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Les Mérovingiens


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Quoi de mieux pour ouvrir ce fil et faire la transition avec le monde romain que ce post de @Tancrède

Le 27/04/2009 à 20:42, Tancrède a dit :

Sinon, je voulais évoquer brièvement un sujet qui me tient à coeur avec cette armée du Bas Empire, à savoir son implication directe dans l'Histoire de France.

Il y a un temps de connexion directe entre les débuts de la France et l'armée romaine tardive: j'ai mentionné plus haut le maintien étonnamment tardif de certaines structures militaires de l'empire d'occident, au-delà de 476, notamment des unités navales et de surveillance côtière, soit un ensemble de limitanei et de marins, souvent non autochtones, qui ne pouvaient plus être rapatriés et on fait souche en France, perpétuant l'entraînement et les structures jusque tard dans le VIème siècle. Les Francs ne voyant pas dans ce secteur d'activité une menace pour leur supprématie militaire terrestre, ont encouragé le maintien de ces structures, notamment pour se défendre des raids de piraterie maritime saxons. La Manche n'est pas un coin sûr à cette époque.

 

On mentionner aussi le maintien dans l'organisation mérovingienne des Limitanei, sous une forme appropriée. Depuis longtemps, ils étaient de fait, sur la frontière du Rhin notamment, en majorité des Francs et des Gallo-Romains des régions concernées, souvent sous un statut de paysan soldat assigné à demeure sur leur région militaire. Le rôle d'exploratores, de patrouille et de garnison a sans doute été maintenu. le maintien d'un entraînement à la guerre à proprement parler, pour un équivalent des pseudocomitatenses, est lui improbable vu la baisse des capacités de financement de l'Etat central.

 

Le comitatus régional, à partir des années 440-450, est assez vite devenu de moins en moins romain et de plus en plus gaulois (je parle au sens géographique, pas au sens ethnique trop restreint), en même temps qu'il se réduisait avec la réduction des moyens de l'Etat romain: bordel des régions, zones autonomes barbares, pouvoir affaibli, corruption, retenue par les grands propriétaires du produit de l'impôt (ils sont les collecteurs de l'impôt depuis longtemps, mais ils cherchaient le plus possible d'autonomie antificale depuis longtemps, et à cette époque, ils coupent les ponts avec Rome -enfin Ravenne- et ne raisonnent qu'au niveau local).... Le comitatus hors mercenaires alliés barbares dans les frontières propres des Gaules ne doit pas dépasser les 20 000h, donc sans doute pas de concentration de plus de 5 à 6000h, au moment de la bataille des Champs Catalauniques contre Attila. Dans celle-ci, on voit Aétius mener une armée coalisée gallo-romaine (faite du comitatus, de très peu d'unités de palatins et/ou de scholes, et de forts contingents de milices et levées locales) avec 3 larges groupes de fédérés barbares: Alains, Wisigoths et Francs.

Les élites gallo-romaines ont depuis longtemps pactisé avec les fédérés, plus à même de protéger leurs frontières qu'un Empire de plus en plus lointain. Bien que dans un domaine plus petit, les Francs sont ceux qui ont le meilleur réseau de telles alliances, allant bien au-delà des frontières de la Toxandrie (Ardennes, Champagne, Moselle, Luxembourg) et de la Belgique Seconde.

 

Mais pour en venir à l'époque mérovingienne, je m'intéresse en ce moment à la (faible) documentation qu'on peut trouver sur la bataille de Soissons, celle qui vit Clovis du statut de simple petit roitelet fédéré à celui de chef de guerre majeur. Comme d'autres fédérés, Clovis n'est roi que dans notre historiographie: c'est avant tout un chef de bande, un chef de guerre issu de l'aristocratie de son groupe avec un statut reconnu par les Romains.

Pour eux, il n'est pas "rex": il est un fonctionnaire romain (la France, fondée par un fonctionnaire  :lol:). Ses statuts et fonctions:

- il a la dignité "d'homme insigne et magnifique", 3ème marche du podium des titulatures romaines (après "clarissime et illustre" et "clarissime et remarquable")

- il est administrateur de la province de Belgique Seconde (Flandres, Artois, Ponthieu, nord de la Picardie, ouest des Ardennes)

- son aristocratie et son rattachement à l'élite romaine font qu'il est né avec le statut d'equites (chevalier). Il n'est pas établi qu'il ait ou non appartenu par la suite à l'ordre sénatorial

- il a reçu l'onction de la "Joyeuse Entrée", aussi importante que le Triomphe pour un Romain, dans Reims, ce qui accroît son statut. Cette tradition restera chez les rois de France

- sa fonction inclut le titre de "magister militum per Gallia" quoi que ce terme ne veuille plus rien dire puisqu'il est aussi attribué au roi des Wisigoths. Mais c'est encore un grade d'officier

- son titre de roi est en fait le statut de roi fédéré, hérité de son père et reconnu par Rome. Mais il n'est pas un statut de roi tel que nous l'entendons. Et pour ses hommes, il a encore une autre signification, tribale, surtout symbolique, obtenue moins par la naissance que par la victoire, qui est l'approbation de Wötan (Odin)

 

Et on arrive à l'affaire de Soissons, et pas celle du vase. Face à Clovis, on a Syagryus, souverain de la dernière entité romaine en Gaule, en fait un vaste espace compris entre la Somme et la Loire. Cet espace n'est plus très unifié, mais il maintient une reconnaissance de l'empereur d'orient et une alliance (quasi allégeance) avec l'acteur le plus puissant en Gaule, à savoir le royaume wisigothique (que Clovis poutrera plus tard, à Vouillé) dont le roi a un quasi statut légal, honorifique et de facto de maître de l'occident (l'alliance avec le royaume ostrogothique d'Italie aide aussi beaucoup). Syagryus, dans la titulature et les statuts romains, est plus légitime et plus élevé que Clovis, mais Clovis, quoiqu'encore païen, est très lié à l'Eglise alors que Syagryus a fait allégeance aux Wisigoths, chrétiens ariens. Le Franc s'estime le vrai défenseur de la romanité en Gaule, et on a donc, au moins dans la forme, un affrontement entre deux "romanités".

 

L'armée de Syagryus tourne vraissemblablement autour de 10 à 15 000h, celle de Clovis de 6 à 7000. Celle de Syagryus est une masse de milices urbaines (de Soissons et des environs) et rurales (dont des limitanei peut-être) et de levées paysannes, réunies autour d'un noyau de comitatenses et de troupes professionnelles de fédérés barabres (surtout de cavalerie). Dans ce noyau, on peut trouver quelques unités mentionnées:

- une XXVème légion, soit une formation d'infanterie lourde professionnelle devant tourner autour des 1000h. Où pouvait en être leur entraînement à ce stade de décomposition de l'empire? D'un côté, l'Etat central n'existait plus et ne payait plus depuis longtemps, de l'autre, la zone était riche, et les provinces des Gaules payaient leurs propres troupes et des barbares depuis longtemps: le comitatus régional était devenu totalement régional depuis 5 ou 6 décennies

- 2 ou 3 auxiliats non nommés

- des unités de cavalerie non barbares sont mentionnées, dont une avec certitude (à peu près): une vexillation de cavaliers sarmates, cantonnés dans une ville qui prendra leur nom (Sarmaise). A cette époque, "sarmate" peut vouloir dire qu'il s'agit d'une unité de cavalerie lourde proprement sarmate ou bien "équipée à la sarmate", c'est-à-dire une unité régulière de cataphractaires

 

Face à eux, Clovis aligne une troupe de 6 à 7000h, typiquement barbare, c'est-à-dire désormais entièrement professionnelle et équipée, faite d'infanterie de ligne et de cavalerie lourde (les Francs n'ont pas beaucoup d'archerie). Le fantassin lourd franc est équipé à la romaine, avec quelques spécificités: protection (sans doute une cotte de maille ou une broigne d'écailles), épée longue, bouclier rond, lance lourde, mais aussi haches (principalement de jet, avec sans doute une francisque pour le combat rapproché) et surtout l'angon, spécialité ethnique. Il s'agit d'un javelot lourd au fer très long et barbelé, fait pour se planter dans la ligne de boucliers adverses et s'y ficher. La longueur du fer empêche l'adversaire de couper la hampe: le bouclier devient lourd et impraticable au cimbat, et l'adversaire s'en débarrasse.

Couplé aux haches de jet, cet équipement dénote une tactique d'infanterie extrêmement agressive, temporisée par des tactiques plus traditionnelles chez les peuples barbares: mur de bouclier, tortue, charge en ligne....

Sans doute y'a t-il aussi de l'infanterie légère comme historiquement chez les barabres: elle fonctionne en couple avec la cavalerie plutôt qu'avec l'infanterie.

La cavalerie est essentiellement lourde, équipée, comme chez les Wisigoths, comme les scutaires: armure lamellaire, bouclier rond ou ovoïde, spatha longue, angon, lance lourde.

 

En théorie, Clovis a l'appui supplémentaire de son cousin Ragnacaire, roi salien de Cambrai, et de Chararic, roi de Tongres. Ce dernier amène quelque part autour de 3000 guerriers supplémentaires. Mais, ambitieux, il ne bougera pas de la bataille, attendant de voir qui l'emporte pour aller l'appuyer.

 

Et c'est notre Clovis national qui l'emportera.

 

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2 octobre 2023. Bruno Dumézil, auteur de "L'Empire mérovingien : Ve-VIIIe siècle" qui remet en cause peut-être des idées préconçues sur le morcellement du territoire, la fainéantise supposée des "rois fainéants", etc. et qui donne des critères permettant de marquer la transition entre monde romain et le Moyen Age. La raison pour laquelle ils sont si mal connus est qu'ils ont laissé peu de textes, parce qu'ils écrivaient sur des papyri qui ne se sont pas conservés, contrairement aux parchemins utilisés ultérieurement par les Carolingiens.

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Dumézil toujours très bon sur la thématique post-impériale et dans la transition avec ce qu'on appelait avant le Haut Moyen Âge. Je valide au passage son livre cité ici même si (travers éditorial français bien connu hélas), ça manque cruellement de CARTES. Surtout pour les partages entre souverains.

Au passage, une bonne partie des idées préconçues visant les Mérovingiens sont le fait... des Carolingiens, qui souhaitaient légitimer leur prise du pouvoir en s'essuyant les pieds sur leurs prédécesseurs.

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