C’est un message populaire. Gibbs le Cajun Posté(e) le 19 novembre 2016 C’est un message populaire. Share Posté(e) le 19 novembre 2016 Un sujet intéressant ! https://www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2010-1-page-63.htm Citation Par Michel Bodin . À toutes les époques, l’armée française eut recours à des soldats « indigènes » dans ses territoires coloniaux mais, jusqu’à la guerre d’Indochine, la Légion y échappa. Pourtant, pour faire face aux nécessités du conflit, fut décidée l’introduction de réguliers indochinois dans la quasi-totalité des formations légionnaires. On parla alors du « jaunissement ». Ce fut sans aucun doute un des grands défis de la Légion en Extrême-Orient. Cette politique commencée en 1950 n’était pas une nouveauté dans les fteo car, pratiquement dès la fin de 1945, de nombreuses formations commencèrent à compléter leurs effectifs avec des militaires autochtones [1][1] Sur l’ensemble de la question du jaunissement des fteo,.... Le processus fut progressif, changeant selon les réorganisations et les nécessités de la guerre, ce qui rend complexe la description du déroulement du jaunissement. Les étapes du jaunissement 2 Avant 1950, on préférait renforcer les unités de la Légion par des supplétifs, appelés parfois supplétifs à la suite. Une note de décembre 1948 précisait que chaque bataillon pouvait en compter 400 pour arriver à 1 200 hommes [2][2] SHD/DAT (service historique de la défense/département.... Cela donna à la Légion une expérience des autochtones, mais elle voulait rester, selon ses traditions, un corps différent de la Coloniale qui, elle, avait l’habitude d’intégrer des soldats autochtones dans ses rangs. Suivant les recommandations des responsables de la Légion pour lesquels il était vital qu’elle conservât son caractère « blanc », les autorités militaires repoussèrent son jaunissement jusqu’en 1950. Pourtant, des officiers qui, souvent, avaient connu l’Indochine avant 1940, étaient conscients qu’il était une solution à leurs problèmes d’effectifs. Le colonel Charton l’explique dans ses mémoires : « Je connais le légionnaire. Je suis sûr qu’il s’entendra fort bien avec les Vietnamiens ; quant à ces derniers, fous de fierté d’appartenir à la Légion, ils se battront encore mieux que les Blancs. Toutefois, il ne faut pas exagérer le jaunissement ; je propose dans un bataillon trois compagnies européennes comme autrefois et une quatrième moitié vietnamienne moitié européenne. » On était en 1947 [3][3] Charton P., Il y a la Légion. Mémoires, Indo Éditions,.... À l’instar de l’opposition qui avait prévalu à la constitution d’unités d’artillerie, de cavalerie et de parachutistes, il y eut, dès le début de la guerre d’Indochine, une véritable prévention contre l’entrée d’autochtones dans les unités légionnaires du corps expéditionnaire. 3 Par conservatisme et par tradition, la Légion devait rester un corps d’infanterie lourde voué à recevoir des « Blancs » qui recherchaient une autre vie, un refuge ou un espoir. Introduire des Indochinois risquait de casser l’esprit de corps et de la transformer en une espèce de Coloniale bis. Un inspecteur n’hésitait pas à parler de « formations parasites extérieures à la Légion » pour qualifier les unités « indigénisées ». Selon lui, rester dans la tradition garantissait l’emploi de la Légion en tous lieux de l’Union française conformément à ses « missions centenaires ». Un rapport « exceptionnel » est particulièrement net à ce sujet : « La dilution du cadre normal des sous-officiers d’un régiment pour l’encadrement d’une masse d’autochtones rompt l’homogénéité d’un corps qui garantit par ses traditions la valeur de la subdivision d’armes » [4][4] SHD/DAT, carton 10 H 3174, rapport (r.) exceptionnel.... 4 Des thèses qui s’appuyaient sur l’histoire de la Légion et sur les expériences indochinoises objectaient que la majorité slave et germanique ne supporterait pas la compagnie de personnels qu’elle estimait inférieurs ou juste bons à servir de porteurs ou de coolies. En outre, puisque beaucoup de légionnaires et de sous-officiers ne parlaient pas bien le français, il n’y aurait guère de moyens de communication avec des autochtones avec lesquels la seule langue permettant un minimum d’échanges était le français. Les légionnaires accepteraient mal de vivre en compagnie d’individus qui parlaient le français mieux qu’eux. Certains refuseraient même d’être commandés par des autochtones meilleurs francophones qu’eux. On craignait que la dilution des Européens dans des sections à une trop grande proportion d’Indochinois ne cassât les aptitudes des légionnaires. Ceux-ci, habitués à obéir, auraient répugné à prendre des responsabilités d’autant que les sous-officiers supérieurs, « à part quelques exceptions, intellectuellement paresseux et volontiers routiniers, braves et confiants dans leurs réflexes », auraient répugné « à penser sérieusement une opération ou une manœuvre avant de l’entreprendre ». La création de bataillons mixtes aurait en plus pour effet de diminuer encore le nombre d’officiers sur qui, en fait, repose l’animation de toute action. La dispersion des cadres dans les unités indigènes diminuerait encore le taux d’encadrement et, de ce fait, les unités jaunies n’auraient pas un bon rendement. Parallèlement, les formations ponctionnées perdraient leur valeur par manque de cadres. Beaucoup redoutaient la fragilisation des groupes de combat. Le légionnaire n’avait pas vocation à devenir un instructeur, car il devait être très encadré au sein d’une discipline stricte, comme il l’avait appris à Sidi-bel-Abbès. Le commandant du 2e rei concluait son étude sur le jaunissement ainsi : « L’application des nouveaux tableaux d’effectifs aboutiraient à la constitution de bataillons autochtones avec léger support européen. Il ne s’agirait plus de Légion étrangère » [5][5] SHD/DAT, carton 10 H 3174, étude n° 150/2rei/ts du.... 5 Tout contact avec des personnels « plus soldats que militaires » (c’est-à-dire plus guerriers que soldats disciplinés) risquait de porter atteinte au rendement mais aussi à l’état d’esprit des unités. Au combat, la mixité risquait de poser des problèmes. Les deux composantes possédaient des qualités très éloignées : « le légionnaire, combattant lourd, bruyant, par contre peu émotif, capable s’il est bien commandé de soutenir le choc d’éléments plus nombreux » avait peu de rapports avec l’autochtone léger, peu exigeant, bien à l’aise dans son pays, très mobile et capable de se dérober avec habileté quand l’affaire est mal engagée ». D’une certaine façon, on mettait en doute les aptitudes des Indochinois. « L’association […] demeure valable tant que les unités de la Légion ne comportent qu’un nombre réduit d’autochtones choisis et entraînés aux missions pour lesquelles ils ont le plus d’aptitudes […]. Elle ne l’est plus quand parmi les combattants, le nombre des autochtones égale ou dépasse celui des Européens, et que deux types de petites unités à aptitudes dissemblables coexistant dans une compagnie se trouvent liées au combat par une même mission. Si les autochtones se dérobent, le poids du combat retombe sur les effectifs européens insuffisants ; s’ils se maintiennent sur place, ils courent le risque de se voir imposer une forme de combat à laquelle ils ne sont pas aptes » [6][6] SHD/DAT, carton 10 H 3174, f. de synthèse sur le jaunissement.... Le contact avec les autochtones risquait de multiplier les fautes. On craignait des frictions entre les communautés pour des affaires de femmes, voire de trafics locaux et qu’en fin de compte, les défauts des uns n’eussent un effet négatif sur les autres. Et on imaginait les conséquences négatives de l’alcoolisme et du mauvais exemple que certains légionnaires pourraient être pour les tirailleurs. Enfin, on redoutait que la fréquentation journalière des Indochinois et de leurs femmes ne facilitât l’action du Dich Van (le service de guerre psychologique de l’apvn) qui s’efforçait de nouer des contacts avec les légionnaires pour saper leur moral et les inciter à la désertion. D’autres évoquaient l’impossibilité de surveiller des centaines d’autochtones. Le commandant du 2e rei soulignait que les méthodes de recrutement fondées sur le racolage « pratiquement obtenu que par des pressions individuelles ou sur les chefs de villages » augmenteraient encore les dangers. Quelques chefs de corps mettaient en doute la force physique des engagés, incapables selon eux de manœuvrer des engins de terrassement ou des engins blindés [7][7] SHD/DAT, carton 10 H 3174, étude n° 150/2rei/ts du.... 6 Cependant, l’idée ressurgissait périodiquement quand les problèmes d’effectifs se faisaient plus pressants. En juillet 1947, une note évoquait l’idée de groupements mixtes pour tempérer les légionnaires, si bien que l’hypothèse fut étudiée avec plus de précision à partir de la fin 1948 [8][8] SHD/DAT, carton 10 H 502, note (n.) du 21 juillet 1947.... De la même façon, en mars 1949, dans une note adressée aux responsables locaux, le général Alessandri, commandant des tfin, suggérait un renforcement de 2 300 légionnaires de façon à encadrer de nouvelles unités mixtes, en particulier par des légionnaires parachutistes [9][9] SHD/DAT, carton 10 H 502, L. n° 300/fteo/vo du 19 mars.... Et en 1950 apparurent des unités mixtes formées de légionnaires et d’Indochinois. La dégradation de la situation sur le terrain, les pertes subies sur la rc 4 et les idées du général de Lattre de Tassigny accélérèrent encore le processus. 7 De nombreux facteurs complémentaires concoururent à ce changement que beaucoup attendaient ou espéraient. 8 Dès le début des opérations en Indochine, le commandement s’aperçut qu’il était difficile de mener une campagne seulement avec des Européens [10][10] SHD/DAT, carton 10 H 502, f. du 21 mars 1947.. En effet, du point de vue médical, les légionnaires se révélaient très sensibles aux pathologies tropicales (parasitoses entre autres…) ainsi qu’aux atteintes du soleil et des moustiques [11][11] SHD/DAT, cartons 10 H 1964 à 1977, synthèse des r...., d’autant que beaucoup ne tenaient pas compte des consignes prophylactiques par insouciance, par mépris de la maladie voire de la mort [12][12] SHD/DAT, carton 10 H 1964, r. annuel du service de.... En août 1946, un rapport indique que le 2e rei débarqué début mars avait été amputé de 193 légionnaires (5,92 % des effectifs débarqués) à cause d’affections graves. La 13e dble et le 3e rei, arrivés en avril (sauf le III/3e rei envoyé en juin) avaient perdu pour les mêmes raisons respectivement 180 hommes (5,52 % de l’effectif) et 229 hommes (7,02 %) [13][13] SHD/DAT, carton 10 H 183, L. n° 859/I du 10 octobre.... Pour compenser les absences longues et devenir plus efficace, la Légion devait, elle aussi, puiser dans le potentiel humain de l’Indochine. Dans un raisonnement proche, on pensa qu’on pouvait trouver chez les autochtones des qualités complémentaires à celles des légionnaires jugés trop lourds. Ceux-ci avançaient bruyamment en milieu aquatique (rizières ou marécage), tandis que dans la paillote, ils n’avaient pas assez de légèreté pour se mouvoir sans faire bruisser les herbes. Leurs gabarits européens s’adaptaient mal aux ponts de singe ou aux embarcations locales conçus pour des Asiatiques beaucoup plus frêles. Ces handicaps, dans l’optique de la guérilla ou de la contre-guérilla, conduisirent des commandants territoriaux à recruter des partisans pour former des groupes de combats mixtes [14][14] Témoignages recueillis par l’auteur.. Le capitaine Mattéi du 3e reiobtint ainsi en Cochinchine des résultats probants dont les méthodes échappaient aux règles habituelles de la guerre classique [15][15] Mattei A., Tu survivras longtemps, Paris, O. Orban,.... Lever des autochtones rendait les relations avec les populations plus aisées. Depuis 1947, chaque compagnie était théoriquement dotée d’un interprète dépendant du cmillat. Cependant, le manque d’effectifs ne permit ni un contrôle réel des connaissances des interprètes ni une réponse aux besoins des unités, ce dont elles se plaignaient fréquemment [16][16] SHD/DAT, carton 10 H 502, n.s. n° 465/emift/4/sc du.... Dans une guerre où dans de nombreux secteurs, le but ultime était la pacification, les contacts humains prenaient toute leur importance de sorte que si la barrière de la langue ne tombait pas, tous les efforts devenaient vains. De même, dans la contre-guérilla, le renseignement s’avère vital ; comment l’obtenir sans liens avec les populations ou sans traducteurs pour interroger les suspects ou les prisonniers ? Incorporer des autochtones tempérait la rigueur des légionnaires pour lesquels, dans de nombreux secteurs, tout indigène était « partisan » (terme provenant du langage couramment utilisé sur le front russe pour désigner les résistants antiallemands et repris tout autant que celui de « viet » dans les premiers temps de la guerre par les légionnaires allemands). En effet, en plus d’une occasion, les légionnaires répondirent avec brutalité aux réalités de la guerre. Ils manquaient de doigté dans les fouilles des villages, bousculaient parfois les villageois par exaspération, certains diraient par racisme. Les autochtones baignant dans l’atmosphère vietnamienne connaissaient mieux toutes les subtilités culturelles des populations et toutes les ruses et astuces du Vietminh [17][17] Témoignages recueillis par l’auteur.. De plus, les légionnaires aimaient partir en opérations avec des rations européennes (rations type fom, par exemple), tandis que les Indochinois se contentaient d’un approvisionnement plus frugal. Il s’ensuivait des paquetages pesants, mais aussi une inadaptation de l’alimentation à la chaleur en particulier. Les expériences d’initiatives locales et l’adjonction de supplétifs allégeaient les unités de la Légion, mais elle avait en contrepartie un inconvénient : un supplétif, même bien intégré à son unité, même de grande valeur, ne pouvait pas la suivre si elle changeait de zone, voire de secteur. D’ailleurs, beaucoup auraient refusé, car ils vivaient souvent avec leur famille, ou du moins proche des leurs. L’objectif final était le remplacement progressif des supplétifs par des réguliers qu’une étude appelle « réguliers-tirailleurs » [18][18] SHD/DAT, carton 10 H 3174, étude n° ftcvp/i du 10 avril.... Néanmoins, le facteur décisif fut le manque d’effectifs des tfeo. Latent dès 1946, il devint le mal chronique des fteo. De février 1948 à février 1949, ils ne varièrent pas (76 943 hommes contre 76 644) [19][19] SHD/DAT, carton 10 H 506, f. d’effectifs, 1948-195.... En 1949, la métropole n’envoya que 23 000 hommes sur les 38 000 figurant au plan établi en 1948. Et les perspectives pour 1950 s’annonçaient difficiles puisqu’un comité de défense avait fixé à 120 000 le corps expéditionnaire pour 1951. On refusa l’envoi de 2 000 hommes par anticipation sur 1951, et on prévit de réduire les maintenances [20][20] SHD/DAT, carton 10 H 502, f. n° 2880/faeo/org du 7 novembre.... Le plan de 108 600 combattants ne fut jamais respecté ; le 1er juin 1950, les fteo ne comptait encore que 105 789 combattants [21][21] SHD/DAT, carton 10 H 506, f. d’effectifs, 1950.. On confondait relève, maintenance et renforts à tel point que le général de Lattre estimait, en février 1951, qu’il avait manqué, en 1950, 13 300 militaires inscrits au plan d’effectifs des fteo [22][22] SHD/DAT, carton 10 H 184, n. du 8 février 1951. Pour.... Les fteo menaient donc une guerre avec des moyens qui ne correspondaient pas à leurs missions, d’autant que celles-ci avaient augmenté. Devant un ennemi mordant, devant les difficultés du terrain et du milieu, les effectifs ne suffisaient plus. En 1949, le commandement décida d’élargir ses positions dans le delta tonkinois, c’est-à-dire d’étendre l’occupation territoriale française. Cela aggrava les charges des fteo. Dans le même temps, en Cochinchine, en Annam comme au Tonkin, le Vietminh accroissait sa pression. Au sud du Vietnam, il fallut contrer son offensive tout en continuant la pacification tandis qu’au centre du Vietnam, Hué était menacée. Au nord, la situation se dégrada dans toutes les zones périphériques. La rc 4 devint l’objet d’attaques sanglantes qui décimèrent les convois qui ravitaillaient les postes échelonnés tout au long de la frontière chinoise. De plus, avec l’arrivée des communistes de Mao Zedong aux frontières du Tonkin, on redoutait un assaut de l’armée rouge chinoise. Les fteo n’avait plus les effectifs pour tout faire correctement partout et en même temps. Puisqu’on ne voulait pas faire appel au contingent, il ne restait que deux solutions : relancer le processus des armées nationales et étendre le jaunissement à la Légion. Recruter sur place permettait de trouver des hommes sans perdre de temps dans les transferts de France en Indochine. De plus, en cette période d’après-guerre et de reconstruction, lever des autochtones offrait un avantage économique patent. Compte tenu des coûts de transport et d’entretien, des soldes et de leurs accessoires comme des primes de toute nature et des éventuelles pensions, un autochtone revenait deux fois moins cher qu’un Européen, de sorte qu’on pouvait recruter sans faire de vagues en métropole. Un exemple : au début de 1950, un légionnaire avait droit à 15 piastres journalières pour sa prime d’alimentation, un autochtone à 7 piastres. Qui, en outre, se soucierait de la mort d’autochtones ? Le contexte politico-militaire, tant en France qu’au Vietnam, éclaire les décisions du général de Lattre, qui reviennent en fait à jaunir encore plus les effectifs de la Légion. Conscient de la faiblesse numérique des fteo, le général décida que tout bataillon aurait un frère jumeau indochinois. Cela répondait au souci d’impliquer les Indochinois dans la guerre et de leur donner des responsabilités accrues de façon à préparer au mieux leur émancipation. S’appuyant en particulier sur les désirs des Vietnamiens et de leur empereur Bao Daï, qui voulaient avoir une armée nationale symbolisant leur indépendance, chaque binôme devenait non seulement une unité de plus, mais aussi un centre d’instruction pour les futures formations nationales [23][23] SHD/DAT, carton 10 H 2283, n° 3417 du 16 février 1.... Les méthodes 9 Trois furent employées. 10 L’amalgame, c’est-à-dire l’introduction dans des unités existantes d’un certain nombre de soldats autochtones. Les deux bep constituent un exemple parlant. Après l’anéantissement du 1er bep sur la rc 4 en octobre 1950, l’unité ne pouvait être recréée qu’avec les survivants, les hommes restés en base arrière ou indisponibles au moment du parachutage sur la rc 4 et les légionnaires des compagnies de renfort ou de maintenance. En janvier 1951, on dissolut les compagnies de renfort, et on créa un nouveau 1er bep avec une compagnie indochinoise parachutiste de la Légion étrangère (ciple) faisant office de 4e compagnie constituée en mars 1951. Les discussions sur l’organisation des bepreprirent celles qui avaient précédé la création des cip dans les bataillons parachutistes coloniaux. Soit on affectait, dans chacune des compagnies, une section indochinoise ; soit on regroupait les autochtones dans une compagnie. Ce fut ce dernier choix qui prévalut aussi à la Légion. La ciple du 1er bep prit l’appellation de 1re ciple et celle du 2e, de 2e ciple. La 1re ciple devint 4e compagnie du 1er bep et la 2e, 8e compagnie du 2e bep. D’autres bataillons d’infanterie furent progressivement transformés en unités mixtes. On parle de bataillons de Légion de type L2. En mai 1952, les bataillons de type L2 devaient théoriquement comporter 834 hommes dont 147 autochtones (I, II/3e rei ; I, II, III/5e rei). 21. Au 1er rec, la décision fut prise en 1950. Le régiment était déjà habitué à travailler avec des autochtones dans les commandos. Cependant, les annonces de métropole et d’Algérie firent craindre des problèmes d’effectifs sévères par manque de légionnaires. Une étude initiale de début mars 1951 préconisait une intégration progressive des autochtones ; on les emploierait comme éclaireurs dans les groupes de soutien portés et à la garde de la base de Tourane. Ce système aurait eu l’avantage de dégager un certain nombre de légionnaires de leurs tâches, ce qui aurait permis alors de les affecter à l’encadrement des engagés autochtones. On se méfiait donc des Indochinois, car le jaunissement avait montré ses limites au centre du Vietnam (meilleurs éléments recrutés par le Vietminh, désertions et trahisons, manque de combativité en certaines occasions), et on ravalait ces hommes à des fonctions d’auxiliaires, ce qui en dit long sur la considération des Indochinois par la hiérarchie légionnaire. Cependant, la même étude souhaitait que deux pelotons supplétifs fussent accordés à tout escadron [24][24] SHD/DAT, carton 10 H 3174, f. n° 35/1rec/i/org du 3 mars.... Par communication téléphonique du 22 mars 1951, le commandement des ftcv demanda au commandant du 1er rec d’étudier deux possibilités de jaunissement en mars 1951 et de choisir en fait entre un dédoublement des escadrons ou une adjonction d’éléments autochtones dans les escadrons. La réponse fut très claire. Le jaunissement des échelons de soutien ferait gagner de 50 à 55 légionnaires par escadron de combat, soit entre 150 et 165 hommes pour les formations du Centre-Annam. Si on dédoublait, le nombre des pelotons de combat pourrait passer de douze à dix-sept, et si on y « injectait des autochtones », on augmenterait les capacités opérationnelles des pelotons blindés de reconnaissance qui manquaient toujours d’un soutien et d’une bonne cohésion pour accomplir correctement leur mission. En effet, à maintes occasions, pour pallier le déficit légionnaire, le soutien porté était pris sur les compagnies d’intervention de secteur. C’était une mauvaise solution, puisque cela amoindrissait le potentiel de ces unités et que ces dernières changeaient au gré des structures. À la fin de 1951, les escadrons de crabes et les pelotons de lvtétaient jaunis à plus de 50 %, tandis que les compagnies portées l’étaient à plus de 70 % [25][25] SHD/DAT, carton 10 H 3174, f. 35.1rec/i/org du 3 mars.... Après les premières expériences, un jaunissement plus intense fut envisagé. Ainsi, on se proposa de transformer deux bataillons standards Légion du 2e reien trois bataillons Légion autochtones. Devant les remarques du commandant de corps, l’idée ne vit pas le jour. Celui-ci estimait que les deux bataillons du 2e rei de type « normal Légion » assureraient, avec une addition de supplétifs, des missions territoriales incompressibles, que les besoins de la garde vietnamienne interdiraient un recrutement de nouveaux supplétifs et que le jaunissement accroîtrait le sous-effectif des bataillons existants. Donc, selon lui, il aurait fallu attendre que la garde vietnamienne fût opérationnelle pour lui transférer des missions assurées par le 2e rei. Mais en tout état de cause, il souhaitait, pour former trois bataillons mixtes de type Tonkin, un renforcement de 500 légionnaires, et pensait qu’il lui faudrait plusieurs mois pour mettre sur pied les unités projetées [26][26] SHD/DAT, carton 10 H 3174, f. n° 150/2re/ts du 20 mars.... Il concluait dans une note de synthèse : « Il semble préférable de disposer de ces deux unités seulement plutôt que de les dévaloriser par un amalgame hâtif avec des autochtones, pour créer trois bataillons qui ne seraient que des ersatz d’unités de Légion » [27][27] SHD/DAT, carton 10 H 3174, f. sur le jaunissement des.... 11 La substitution, c’est-à-dire le remplacement de légionnaires par des autochtones. Ce fut particulièrement le cas dans les unités spécialisées comme les compagnies du matériel, du train ou du génie. La mise sur pied de bataillons mixtes dès leur constitution. La première expérience fut le IV/13e dble constitué en Cochinchine en avril 1950 avec 548 autochtones sur 834 hommes. En 1951, cinq autres formations découlaient directement, d’une part, des ordres du général de Lattre de février 1951 qui établissait pour les bataillons étrangers les effectifs théoriques européen et autochtone, et d’autre part, de la directive du commandement de la Légion. Le 3 mars 1951 apparurent ainsi le IV/2e rei type L2 Annam (308 Indochinois sur un total de 834 hommes), le III/3e rei recréé avec des autochtones après l’anéantissement total de son homonyme en octobre 1950 sur la rc 4 (type L2), mais aussi les IV et V/3e rei ainsi que le IV/5e rei de type S1 qui incorporaient 640 Indochinois sur 834 hommes [28][28] SHD/DAT, carton 10 H 184, état des bataillons de m.... Au 22 juin 1950, 6 668 légionnaires autochtones (sans compter les personnels du génie Légion) étaient sous les drapeaux (216 au 2e rei, car le recrutement n’était pas encore terminé, 2 264 au 3e, 1 374 au 5e, 642 à la 13e dble, 810 pour les deux bep, 1 162 pour le 1er rec). On en comptait 583 le 13 avril 1950, et 2 062 le 5 avril 1950 [29][29] SHD/DAT, cartons 10 H 488 f. n° 1465/emift/ du 22 juin.... À partir de 1952, le nombre de légionnaires autochtones diminua régulièrement à cause du développement des armées nationales. Petit à petit, les unités mixtes passèrent à l’armée nationale du Vietnam. Ainsi, le IV/3e rei devint 74e bvn en janvier 1952 ; le IV/13e dble, 68e bvn en février 1953 ; le V/3e rei, 76e bvn en mai 1953 [30][30] SHD/DAT, carton 10 H 186, état des bataillons de mai 1953,.... Parallèlement, on renforça six bataillons (1er, 2e et 3e bataillons des 3e et 5e rei) de 143 légionnaires européens, soit 687 hommes sur 834 théoriques, de façon à ce que seule la 4e compagnie soit autochtone avec 170 hommes. En 1953, on uniformisa les effectifs des bataillons mixtes ; tous devaient avoir 834 hommes dont 147 Indochinois, sauf le IV/2e rei qui comprenait 834 légionnaires dont 300 autochtones, mais tous étaient regroupés sous le nom de bataillons de Légion mixtes de type L2. Au cours de 1953, d’autres formations mixtes redevinrent de type L1 blanc (III et V/3e rei et III/5e rei). Dans le même temps, le IV/2e rei s’aligna sur les bataillons mixtes standards pour son effectif total, soit 834 hommes, mais ils comptaient 550 autochtones. À l’automne 1953, la déflation continua, et on opéra un blanchiment des bataillons mixtes du fait du développement de l’armée nationale du Vietnam [31][31] SHD/DAT, carton 10 H 488, n° 10542/emift/bp/le du 20 décembre.... Méthodes de recrutement et recrutés 12 Plusieurs solutions s’offrirent aux unités. D’abord, il y eut des campagnes de recrutement organisées par les corps eux-mêmes parmi les populations d’implantation des unités. Ainsi, en 1950, quatre recruteurs cadres de la 13e dblefurent chargés de trouver 600 autochtones, soit les deux tiers du IV/13e dble à mettre sur pied. Ce petit groupe accompagné d’un médecin partit dans la région de Rach Gia accompagné de quelques Cambodgiens pour faire de la propagande. Après avoir contacté l’officier de renseignements du secteur, cette équipe aidée d’indicateurs cambodgiens passa dans les villages. Elle emmenait avec elle des tenues neuves, et des interprètes traduisaient les propos des officiers. Les officiers soulignaient l’intérêt des soldes (6 piastres par jour) et des primes (car la région était considérée comme pauvre), la possibilité de faire vivre décemment les familles, la menace du Vietminh et le prestige de l’uniforme [32][32] Documentation du cmidom.. Ces tournées de recrutement étaient menées avec le concours des troupes de secteurs, mais souvent aussi avec l’appui d’anciens tirailleurs et des chefs de villages. Le recrutement se faisait ensuite avec des volontaires qui venaient spontanément offrir leurs services pour des raisons très diverses : désir de vengeance contre le Vietminh, haine des Vietnamiens des plaines, attrait de la solde, recherche de l’aventure ou du prestige parfois pour des mobiles politiques ou religieux, en particulier dans les régions habitées par les Khmers Kroms (Cambodgiens de Cochinchine). Il n’était pas rare que des compagnies en cours d’opérations ramènent avec elles des hommes qui voulaient fuir le système vietminh et qui ne voyaient qu’une solution : partir avec la troupe et s’engager. Enfin, pour la mise sur pied des unités mixtes, au départ, on puisa dans les formations supplétives et dans des corps des troupes coloniales déjà jaunis en choisissant les hommes les mieux aguerris, ce qui suscita parfois chez eux un ressentiment contre les autorités militaires. 13 Tout volontaire devait théoriquement pouvoir justifier de son identité, et on préférait des hommes mariés aux célibataires, malgré les problèmes que pouvait causer la proximité des familles. On levait des hommes de moins de quarante ans de corpulence robuste, mais au 1er rec, on préféra des soldats de petite taille pour en « caser » un peu plus dans les véhicules de combat. Après le filtrage de sécurité (parfois une rapide enquête auprès des autorités locales ou villageoises,) les volontaires passaient devant une commission médicale. Les candidats retenus émargeaient leur engagement, la plupart du temps avec leur index [33][33] Documentation du cmidom sur la 13e dble.. 14 On levait des hommes dans leur secteur d’habitation, ce qui était un gage de fidélité puisqu’ils pouvaient avoir le sentiment de défendre leur terre et leurs proches. A contrario, ce système pouvait donner au Vietminh un moyen de pression fort pour amener les tirailleurs à déserter ou à trahir. Les légionnaires autochtones restaient donc dans leur région d’origine, sauf ceux qui avaient rejoint les deux bep, bataillons d’intervention et de réserve générale, c’est-à-dire aptes à opérer sur tout le territoire indochinois. On évitait le panachage ethnique dans les sections, mais les difficultés de recrutement faisaient que les bataillons recélaient des hommes de diverses origines. En 1952, la 2e ciple comptait des Muong, des Tho, des Thaï, des Méo et des Vietnamiens. Au IV/13e dble, les 14e et 16e compagnies étaient formées de Vietnamiens issus de toute la Cochinchine, tandis que les 13e et 15e compagnies se composaient de Cambodgiens levés dans les régions de Rach Gia et de Soc Trang. Le IV/2e rei puisa parmi les Montagnards, les Rhadès, les Banars et les Sedang principalement [34][34] Simonin P., Les Bérets blancs de la Légion en Indochine,.... 15 Les légionnaires autochtones appartenaient à l’infanterie coloniale, mais entraient organiquement dans la constitution des bataillons mixtes [35][35] SHD/DAT, carton 10 H 3174, r. 40/2rei/org/s du 1er juin.... 16 Comme dans toutes les formations à base d’autochtones, l’instruction prend une allure particulière, tant, a priori, les difficultés paraissent insurmontables. Il fallait une instruction simple, efficace, rapide et capable d’effacer au plus vite les obstacles de la langue. À l’aide d’interprètes et de soldats connaissant le français, il fallait former en peu de temps des groupes homogènes aptes au combat. On privilégia l’étude des armes et de leur emploi par mimétisme. Le légionnaire européen devenait alors une sorte de modèle. Ce système avait, en outre, l’avantage d’une meilleure connaissance réciproque des hommes, donc de créer une rapide cohésion dans les sections. La formation dépendait d’abord de la valeur des légionnaires. On s’aperçut vite que les Allemands étaient peu aptes au commandement d’autochtones à cause de préjugés raciaux, d’un esprit à la prussienne et sans doute d’un esprit légionnaire trop marqué. Dans de nombreux cas, cela nécessita, de la part des chefs, des mises au point qui préconisaient de la souplesse dans une certaine fermeté ainsi qu’une connaissance minimum de la psychologie de l’autochtone. Le commandant de la 13e dble, après les premières expériences, souhaitait qu’on fasse une sélection attentive des hommes qu’on envoyait à son 4e bataillon [36][36] SHD/DAT, carton 10 H 3174, n.s. n° 744/faeo/org du.... Si, dans les unités déjà existantes, on pouvait trouver l’encadrement ou l’ossature légionnaire en changeant les répartitions entre les formations dans les unités créées ex nihilo, le problème était différent. Puisque les bataillons mixtes étaient administrativement rattachés à une unité, on puisait dans celle-ci les effectifs nécessaires que l’on amalgamait avec des éléments arrivés en renfort ou pris dans d’autres formations. Ainsi, pour le IV/2e rei, on ponctionna 16 officiers aux trois autres bataillons en attendant l’arrivée de deux officiers embarqués sur le Pasteur en avril 1950 [37][37] SHD/DAT, carton 10 H 3174, télégramme n° 1043/ac du.... L’encadrement européen posa d’emblée un certain nombre de problèmes. D’abord, la mauvaise volonté de commandants de bataillon qui profitèrent de l’occasion pour se débarrasser de leurs cadres les moins performants, ce dont on accusa directement les chefs de bataillon des I, II, III/13e dble, début 1950, alors que le colonel commandant le corps avait demandé une sélection rigoureuse [38][38] SHD/DAT, carton 10 H 3174, documentation du cmidom. Ensuite, du fait du déficit chronique en effectifs, toutes les unités présentèrent des doléances et demandèrent que tous les hommes dispersés reviennent à leur unité le plus vite possible : les militaires détachés pour des stages de spécialisation, les officiers envoyés en mission dans des états-majors, les légionnaires qui avaient été prêtés à d’autres unités. Début 1952, il manquait neuf adjudants et adjudants-chefs au IV/2e rei [39][39] SHD/DAT, carton 10 H 3174, n° 402/po du 5 septembre.... En septembre 1952, le commandant du 2e rei qui faisait part du déficit en officiers de son 4e bataillon suggéra qu’on comble les manques en prenant quelques officiers aux trois autres bataillons qui, selon lui, n’avaient « pas de charges supérieures à celles du IV » et en demandant qu’un sous-lieutenant du train blindé lui soit rendu [40][40] SHD/DAT, carton 10 H 3174, r. 173/po/2rei du 3 mars.... On parfois l’impression d’une mesquinerie tatillonne pour « grappiller » quelques moyens supplémentaires. Pourtant, il est vrai que la plupart des unités souffraient d’un déficit en officiers et en sous-officiers européens et que des ponctions accentuaient encore la pénurie. De nombreux chefs de corps mettaient en avant le fait que le légionnaire devait être bien encadré pour obtenir un bon rendement, donc se priver de quelques cadres revenait, en fait, à diminuer la valeur des unités de la Légion et à casser l’homogénéité des formations. Début 1951, les tableaux d’effectifs théoriques firent tomber de 22 à 15 le nombre d’officiers par bataillons. Cela augmentait encore le déficit sur le terrain. En mai 1952, au IV/13e dble, il manquait des officiers : quatre (18 présents au lieu de 22), quatre au IV et V/5e rei et deux au III/5e rei. Cependant, un examen approfondi de toutes les unités « jaunies » montre que le commandement fit un effort réel pour doter ces unités du nombre réglementaire d’officiers. En mai 1952, six bataillons avaient un excédent d’officiers (quatre de plus au III/5e rei, deux aux I et II/3e rei ; en mai 1953, ils étaient encore cinq, mais le nombre des bataillons était passé de treize à huit. Le problème était à la fois similaire et différent pour les sous-officiers. En mai 1952, le déficit était sévère pour six bataillons sur treize ; il atteignait 30 au IV/5e rei et 32 au IV/13e dble. Un an plus tard, la crise semble être passée puisque toutes les unités font le plein avec parfois de légers excédents comme les deux bep [41][41] SHD/DAT, carton 10 H 186, état des bataillons, mai 1952.... Cela entraîna toujours une gêne pour le jaunissement, d’autant plus que les difficultés à former des cadres en Indochine étaient grandes et que la base de Sidi-bel-Abbès n’avait pas les moyens d’en envoyer plus. Le 1er rec insistait particulièrement sur cette question et précisait en outre que tous les hommes qui avaient montré de réelles qualités « avaient déjà été sortis du rang » [42][42] SHD/DAT, carton 10 H 3174, f. n° 35/1rec/i/org du 17 mars.... Enfin, les légionnaires qui parlaient déjà mal le français n’avaient pas vocation à être instructeurs ; d’ailleurs, beaucoup n’étaient pas venus à la Légion pour entraîner les autres, dit un rapport. Il y eut donc un problème de la qualité de l’encadrement, accentué par une baisse quasi générale des qualités des membres de la Légion. Ce n’était pas l’apanage de la Légion, mais ce déficit prenait une ampleur particulière au regard des caractéristiques des légionnaires et des bataillons, souvent unités d’intervention [43][43] Témoignages recueillis par l’auteur.. Comme toutes les unités mixtes ou fortement jaunies, les formations de légionnaires rencontrèrent des difficultés. La coexistence entre les nationalités et les communautés ne généra pas les soucis qui avaient été a priori mis en avant. Globalement, il n’y eut jamais de heurts sévères entre les composantes. Néanmoins, on connut des tensions pour des femmes ou pour des affaires de jeu [44][44] Témoignages recueillis par l’auteur.. La fidélité ne fut pas un réel souci, même si les commandants d’unités statiques la redoutaient. Le commandant du 2e rei signalait, dans un rapport semestriel, qu’il n’y avait ni déserteurs ni transfuges vers l’anvn [45][45] SHD/DAT, carton 10 H 375, rm du 2e rei du 1er semestre.... Certes, des tirailleurs désertèrent ou passèrent à l’ennemi. En avril 1950, six montagnards issus de tribus peu guerrières et incorporés depuis peu disparurent sans déserter à l’ennemi. Ces soldats peu confirmés provenaient des bmeo qui n’avaient pas fait attention à leur territoire d’origine ; ils ne pouvaient donc pas, de temps à autre, aller dans leur village pour voir leurs parents et revivre leurs coutumes. En fait, dans leur esprit, ces jeunes gens ne désertaient pas, mais rentraient chez eux, lassés du rythme des opérations. De plus, des négligences dans la gestion (soldats arrivés sans ccp, militaires sans vrais contrats…) leur faisaient craindre de ne pas être payés. Ils considéraient donc que puisqu’on ne faisait pas attention à eux, ils étaient libres de partir [46][46] SHD/DAT, carton 10 H 3174, L. du commandant de la 16e compagnie.... Seulement à la longue, ce genre de mésaventure donnait raison aux détracteurs des autochtones, et on vit des compagnies ne plus avoir confiance en eux [47][47] SHD/DAT, carton 10 H 3174, f. sans références de 1.... Les commandants de bataillons demandaient alors l’autorisation d’éliminer les éléments peu sûrs et de renvoyer dans leurs foyers tous les hommes en fin de contrat. Tous souhaitaient disposer de papiers d’identité incontestables quant à l’origine des volontaires [48][48] SHD/DAT, carton 10 H 3174, L. n° 810/zn du commandant.... La valeur des autochtones 17 La valeur des autochtones fut extrêmement variable en fonction de l’époque, de leur origine ethnique, de leur emploi, de la nature des combats et de l’efficacité de l’encadrement. Les Montagnards n’avaient pas très bonne presse. On leur reprochait d’être grégaires, de requérir une longue période d’entraînement pour devenir vraiment opérationnels, de ne pas faire les efforts nécessaires pour s’adapter à des secteurs différents des leurs et de n’avoir qu’un désir : y retourner le plus rapidement possible, ce qui nuisait à leur moral et à leur état d’esprit, sans compter celui des légionnaires européens. En novembre 1950, le commandant du IV/2e rei notait le scepticisme et le mécontentement des officiers du bataillon qui avaient dû accepter le remplacement d’« Annamites » par des Montagnards en qui ils avaient moins confiance [49][49] SHD/DAT, carton 10 H 375, rm du IV/2e rei de novem.... L’appréciation changea avec le temps. En septembre 1952, il écrivait encore que « les Annamites étaient décevants pour ne pas dire plus », mais à la fin de l’année, il affirmait que les autochtones avaient été parfaitement assimilés et que bons soldats, ardents au combat, ils avaient été admis dans la communauté légionnaire [50][50] SHD/DAT, carton 10 H 375, rm du 2e rei du 1er semestre.... Le commandant du 3e rei à la même époque faisait un constat identique [51][51] SHD/DAT, carton 10 H 375, rm du V/3e rei du 2e semestre.... Il leur reprochait surtout de ne guère vouloir se rengager, si bien qu’au 2e rei, on constatait une incessante noria des effectifs. Cette critique valait tout autant pour les Vietnamiens. Les revers français, les propagandes et les menaces constantes du Vietminh jouaient sur ce comportement tout autant que l’attrait de la vie civile sans risques et le manque de sentiment national. Mais il est vrai que dans la mentalité vietnamienne, être soldat n’était pas valorisant ; bien au contraire [52][52] SHD/DAT, carton 10 H 375, rm du V/3e rei du 1er se.... Les Nungs étaient appréciés pour leurs qualités de chasseurs ; ils étaient très hostiles aux Vietnamiens du Vietminh. On préférait souvent les Tho aux Vietnamiens des plaines que l’on jugeait moins combatifs. Et un commandant d’ajouter que beaucoup étaient des guerriers médiocres qui n’avaient pas leur place à la Légion [53][53] SHD/DAT, carton 10 H 375, rm du 5e rei du 1er seme.... Les réticences se transformaient parfois en critiques sèches. Ainsi un lieutenant déclare : « Un quart se bat, une moitié passe en face, et le dernier quart attend pour se mettre du côté du vainqueur » [54][54] Témoignages et Basset, « Journal de marche, Indochine,.... Les Cambodgiens devenaient des soldats féroces s’ils avaient des comptes à régler avec l’adversaire, mais on leur reprochait souvent un sens élastique de la discipline [55][55] Témoignages recueillis par l’auteur.. Réserves et réticences ont été parfois sévères. Le 2e bep en voulait aux Indochinois d’attendre la fin de leur contrat, de rompre la cohésion du bataillon, d’encombrer l’unité de femmes et d’enfants, et en fait de vouloir rentrer chez eux. « Ils ont gêné le bataillon au point que le commandant n’en voulait plus comme renfort » [56][56] SHD/DAT, carton 10 H 376, rm du 2e bep du 1er seme.... À l’inverse, d’autres portaient un jugement plus favorable sur les autochtones. La 13e dble se montre globalement satisfaite ; le lieutenant Boone est « persuadé qu’un Indochinois encadré par deux légionnaires vaut un légionnaire ». [57][57] SHD/DAT, carton 10 H 375, rm du IV/13e dble du 1er... Au 1er bep, on considérait malgré tout que la valeur combative des autochtones était honorable ; son commandant notait : « La ciple n’a rien à envier aux autres compagnies même si les para locaux répugnent au corps-à-corps » [58][58] SHD/DAT, carton 10 H 376, rm du 1er bep du 2e seme.... Dans le génie, des témoins relèvent que les autochtones constituent avec les légionnaires des équipes qui se complètent à merveille. Les premiers, plus frêles, font d’excellents mécaniciens tandis que les seconds, plus robustes, manient les engins de terrassement. On a l’impression que c’était avant tout la hiérarchie qui se plaignait le plus du jaunissement et que dans les unités, les Indochinois auraient été plus acceptés que ne le laissaient penser certains jugements. En 1952, les autochtones étaient considérés comme de vrais légionnaires, d’autant que leurs désertions étaient moins nombreuses que celles des « Képis blancs » [59][59] SHD/DAT, carton 10 H 375, rm du 5e rei du 1er seme.... L’osmose était parfois réalisée. Au 1er bep, des sous-officiers se cotisèrent pour que leurs camarades de combat vietnamiens puissent avoir accès aux repas du mess, tandis qu’au IV/5e rei, des cadresaccompagnèrent les Nungs qui rechignaient à rejoindre le 74e bvn [60][60] SHD/DAT, carton 10 H 375, rm du IV/5e rei du 1er s.... Dans la troupe, les contacts se passaient sans anicroches. Certains légionnaires plus rigides ne voyaient pas d’un bon œil qu’on accepte des Indochinois des entorses à la discipline contraires à ce qu’ils avaient appris à Sidi-bel-Abbès. Certes, ils n’aimaient pas le corps-à-corps ni les travaux de terrassement ou de fortification, mais ils apportaient une grande finesse dans les fouilles de maisons et une capacité aux déplacements silencieux. Dans certaines unités, on finit par les considérer comme des légionnaires d’une nationalité non européenne, et on s’accommoda de leur présence, surtout si le jaunissement ne dépassait pas les 30 % [61][61] SHD/DAT, carton 10 H 375, rm du 5e rei du 1er semestre 1952.... En dépit des difficultés, des oppositions et des récriminations, le jaunissement s’avéra une expérience pleine d’enseignements et de richesses pour la Légion. Dans de nombreux cas, l’amalgame fut une réussite à tel point que de nombreux Indochinois préféraient encore rester à la Légion plutôt que d’intégrer les unités de l’armée nationale vietnamienne même avec un avancement. Beaucoup avaient pris conscience d’être des soldats réguliers de l’armée française, conclut le commandant du IV/2e rei pour décrire l’ambiance qui prévalait au moment du transfert de son bataillon à l’anvn [62][62] SHD/DAT, carton 10 H 375, rm du IV/2e rei du 2e se.... Les difficultés du recrutement 18 L’enrôlement de nouveaux soldats se heurta aux difficultés que connaissaient les unités régulières des fteo. Lors des commissions d’engagement se présentaient une multitude de volontaires mais, en général, plus de la moitié était rejetée. Venaient en premier lieu des questions de sécurité : on refusait tout volontaire qui ne pouvait fournir des papiers d’identité ou de sérieuses garanties villageoises ou familiales. Puis, les candidats jugés trop âgés ou ayant à charge une famille trop nombreuse étaient écartés. Enfin, les déficiences physiques étaient rédhibitoires pour de nombreux autochtones. Lorsque le IV/13e dbleessaya de lever 200 hommes dans la région de Rach Gia, sur 600 postulants, il ne put réellement trouver que 120 « futurs légionnaires » [63][63] Documentation du cmidom sur IV/13e dble.. 19 La concurrence des autres forces de l’Union française ralentit les enrôlements. Lever des hommes à partir de 1950 arrivait à une mauvaise période du fait du développement de l’anvn. La concurrence fut encore accrue avec les dispositions du gouvernement vietnamien qui décréta la mobilisation générale. Des mesures maladroitement appliquées pour la constitution des bataillons mixtes jumeaux selon les ordres du général de Lattre contrecarrèrent les levées. On vit des supplétifs obligés de rejoindre les troupes régulières rechigner et parfois déserter [64][64] Bodin M., Le Corps expéditionnaire français en Indochine,.... Les minorités étaient en outre pressurées par le gcma et l’apvn. 20 Enfin, les succès vietminh contribuaient aussi à décourager les bonnes volontés et, dans maintes régions, les hiérarchies parallèles de l’apvn contrebalançaient la propagande des recruteurs des fteo en faisant planer de sérieuses menaces sur les engagés et leurs proches. Les difficultés gênèrent l’enrôlement plus qu’elles ne l’entravèrent. Il faut plutôt parler de ralentissement bien qu’à certains moments, le recrutement de réguliers ait été momentanément impossible comme en avril 1951 au centre du Vietnam, à cause de l’organisation de la garde nationale vietnamienne. En mars 1951, le 2e bep et le 3e rei étaient au complet [65][65] SHD/DAT, carton 10 H 2283, f. de synthèse du 1er mars.... En mai 1952, les dix bataillons de Légion avaient même un léger excédent, sauf pour les officiers indochinois. Une année plus tard, deux bataillons sur six connaissaient un déficit important (90 autochtones au III/3e rei et 56 au I/5e rei) [66][66] SHD/DAT, carton 10 H 186, état des bataillons de m.... La vie dans les unités 21 Dans les premiers temps de la guerre, les bataillons légionnaires se plaignaient de ne pas recevoir de grandes tailles pour leurs effets et leurs chaussures [67][67] SHD/DAT, cartons 10 H 375 et 10 H 376, synthèse des.... Après 1950, les formations jaunies se mirent à réclamer de petites tailles et de petites pointures pour leurs autochtones. Et à maintes reprises, elles manquèrent [68][68] Documentation du cmidom sur le IV/13e dble.. Cependant, au regard des effets neufs de l’anvn, les tenues des autochtones de la Légion ne soutenaient pas la comparaison. Le commandant du 2e rei constatait que ses hommes souffraient de ne pas satisfaire leur coquetterie [69][69] SHD/DAT, carton 10 H 375, rm du 2e rei du 1er seme.... Dans des formations à l’esprit de corps très clairement affirmé, les signes distinctifs dans les uniformes prennent une importance particulière. Si le képi blanc était la marque de l’appartenance à la Légion, il était impossible de fournir ce couvre-chef aux autochtones. On hésita longtemps avant de choisir un couvre-chef, et on vit fleurir toute sorte de suggestions plus ou moins sérieuses comme des bérets à carreaux verts et rouges ou à spirales vertes et rouges. Finalement, à la 13e dble et au 5e rei, on opta pour des bérets blancs à rubans d’abord verts et rouges puis noirs. 22 L’intendance devait organiser deux ordinaires avec des besoins alimentaires très différents. Les légionnaires européens réclamaient du pain, du vin ou de la bière, tandis que les autochtones souhaitaient recevoir plus de riz et du poisson. Les responsables trouvaient les primes d’alimentation insuffisantes ; un Européen avait droit en 1950 en Cochinchine à 12 piastres par jour, tandis qu’un Vietnamien en percevait 7. En outre, la présence des familles nécessitait qu’on protège les femmes qui allaient se ravitailler en organisant des convois armés. Il fallut revoir les cantonnements en construisant des casernements différenciés. Les autochtones vivaient généralement sous des paillotes en bambou avec leurs proches, tandis que les légionnaires étaient parfois logés dans des bâtiments en dur recouverts de tôle. La défense des points d’appui en était donc un peu plus compliquée. Quelques chefs de compagnies tentèrent de monter des écoles quand la situation politico-militaire le permettait. Dans certains cas, la proximité des « camps des mariés » fut la cause de vols, de disputes et d’affaires de femmes [70][70] Documentation du cmidom sur le IV/13e dble.. 23 Les contacts entre des hommes éduqués dans une ambiance européenne, parfois ouvertement racistes, habitués à une atmosphère virile, et des communautés asiatiques présentaient a priori des dangers potentiels de conflits culturels. C’était d’ailleurs un des principaux arguments des officiers opposés au jaunissement de la Légion. Pourtant, à bien y regarder, les heurts graves semblent avoir été une exception. Au contraire, beaucoup de légionnaires, plus grands et plus robustes, considéraient, peut-être par condescendance, les autochtones comme de petits frères à protéger, alors que, dans les premiers temps, beaucoup avaient eu propension à railler leur taille et leur ribambelle d’enfants. Au 2e rei, en 1952, le commandant du régiment note que les autochtones font « bon ménage avec les légionnaires » [71][71] SHD/DAT, carton 10 H 375, rm du IV/2e rei de novem.... D’ailleurs, il y eut parfois de sévères rixes entre ces militaires de l’anvn et des légionnaires qui avaient pris la défense de leurs camarades autochtones [72][72] SHD/DAT, carton 10 H 375, rm du 2e rei du 1er seme.... La Légion et les légionnaires mirent longtemps à accepter l’idée du jaunissement. Les résultats de cette expérience, concluants dans l’ensemble, prouvent, contrairement à ce qu’on affirme souvent, que la Légion savait s’adapter rapidement aux conditions de la guerre. Elle sut tirer parti des autochtones, et ceux-ci se montrèrent à la hauteur de ce qu’on leur demandait. Tout particulièrement, les parachutistes des ciple démontrèrent des qualités égales à celles de leurs camarades européens en plus d’une occasion. Dans le fond, on trouve ici la caractéristique traditionnelle de la Légion : savoir intégrer dans ses rangs des hommes d’horizons différents pour en faire des soldats hors norme. Le jaunissement était en quelque sorte la continuité d’une règle d’or de la Légion, l’amalgame et le brassage de volontaires aux qualités différentes et complémentaires. En fin de compte, la Légion agissait comme un creuset, transformant les engagés indochinois en véritables légionnaires, ce qu’ils revendiquaient d’ailleurs fièrement. 5 Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
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