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olivier lsb

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Messages posté(e)s par olivier lsb

  1. Petit passage en revue des derniers exemples récents de crimes de guerre russes. Ca peut tout à fait se passer de commentaires, mais c'est juste au cas où on serait tenté à l'avenir de renvoyer les deux belligérants dos à dos car forcément la guerre "c'est forcément sale" et puis "on sait pas ce que font les Ukrainiens mais ça doit aussi arriver". 

    Un prisonnier de guerre, revenu complètement mutique:

     

    Kherson, du drone drop sur les civils de l'autre coté du Dniepr

     

     

     

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  2. Il y a 19 heures, ksimodo a dit :

    Olivier 

    Si le sondage était Tian'anmen, d'abord il n'existerait pas. ( je crois que tu as édité ton message )

    S'il existait ( imaginons ) il aura fallu passer par des cases contrôle identité au minimum une fois pour y aller, et une fois pour en sortir ( avec les portiques, toussa ). Faire le tour de la place par les contours extérieurs, c'est dansles 4 contrôles ( de mémoire ).

    De toute façon, au montage final de la vidéo, 183 % des interviewés ( voir plus ) serait en phase absolument et totalement avec la politique pékinoise de rééducation du peuple Ouighour. 

    Effectivement, le sondage n'existerait pas place Tiananmen. Ca ne fait pas de la Russie par comparaison, un pays libre si c'était le sous-entendu. Ni même moins autoritaire que la Chine.

    Les systèmes sont différents: le PCC gouverne en Chine dans un système ou la démocratie a été tuée sans ambiguïté en 89, où l'unicité ethnico-culturelle est plus importante qu'en Russie. En Russie, on fait semblant d'avoir de vraies élections, mais on arrive pas encore à assumer un vrai pouvoir totalitaire et hégémonique à la Nord-Coréenne ou à la Chinoise.

    L'ironie de cette situation, c'est que le pouvoir est un tout petit peu plus partagé en Chine, où on ne fait semblant d'être une démocratie, qu'en Russie ou les organes du pouvoir n'ont pas de constitution forte et légitime, comme peut l'avoir le PCC et ses instances collégiales, et où tout est concentré sur la personne de VVP. Tout çà pour dire qu'il ne faut pas se faire avoir par les apparences: la Russie doit assurer l'illusion et organiser le sketch de l'opposition politique, des vrais-faux débats dans les talk-show, de la session parlementaire de la Douma et du micro-trottoir a l'apparence spontanée et qui a l'air neutre et équilibré en apparence. 

     

  3. Il y a 13 heures, Alexis a dit :

    L'excellente chaîne "1420", qui se spécialiste dans les interviews de Russes rencontrés au hasard dans la rue, publie cette vidéo filmée à Moscou

    "Est-ce que nous pouvons encore gagner l'opération militaire spéciale ?"

    Neuf minutes, sous-titrées en anglais. Si vous ne comptez pas regarder, je résumerais ainsi :

    - Les gens parlent assez librement. Ceux qui ne sont pas heureux de cette "opération militaire spéciale" (3 à 4 personnes) on les repère facilement, ils s'expriment relativement ouvertement. Ceux qui soutiennent (7 personnes) leur sincérité est claire aussi, ils ne sont pas en train d’ânonner une version officielle en regardant derrière eux s'il n'y a pas un informateur du FSB, ils disent ce qu'ils pensent. Tranquillement, car c'est avant tout la sérénité qu'ils dégagent

    - Nous sommes dans l'une des deux villes principales de Russie. C'est donc l'endroit où la concentration de "libéraux", de gens souhaitant un rapprochement avec Europe et Etats-Unis, doit être la plus forte. Et peu de personnes âgées sont interrogées, sachant que les jeunes ou jeunes actifs ont tendance à être plus "libéraux" justement

    - Et pourtant, c'est la majorité des interlocuteurs qui s'exprime clairement en faveur de l'OMS, et est certain de la victoire. Les trois personnes qui visiblement n'apprécient pas cette affaire (ou quatre si on compte la jeune fille de 21 ans qui semble elle hésiter à s'exprimer ouvertement) sont clairement une minorité, même si un tiers ce n'est pas négligeable

    Cela, dans la partie la plus libérale du pays (Moscou + Saint-Petersbourg c'est 12% de la population russe), et avec un biais de représentation en faveur des jeunes

     

    ... Si je devais résumer par une image, je choisirais Anton

    1420-Can-we-still-win.jpg

     

    Quand je pense qu'on a longtemps débattu (parfois encore) et interprété en long en large et en travers de multiples sondages, résultats d'élections ou de questionnements sur la légitimité populaire de Maïdan, pour tenter de démontrer la persistance fantasmée d'une majorité silencieuse ukrainienne en faveur de Moscou.

    Alors 10 Russes qui parlent face caméra à un "journaliste" opérant dans la Russie de 2024, avec des questions directes sur l'OMS et ses chances de réussites :rolleyes: Autant faire un micro-trottoir sur le sort des Ouighours, place Tiananmen. Je ne nie pas la teneur surement sincère des propos rapportés, mais est-ce pertinent de demander un avis politique aux habitants d'un pays qui n'a pas interrogé ses citoyens depuis plus de 30 ans ? Et encore... Je suis gentil en disant 30. Je ne veux pas ouvrir un débat sur combien nos démocraties sont supérieures ou pas aux dictatures, mais quitte à admettre que la Russie en est une et ne pas exercer un jugement de valeurs, je ne vois pas l'intérêt de recueillir l'avis de ses habitants qui vivent sous la menace permanente. 

    Même la BBC n'arrive plus à avoir de conversations intelligibles avec les russes, qui sont complètement paumés et ne savent plus distinguer les faits, des croyances, des espérances, des mensonges, des promesses. Poser des questions aux russes comme on le ferait dans nos démocraties, n'est-ce pas là une preuve d'un biais occidental typiquement néocolonial ? 

     

     

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  4. Il y a 11 heures, herciv a dit :

    Military summary en parle mais pour dire que l'origine de l'attaque n'est pas claire et que les russes se demandent si il ne s'agit pas d'une escalade en provenance de l'OTAN et particulièrement de Lituanie.

    Il va falloir que les ukrainiens explicite rapidement les moyens mis en œuvre pour y parvenir sinon l'escalade sera constituée aux yeux des russes.

    Bruit de bottes de plus en plus audible le long de la frontière biélorusse sans que l'on sache de quel côté précisément.

    https://www.youtube.com/watch?v=2iippq4-kpU

     

    Allons camarade enfin ! Reprenez-vos esprits, saisissez votre plus belle plume, et recopiez 100 fois la liste des lignes rouges de Moscou:

    Pas de déploiement de soldats en Ukraine;
    Pas d'armes en Ukraine;
    « Interférence de puissances extérieures en Ukraine;
    Retrait des troupes et des missiles de l'OTAN de la frontière occidentale de la Russie;
    Arrêt de l'expansion de l'OTAN vers l'Est et retour à la position de 1997;
    Pas d'introduction d'une zone d'exclusion aérienne;
    Plus d'armes occidentales à destination de l'Ukraine;
    Pas d'avions de combat MiG-29;
    Pas d'intervention étrangère dans les guerres;
    Pas de missiles à longue portée;
    Pas de missiles de fabrication occidentale tirés sur la Russie;
    Pas de fourniture de vieux chars soviétiques à l'Ukraine;
    La fourniture d'armes létales à l'Ukraine par l'Allemagne franchit une ligne rouge;
    Les revers russes sur le champ de bataille entraîneront un holocauste nucléaire.;
    Ne pas menacer l'intégrité territoriale de la Russie (dans ses frontières avant 2014);
    ne pas fournir de missiles de combat à plus longue portée (supérieure aux 80 kilomètres actuels du HIMARS);
    Ne pas fournir le système de missiles Patriot;
    Aucun char moderne occidental ne sera fourni à l'Ukraine;
    Pas d'avions de chasse F-16;
    Pas de missiles HIMARS ou Storm Shadow pour attaquer le territoire russe (dans ses frontières avant 2014);
    Pas de missiles américains ATACMS à longue portée pour attaquer le territoire russe.;

    https://en.wikipedia.org/wiki/Red_lines_in_the_Russo-Ukrainian_War

  5. Les nouveaux manuels scolaires viennent de tomber en Russie. Ceux qui pensent qu'on va pouvoir revenir au statut quo ante bellum, se bercent d'une incroyable illusion. La dernière partie sur la fabrication de drones par des écoliers laisse assez songeur. 

    https://www.france24.com/fr/europe/20240912-drones-et-valeurs-familiales-la-guerre-et-l-endoctrinement-sur-les-bancs-de-l-école-russe

    Citation

    Drones et "valeurs familiales" : la guerre et l’endoctrinement sur les bancs de l’école russe

    La rentrée scolaire russe a été marquée par l’apparition de deux nouveaux “cours” : l’un sur les “valeurs familiales” et l’autre sur les drones. Des choix pédagogiques qui en disent long sur la vision que le pouvoir russe a de l’école.

    Publié le : 12/09/2024 - 18:14

    En Russie, les écoliers, collégiens et lycéens ont connu une rentrée sous influence des idéologues du régime. Du moins, ces derniers ont-ils tenté de mettre leurs grains de sable dans le cursus scolaire. Deux nouvelles matières très orientées et dans l’air du temps guerrier ont, en effet, fait leur apparition dans ce qui pouvait être enseigné, a rapporté le média indépendant Meduza.

    Ainsi, un nouveau manuel scolaire consacré aux "bases des drones" a été publié mardi 10 septembre. Il est censé s'adresser à des élèves de 4e ou 3e afin de les familiariser avec la conception et les différentes types de drones qui existent ainsi qu’au pilotage de ces engins volants jouant un rôle de plus en plus important sur le champ de bataille en Ukraine.

    En parallèle, le ministère de l’Éducation a publié fin août des directives pour la mise en place d’un cours de "valeurs familiales" qui doit être dispensé dans les classes du CM2 à la 1re. Un vaste chantier "censé être appliqué depuis début septembre, mais qui semble avoir été repoussé à la fin du mois", écrit Meduza.

    "Valeurs familiales" et guerre civilisationnelle

    Ces deux nouveautés illustrent à la fois une reprise en main idéologique de l’éducation toujours plus forte et "une nouvelle étape de la militarisation de l’école initiée par Vladimir Poutine il y a des années", souligne Iuliia Iashchenko, spécialiste de l’histoire de la Russie post-soviétique à l’université de Rome "La Sapienza", qui a écrit sur la transformation du système éducatif russe depuis le début de la guerre en Ukraine.

    Le nouveau cours sur les "valeurs familiales" apparaît en phase avec la rhétorique développée par le Kremlin autour de "l’affrontement civilisationnel avec l’Occident et ses valeurs décadentes face à la Russie, championne des valeurs traditionnelles", résume Jeff Hawn, spécialiste de la Russie à la London School of Economics.

    Le détail de ce cours démontre à quel point "c’est la vision extrémiste des valeurs familiales qui est ici mise en avant", assure Jussi Lassila, spécialiste de la Russie et des questions d’idéologie politique à l’Institut finlandais des Affaires internationales.

    Les enfants russes devront ainsi apprendre "le rôle de l’homme dans la famille et la société", mieux comprendre "comment concevoir un foyer confortable pour les jeunes parents avec enfants", ou encore aussi en savoir plus sur "les aides publiques fournies aux couples qui veulent avoir des enfants".

    "Franchement en lisant ces thématiques, j’ai l’impression qu’il s’agit d’un copié-collé du programme d’éducation défendu par les milieux ultra-conservateurs américains", remarque Jeff Hawn. Pour cet expert, ce n’est pas un hasard : "En érigeant ces priorités d’éducation au niveau national, la Russie cherche à se positionner comme le champion d’une croisade internationale, qui peut incorporer des mouvements comme les ultra-conservateurs américains, contre l’ordre libéral", estime ce spécialiste.

    C’est aussi la preuve éclatante de "l’influence grandissante de l’Église orthodoxe dans l’éducation", assure Iuliia Iashchenko. Elle rappelle que le religieux et les questions civilisationnelles avaient jusqu’à récemment moins de place sur les bancs de l'école. "L’éducation russe est bien plus axée sur les aspects pratiques et scientifiques", corrobore Jeff Hawn.

    Mais c’était avant la guerre en Ukraine et le soutien inconditionnel de l’Église orthodoxe russe à la grande offensive déclenchée par Vladimir Poutine en février 2022. "Cela a valu un bon point à l’église et lui a ouvert les portes du monde académique", souligne Jussi Lassila.

    Objectif : plus de bébés

    Cette irruption à l'école de l’église et de sa conception très poutino-compatible des valeurs familiales répond aussi à des considérations très pratiques. "Sous le verni idéologique de la guerre civilisationnelle, l’objectif concret de ce cours est d’essayer de relancer la démographie", assure Iuliia Iashchenko.

    La baisse de la natalité et le coût humain de la guerre en Ukraine représentent un véritable défi démographique pour Moscou. Une manière d’y répondre est de tenter de mettre les femmes russes sur le "droit chemin" procréatif dès l’école. "L’idée est notamment de décourager les jeunes femmes de suivre des études supérieures afin qu’elles puissent se concentrer sur la procréation", résume Iuliia Iashchenko.

    Les fameuses "valeurs familiales" inculquent aussi que l’acte sexuel ne doit être considéré que pour procréer ou encore que l’avortement est le mal incarné.

    Mais attention : un tel cours sera une pilule difficile à avaler pour une part non-négligeable de la population. "Les derniers sondages suggèrent que la population adhère de manière générale à l’idée des valeurs traditionnelles, mais dès qu’on pose des questions plus précises, comme sur le droit à l’avortement, l’opinion publique russe est bien plus libérale", affirme Jussi Lassila.

    "Pendant longtemps, l’idée d’imposer de tels cours a été jugée trop extrémiste y compris au sein du Kremlin", ajoute ce spécialiste. Le fait que le début de ces cours semble avoir été repoussé suggère que ce n’est pas un plan éducatif qui se déroule sans accroc ni opposition. "Il est d’ailleurs possible que les auteurs de ce cours s’en fichent de savoir s'il est vraiment enseigné, ils voulaient seulement se faire bien voir par Vladimir Poutine en développant un programme qui correspond à son idéologie", note Jeff Hawn.

    Des écoliers fabricants de drones ?

    Rien de tel avec les drones en classe. Vladimir Poutine avait lui-même appelé en 2023 à l’introduction de cours sur les drones en classe. "Le fait qu’il y a déjà un manuel pour ça, alors que ce n’est pas encore le cas pour le cours sur les valeurs familiales démontre bien que c’est important aux yeux du pouvoir", assure Jussi Lassila.

    En fait, la militarisation de l’éducation est un lent processus "entamé par Vladimir Poutine peu après sa réélection en 2012", note Iuliia Iashchenko. C’est le président lui-même, par exemple, qui a poussé à la création en 2015 d’une "armée de jeunes".

    Après 2014 et l’annexion de la Crimée, cette tendance s'est accélérée assurent les experts interrogés par France 24. "Avant 2014, il y avait encore des défenseurs de l’enseignement d’un patriotisme modéré à l’école. Mais après, les tenants du patriotisme militaire se sont largement imposés", explique Jussi Lassila.

    Cette militarisation de l’enseignement a franchi un autre cap après la grande offensive russe en Ukraine débutée en 2022. "Les troupes au front ont eu des besoins et des jeunes ont dû participer à l’effort de guerre", souligne Iuliia Iashchenko. Des mineurs ont ainsi été employés dans une usine de confection de drones kamikazes au Tatarstan, avait révélé une enquête des médias russes indépendants Protokol et Razvorot en juillet 2023.

    Iuliia Iashchenko craint que le nouveau manuel sur les drones ne serve pas seulement à créer des vocations parmi les écoliers. "Le but peut très bien être de faire fabriquer des drones par des écoliers pour l’armée. Après tout, ce manuel comporte des explications pratiques sur comment procéder", conclut-elle.

     

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  6. Il y a 6 heures, ksimodo a dit :

    Même remarque que pour les houttis en mer rouge.

    Tu peux bien couper l'AIS, ou y mettre n'importe quoi en renseignement dedans ( équipage russe, céréale russe à bord, destination la crimée, etc...). La question est de savoir si tu peux prendre les attaquants potentiels pour des lapins de 3 semaines. 

    Si un navire russe en pleine mer noire  avec du charbon est localisé sur la place rouge, il appartient à l'Ukr de le détecter, voir de l'attaquer. Et / ou aux moyens OTAN d'avoir le rens. et de le transmettre ( mais là j'en suis moins sur pour la transmission ).

    Si un navire cargo fret céréale est en mer noire ( avec AIS ou non )  c'est du registre du rens. russe. Sont ils aussi dépourvus que les houttis, pourtant pas dépourvus ?

    Je crois que la remarque de Titus ne portait pas tant sur le ciblage des navires par une armée, sinon par notre capacité à tirer des conclusions depuis les observations de données publiques, type Vessel Finder. 

  7. Il y a 11 heures, ksimodo a dit :

    Des sources sur quoi ?

    J'ai développé ici pas mal de contenu sur le "grain". Du champ jusqu'au port, et puis les marchés, et la redistribution des flux physiques par le monde, prix, impact log sur les prix, comportement des acheteurs, etc...Le sujet peut bien ne pas t'intéresser, je n'aurai rien à y redire. c'est pas dans un article de journaux d'opinion que tu trouvera des sources intéressantes. Et les journaux dits d'investigation, ils ne le sont guère sur ce genre de sujet, mais je le comprends, il faudrait au rédacteur des compétences qu'ils n'ont pas.

    Je peux bien te rédiger où partager ici un article de qualité professionnelle sur le processus de consolidation financières des comptes des groupe internationaux, pour étaler mes compétences, ça n'aidera pas plus à comprendre le pourquoi du comment de la fraude fiscale. J'avais bien compris que le commerce internationale des céréales (ou plus) étaient ton domaine, qu'est-ce que ça te permet de justifier de plus ou de moins au sujet des responsabilités politiques ?

    La première, au sujet de la violation des frontières, étant intégralement à la charge de la Russie, je me vois mal aller chercher des sous-responsabilités européennes ou Ukrainiennes dans un conflit qu'on avait pas demandé, ou m'inquiéter en second ou troisième ressort du devenir hypothétique de l'alimentation de millions de personnes dans le monde. Peut être que ça devient éclatant à tes yeux parce que là tu comprends ces mécanismes, mais ça revient à ne pas voir l'éléphant dans la pièce. 

    Citation

    Toutefois, si la vision classique "VZ a dit que le sud global allait mourir de fin à cause de l'attaque des méchants russes" alors la source TF1 peut bien suffire, et il te sera inutile ( sur ce sujet ) de perdre du temps sur un forum. D'ailleurs le sud global qui a faim, il est tellement con qu'à l'ONU il ne s'empresse pas plus que celà pour soutenir l'Ukr ( sans doute car les votes sont portés par des méchants dictateurs accaparent toutes le richesses et ayant seuls le droit de vote ).

    Je vais radoter à nouveau: par ses choix politique faits par l'UE, l'affairisme par opportunité à poussé les acheteurs UE à aller acheter du ukr au lieu du ru avant. Les pays pauvres n'avaient plus de vendeur ( enfin, 1 de moins ) et la ru avait un acheteur de moins ( UE ) et des clients ( les pauvres qui crèvent la fin ) en attente et en besoin. Je te laisse deviner ce qu'il s'est passé, et je te laisse imaginer à quel point dans ces pays le ru est méchant ( ou pas ). 

    Si je mets de coté les développements inutiles et convenus sur les sources spécialisées > généralistes, ta théorie est la suivante: l'UE et l'Ukraine prennent de mauvaises décisions face au nouveau contexte engendré par la guerre et c'est de leur responsabilité entière.

    C'est une opinion, ce n'est pas la mienne. On peut se féliciter que l'UE ait coupé un maximum possible de transactions avec la Russie, au moins c'est cohérent. Est-ce que le devenir alimentaire relève de notre responsabilité, alors qu'on parle de pays clients / fournisseurs qui n'appartiennent même pas à l'UE ? Je ne crois pas que ce soit une priorité politique. Donc il y a des répercussions à nos décisions, déjà parce qu'on est contraint et mis en situation de devoir nous adapter. Je ne vois pas ce qu'il y a de choquant ou de condamnable. 

    Quant à spéculer sur la façon dont c'est perçu à l'étranger, c'est très sujet à caution. Qui comprend quoi aux mécanismes que tu décris ? Qui souffle sur les braises des "on dit" et des intox ?

    Mais puisque tu sous entends qu'à force de décisions cyniques sur le marché du grain, nous serions devenus (européens et ukrainiens) inaudibles et décrédibilisés (comme si les échanges diplomatiques entre pays étaient un concours de vertus), rappelons ici qui a voté en faveur, à deux reprises aux assemblées générales de l'ONU en 2022 et 2023, sur une résolution portée par l'UE, qui prévoit et constate (entre autre):

    - Expressing concern also about the potential impact of the conflict on increased food insecurity globally, as Ukraine and the region are one of the world’s most important areas for grain and agricultural exports, when millions of people are facing famine or the immediate risk of famine or are experiencing severe food insecurity in several regions of the world, as well as on energy security,

    [...]

    - Also demands that the Russian Federation immediately, completely and unconditionally withdraw all of its military forces from the territory of Ukraine within its internationally recognized borders  

    Spoiler alert: on y trouve une bonne partie de l'Afrique et du "Sud Global"

    Mars 2022

    Révélation

    un_voting_result_.jpg?itok=agvA6-in

    Mars 2023

    Révélation

    FprdjBCXsAEAKpB?format=png&name=small

    Donc politiquement, rien ne change, peu importe ce qu'on se figure de la responsabilité de Kiev dans ses actions militaires en mer noir, qui par ricochet vont fâcher les russes,

    qui par ricochet vont (peut être que c'est le lien, peut être pas) entraîner ces derniers (toujours malgré eux évidemment) dans un ciblage des navires civils,

    qui par ricochet vont entraîner une petite hausse des prix,

    qui par ricochet, ne seront peut être pas amorties par des instruments de couverture et de vente à terme,

    qui par ricochet, vont peut être atteindre le consommateur Soudanais, Nigérien ou Malien si aucun des acteurs de la chaîne logistique ou le gouvernement local n'amortit la hausse,

    qui par ricochet vont peut être déclencher des jacqueries voir des révolutions, dans des pays ou la gouvernance est réputée exemplaire :rolleyes:

    qui par ricochet, se débarrasseront peut être de leurs potentats et s'en porteront pas plus mal. 

    Ou pas, et c'est bien le cadet de nos soucis quand on a une guerre sur le continent à gérer. D'ailleurs ils sont indépendants et font bien ce qu'ils veulent chez eux.

     

    texte complet de la résolution

    https://www.eeas.europa.eu/sites/default/files/a_es-11_l.1_e.pdf

    Citation

    La venue d'un bateau à Odessa pour charger et repartir, ce n'est pas le fait de Kiev. C'est le fait d'un acheteur ( égyptien ou autre, vas t'en savoir ) qui a trouvé un prix départ intéressant ( pas cher ) et qui a trouvé aussi une assu ( là déjà c'est moins évident ). La notion d'analyse de risque par kiev n'a aucune existence dans le cas présent ( ni par l'Egypte ni par le pavillon ni par jesépakoi ), puisque à la fin, les seuls qui risquent, ce sont des équipages qui n'auront en gros aucune des nationalités citées.

    Les marchés exports de ses agriculteurs peut être ? Mais encore une fois, on est sur une micro décision technique dans un conflit qui en rassemble des millions, et je ne vois absolument pas la portée politique de la chose. On se noie dans des considérations pavillonnaires et assurantielles, pour faire croire que tout le monde est responsable d'un truc (sauf les russes qui tirent le missile) et que tout çà c'est vraiment pas bien pour la veuve et l'orphelin en Afrique. 

    Désolé mais la démonstration, même avec force copie écran de vessel finder et tout le cheminement technico-administratif de la chaîne export céréalière, a du mal à me convaincre qu'Ukrainiens et Européens portent une grave responsabilité politique dans ce qui pourrait survenir, je ne sais ou, je ne sais quand, à propos de je ne sais quelle évolution politique, par suite d'une hausse du prix des céréales. 

    A la rigueur, je peux imaginer la lointaine corrélation entre les événements. J'ai beaucoup de mal à considérer qu'il s'agit là d'une responsabilité grave et sérieuse. 

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  8. il y a 3 minutes, Ciders a dit :

    Dans ce cas, peut-on dire que la Première Guerre Mondiale était une guerre civile, ayant opposé des souverains presque tous membres de la même famille ? Sans parler des Alsaciens et des Lorrains, présents de chaque côté de la frontière ? :happy:

    Dieu merci, les Belges étaient du bon côté. Sinon on aurait pu finir par se poser des questions...

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  9. Il y a 4 heures, Akhilleus a dit :

    Regarde les résultats des guerres civiles récentes. Elles sont très souvent, pour ne pas dire toujours, plus sanglantes, plus violentes, que des conflits inter-étatiques entre "peuples non frères"

    Qu'on le veuille ou non (et c'est quelque chose que j'avais pressenti il y'a déjà 2000 page)s, ce conflit est plus proche d'une guerre civile (puisque il oppose souvent des familles éclatées et des connaissances transfrontalières voire des gars qui ont servis ensemble du temps de l'URSS parfois dans les mêmes unités et structures, parfois dans le même conflit comme en Afghanistan et qui sont maintenant dans des camps adverses) que d'un conflit inter-étatique classique

    Ce serait fondamentalement une erreur de considérer cette guerre comme une guerre civile, qui se définit par un affrontement de groupes armées au sein d'un état, dont au moins un de ces groupes peut être représenté par l'armée en place. 

    Qu'est-ce que ça dirait du conflit en cours ? Que Russie et Ukraine formaient de facto un état déjà existant, y compris avant 2022, avant 2014 ? Question très minée à laquelle, les évolutions politiques depuis la chute du mur et les nombreuses ingérences russes avant 2014, montrent que l'état Ukrainien, bien qu'en cours de construction, avait déjà une existence bien propre et très distincte de la Russie. Et que ce serait d'ailleurs peut être, un des motifs du déclenchement de la guerre actuelle. 

    Est-ce que la guerre Austro-Prussienne, qu'on appelle parfois la "guerre fratricide allemande " était une guerre civile ? Ce n'est pas le cas, tant ce fut d'abord une guerre pour le leadership sur une certaine idée de l'Allemagne, et qu'elle fut initiée par les dirigeants respectifs et légitimes du Royaume de Prusse et de l'Empire d'Autriche (là on peut faire un rapprochement avec la guerre actuelle, mais elle n'a pas la nature d'une guerre civile). Peut être que tu avais en tête l'exemple de la guerre des Balkans dans les années 90 ? On est déjà plus à la confluence de la notion, et on peut défendre cette idée de guerre civile dans la mesure ou il y avait une concomitance chronologique entre la fin de l'ancien état qu'était la Yougoslavie et le début des conflits que l'on connait, avec sa multitude d'acteurs ayant émergé de l'ancien bloc Yougoslave.

    Rien de tel avec l'Ukraine et la Russie, depuis l'effondrement du bloc soviétique en 1991. Le 24 février 2022, c'est un état stable qui déclare la guerre l'opération militaire spéciale à un autre état stable. Et ce constat vaut toujours aujourd'hui. Sans quoi on peut douter qu'il y eut un jour, un affrontement inéluctable dans un futur parallèle, tant les sociétés et les civils vivaient en paix et ne portaient pas en eux la rhétorique impériale et belliciste de Poutine.

    Il se trouve simplement que les belligérants partagent une langue et parfois des liens familiaux. Cela ne suffit pas à en faire une guerre civile. 

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  10. Rien de nouveau, mais une bonne synthèse de la valse-hésitation des US. Et une fixette sur les infrastructures énergétiques. 

    https://www.lemonde.fr/international/article/2024/09/14/derriere-la-solidarite-affichee-avec-l-ukraine-les-hesitations-de-l-administration-biden_6317158_3210.html

    Citation

    Derrière la solidarité affichée avec l’Ukraine, les hésitations de l’administration Biden

    Les Etats-Unis sont peu enclins à autoriser Kiev à frapper la Russie avec les missiles à longue portée livrés par les alliés, craignant l’escalade avec Moscou.

    Par Piotr Smolar (Washington, correspondant)

    Publié aujourd’hui à 05h30, modifié à 09h39

    « Je ne pense pas tant que cela à Vladimir Poutine », a répondu sèchement Joe Biden, vendredi 13 septembre, à un journaliste l’interpellant à la Maison Blanche, alors qu’il recevait le premier ministre britannique, Keir Starmer. La veille, le président russe avait réagi aux rumeurs d’un feu vert américain aux frappes de missiles en profondeur, déclenchées par l’Ukraine en Russie même. Selon M. Poutine, une telle décision « signifierait que les pays de l’OTAN, les Etats-Unis et les pays européens sont en guerre avec la Russie ». Malgré la phrase nonchalante de Joe Biden, un tel avertissement n’est pas pris à la légère par les chancelleries occidentales.

    L’une des demandes insistantes de Kiev concerne l’utilisation de missiles appelés Army Tactical Missile Systems (ATACMS). Washington n’est guère enthousiaste. Formé par la guerre froide, Joe Biden a toujours été mû par la crainte d’une escalade avec la Russie, de nature nucléaire ou plus classique.

    Le Pentagone insiste aussi sur le fait qu’aucune arme n’est décisive en soi, et que le principal problème ukrainien est celui des capacités de mobilisation humaine. Enfin, la Maison Blanche aimerait que les infrastructures énergétiques ne soient ciblées ni d’un côté ni de l’autre, ce qui supposerait une forme de moratoire entre les parties du conflit.

    Avant la visite de M. Starmer, plusieurs médias américains relayaient l’intention de l’administration Biden d’autoriser ces frappes, mais sans missiles américains, en laissant Kiev utiliser les Storm Shadow britanniques ou Scalp français. Mais la Maison Blanche a fait savoir, vendredi, que sa position n’avait pas changé à ce stade.

    Les discussions pourraient se prolonger à New York, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, dans une dizaine de jours. Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, s’y rendra pour présenter à Joe Biden mais aussi à Kamala Harris et à Donald Trump un plan destiné à avancer vers la paix. Pour l’heure, sa frustration s’exprime au sujet des missiles à longue portée. « C’est difficile d’entendre de façon répétée “on travaille dessus” pendant que Poutine continue de brûler nos villes et nos villages », a écrit M. Zelensky, vendredi, sur X.

    Agacement des alliés

    C’est pourtant ce genre de pression publique qui suscite un agacement du côté des alliés. Ils estiment que la diplomatie de l’Ukraine est plus bruyante qu’efficace, notamment auprès des pays du Sud global. Trop d’initiatives et de conférences, et pas assez de travail discret sur une possible issue politique au conflit.

    Selon plusieurs sources, le message a été transmis à Volodymyr Zelensky au cours d’une réunion à la Maison Blanche, le 30 août. Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale des Etats-Unis auprès du président Biden, avait alors réuni son homologue britannique, Tim Barrow, le conseiller diplomatique de l’Elysée, Emmanuel Bonne, et son homologue allemand, Jens Plötner. Le chef de l’administration présidentielle ukrainienne, Andriy Yermak, s’était joint à eux.

    Cela étant dit, la constante, depuis février 2022, est la souplesse des « lignes rouges » américaines. De façon toujours tardive, l’administration Biden a fini par donner son feu vert aux demandes successives de Kiev. Les chars M1 Abrams ou les avions de chasse F-16, d’abord exclus, ont fini par être livrés. Les opérations ukrainiennes en Russie ? Là aussi, les résistances ont cédé. D’abord, en Crimée annexée, sous forme clandestine, puis dans la région de Belgorod. Il a fallu attendre la multiplication des frappes russes sur la ville de Kharkiv, en mai, pour que la Maison Blanche accepte des frappes de l’armée ukrainienne en Russie même.

    La situation a de nouveau évolué sur le terrain avec l’incursion ukrainienne dans la région russe de Koursk. En recevant, mercredi, à Kiev, les chefs de la diplomatie britannique et américaine, David Lammy et Antony Blinken, Volodymyr Zelensky a reconnu que cette opération n’avait pas provoqué un redéploiement des divisions ennemies dans l’est de l’Ukraine. En revanche, l’écrasante supériorité russe dans l’usage d’obus serait passée de 12 contre un à 2,5 contre un, précise une source.

    Des militaires russes formés en Iran

    « L’incursion a révélé le bluff de Poutine. Jusqu’alors, la propagande russe assurait qu’il y aurait une réponse sévère si un tel scénario se matérialisait, souligne Maria Snegovaya, chercheuse au Center for Strategic and International Studies, à Washington. Mais cela fait un mois que l’Ukraine a avancé et le Kremlin prétend au contraire que rien n’est arrivé. Il essaie de “normaliser” la situation. Par ailleurs, la Russie a aussi provoqué une escalade récente avec la réception de missiles balistiques iraniens, et le fait que la Chine a commencé à fournir des armes létales à Moscou. » Selon la Maison Blanche, des dizaines de militaires russes ont été formés en Iran à l’usage des missiles balistiques à courte portée Fateh-360.

    L’administration Biden répète son engagement aux côtés de Kiev, mais elle ne se prononce jamais en public sur le chemin vers la paix. Lors du débat qui l’opposait à Kamala Harris, le 10 septembre, Donald Trump en était, pour sa part, resté au stade des généralités ; l’ex-président a répété son intention d’obtenir la paix au cours de la période de transition, avant même d’entrer à la Maison Blanche.

    Deux jours plus tard, J. D. Vance, le colistier de Donald Trump, a été plus précis. Il a dessiné les lignes d’une reddition ukrainienne. Le plan ? « Ça ressemble sans doute à l’actuelle ligne de démarcation entre la Russie et l’Ukraine. Cela deviendrait une zone démilitarisée, solidement fortifiée, pour que la Russie ne puisse pas envahir à nouveau. L’Ukraine garde sa souveraineté indépendante. La Russie obtient la garantie de neutralité de l’Ukraine, qui ne rejoint pas l’OTAN, qui ne rejoint pas ces sortes d’institutions alliées. »

    En somme, l’Ukraine devrait renoncer aux territoires envahis par l’armée russe. Elle devrait aussi renoncer à décider de sa place dans le monde, de ses alliances. L’avenir promis ? Une sorte de zone tampon rétrécie.

     

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  11. Partie 3

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    « Notre dernière conversation »

    Olena dénoue son chouchou et entortille ses longs cheveux blonds entre ses doigts. « Au début de la guerre, reprend-elle, j’ai voulu discuter par Skype avec mon cousin de 34 ans, celui de Rostov, dont j’étais le plus proche. Il a commencé par me demander : “Pourquoi as-tu l’air si déprimée ?” “Mais enfin, tu n’entends pas ?”, j’ai dit. “Il y a plein d’alertes, un missile va peut-être me tomber sur la tête.” Il m’a répondu : “On ne va pas parler de tout ça, si ça se trouve ILS nous écoutent.” Je me suis énervée : “Eh bien, s’ILS nous écoutent, j’ai encore plus de choses à dire, figure-toi.” Ça a été notre dernière conversation. »

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    Olena Klimenko, 24 ans, étudiante en journalisme, à Kharkiv, dans l’est de l’Ukraine, le 2 septembre 2024. GUILLAUME HERBAUT / AGENCE VU’ POUR « LE MONDE »

    Côté paternel, la famille vient de Donetsk et de Louhansk, les deux régions du Donbass dont les territoires ont été partiellement annexés par la Russie. « Louhansk, j’y ai passé le réveillon de 2012. J’en garde de merveilleuses images, celles de mes yeux d’enfant : cette grande ville, les lumières du Nouvel An, le sapin, les magasins… Puis la guerre a commencé, en 2014. Ils nous envoyaient des vidéos. Leur maison a fini détruite. Nous les avons hébergés un an chez nous, près d’Izioum. J’étais désolée pour eux, mais tant que tu ne vis pas ça dans ta peau, ta chair, ce n’est pas la même chose, je le sais maintenant. »

    Le village des parents de la jeune journaliste est occupé au printemps par l’armée russe, en avril 2022. Olena appelle alors sa cousine du Donbass pour trouver du réconfort. « Je lui ai raconté qu’on avait faim, mais que nous refusions l’aide alimentaire, que les Russes me mettaient la pression pour que j’enseigne dans les petites classes de l’école du village, mais que je les avais envoyés balader en disant : “Vous pouvez me tuer, jamais je ne collaborerai avec vous.” » Au téléphone, la cousine soupire : « Tu sais, au début, on pleure, puis on s’habitue. » Ce jour-là, Olena pique une colère noire et se met à hurler devant sa mère : « Je ne veux pas m’habituer ! »

    A la libération de son village, Olena prévient ses parents : « Faites ce que vous voulez, moi je ne pars pas d’ici. » Elle rejoint Kharkiv. « Vivre dans une ville bombardée, c’est effrayant. Mais rapporter ce que je vois, faire le métier que j’ai choisi, c’est la seule chose qui m’empêche de devenir folle. J’ai pris cette décision difficile, et désormais c’est ma vie. Je n’éprouve plus les peurs paniques de 2022, quand, pour la première fois, les sirènes ont déchiré le ciel. Je cours sur les lieux des drames, j’interroge les témoins, les militaires, les humanitaires, les sauveteurs, le procureur, je ne montre pas les corps sans l’accord de la famille. » Elle en convient : « Je m’habitue. »

    Poèmes sous les bombes

    « Depuis que mon village a été occupé, je sais que je peux mourir n’importe quand, donc je veux faire tout tout de suite, vite, maintenant, conclut la journaliste. J’apprends l’anglais. Je ne veux rien rater. » Elle ajoute : « Quand je suis trop en colère, j’invente des poèmes, c’est le cri de mon âme. Je les écris en russe et je les poste sur Facebook, pour qu’eux aussi, là-bas, comprennent bien. »

    Olena saisit son téléphone et accepte de réciter tout haut celui qu’elle a appelé Bratskié narody, « peuples frères ».

    « Peuples frères, ils disaient.

    Nous voulons vous aider, ils répétaient.

    Mais en même temps, ils serraient leurs couteaux de plus en plus fort.

    Dites, qui vous a appelés ?

    Est-ce que nous vous avons demandé de nous aider ?

    Les gens vous le hurlent au visage : “Rentrez chez vous !”

    Ils s’allongent sur le sol sous les roues de vos chars,

    Prêts à sacrifier leur vie pour vous empêcher de pénétrer chez nous,

    Et vous continuez à dire que vous allez nous sauver ?

    Et vous continuez à tirer des Grad [roquettes] sur nos maisons ?

    De quoi voulez-vous nous sauver ?

    Vous nous aidez en tuant des enfants ?

    Comprenez bien : c’est vous qui avez apporté le malheur.

    Maintenant, nous vous fuyons, bien loin.

    Nous quittons nos maisons et abandonnons nos villes.

    Au lieu de héros, vous êtes devenus des meurtriers

    Et vous ne pourrez jamais vous en sortir.

    Toutes les vies que vous avez prises, “frères”,

    Nous nous en souvenons et jamais ne les oublierons.

    Au lieu de laisser nos portes ouvertes,

    Nous y accrocherons des cadenas en fonte.

    Peuples frères, ils disaient… »

    Une sirène mugit tout à coup. Olena poursuit son poème en poussant sa voix :

    « Nous voulons vous aider, répétaient-ils

    En cachant leurs mains dégoulinant… »

    Un missile Iskander explose bruyamment et l’interrompt. Puis un second, vraiment tout près. Olena attrape son sac et fonce rejoindre la foule dans les escaliers du métro. « Ils sont énervés, les Russes, en ce moment », glisse-t-elle sur le quai. Son téléphone indique qu’un centre commercial a été visé, deux jours après l’immeuble 2D. Elle relève à nouveau ses cheveux blonds en chignon haut serré sur sa tête, comme pour se donner l’air mauvais : « Franchement, des “frères”, ça fait ce genre de choses ? »

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    Le quartier Industrialnyi, à Kharkiv, dans l’est de l’Ukraine, le 2 septembre 2024. GUILLAUME HERBAUT / AGENCE VU’ POUR « LE MONDE »

     

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  12. Partie 2

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    Les exclus du répertoire

    Assise devant son camion, au pied du bac à sable, une équipe de sauveteurs est revenue inspecter les lieux du drame, dans le jour déclinant. « Notre tâche, c’est tout ce que les pompiers ne font pas », explique Dmitriy L., un grand gaillard souriant en tee-shirt kaki. Il exhibe ses mains, impressionnantes, gigantesques, comme si tardivement, sur ses 36 ans, elles avaient grandi avec l’ampleur des crimes à panser. Et soupire : « Les Russes n’apportent que du malheur. »

    Tout était si calme, pourtant, du temps où il faisait son service militaire à Hoptivka, le poste-frontière avec la Russie, à 40 kilomètres à peine de Kharkiv. « C’était le point de passage le plus important d’Ukraine », rapporte Dmitriy. En 2012, avant la guerre du Donbass et l’annexion de la Crimée par le Kremlin, 45 000 personnes entraient et sortaient chaque jour par là. Lui-même y a travaillé jusqu’en 2019. « Tout roulait. » Les habitants de Belgorod, la cité russe la plus proche de la frontière, mais aussi d’autres villes comme Koursk ou Orel, se déplaçaient en masse, les dimanches ou l’été, pour acheter tissus, vêtements, faux sacs Vuitton, robes de mariée et jeans en gros au grand marché Barabachovo de Kharkiv. Des bus faisaient même la navette de part et d’autre de la frontière – pour Koursk, c’était le 692 et le 2 306. « Les Russes trouvaient chez nous du lard, de bonnes saucisses, des McDo… Ils venaient ici pour manger, faire la fête, traîner le week-end dans les boîtes de nuit ou au parc Gorki. On reconnaissait leur accent. » Dmitriy lui-même a un oncle de l’autre côté de la frontière, Sacha.

    Sacha et sa femme étaient venus de Moscou en Ukraine pour le mariage de Dmitriy. Les deux couples étaient ensuite partis en vacances ensemble à Kherson. Ils avaient aussi pris l’habitude de se retrouver une ou deux fois par an. Et puis, il y a eu 2022… Depuis, un mur les sépare. La rupture s’est installée avec le bombardement de la maternité de Marioupol, le 9 mars. « J’en parlais au téléphone avec la femme de mon oncle. Elle m’a répondu : “[Sergueï] Lavrov nous a expliqué que c’était un fake” », en citant le ministre des affaires étrangères de la Fédération de Russie. Ce jour-là, Dmitriy le secouriste a effacé de son compte WhatsApp le fil entier de leurs conversations.

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    Une équipe de secours au pied de l’immeuble touché, à Kharkiv, dans l’est de l’Ukraine, le 2 septembre 2024. GUILLAUME HERBAUT / AGENCE VU’ POUR « LE MONDE »

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    La porte du 2D, dans les décombres du quartier Industrialnyi, à Kharkiv, dans l’est de l’Ukraine, le 2 septembre 2024. GUILLAUME HERBAUT / AGENCE VU’ POUR « LE MONDE »

    Pavel I., 34 ans, également dépêché par le ministère de l’intérieur au pied de l’immeuble 2D, a, lui, carrément « viré » de son répertoire le numéro du cousin de sa mère et de sa « pute de femme », comme il dit, visage fermé. Un silence s’installe. Deux ans plus tôt, confie-t-il, il a creusé des tombes à Izioum, cette ville martyre distante d’une centaine de kilomètres, passée au printemps 2022 entre les mains des Russes, puis libérée en septembre suivant. « J’ai vu des femmes et des enfants exécutés de dos, avec des trous dans la tête, j’ai trop de colère et de haine », balaie le sauveteur, mâchoires serrées. Sur son torse, ses mousquetons et ses gants ignifugés font comme une armure. « On ne peut plus se parler. »

    Fenêtre sur l’enfer

    Le lendemain, une autre équipe de sauveteurs accompagne Nastia, rescapée du 2D, dans les ruines de son appartement. Cette jeune manucure au visage d’enfant porte un short en jean qui laisse voir des jambes badigeonnées de Bétadine, pour soigner les brûlures semées comme des gros grains de beauté par les éclats de la bombe guidée et les braises de l’incendie. A 15 h 10, ce vendredi 30 août, elle était occupée à faire les ongles de sa belle-sœur dans son deux-pièces du cinquième étage. Vernis simple, gel, paillettes, faux ongles… « Je sais tout faire », soupire-t-elle en regardant sa French manucure semi-permanente qui a tenu le choc de l’incendie. « Quand la bombe est tombée sur nos têtes, j’ai hurlé : “Mon bébé !” Heureusement, le 30 août, c’était l’anniversaire de ma belle-mère, qui, pour fêter ça, avait emmené mon fils au Nemo, le delphinarium de Kharkiv. Ma belle-sœur et moi, on a dévalé les cinq étages en moins d’une minute. Puis l’ascenseur s’est effondré. »

    Nastia est autorisée à monter dans la carcasse du bâtiment pour y chercher quelques affaires. Son beau-père, Oleg, et sa belle-mère, Nelia, l’ont précédée, pour descendre de la cuisine des bocaux de fruits et de kompot, cette boisson nationale faite de fruits infusés aux jolies couleurs mordorées, comme la Bétadine des jambes de Nastia et, depuis quelques jours, les feuilles de la cour. Les escaliers en béton des cinq premiers étages ont tenu bon, mais, chez Nastia, plus de plafond, et trois murs seulement sur quatre. Un petit manteau à capuche est resté accroché sur une patère de l’entrée. Elle préfère fourrer dans un sac les jouets de bain du bébé. Pile en face du placard à parkas, un trou béant : une fenêtre sur l’enfer d’où se profile l’horizon russe, si lourd de menaces pour tout le quartier.

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    La chambre d’un appartement de l’immeuble touché dans le quartier Industrialnyi, à Kharkiv, dans l’est de l’Ukraine, le 3 septembre 2024. GUILLAUME HERBAUT/AGENCE VU’ POUR « LE MONDE »

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    Nastia, 23 ans, rescapée de la frappe sur l’immeuble 2D, a récupéré des affaires dans les ruines de son appartement, à Kharkiv, dans l’est de l’Ukraine, le 3 septembre 2024. GUILLAUME HERBAUT / AGENCE VU’ POUR « LE MONDE »

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    Le salon d’un appartement après la frappe russe sur Kharkiv, dans l’est de l’Ukraine, le 3 septembre 2024. GUILLAUME HERBAUT / AGENCE VU’ POUR « LE MONDE »

    Oleg, le beau-père de Nastia, a « de la famille » à Moscou, et, avec sa femme, confie-t-il en chargeant sa voiture, ils n’ont « jamais rompu les liens ni cessé de communiquer ». Le soir de la frappe, ils ont même envoyé une vidéo de l’immeuble où leur fils vivait avec Nastia. Dans leurs échanges, il n’est question ni de Poutine, ni de Russie, ni de responsabilités, ni même de guerre – Oleg n’a d’ailleurs pas trop envie de parler de l’invasion devant nous. Ils voulaient seulement dire que, ouf, le jeune couple s’en est sorti indemne et que, « heureusement », le bébé n’était pas dans l’appartement. « Après avoir vu nos photos, mes cousins ont envoyé de l’argent pour Nastia et mon fils. Pas directement – les virements entre la Russie et l’Ukraine sont impossibles –, mais par l’intermédiaire d’amis qui partaient en Europe », ajoute-t-il, laissant prudemment le détail du circuit de cette cagnotte improvisée dans le flou. Depuis l’indépendance de l’Ukraine, en 1991, et plus encore depuis la guerre, l’argent russe et les flux financiers sont étroitement surveillés.

    Nastia rit. « Bizarrement, elle s’amuse d’un rien depuis le missile, remarquent ses beaux-parents, ce doit être le choc. » Ce fameux jour d’août, cinq personnes sont mortes au-dessus de chez elle. « J’ai vu un monsieur pris par les flammes qui s’est jeté du neuvième trois minutes après l’explosion », assure Alexandre, l’ancien prof de gym de la jeune fille à l’école « 88 », dont le propre immeuble jouxte, à angle droit et à moins de 20 mètres, le 2D. « Je ne sais pas, en revanche, ce qu’est devenu cet autre homme qui promenait parfois son labrador avec moi », s’inquiète encore le quinquagénaire, tee-shirt « Feel good » sur un bermuda troué.

    « Il est revenu avec des fleurs »

    Ce même vendredi, témoigne son épouse, Inna, une comptable de 48 ans, un soldat s’est présenté en uniforme dans l’une des tentes montées par les secouristes, sur l’aire de jeu. Il arrivait du front avec son sac à dos pour réclamer des nouvelles de sa mère de 71 ans, occupante d’un appartement au dixième étage du 2D. « Je me trouvais dans la tente, décrit Inna, bras et jambes grêlés de brûlures elle aussi. Ce jeune militaire était très nerveux, il voulait pénétrer dans l’immeuble encore fumant, mais les pompiers ne l’ont pas laissé monter. Le lendemain, il est revenu avec des fleurs. » Il les a alors accrochées sur un grillage, en face de l’immeuble étêté, avant de repartir se battre.

    Inna a filmé sa voiture calcinée et a envoyé la vidéo par WhatsApp à sa cousine ukrainienne de Belgorod, en Russie ; sa manière à elle de montrer qu’elle et son mari ont eu beaucoup de chance de réchapper au désastre. Zoom sur le matelas du lit conjugal brûlé en son milieu, éclaboussé par des éclats projetés au travers des vitres brisées. Tous deux venaient de tourner la clé de l’appartement pour prendre place dans leur voiture avec leur chien. Dans l’appartement balayé, comme toute la cour, par le souffle de la bombe, un fer à cheval en magnet décore le frigidaire, un œil prophylactique veille au-dessus de la porte de la chambre à coucher, et, comme trois sentinelles rescapées du désastre, un trio d’angelots est resté accroché au lustre. « Merci les anges », dit Inna. Sur sa table de chevet se trouvait aussi ce tableau doré « qui a tenu malgré le choc » : une icône russe orthodoxe, vestige d’un autre temps.

    Fêtes de Noël, baptême, anniversaire… C’était, avant « tout ça », l’occasion, pour ce couple, de passer la frontière, de partager autrement qu’en FaceTime un bon moment avec les cousins de Russie. La dernière visite de la famille de Belgorod date de 2019, « pour les 45 ans d’Alexandre », se souvient Inna. « Ma cousine était heureuse de revoir Kharkiv, où elle a passé ses trente premières années. Nous, on était allés chez eux en bus, juste avant le Covid. » Ensuite, l’épidémie puis la guerre ont eu raison de la ligne d’autocar Belgorod-Kharkiv. « Oui, les Russes ont commencé, mais à Belgorod, l’immeuble de ma cousine a été touché. Moins gravement que dans notre cour, mais enfin… Dans leur ville aussi, des enfants sont morts. On va faire les calculs pour savoir combien ils en ont tués, eux et nous ? », s’interroge tout haut cette experte-comptable. « Tout ça, c’est de la politique, approuve son mari. Un proverbe ukrainien dit : “Quand les seigneurs s’affrontent, ce sont les paysans qui s’arrachent les cheveux.” » Traduire : « les pauvres trinquent quand les chefs d’Etat se font la guerre ». Le couple veut « la paix » et « la famille réunie, enfin ».

    Tiens, revoilà Olena Klimenko, la jeune fille blonde à lunettes et aux yeux bleu clair qui faisait son direct pour Kyiv 24 après la chute du missile. Elle s’accorde une pause sur un banc de la cour du 2D. Agée de 24 ans, Olena a grandi avec ses parents près d’Izioum. Elle venait d’entamer un cursus de journalisme à l’Académie de la culture de Kharkiv quand les troupes russes ont tenté de prendre la ville. Hormis sa mère, tout le monde vit en Russie : côté maternel, près de Rostov-sur-le-Don, la plus grande ville du sud-ouest du pays, mais également au Donbass, la région de son père, conducteur d’engins agricoles. « Ma tante Larissa, la sœur de ma mère, avait épousé un Russe. Ils se sont installés dans un petit village près de Rostov. J’y suis allée jusqu’à l’âge de mes 10 ans, en 2010. J’étais la petite cousine que tout le monde chouchoutait. Ma tante et mes cousins venaient aussi nous rendre visite chez nous, au village. »

     

     

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  13. Il y a 12 heures, g4lly a dit :

    Guerre en Ukraine : « A Kharkiv, tout le monde a un cousin en Russie »

    Dur cet article. 

     « Peuples frères, ils disaient. [...] Franchement, des “frères”, ça fait ce genre de choses ? »


    https://www.lemonde.fr/international/article/2024/09/13/guerre-en-ukraine-a-kharkiv-tout-le-monde-a-un-cousin-en-russie_6315597_3211.html

    Citation

    Guerre en Ukraine : « A Kharkiv, tout le monde a un cousin en Russie »

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    Par Ariane Chemin (Kharkiv (Ukraine), envoyée spéciale) Publié hier à 18h24, modifié hier à 18h33 (republication de l’article du 13 septembre 2024 à 06h30)

    Temps de Lecture 15 min. Read in English

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    ReportageDans cette ville de l’est de l’Ukraine, où une frappe russe a fait cinq morts le 30 août, nombreux sont ceux qui ont des parents de l’autre côté de la frontière, située à quelques dizaines de kilomètres. Certains sont brouillés, d’autres maintiennent un lien, mais la blessure est profonde et les familles se déchirent.

    Les esprits ne bégaient pas une seconde, les index se tendent sans hésiter. « De ce côté », « Derrière les arbres, là », « Vers là-bas »… Pour montrer où se trouve la Russie, personne, dans cette cour d’immeubles, n’a de problème d’orientation. Il était 15 h 10, vendredi 30 août, quand une « bombe guidée » a explosé sur l’immeuble 2D du quartier Industrialnyi, à Kharkiv, la deuxième ville d’Ukraine. A la question de savoir d’où venait cet engin, bien plus précis qu’un missile air-sol, tous, dans la cour du 2D, indiquent la même direction : l’est. La frontière est à 35 kilomètres à vol d’oiseau, à vol d’obus.

    Au moment où la frappe trouait le soleil de l’après-midi et décapitait un immeuble entier à quelques blocs de chez eux, Tetyana se trouvait dans la « cour », comme on appelle ici les squares entourés de bâtiments d’habitation, et son mari, Mykola, pas loin. « Notre propre immeuble a bougé, raconte ce gardien de lycée de 50 ans, la paume sur une de ses oreilles, bourdonnante depuis la déflagration. J’ai pensé à ma mère, qui vit chez nous, tout là-haut, et j’ai monté quatre à quatre les escaliers pour vérifier qu’elle allait bien. » Ce jour-là, seul le 2D, à 150 mètres de leur immeuble, est en flammes. Tetyana, employée au dépôt de livres de Vivat, l’une des grandes maisons d’édition de Kharkiv, s’est empressée de rassurer la famille avant que les réseaux sociaux annoncent la nouvelle. Elle a prévenu tout le monde, sauf sa cousine Angelina, à Moscou.

    Angelina a grandi dans le même quartier qu’elle ; elle a aussi fréquenté la même école, la « 119 », avant de partir s’installer chez le voisin russe avec son mari. Mais, au printemps 2022, quand l’armée de Poutine a tenté de « prendre » Kharviv, que les missiles pleuvaient sur cette agglomération de 1,5 million d’habitants et que Tetyana a envoyé les photos des chars et des destructions à Angelina, celle-ci a rigolé : évidemment des images « bidonnées ». « Elle m’écrivait : “On va vous protéger”, poursuit Tetyana. Depuis, pour moi, c’est fini. J’ai arrêté WhatsApp et Viber avec elle. La télé russe et les chaînes Telegram lui ont bouffé le cerveau en un rien de temps. » Le couple note avec ironie que l’appartement conservé par cette même cousine dans les quartiers nord, les plus exposés, n’a jamais été touché en deux ans et demi de conflit.

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    Dans le quartier Industrialnyi, à Kharkiv, dans l’est de l’Ukraine, le 31 août 2024. GUILLAUME HERBAUT / AGENCE VU’ POUR « LE MONDE »

    « Tout le monde ici a un cousin en Russie », dit Mykola, le mari. Kharkiv est la plus grande cité russophone hors des frontières de la Russie, et la cour de l’immeuble 2D, semblable à tant d’autres dans l’espace postsoviétique, en témoigne. Cette cour, c’est aussi une petite Ukraine de l’Est en miniature, un précipité de ces régions où les histoires de famille, d’un côté et de l’autre des lignes de front, créent des situations plus marquées encore qu’ailleurs en Ukraine – brouilles, déchirements, solidarités particulières. Certains continuent à se parler, mais pour ne rien se dire, ou alors des banalités lourdes de sous-entendus : « Dis bonjour autour de toi », « Embrasse la famille », « Comment va la santé ? », « Prenez soin de vous tous »… D’autres ont rompu le fil.

    Gommer les frappes russes

    Le 2D, rue du Deuxième-Plan-Quinquennal, aujourd’hui « décommunisée » et rebaptisée rue Valentyn-Biblyk, du nom d’un ingénieur local, avait pile 50 ans. Il était l’un de ces immeubles bâtis au début des années 1970 pour former des « complexes résidentiels », ainsi qu’on les appelle encore. Dans leurs halls défraîchis où s’écaille la peinture, les boîtes aux lettres en bois vernis alignent des nombres, jamais de noms – peut-être une façon pour l’Etat, autrefois, de dire : « Vous n’êtes que de simples usufruitiers. » A l’époque, tout était conçu pour la communauté, du chauffage collectif à l’ascenseur. Celui du 2D parcourait douze étages, d’autres alentour allaient jusqu’à seize, et l’on se demande parfois si celui dans lequel on monte va terminer sa course. Mais ces machines sont increvables, et, avec la guerre, c’est plutôt la coupure d’électricité que craignent les usagers.

    A l’entrée du bloc d’immeubles se trouvent la supérette, le boucher, la pharmacie, le distributeur de billets et les citernes à eau où chacun vient remplir son bidon, puisque l’eau courante n’est pas potable en Ukraine. Evidemment, il y a aussi une aire de jeu pour les enfants, au centre de la cour. Table de ping-pong, arceaux et cage, balançoires, toboggan… L’ancienne Union soviétique en est couverte. Tout n’est plus très jeune dans la cour du 2D, mais le quartier est l’un des plus paisibles de la ville depuis l’invasion russe de 2022. Ce fameux 30 août, dernier vendredi des vacances, les voisins goûtaient presque une forme de tranquillité sous les bouleaux du bac à sable repeint en bleu et jaune – des coups de frais souvent passés après 2014 et la révolution de Maïdan –, quand ils n’étaient pas partis rejoindre leur datcha, ces maisons de bric et de broc qui peuplent la campagne, pour mettre fruits et légumes en bocaux.

    C’est une « bombe guidée FAB-500 » qui a fondu sur eux, explique, sur le canal Kyiv 24, une toute jeune reporter blonde à lunettes et strict blazer vert, visiblement une habituée des directs catastrophe de Kharkiv. Le bilan définitif tombe rapidement : cinq morts dans l’immeuble, ainsi qu’une adolescente de 14 ans qui se trouvait dans un square. Plus tard, la journaliste répète : « Permettez-moi de rappeler que ce sont les Russes qui ont attaqué. »

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    Devant le 2B, dans le quartier Industrialnyi, à Kharkiv, dans l’est de l’Ukraine, le 2 septembre 2024. GUILLAUME HERBAUT / AGENCE VU’ POUR « LE MONDE »

    Tout va toujours très vite en Ukraine après un tir de drone, de missile ou de roquette. C’est un peu comme si le fait de gommer au plus tôt les frappes russes était un moyen d’y répondre. Dès le lendemain, lorsque Le Monde se rend sur place, la cour est à nouveau pleine d’enfants décidés à pédaler à toute blinde sur leurs vélos. Les balançoires volent vers le ciel, les retraités ont repris leur place sur leur banc. Alexandre, un ingénieur en bâtiment de 73 ans, explique qu’une parente vivant à Elista, dans le sud de la Russie, s’est inquiétée pour lui, mais stoppe prudemment les confidences. On ne parle pas de sa famille russe devant n’importe qui.

     

     

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  14. Il y a 14 heures, ksimodo a dit :

    C'est un peu complexe, comme souvent.

    il n'y avait pas de frappe pendant le corridor accordé par la Ru. Et pendant l'accord bilatéral. 

    Ensuite l'accord n'a plus été renouvelé, la Ru avait bien signalé le "risque". 

    Au début de l'accord rendu caduque, il était sans doute délicat pour affréter un navire prêt à prendre ce risque, puis petit à petit l'oiseau à fait son nid, le frêt s'est installé à petit niveau. 

    Il s'agit d'une piqure de rappel, pour les affrétés et affréteurs, et les assu, que certains trajets sont pas si recommandables. Un peu comme en mer rouge finalement. 

     

    Et surtout ( hasard fortuit ou pas du tout ???  ) je pencherai pour "pas de hasard".....

    Il y a 2 ou 3 jours, une plate forme ru en mer noire ( large Crimée ) aurait été attaquée par les ukr. Sujet mer noire, réponse mer noire, c'est pourtant assez limpide !!!

    Pour ceux qui en douteraient ( comme olivier par exemple ), l'escalade est toujours possible, et avec beaucoup, beaucoup, beaucoup de marches non encore gravies. 

    La Russie avait signalé "le risque" ? Le "risque" de ? Qu'une mauvaise météo fasse malencontreusement tomber une pluie de missiles, avec aucune responsabilité nulle part :rolleyes:

    Ce que je disais sur les escalades, ce n'est pas qu'elles restent impossible, c'est que la Russie n'a plus les moyens de faire face aux représailles et que de nombreuses options d'escalades restent ouvertes à pleins de pays. Rendez-vous compte par exemple que le pays hors Ukraine, qui à date a abattu le plus de Shahed, c'est la Biélorussie... Et on voudrait me faire croire que les occidentaux sont à court d'options ? 

    Qui ça impressionne qu'un navire civil Turc chargé ras la gueule de grains, se fasse attaquer par un missile russe ?  Qui ça peut bien emmerder ? Qui pense que c'est un calcul malin de la part des russes de se faire des inimitiés avec les pays du grand Sud-Global x BRICS  ? 

    C'est effectivement, de leur part, donner le bâton pour se faire battre par aveuglement.  

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  15. il y a 31 minutes, Wallaby a dit :

    Le pauvre lecteur du Monde n'a jamais accès à la vision de la guerre du point de vue Ukrainien ! On lui cache l'essentiel de la guerre !

    Le film d'Anastasia Trofimova est coupable de non-lavage de cerveau pro-Ukrainien. C'est de cela qu'on l'accuse. Il pourrait sortir le public de la chambre d'écho et de la bulle de filtre que les médias occidentaux lui servent à longueur d'articles et de reportages.

    Pour aller plus loin, je recommande l'article de Cass Sunstein sur le libéralisme, un peu scolaire, un peu rébarbatif, mais qui reprend les bases :

    https://www.nytimes.com/2023/11/20/opinion/cass-sunstein-why-liberal.html

    Si vous voulez retenir une phrase, je conseille celle-ci :

    Les libéraux font leurs les mots du juge de la Cour suprême Robert Jackson, procureur aux procès de Nuremberg : "L'unification obligatoire de l'opinion n'aboutit qu'à l'unanimité du cimetière".

    ou si vous en voulez deux, ajoutez celle-ci :

    Ils sont d'accord avec le juge Oliver Wendell Holmes Jr, qui a défendu que "la liberté de pensée n'est pas pas la liberté de pensée pour ceux qui sont d'accord avec nous, mais la liberté pour les pensées que nous détestons".

    "le véritable objectif de cette guerre continue d’être peu clair pour [elle] ». Une touche de confusionnisme mettant agresseurs et agressés sur le même plan, qui n’est pas sans rappeler la thèse centrale des idéologues de RT : il n’y a pas de faits, que des opinions ; tout le monde ment et chacun a sa propre vérité.

    Rassure toi, j'ai très bien compris le "non-lavage de cerveau pro-Ukr" pour traiter de ce conflit. Je vais même relayer ici dans mon post le point de vue russe, afin que je contribue aussi à la vraie Liberté, celle "des pensées que je déteste":

    - la guerre ? Comme la paix, filmons des gens-bourrés-en-uniformes-qui-sont-des-z'humains-après-tout.

    - Les décisions des chefs ? Surtout pas notre sujet, c'est compliqué la politique.

    - Les crimes de guerre ? Ouh ça ferait tâche à l'écran.

    - L'argent ? Honi soit qui mal y pense.

    - Nos femmes ? Toutes les mêmes, elles nous cassent les c****.

    Très belle qualité de pensée en effet. Défendons médiocrité et aveuglement, ça fera de nous de parfaits libéraux, moralement sains, dans une démocratie éclatante. 

    "Oh zut un autocrate arrivé par les urnes".

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  16. Il y a 9 heures, Wallaby a dit :

    https://www.nytimes.com/2024/09/13/world/asia/tiff-russian-war-documentary-paused.html

    L'un des plus grands festivals de cinéma d'Amérique du Nord a annulé jeudi toutes les projections de « Russians at War », un documentaire sur les soldats russes en Ukraine qui a suscité des réactions négatives et a été qualifié de propagande soutenant le Kremlin.

    Cette annulation est intervenue un jour après que le Festival international du film de Toronto a déclaré qu'il ne céderait pas aux protestations. Les organisateurs ont déclaré que même s'ils estimaient que le film n'était pas de la propagande russe, ils prenaient la décision « sans précédent » de le retirer de la programmation en raison de graves menaces pour la sécurité du public et du festival. Les producteurs ont qualifié cette décision de « déchirante » dans un communiqué publié jeudi.

    Les critiques affirment que le film, tourné par Anastasia Trofimova alors qu'elle était intégrée à un bataillon russe dans l'est de l'Ukraine, humanise les membres d'une armée qui a été accusée de crimes de guerre et sert de propagande au Kremlin.

    Lord Northcliffe : « L'information est ce que quelqu'un, quelque part, préférerait voir supprimé. Tout le reste est de la pub ».

    News is what somebody, somewhere, wants suppressed. All the rest is advertising.

    Ah oui la fameuse inversion rhétorique "je suis de l'information car je suis censuré". Transmis à tous les marchands de Haine. On sera d'ailleurs ravi d'apprendre que le contribuable français a soutenu le financement de cet œuvre magistrale pour la somme très précise de 39 400 euros. 

    Extraits:

    Sauf que cette neutralité affichée occulte une suppression de pans entiers de la réalité n’allant pas dans le sens général du film, qui consiste à dépeindre les soldats russes comme des victimes. A aucun moment des cent vingt minutes de Russians at War, les soldats ne font face à une contradiction. Le spectateur n’a jamais droit à une contextualisation rappelant les faits essentiels de la guerre : son déclenchement par Vladimir Poutine, les massacres et viols de civils à Marioupol, Boutcha, Izioum, etc. ou les exécutions répétées de prisonniers de guerre ukrainiens. Anastasia Trofimova préfère les filmer pleurant la mort de leurs camarades, se livrant à des beuveries, caressant des animaux, se plaignant de leurs compagnes, ou enfilant des banalités sur « [leurs] destins brisés », « l’absurdité de la guerre », etc.

    Au terme du film, la réalisatrice finit par succomber à la tentation de donner son opinion. On entend sa voix hors cadre dire que ses personnages « ne sont ni des Supermen ni des méchants » et que « le véritable objectif de cette guerre continue d’être peu clair pour [elle] ». Une touche de confusionnisme mettant agresseurs et agressés sur le même plan, qui n’est pas sans rappeler la thèse centrale des idéologues de RT : il n’y a pas de faits, que des opinions ; tout le monde ment et chacun a sa propre vérité.

    https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/09/14/le-festival-de-toronto-suspend-la-projection-de-russians-at-war-un-documentaire-accuse-d-etre-la-voix-du-kremlin_6317341_3246.html

    Citation

    Le festival de Toronto suspend la projection de « Russians at War », un documentaire accusé d’être la voix du Kremlin

    Une réalisatrice russo-canadienne ancienne employée de la chaîne Russia Today soulève la polémique avec un film reposant sur son accès exclusif aux soldats russes combattant en Ukraine.

    Par Emmanuel Grynszpan et Anna Koriagina

    Publié aujourd’hui à 09h59, modifié à 09h59

    Article réservé aux abonnés

    Témoignage unique ou insidieuse propagande russe ? Russians at War (Les Russes en guerre), un film documentaire de deux heures qui suit la vie de soldats russes combattant en Ukraine et qui leur donne la parole, suscite une vive polémique partout où il est projeté. Jeudi 12 septembre, le Festival international du film de Toronto a pris une mesure « sans précédent », consistant à « mettre en pause » toutes les projections du film de la réalisatrice russo-canadienne Anastasia Trofimova. « Cette décision a été prise afin d’assurer la sécurité de tous les invités, du personnel et des bénévoles », explique un communiqué du festival.

    Deux jours plus tôt, la chaîne éducative canadienne TVO, qui a coproduit le film, annonçait dans son communiqué ne plus vouloir soutenir ni diffuser Russians at War, après avoir « écouté la communauté ukrainienne canadienne et ses commentaires réfléchis et sincères ». Les voix critiques reprochent au film de présenter les soldats russes sous un jour favorable, tandis que le contexte et la souffrance des Ukrainiens sont occultés.

    La polémique avait démarré à la Biennale cinéma de Venise, où le film était projeté hors compétition le 6 septembre. Parmi les voix discordantes figure celle du critique de cinéma russe exilé Anton Dolin, qui écrit sur sa page Facebook que le film « devrait faire l’objet non pas d’une critique, mais d’une enquête ». Une allusion à l’un des aspects les plus litigieux de Russians at War : ses conditions de tournage.

    Sept mois sur le front

    De son côté, Anastasia Trofimova clame que son film est « antiguerre » et qu’elle juge l’invasion russe en Ukraine « illégale et injustifiée ». Cette trentenaire aux longs cheveux noirs affirme avoir tourné pendant sept mois sur le front des soldats russes sans l’autorisation du ministère de la défense. Or l’état-major russe, qui place la guerre de l’information au cœur de sa doctrine militaire, ne tolère la présence de « journalistes » que très étroitement encadrés. Des points de contrôle sont installés sur toutes les voies d’accès au front et les identités sont soigneusement vérifiées.

    Mais dans un entretien accordé au Monde depuis Toronto, Mme Trofimova affirme au contraire que « le front est une zone de chaos, loin des états-majors » et que, vêtue d’un uniforme militaire russe, elle n’a eu aucune peine à se cacher au sein de l’unité qui avait accepté sa présence. « Le commandant, lorsqu’il a découvert ma présence, m’a maudite mais a préféré regarder ailleurs plutôt que d’avertir le FSB [le tout-puissant service de sécurités russe], ce qui aurait pu lui attirer des problèmes. »

    La réalisatrice, qui possède une longue expérience des terrains de guerre, souligne avoir pris soin de protéger les soldats visibles à l’écran en n’indiquant aucun lieu, date, nom de famille ou d’unité. Sauf que leurs visages découverts rendent aisée leur identification par les fonctionnaires du ministère de la défense russe.

    Une autre hypothèse est que le travail passé d’Anastasia Trofimova pendant sept ans (de 2014 à 2020) au sein de la chaîne Russia Today (RT) a pu mettre la hiérarchie militaire en confiance. Cette chaîne de propagande, au service de Vladimir Poutine, est interdite de diffusion dans l’Union européenne depuis 2022. La réalisatrice rétorque n’avoir travaillé que pour la branche documentaires de RT qui a produit onze de ses films, lesquels sont toujours visibles en ligne. De cette période, affirme-t-elle, « je ne regrette rien. J’ai posé deux conditions à cette collaboration : pas de voix off ni de présentateur, et RT les a respectés ».

    Le film lui-même donne la parole à des soldats russes qui récitent à tour de rôle la totalité du corpus des mythes forgés par le Kremlin sur la « dénazification » et la « guerre civile » en Ukraine ; un pays qui aurait « abandonné » le Donbass, « détruit la mémoire des héros soviétiques » ; tandis qu’en 2014, « tout Donetsk s’est levé contre l’Ukraine ». Jamais leur responsabilité individuelle n’est envisagée, ni celle de la Russie ou de ses dirigeants.

    A la place, on y trouve les sempiternelles accusations contre les Etats-Unis, l’OTAN et l’Occident menaçant la Russie. Si la motivation des soldats pour s’engager et pour combattre est évoquée, il s’agit toujours de « patriotisme », de « vengeance pour les camarades tombés », tandis que l’argent n’est suggéré que du bout des lèvres. Il n’aurait pas été vain de préciser que l’argent est leur motivation principale, car les soldats russes, pour la plupart venus de régions paupérisées, touchent l’équivalent de dix fois le salaire russe moyen pour tuer des Ukrainiens.

    Pans de la réalité occultés

    « Je filme du cinéma-vérité, se justifie Mme Trofimova. Je n’aime pas les voix off, il faudrait expliquer au spectateur ce qu’est le salaire moyen. (…) Je n’aime pas les documentaires qui donnent une opinion. Mon travail consiste à aller là où personne ne va et d’observer l’âme des personnages, sans préjugé. »

    Sauf que cette neutralité affichée occulte une suppression de pans entiers de la réalité n’allant pas dans le sens général du film, qui consiste à dépeindre les soldats russes comme des victimes. A aucun moment des cent vingt minutes de Russians at War, les soldats ne font face à une contradiction. Le spectateur n’a jamais droit à une contextualisation rappelant les faits essentiels de la guerre : son déclenchement par Vladimir Poutine, les massacres et viols de civils à Marioupol, Boutcha, Izioum, etc. ou les exécutions répétées de prisonniers de guerre ukrainiens. Anastasia Trofimova préfère les filmer pleurant la mort de leurs camarades, se livrant à des beuveries, caressant des animaux, se plaignant de leurs compagnes, ou enfilant des banalités sur « [leurs] destins brisés », « l’absurdité de la guerre », etc.

    Au terme du film, la réalisatrice finit par succomber à la tentation de donner son opinion. On entend sa voix hors cadre dire que ses personnages « ne sont ni des Supermen ni des méchants » et que « le véritable objectif de cette guerre continue d’être peu clair pour [elle] ». Une touche de confusionnisme mettant agresseurs et agressés sur le même plan, qui n’est pas sans rappeler la thèse centrale des idéologues de RT : il n’y a pas de faits, que des opinions ; tout le monde ment et chacun a sa propre vérité.

    La sélection du film dans deux prestigieux festivals démontre qu’Anastasia Trofimova a su habilement exploiter la curiosité pour « le côté russe » avec un produit conforme aux codes du documentaire contemporain.

    Russians at War a été produit par la société française Capa presse, et a bénéficié de l’avance du Centre national du cinéma et de l’image animée de 39 400 euros – somme attribuée sans visionnage du film. La chaîne Arte France, qui précise au Monde « n’avoir pas soutenu financièrement la version présentée à Toronto », envisage dans les mois à venir une diffusion du documentaire dans une version de cinquante-deux minutes.

     

  17. Il y a 9 heures, Wallaby a dit :

    https://www.nytimes.com/2024/09/13/world/asia/tiff-russian-war-documentary-paused.html

    L'un des plus grands festivals de cinéma d'Amérique du Nord a annulé jeudi toutes les projections de « Russians at War », un documentaire sur les soldats russes en Ukraine qui a suscité des réactions négatives et a été qualifié de propagande soutenant le Kremlin.

    Cette annulation est intervenue un jour après que le Festival international du film de Toronto a déclaré qu'il ne céderait pas aux protestations. Les organisateurs ont déclaré que même s'ils estimaient que le film n'était pas de la propagande russe, ils prenaient la décision « sans précédent » de le retirer de la programmation en raison de graves menaces pour la sécurité du public et du festival. Les producteurs ont qualifié cette décision de « déchirante » dans un communiqué publié jeudi.

    Les critiques affirment que le film, tourné par Anastasia Trofimova alors qu'elle était intégrée à un bataillon russe dans l'est de l'Ukraine, humanise les membres d'une armée qui a été accusée de crimes de guerre et sert de propagande au Kremlin.

    Lord Northcliffe : « L'information est ce que quelqu'un, quelque part, préférerait voir supprimé. Tout le reste est de la pub ».

    News is what somebody, somewhere, wants suppressed. All the rest is advertising.

    Ah oui la fameuse inversion rhétorique "je suis de l'information car je suis censuré". Transmis à tous les marchands de Haine. On sera d'ailleurs ravi d'apprendre que le contribuable français a soutenu le financement de cet œuvre magistrale pour la somme très précise de 39 400 euros. 

    Extraits:

    Sauf que cette neutralité affichée occulte une suppression de pans entiers de la réalité n’allant pas dans le sens général du film, qui consiste à dépeindre les soldats russes comme des victimes. A aucun moment des cent vingt minutes de Russians at War, les soldats ne font face à une contradiction. Le spectateur n’a jamais droit à une contextualisation rappelant les faits essentiels de la guerre : son déclenchement par Vladimir Poutine, les massacres et viols de civils à Marioupol, Boutcha, Izioum, etc. ou les exécutions répétées de prisonniers de guerre ukrainiens. Anastasia Trofimova préfère les filmer pleurant la mort de leurs camarades, se livrant à des beuveries, caressant des animaux, se plaignant de leurs compagnes, ou enfilant des banalités sur « [leurs] destins brisés », « l’absurdité de la guerre », etc.

    Au terme du film, la réalisatrice finit par succomber à la tentation de donner son opinion. On entend sa voix hors cadre dire que ses personnages « ne sont ni des Supermen ni des méchants » et que « le véritable objectif de cette guerre continue d’être peu clair pour [elle] ». Une touche de confusionnisme mettant agresseurs et agressés sur le même plan, qui n’est pas sans rappeler la thèse centrale des idéologues de RT : il n’y a pas de faits, que des opinions ; tout le monde ment et chacun a sa propre vérité.

    https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/09/14/le-festival-de-toronto-suspend-la-projection-de-russians-at-war-un-documentaire-accuse-d-etre-la-voix-du-kremlin_6317341_3246.html

    Citation

    Le festival de Toronto suspend la projection de « Russians at War », un documentaire accusé d’être la voix du Kremlin

    Une réalisatrice russo-canadienne ancienne employée de la chaîne Russia Today soulève la polémique avec un film reposant sur son accès exclusif aux soldats russes combattant en Ukraine.

    Par Emmanuel Grynszpan et Anna Koriagina

    Publié aujourd’hui à 09h59, modifié à 09h59

    Article réservé aux abonnés

    Témoignage unique ou insidieuse propagande russe ? Russians at War (Les Russes en guerre), un film documentaire de deux heures qui suit la vie de soldats russes combattant en Ukraine et qui leur donne la parole, suscite une vive polémique partout où il est projeté. Jeudi 12 septembre, le Festival international du film de Toronto a pris une mesure « sans précédent », consistant à « mettre en pause » toutes les projections du film de la réalisatrice russo-canadienne Anastasia Trofimova. « Cette décision a été prise afin d’assurer la sécurité de tous les invités, du personnel et des bénévoles », explique un communiqué du festival.

    Deux jours plus tôt, la chaîne éducative canadienne TVO, qui a coproduit le film, annonçait dans son communiqué ne plus vouloir soutenir ni diffuser Russians at War, après avoir « écouté la communauté ukrainienne canadienne et ses commentaires réfléchis et sincères ». Les voix critiques reprochent au film de présenter les soldats russes sous un jour favorable, tandis que le contexte et la souffrance des Ukrainiens sont occultés.

    La polémique avait démarré à la Biennale cinéma de Venise, où le film était projeté hors compétition le 6 septembre. Parmi les voix discordantes figure celle du critique de cinéma russe exilé Anton Dolin, qui écrit sur sa page Facebook que le film « devrait faire l’objet non pas d’une critique, mais d’une enquête ». Une allusion à l’un des aspects les plus litigieux de Russians at War : ses conditions de tournage.

    Sept mois sur le front

    De son côté, Anastasia Trofimova clame que son film est « antiguerre » et qu’elle juge l’invasion russe en Ukraine « illégale et injustifiée ». Cette trentenaire aux longs cheveux noirs affirme avoir tourné pendant sept mois sur le front des soldats russes sans l’autorisation du ministère de la défense. Or l’état-major russe, qui place la guerre de l’information au cœur de sa doctrine militaire, ne tolère la présence de « journalistes » que très étroitement encadrés. Des points de contrôle sont installés sur toutes les voies d’accès au front et les identités sont soigneusement vérifiées.

    Mais dans un entretien accordé au Monde depuis Toronto, Mme Trofimova affirme au contraire que « le front est une zone de chaos, loin des états-majors » et que, vêtue d’un uniforme militaire russe, elle n’a eu aucune peine à se cacher au sein de l’unité qui avait accepté sa présence. « Le commandant, lorsqu’il a découvert ma présence, m’a maudite mais a préféré regarder ailleurs plutôt que d’avertir le FSB [le tout-puissant service de sécurités russe], ce qui aurait pu lui attirer des problèmes. »

    La réalisatrice, qui possède une longue expérience des terrains de guerre, souligne avoir pris soin de protéger les soldats visibles à l’écran en n’indiquant aucun lieu, date, nom de famille ou d’unité. Sauf que leurs visages découverts rendent aisée leur identification par les fonctionnaires du ministère de la défense russe.

    Une autre hypothèse est que le travail passé d’Anastasia Trofimova pendant sept ans (de 2014 à 2020) au sein de la chaîne Russia Today (RT) a pu mettre la hiérarchie militaire en confiance. Cette chaîne de propagande, au service de Vladimir Poutine, est interdite de diffusion dans l’Union européenne depuis 2022. La réalisatrice rétorque n’avoir travaillé que pour la branche documentaires de RT qui a produit onze de ses films, lesquels sont toujours visibles en ligne. De cette période, affirme-t-elle, « je ne regrette rien. J’ai posé deux conditions à cette collaboration : pas de voix off ni de présentateur, et RT les a respectés ».

    Le film lui-même donne la parole à des soldats russes qui récitent à tour de rôle la totalité du corpus des mythes forgés par le Kremlin sur la « dénazification » et la « guerre civile » en Ukraine ; un pays qui aurait « abandonné » le Donbass, « détruit la mémoire des héros soviétiques » ; tandis qu’en 2014, « tout Donetsk s’est levé contre l’Ukraine ». Jamais leur responsabilité individuelle n’est envisagée, ni celle de la Russie ou de ses dirigeants.

    A la place, on y trouve les sempiternelles accusations contre les Etats-Unis, l’OTAN et l’Occident menaçant la Russie. Si la motivation des soldats pour s’engager et pour combattre est évoquée, il s’agit toujours de « patriotisme », de « vengeance pour les camarades tombés », tandis que l’argent n’est suggéré que du bout des lèvres. Il n’aurait pas été vain de préciser que l’argent est leur motivation principale, car les soldats russes, pour la plupart venus de régions paupérisées, touchent l’équivalent de dix fois le salaire russe moyen pour tuer des Ukrainiens.

    Pans de la réalité occultés

    « Je filme du cinéma-vérité, se justifie Mme Trofimova. Je n’aime pas les voix off, il faudrait expliquer au spectateur ce qu’est le salaire moyen. (…) Je n’aime pas les documentaires qui donnent une opinion. Mon travail consiste à aller là où personne ne va et d’observer l’âme des personnages, sans préjugé. »

    Sauf que cette neutralité affichée occulte une suppression de pans entiers de la réalité n’allant pas dans le sens général du film, qui consiste à dépeindre les soldats russes comme des victimes. A aucun moment des cent vingt minutes de Russians at War, les soldats ne font face à une contradiction. Le spectateur n’a jamais droit à une contextualisation rappelant les faits essentiels de la guerre : son déclenchement par Vladimir Poutine, les massacres et viols de civils à Marioupol, Boutcha, Izioum, etc. ou les exécutions répétées de prisonniers de guerre ukrainiens. Anastasia Trofimova préfère les filmer pleurant la mort de leurs camarades, se livrant à des beuveries, caressant des animaux, se plaignant de leurs compagnes, ou enfilant des banalités sur « [leurs] destins brisés », « l’absurdité de la guerre », etc.

    Au terme du film, la réalisatrice finit par succomber à la tentation de donner son opinion. On entend sa voix hors cadre dire que ses personnages « ne sont ni des Supermen ni des méchants » et que « le véritable objectif de cette guerre continue d’être peu clair pour [elle] ». Une touche de confusionnisme mettant agresseurs et agressés sur le même plan, qui n’est pas sans rappeler la thèse centrale des idéologues de RT : il n’y a pas de faits, que des opinions ; tout le monde ment et chacun a sa propre vérité.

    La sélection du film dans deux prestigieux festivals démontre qu’Anastasia Trofimova a su habilement exploiter la curiosité pour « le côté russe » avec un produit conforme aux codes du documentaire contemporain.

    Russians at War a été produit par la société française Capa presse, et a bénéficié de l’avance du Centre national du cinéma et de l’image animée de 39 400 euros – somme attribuée sans visionnage du film. La chaîne Arte France, qui précise au Monde « n’avoir pas soutenu financièrement la version présentée à Toronto », envisage dans les mois à venir une diffusion du documentaire dans une version de cinquante-deux minutes.

     

  18. Il y a 9 heures, Wallaby a dit :

    https://www.nytimes.com/2024/09/13/world/asia/tiff-russian-war-documentary-paused.html

    L'un des plus grands festivals de cinéma d'Amérique du Nord a annulé jeudi toutes les projections de « Russians at War », un documentaire sur les soldats russes en Ukraine qui a suscité des réactions négatives et a été qualifié de propagande soutenant le Kremlin.

    Cette annulation est intervenue un jour après que le Festival international du film de Toronto a déclaré qu'il ne céderait pas aux protestations. Les organisateurs ont déclaré que même s'ils estimaient que le film n'était pas de la propagande russe, ils prenaient la décision « sans précédent » de le retirer de la programmation en raison de graves menaces pour la sécurité du public et du festival. Les producteurs ont qualifié cette décision de « déchirante » dans un communiqué publié jeudi.

    Les critiques affirment que le film, tourné par Anastasia Trofimova alors qu'elle était intégrée à un bataillon russe dans l'est de l'Ukraine, humanise les membres d'une armée qui a été accusée de crimes de guerre et sert de propagande au Kremlin.

    Lord Northcliffe : « L'information est ce que quelqu'un, quelque part, préférerait voir supprimé. Tout le reste est de la pub ».

    News is what somebody, somewhere, wants suppressed. All the rest is advertising.

    Ah oui la fameuse inversion rhétorique "je suis de l'information car je suis censuré". Transmis à tous les marchands de Haine. On sera d'ailleurs ravi d'apprendre que le contribuable français a soutenu le financement de cet œuvre magistrale pour la somme très précise de 39 400 euros. 

    Extraits:

    Sauf que cette neutralité affichée occulte une suppression de pans entiers de la réalité n’allant pas dans le sens général du film, qui consiste à dépeindre les soldats russes comme des victimes. A aucun moment des cent vingt minutes de Russians at War, les soldats ne font face à une contradiction. Le spectateur n’a jamais droit à une contextualisation rappelant les faits essentiels de la guerre : son déclenchement par Vladimir Poutine, les massacres et viols de civils à Marioupol, Boutcha, Izioum, etc. ou les exécutions répétées de prisonniers de guerre ukrainiens. Anastasia Trofimova préfère les filmer pleurant la mort de leurs camarades, se livrant à des beuveries, caressant des animaux, se plaignant de leurs compagnes, ou enfilant des banalités sur « [leurs] destins brisés », « l’absurdité de la guerre », etc.

    Au terme du film, la réalisatrice finit par succomber à la tentation de donner son opinion. On entend sa voix hors cadre dire que ses personnages « ne sont ni des Supermen ni des méchants » et que « le véritable objectif de cette guerre continue d’être peu clair pour [elle] ». Une touche de confusionnisme mettant agresseurs et agressés sur le même plan, qui n’est pas sans rappeler la thèse centrale des idéologues de RT : il n’y a pas de faits, que des opinions ; tout le monde ment et chacun a sa propre vérité.

    https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/09/14/le-festival-de-toronto-suspend-la-projection-de-russians-at-war-un-documentaire-accuse-d-etre-la-voix-du-kremlin_6317341_3246.html

    Citation

    Le festival de Toronto suspend la projection de « Russians at War », un documentaire accusé d’être la voix du Kremlin

    Une réalisatrice russo-canadienne ancienne employée de la chaîne Russia Today soulève la polémique avec un film reposant sur son accès exclusif aux soldats russes combattant en Ukraine.

    Par Emmanuel Grynszpan et Anna Koriagina

    Publié aujourd’hui à 09h59, modifié à 09h59

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    Témoignage unique ou insidieuse propagande russe ? Russians at War (Les Russes en guerre), un film documentaire de deux heures qui suit la vie de soldats russes combattant en Ukraine et qui leur donne la parole, suscite une vive polémique partout où il est projeté. Jeudi 12 septembre, le Festival international du film de Toronto a pris une mesure « sans précédent », consistant à « mettre en pause » toutes les projections du film de la réalisatrice russo-canadienne Anastasia Trofimova. « Cette décision a été prise afin d’assurer la sécurité de tous les invités, du personnel et des bénévoles », explique un communiqué du festival.

    Deux jours plus tôt, la chaîne éducative canadienne TVO, qui a coproduit le film, annonçait dans son communiqué ne plus vouloir soutenir ni diffuser Russians at War, après avoir « écouté la communauté ukrainienne canadienne et ses commentaires réfléchis et sincères ». Les voix critiques reprochent au film de présenter les soldats russes sous un jour favorable, tandis que le contexte et la souffrance des Ukrainiens sont occultés.

    La polémique avait démarré à la Biennale cinéma de Venise, où le film était projeté hors compétition le 6 septembre. Parmi les voix discordantes figure celle du critique de cinéma russe exilé Anton Dolin, qui écrit sur sa page Facebook que le film « devrait faire l’objet non pas d’une critique, mais d’une enquête ». Une allusion à l’un des aspects les plus litigieux de Russians at War : ses conditions de tournage.

    Sept mois sur le front

    De son côté, Anastasia Trofimova clame que son film est « antiguerre » et qu’elle juge l’invasion russe en Ukraine « illégale et injustifiée ». Cette trentenaire aux longs cheveux noirs affirme avoir tourné pendant sept mois sur le front des soldats russes sans l’autorisation du ministère de la défense. Or l’état-major russe, qui place la guerre de l’information au cœur de sa doctrine militaire, ne tolère la présence de « journalistes » que très étroitement encadrés. Des points de contrôle sont installés sur toutes les voies d’accès au front et les identités sont soigneusement vérifiées.

    Mais dans un entretien accordé au Monde depuis Toronto, Mme Trofimova affirme au contraire que « le front est une zone de chaos, loin des états-majors » et que, vêtue d’un uniforme militaire russe, elle n’a eu aucune peine à se cacher au sein de l’unité qui avait accepté sa présence. « Le commandant, lorsqu’il a découvert ma présence, m’a maudite mais a préféré regarder ailleurs plutôt que d’avertir le FSB [le tout-puissant service de sécurités russe], ce qui aurait pu lui attirer des problèmes. »

    La réalisatrice, qui possède une longue expérience des terrains de guerre, souligne avoir pris soin de protéger les soldats visibles à l’écran en n’indiquant aucun lieu, date, nom de famille ou d’unité. Sauf que leurs visages découverts rendent aisée leur identification par les fonctionnaires du ministère de la défense russe.

    Une autre hypothèse est que le travail passé d’Anastasia Trofimova pendant sept ans (de 2014 à 2020) au sein de la chaîne Russia Today (RT) a pu mettre la hiérarchie militaire en confiance. Cette chaîne de propagande, au service de Vladimir Poutine, est interdite de diffusion dans l’Union européenne depuis 2022. La réalisatrice rétorque n’avoir travaillé que pour la branche documentaires de RT qui a produit onze de ses films, lesquels sont toujours visibles en ligne. De cette période, affirme-t-elle, « je ne regrette rien. J’ai posé deux conditions à cette collaboration : pas de voix off ni de présentateur, et RT les a respectés ».

    Le film lui-même donne la parole à des soldats russes qui récitent à tour de rôle la totalité du corpus des mythes forgés par le Kremlin sur la « dénazification » et la « guerre civile » en Ukraine ; un pays qui aurait « abandonné » le Donbass, « détruit la mémoire des héros soviétiques » ; tandis qu’en 2014, « tout Donetsk s’est levé contre l’Ukraine ». Jamais leur responsabilité individuelle n’est envisagée, ni celle de la Russie ou de ses dirigeants.

    A la place, on y trouve les sempiternelles accusations contre les Etats-Unis, l’OTAN et l’Occident menaçant la Russie. Si la motivation des soldats pour s’engager et pour combattre est évoquée, il s’agit toujours de « patriotisme », de « vengeance pour les camarades tombés », tandis que l’argent n’est suggéré que du bout des lèvres. Il n’aurait pas été vain de préciser que l’argent est leur motivation principale, car les soldats russes, pour la plupart venus de régions paupérisées, touchent l’équivalent de dix fois le salaire russe moyen pour tuer des Ukrainiens.

    Pans de la réalité occultés

    « Je filme du cinéma-vérité, se justifie Mme Trofimova. Je n’aime pas les voix off, il faudrait expliquer au spectateur ce qu’est le salaire moyen. (…) Je n’aime pas les documentaires qui donnent une opinion. Mon travail consiste à aller là où personne ne va et d’observer l’âme des personnages, sans préjugé. »

    Sauf que cette neutralité affichée occulte une suppression de pans entiers de la réalité n’allant pas dans le sens général du film, qui consiste à dépeindre les soldats russes comme des victimes. A aucun moment des cent vingt minutes de Russians at War, les soldats ne font face à une contradiction. Le spectateur n’a jamais droit à une contextualisation rappelant les faits essentiels de la guerre : son déclenchement par Vladimir Poutine, les massacres et viols de civils à Marioupol, Boutcha, Izioum, etc. ou les exécutions répétées de prisonniers de guerre ukrainiens. Anastasia Trofimova préfère les filmer pleurant la mort de leurs camarades, se livrant à des beuveries, caressant des animaux, se plaignant de leurs compagnes, ou enfilant des banalités sur « [leurs] destins brisés », « l’absurdité de la guerre », etc.

    Au terme du film, la réalisatrice finit par succomber à la tentation de donner son opinion. On entend sa voix hors cadre dire que ses personnages « ne sont ni des Supermen ni des méchants » et que « le véritable objectif de cette guerre continue d’être peu clair pour [elle] ». Une touche de confusionnisme mettant agresseurs et agressés sur le même plan, qui n’est pas sans rappeler la thèse centrale des idéologues de RT : il n’y a pas de faits, que des opinions ; tout le monde ment et chacun a sa propre vérité.

    La sélection du film dans deux prestigieux festivals démontre qu’Anastasia Trofimova a su habilement exploiter la curiosité pour « le côté russe » avec un produit conforme aux codes du documentaire contemporain.

    Russians at War a été produit par la société française Capa presse, et a bénéficié de l’avance du Centre national du cinéma et de l’image animée de 39 400 euros – somme attribuée sans visionnage du film. La chaîne Arte France, qui précise au Monde « n’avoir pas soutenu financièrement la version présentée à Toronto », envisage dans les mois à venir une diffusion du documentaire dans une version de cinquante-deux minutes.

     

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