une des zones les plus touchées par le réchauffement climatique. La fonte des glaces s'y accélère, la banquise s'amincit et perd des milliers de kilomètres carrés par an. On prédit déjà un rétrécissement considérable de la calotte glaciaire d'ici cinquante ans et une abondante libération des eaux dans un délai beaucoup plus rapide.

Le Canada entend défendre sa souveraineté dans une région qui excite de plus en plus les convoitises. D'importants litiges pointent : pour le contrôle maritime (avec l'accroissement de la durée annuelle d'ouverture des voies navigables), pour l'exploitation des ressources naturelles (pétrole et gaz) comme en matière de sécurité, avec l'ouverture d'un nouveau point régulier d'entrée en Amérique du Nord.

Longtemps, Ottawa a négligé l'Arctique, "sous prétexte qu'il n'y avait pas d'urgence", dit Rob Huebert, expert en géostratégie de l'université de Calgary. Tant que la glace le recouvrait, "la sécurité était gratuite", ajoute Joël Plouffe, géopolitologue à l'université du Québec, à Montréal. Ottawa a renoncé à acquérir des sous-marins nucléaires pour patrouiller sous les glaces arctiques et "ne dispose même pas d'un brise-glace polaire utilisable en toutes saisons", souligne Michael Byers, juriste spécialiste des questions de souveraineté en Arctique à l'université de Colombie-Britannique.

Devant les conséquences du réchauffement climatique, les politiciens canadiens s'activent. "Le Canada, affirme M. Huebert, doit avoir une politique de l'Arctique dotée de fonds adéquats, pour s'assurer que ses intérêts y seront protégés." En campagne électorale en décembre 2005, l'actuel premier ministre conservateur, Stephen Harper, a présenté un "plan arctique", incluant notamment la construction de trois brise-glaces, une présence plus soutenue de militaires et de rangers, des systèmes de surveillance pour les navires et la détection de sous-marins.

Fin avril, il octroyait à la défense des fonds supplémentaires substantiels. Une partie ira à "l'amélioration des capacités des forces armées de protéger la souveraineté et la sécurité du Canada en Arctique". En attendant, garde côtière et armée font tout pour "démontrer" une souveraineté qu'on lui conteste déjà. Car, depuis 1969, des navires américains ont plusieurs fois pénétré sans permission dans ses eaux. Dernier incident : un sous-marin a transité sans autorisation, en décembre 2005, par le passage du Nord-Ouest, la voie ouverte en 1906 par Roald Amundsen. En 1986, le Canada avait tracé autour de son archipel arctique des "lignes de base droites", une méthode reconnue par les Nations unies pour délimiter des eaux territoriales autour d'îles. Etats-Unis et Communauté européenne avaient manifesté leur désaccord, qui s'envenime aujourd'hui avec la libération des eaux.

"LIBRE" PLUSIEURS MOIS PAR AN

Le litige le plus important porte sur le statut juridique du passage du Nord-Ouest, qui serpente sur 5 000 km. Ottawa revendique une "souveraineté historique" sur ses eaux et veut contrôler les allées et venues de tous les navires. Un jour, ils y viendront nombreux, attirés par cette voie maritime qui, en évitant le canal de Panama, raccourcira de 7 000 km les distances entre Europe et Asie. A court terme, les scientifiques canadiens pensent que la "vieille glace" et les icebergs rendront la navigation par les chenaux de l'ouest de l'archipel plus dangereuse. Mais, d'ici dix à quinze ans, le passage du Nord-Ouest sera "libre" plusieurs mois par an, facilitant une navigation qui amènera son lot de problèmes (risques de marée noire, de naufrages, trafic de drogue, d'armes ou d'immigrants, porte d'entrée pour terroristes...).

Les Etats-Unis, comme l'Europe, jugent que ce passage ouvrant sur deux océans doit être un détroit international libre d'accès. Le Canada risque de se retrouver rapidement isolé sur la scène internationale. Pour sortir de l'impasse, M. Plouffe suggère d'"abandonner la rhétorique sur la souveraineté, une bataille perdue d'avance pour Ottawa, qui sera incapable d'assurer le contrôle d'une zone aussi stratégique pour les Etats-Unis. Mieux vaudrait, estime-t-il, coopérer avec les Américains pour protéger nos intérêts environnementaux, économiques ou de sécurité".

Il ne croit pas que les Américains veuillent vraiment d'un détroit international, qui serait une menace de plus pour leur sécurité. Le Canada a, selon M. Huebert, "perdu une bonne occasion de mettre le sujet sur la table avec Washington après les attentats de 2001". Et, ajoute M. Byers, "il est grand temps de persuader les Américains que leurs intérêts en matière de sécurité seraient mieux protégés dans le passage du Nord-Ouest avec un contrôle canadien renforcé qu'en s'en remettant à un régime international laxiste". De fait, seul un accord américano-canadien éviterait l'internationalisation des eaux.

Deux autres "conflits arctiques" touchent le Canada. A l'est, il se dispute depuis trente ans avec le Danemark l'île de Hans, située entre le Groënland et l'île d'Ellesmere. L'enjeu est stratégique pour le contrôle du trafic maritime et l'exploitation de réserves pétrolières et gazières. En août, après des années de "guerre de drapeaux", les deux pays ont entamé des négociations sur le statut de l'île.

Au nord-ouest de l'Arctique, qui pourrait renfermer jusqu'à un quart des réserves mondiales de pétrole et gaz, la fonte des glaces laisse aussi entrevoir un futur eldorado. En mer de Beaufort, le Canada traîne une vieille querelle sur sa frontière maritime avec les Etats-Unis... au coeur d'une zone d'importants gisements sous-marins. M. Huebert prévoit une "grande bataille en perspective pour le Canada, à l'heure où les Américains parlent tant de sécurité énergétique".

Même défi dans l'extrême Arctique, très riche en pétrole et en gaz... et point de jonction des plateaux continentaux du Canada, des Etats-Unis et de la Russie. Là, chacun peut revendiquer des droits sur le sol et le sous-sol marin adjacent à son plateau, en vertu de la convention des Nations unies sur le droit de la mer...

Anne Pélouas

Article paru dans l'édition du 27.05.06

avec des voisins aussi puissants que les US et les Russes les Canadiens sont vraiment dans la pannade.

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