Wallaby Posté(e) le 25 septembre Share Posté(e) le 25 septembre (modifié) https://responsiblestatecraft.org/georgia-election-russia-west/ (24 septembre 2025) Plus d'un an avant la chute du mur de Berlin, un groupe d'éminents militants indépendantistes se réunissait régulièrement dans un appartement de la rue Chavchavadze pour planifier la voie vers l'indépendance de la Géorgie. L'un de ces leaders était Irakli Batiashvili, avec qui j'ai eu la chance de passer une soirée lors de ma récente visite dans ce même appartement, entouré par le fantôme de discussions mémorables. Irakli a joué un rôle central dans l'organisation des manifestations publiques généralisées contre le régime soviétique, qui ont débuté en 1988. Ces manifestations ont atteint leur apogée le 9 avril 1989, lorsque des dizaines de milliers de Géorgiens se sont rassemblés pour manifester pacifiquement sur l'avenue Rustaveli, à Tbilissi. Réalisant qu'elles perdaient le contrôle, les autorités soviétiques ont envoyé l'armée, qui s'est attaquée aux manifestants à coups de pelles et de gaz lacrymogènes. Dans la mêlée qui s'ensuivit, 21 personnes trouvèrent la mort et des centaines d'autres furent blessées, dont Irakli lui-même. Le 9 avril reste le jour de l'unité nationale en Géorgie, en mémoire de ceux qui ont perdu la vie. Irakli Batiashvili lui-même a été si violemment battu que les gens l'ont cru mort et l'ont emmené à la morgue avant, comme il me l'a dit sans ironie, « qu'ils aient décidé que j'étais encore en vie ». La Géorgie a déclaré son indépendance en 1990 avant de l'obtenir en 1991 : Irakli a été son premier chef des services de renseignement nationaux, travaillant en étroite collaboration avec la CIA pour sa mise en place. Il n'est donc pas un russophile invétéré prêt à ignorer ou à pardonner les péchés du passé. En effet, lorsque je lui ai dit que j'avais personnellement sanctionné tous les membres de l'actuel Conseil national de sécurité russe, y compris Dmitri Medvedev et Sergueï Narychkine, il m'a adressé un large sourire et m'a serré la main. « Bravo ! » Il s'agit plutôt d'une personne profondément fière de son pays et déterminée à l'empêcher de devenir la victime d'une lutte d'influence entre la Russie et l'Occident. Il soutient Rêve Géorgien, même s'il n'est plus actif en politique. Victime de la brutalité soviétique en 1989, Irakli Batiashvili a également été victime de la répression politique dans la Géorgie indépendante en 2006, lorsqu'il a été arrêté sur la base d'accusations forgées de toutes pièces. L'affaire portait sur ses efforts de médiation dans un conflit croissant entre les milices abkhazes (Irakli considère l'Abkhazie comme faisant partie de la Géorgie) et l'armée géorgienne, qui reniait ses promesses d'accorder aux séparatistes un certain niveau d'autonomie locale. Irakli est apparu dans un journal télévisé géorgien pour parler de ses efforts, mais la chaîne de télévision a divulgué une transcription modifiée d'une conversation téléphonique enregistrée entre Irakli et un leader séparatiste, qui lui avait été fournie par le ministère de l'Intérieur du gouvernement Saakashvili. Au total, Irakli a passé 18 mois en prison, répartis sur deux périodes distinctes entre 2006 et 2008, avant d'être gracié à la suite de manifestations en Géorgie et d'actions menées par des organisations internationales de défense des droits humains telles qu'Amnesty International. La Cour européenne des droits de l'homme a par la suite jugé qu'en emprisonnant Irakli, le gouvernement Saakashvili avait manqué envers lui à ses obligations conventionnelles, selon laquelle un suspect doit être considéré comme innocent jusqu'à ce que sa culpabilité ait été établie. Aujourd'hui, Irakli mène une vie modeste, enseignant la philosophie et la culture à l'université d'État de Tbilissi, lisant et écrivant dans son petit appartement révolutionnaire, rempli de magnifiques œuvres d'art, de peintures et de photos de sa famille, ainsi que de livres, dont ceux écrits par lui-même, sa femme et sa fille. Modifié le 25 septembre par Wallaby Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Polybe Posté(e) le 22 octobre Share Posté(e) le 22 octobre Ouin-ouin, l'establishment des méchants il est contre moi : https://oc-media.org/georgian-dream-mp-to-sue-estonia-and-lithuania-over-sanctions/ Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Benoitleg Posté(e) le 22 octobre Share Posté(e) le 22 octobre « Je m’en fiche du tout » - Les manifestants de Tbilissi continuent de bloquer la route malgré les arrestations par Mikheil Gvadzabia et Mariam Nikuradze 22 octobre 2025 https://oc-media.org/i-dont-care-at-all-tbilisi-protesters-continue-blocking-road-despite-arrests/ " Les manifestants de Tbilissi ont juré de continuer à bloquer l’avenue Rustaveli, au centre de la ville, malgré le renforcement des arrestations par les autorités en vertu de nouvelles lois renforcées sur les manifestations. Le 16 octobre, le Parlement, contrôlé par le parti au pouvoir Rêve géorgien et ses satellites, a adopté à la hâte de nouveaux amendements législatifs, remplaçant les amendes administratives par des peines d’emprisonnement pour plusieurs actions liées aux manifestations, notamment le blocage de routes et le port de masques lors de rassemblements." Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Wallaby Posté(e) le 22 novembre Share Posté(e) le 22 novembre (modifié) L'écrivain Emmanuel Carrère est le fils d'Hélène Carrère d'Encausse, née Zourabichvili, cousine de Salomé Zourabichvili, présidente de Géorgie de 2018 à 2024. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/repliques/kolkhoze-8901968 (21 novembre 2025) 43:48 Salomé, comme ma mère, est une espèce de pur produit très brillant de la méritocratie républicaine [française], pardon, elle devient, elle entre au Quai d'Orsay, elle [est nommée à] divers postes diplomatiques, elle est nommée à un moment ambassadrice de France en Géorgie, donc elle revient au pays déjà à cette place-là, personne n'est revenue au pays, elle y revient, elle est ambassadrice de France. Après, elle entre au gouvernement géorgien comme ministre des Affaires étrangères, ce qui est une première dans les annales diplomatiques. 44:45 C'est un gros dossier, Saakachvili, parce que, non non, ce que je veux dire c'est que ça a été à la fois l'incarnation du désir d'Europe de la Géorgie, ça a été pendant son premier mandat un président qui a modernisé son pays, qui l'a ouvert à la démocratie, enfin on faisait pas mieux que Saakachvili. Il a eu un deuxième mandat détestable, pas seulement parce qu'il a échoué, mais parce que le taux d'incarcération a été le plus élevé du monde, les... ... et ça c'est vraiment, en termes de corruption, c'est aussi pour ça qu'il est en taule quand même. Elle est nommée par Saakachvili ministre des Affaires étrangères encore une fois c'est une chose qui n'est jamais arrivée. Saakachvili s'est entendu avec Chirac là-dessus : il y a une séance extraordinaire où ils sont tous les deux à l'Elysée Salomé qui fait anti-chambre et puis ils sortent tous les deux bras-dessus bras-dessous l'air de collégiens qui ont fait un bon coup et lui disent, Chirac, lui dit : « bah écoutez, si vous voulez, je vous prête à la Géorgie c'est une bonne idée, hein ! » et ils sont hilares. Alain Finkielkraut : Ah oui quand même... Emmanuel Carrère : Non, je veux dire, s'il meurt en taule comme ça, c'est quand même en train de se profiler, c'est une catastrophe pour l'image de la Géorgie. Emmanuel Carrère a raison à propos du deuxième mandat de Saakachvili : https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Mikheil_Saakachvili&oldid=202079937 Le 15 août 2017, dans une interview accordée à l'édition ukrainienne de « Observer », Nana Kakabadze, militante géorgienne des droits de l'homme, leader de l'ONG « Anciens prisonniers politiques pour les droits de l'homme » et du mouvement populaire « Justice », a déclaré que, selon elle, les accusations portées par le Bureau du Procureur général géorgien ne reflétaient pas pleinement les crimes commis pendant la présidence de Saakachvili. Selon elle, sous la présidence de Saakachvili, la Géorgie comptait le plus grand nombre de prisonniers au monde. Selon Kakabadze, quand Saakachvili est arrivé au pouvoir il y avait 5700 prisonniers ; un an plus tard ce nombre était de 12000. Pendant toute la durée de la présidence de Saakachvili, elle estime qu'il y aurait eu entre 25000 à 30000 prisonniers. Elle met par ailleurs en avant les tortures de les « traitements inhumains » infligés aux prisonniers. Kakabadze fait également état des cas où les forces de police ont tiré dans la rue sur des « gens innocents », surtout des « jeunes ». Pour sa seule organisation, elle dénombre 150 noms de personnes « tuées là, dans la rue ». Selon Kakabadze, dans la plupart des organisations non gouvernementales indépendantes qu'il a dissoutes, Saakachvili « soudoyait les gens », créait des fonds informels et forçait ses opposants à y transférer leurs fonds. Ces fonds étaient par ailleurs sobrement baptisés « Fonds pour le développement du Bureau du Procureur », « Fonds pour le développement du Ministère de l'intérieur ». En outre, elle accuse Saakachvili d'avoir, pendant sa présidence, organisé et fait prospérer un racket d'état. Kakabadze détaille ainsi l'impressionnant système mis en place permettant de procéder rapidement à la création d'entreprises, placé sous la coupe de Saakachvili et son équipe. « Seules trois ou quatre personnes contrôlaient tout »[51]. https://www.nouvelobs.com/monde/20131029.OBS3145/georgie-le-depart-de-saakachvili-la-fin-d-un-systeme-brutal-et-repressif.html (29 octobre 2013) Charles Urjewicz, historien spécialiste de la Géorgie On imagine mal le ressenti des Géorgiens vis-à-vis de Saakachvili et son équipe et leur volonté de les voir payer pour les crimes commis. Beaucoup de gens ont été touchés par ce système brutal et répressif qui s'était abattu sur les Géorgiens durant ces dernières années, en particulier dans le monde de l'économie ou contre de pauvres gens qui avaient commis des fautes mineures mais se retrouvaient en prison. Le pouvoir aujourd'hui freine les pulsions de vengeance qui émanent d'une partie très large de la population. Salomé Zourabichvili a refusé à plusieurs reprises de le gracier : https://www.osw.waw.pl/en/publikacje/analyses/2024-05-29/georgia-veto-law-agents-rejected Dans la situation actuelle, une marge de manœuvre s'ouvre pour la présidente géorgienne. Zourabichvili, qui est en conflit avec le gouvernement et s'oppose fermement à la nouvelle loi, s'est en même temps positionnée loin de l'opposition traditionnelle. Par exemple, elle a refusé à plusieurs reprises de gracier l'ancien président Mikheil Saakashvili (le Mouvement national uni qu'il a fondé est le parti d'opposition le plus puissant). Cela a renforcé sa crédibilité aux yeux des manifestants. On oublie souvent, y compris dans l'émission de France Culture citée, de rappeler que Salomé Zourabichvili a été élue présidente de la République avec le soutien du parti "Rêve géorgien" : https://regard-est.com/georgie-analyse-de-lelection-presidentielle-2018 (30 novembre 2018) Finalement, le Rêve géorgien a apporté son soutien à Salomé Zourabichvili (résidante française avant de s’établir en Géorgie, ancienne diplomate française, ayant renoncé à la nationalité française et gardé la nationalité géorgienne), candidate indépendante. Bien que leurs parcours soient très différents, les deux candidats ont occupé la fonction de ministre des Affaires étrangères sous la présidence de Mikheïl Saakachvili, en 2004 et 2005 pour Salomé Zourabichvili, et de 2008 à 2012 pour Grigol Vachadze : la première s’est désolidarisée du Président géorgien après la guerre russo-géorgienne d’août 2008 (lui en imputant une part de la responsabilité) et s’est rapprochée du Rêve géorgien ; le second est resté fidèle au Mouvement national. Pour la Russie, en revanche, il n’est pas certain que le résultat de cette élection soit une bonne nouvelle : une cohabitation dure entre un Président Mouvement national et un Parlement majoritairement Rêve géorgien aurait affaibli la position de la Géorgie sur la scène internationale et arrangé les affaires de Moscou. Quel sera son réel degré de liberté [de Salomé Zourabichvili] vis-à-vis du Rêve géorgien et de B. Ivanichvili ? Ne risque-t-elle pas d’apparaître comme une Présidente « de l’extérieur », privilégiant la politique étrangère et négligeant les valeurs nationales (comme certains de ses adversaires le lui ont déjà reproché, remettant en cause sa pratique de la langue géorgienne) Modifié le 22 novembre par Wallaby Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Wallaby Posté(e) le 5 décembre Share Posté(e) le 5 décembre https://www.themoscowtimes.com/2024/05/03/georgias-foreign-influence-law-isnt-what-you-think-a85029 (3 mai 2024) La loi géorgienne sur « l'influence étrangère » n'est pas ce que vous pensez Il existe un problème majeur au cœur de l'économie politique particulière de la Géorgie. Il remonte à un quart de siècle. À partir des années 1990, le défunt président Edvard Chevardnadze a accordé une telle latitude aux agences d'aide étrangères qu'à la fin de son règne incompétent et corrompu, les ONG locales qu'elles finançaient sont devenues très présentes dans la politique du pays, tout en entretenant des relations de confiance avec les bailleurs de fonds internationaux. Après des années de troubles et d'échec de l'État, les Géorgiens profondément convaincus ont saisi cette occasion pour façonner la société. Cela semblait nouveau et énergique, même si ce mouvement était mené par des entrepreneurs sociaux plutôt que par des mouvements populaires à large base. Après que l'ancien ministre de la Justice de Chevardnadze, Mikheil Saakashvili, l'ait destitué lors de la révolution rose de 2003, des professionnels issus d'ONG ont rapidement occupé des postes de haut niveau au sein du gouvernement. L'espace politique du pays s'est ouvert à toutes les expériences d'aide et de réforme menées par des acteurs étrangers. Le calcul derrière cette décision était que les avantages géopolitiques et matériels nets l'emporteraient largement sur les inconvénients. Des flux d'aide étrangère élevés et constants ont suivi. Les agences des Nations unies, la Banque mondiale, les groupes internationaux d'aide au développement et les organisations philanthropiques privées occidentales ont ouvert des bureaux dotés d'un personnel important à Tbilissi. Ils avaient besoin d'ONG locales pour mettre en œuvre leurs projets et créer un vernis de collaboration avec la communauté. Les agences d'aide étrangères et leurs ONG locales sous-traitantes ont depuis longtemps colonisé la plupart des domaines de la politique publique et des services publics : éducation, santé, réforme judiciaire, développement rural et infrastructures, pour n'en citer que quelques-uns. Dans la pratique, cela se traduit par exemple comme suit : une grande agence d'aide au développement ou un prêteur international — par exemple l'USAID, la Commission européenne ou la Banque mondiale — a élaboré un nouveau modèle de réforme de l'éducation, qu'il prévoit de déployer dans toute une série de pays. Pour donner l'impression d'une participation communautaire, l'agence d'aide engage des ONG géorgiennes pour effectuer le travail quotidien, notamment présenter le programme aux responsables, aux écoles et aux enseignants, et les former aux nouvelles compétences dont ils auraient besoin. Mais à aucun moment personne ne demande aux enseignants, aux parents ou aux élèves — ni d'ailleurs à l'électorat — ce dont ils ont besoin et ce qu'ils souhaitent, ni comment ils amélioreraient eux-mêmes l'éducation. Les gens se sentent ignorés, méprisés et traités avec condescendance. Ils se sentent également incompétents lorsqu'ils ne parviennent pas à atteindre les objectifs que toute cette formation était censée les aider à atteindre. Les ONG géorgiennes qui reçoivent des subventions pour mettre en œuvre ce travail sont peut-être locales, mais elles exercent un pouvoir considérable sur la population géorgienne. Ce pouvoir provient de leur accès aux ambassades et aux ressources occidentales, mais aussi de la légitimité que cela leur confère plutôt que du soutien populaire. Au lieu que le peuple géorgien élise des législateurs pour représenter ses intérêts, ce sont des ONG non élues qui obtiennent leur mandat auprès d'organismes internationaux, lesquels élaborent et financent des listes de réformes politiques en Géorgie. Les ONG locales ne sont pas incitées à tenir compte de l'impact des projets qu'elles mettent en œuvre, car elles ne sont pas responsables devant les citoyens dans la vie desquels elles jouent un rôle si important. Cette constellation de forces a érodé la capacité d'initiative des citoyens géorgiens ainsi que la souveraineté et la démocratie du pays. Cependant, le nouveau projet de loi sur la « transparence de l'influence étrangère » présenté par le gouvernement dirigé par le Rêve géorgien — qui a tenté de faire adopter une législation similaire l'année dernière — ne traitera aucune de ces questions. Il n'a d'ailleurs pas pour objectif de les traiter. Le gouvernement géorgien ne se soucie pas vraiment de la souveraineté du pays, pas plus que les bailleurs de fonds étrangers, les agences d'aide et les élites des ONG locales. Le parti au pouvoir depuis 2012, Rêve géorgien, ne montre aucune intention d'éradiquer tout financement étranger du pays. Bien au contraire. Il se satisfait pleinement du flux continu d'aide étrangère et de la manière dont le complexe donateurs-ONG-industrie produit des politiques et des services publics mal gérés. La politique géorgienne est certes notoirement polarisée, mais le Rêve géorgien et la plupart des partis d'opposition sont remarquablement unanimes dans leur croyance en une gouvernance technocratique, néolibérale et dépolitisée, dans laquelle les politiques sont conçues par des experts (étrangers) supposés objectifs. Plus les services publics peuvent être confiés au marché de cette manière, mieux c'est, selon eux. Il suffit de regarder le sort réservé à la loi Liberty Act de 2011, un texte législatif historique qui interdit les hausses d'impôts et la fiscalité progressive, tout en plafonnant les dépenses publiques à 30 % du PIB. Bien qu'elle ait été promulguée par Saakashvili, le Rêve géorgien ne l'a pas abrogée. De même, Transparency International Georgia, l'une des ONG les plus en vue du pays (la plus partisane des ONG menant les protestations contre le Rêve géorgien), a fait campagne pour maintenir la loi en vigueur. Ces camps politiques peuvent se battre bec et ongles pour savoir qui dirigera le pays, mais au final, ils le dirigent tous de la même manière. La poursuite de l'externalisation de l'élaboration des politiques, de la gouvernance et des services vers des bailleurs de fonds étrangers, des ONG locales et le marché convient parfaitement aux dirigeants du Rêve géorgien. Beaucoup d'entre eux ont étudié en Occident grâce à des bourses occidentales et ont commencé leur carrière dans des bureaux des Nations unies, des agences d'aide bilatérales et, bien sûr, des ONG locales. Ils sont issus du secteur des ONG, des professions libérales et du management, qui les a propulsés dans la classe moyenne supérieure d'un pays où les domaines universitaires, médicaux, juridiques, scientifiques ou entrepreneuriaux ne permettent pas d'accéder au statut ou au mode de vie de la classe moyenne. Les CV et les diplômes des hauts responsables de Rêve géorgien ne diffèrent guère de ceux de leurs adversaires les plus acharnés dans le secteur des ONG financées par l'étranger. Dans cet écosystème, il est rare de trouver quelqu'un qui se soucie véritablement des Géorgiens ordinaires et de leur bien-être. Le paysage local des ONG est très concurrentiel et encourage les coudes et l'autopromotion plutôt que la collaboration, sans parler de la solidarité. Pour de nombreux professionnels du secteur, travailler dans une ONG est un moyen rapide d'accéder à l'élite, avec des revenus élevés, des voyages à l'étranger et des réceptions dans les ambassades. Si le Rêve géorgien soutient une gouvernance technocratique, dépolitisée et axée sur les donateurs, tout en maintenant le vaste secteur des ONG financées par des fonds étrangers dont il a besoin, pourquoi prendrait-il le risque de provoquer des manifestations de grande ampleur dans le pays et de subir la pression de Bruxelles et de Washington pour faire adopter sa loi dite « sur l'influence étrangère » ? Car au cœur du problème majeur qui touche l'économie politique de la Géorgie se cache un autre problème, bien plus délicat : celui d'une petite clique d'ONG puissantes, disposant de budgets annuels pouvant atteindre plusieurs millions de dollars provenant de donateurs étrangers – dont certains sont proches de l'ancien gouvernement du Mouvement national uni de Saakashvili – qui s'engagent ouvertement dans la politique partisane. Depuis environ cinq ans, elles nient la légitimité du gouvernement et appellent à son renversement, et pas seulement en soutenant l'opposition lors des élections, ce qui dépasse déjà les limites éthiques pour les ONG (surtout lorsqu'elles sont financées par des États étrangers). Elles militent pour un changement révolutionnaire du pouvoir en dehors des processus démocratiques et constitutionnels. Auparavant, elles exigeaient de prendre le pouvoir en tant que gouvernement technocratique. Mais comme personne — et certainement pas l'électorat géorgien — n'a donné suite à cette offre, ces groupes ont attisé les flammes des manifestations de masse devant le parlement et d'autres bâtiments gouvernementaux. Pour faire bonne mesure, ils font pression sur l'UE et les États-Unis pour qu'ils sanctionnent les dirigeants du Rêve géorgien ou leur imposent des interdictions de voyager. Le projet de loi dit « sur l'influence étrangère » du Rêve géorgien, initialement présenté au printemps dernier sous le nom de « projet de loi sur les agents étrangers », vise directement ce groupe hyperpartisan d'ONG bien financées. Les raisons pour lesquelles le Rêve géorgien a abandonné sa première tentative de faire adopter le projet de loi avorté l'année dernière ont fait l'objet de nombreuses spéculations. Selon certains, le parti s'attend à remporter une victoire écrasante cette fois-ci, car il considère que l'opposition est faible. Une autre raison, citée par le Rêve géorgien lui-même, est que le gouvernement a tenté de parvenir à un accord avec les ambassades occidentales et les bailleurs de fonds afin qu'ils cessent de financer les ONG partisanes, ou du moins qu'ils modèrent leur comportement par l'autorégulation. Mais cette tentative a été rejetée, sinon par tous, du moins par certains bailleurs de fonds importants. En privé, les diplomates occidentaux admettent que le comportement des ONG partisanes qu'ils financent dépasse les limites et que quelque chose doit changer, mais ils se montrent sur la défensive lorsqu'on leur demande ce qu'ils comptent faire à ce sujet. Qu'en est-il alors de la société civile géorgienne ? Elle se retrouve sans aucun doute dans une situation plus difficile. Si le projet de loi sur « l'influence étrangère » est adopté, toutes les ONG bénéficiant d'un financement étranger seront soumises à une surveillance accrue et devront accomplir des tâches administratives supplémentaires, certaines risquant même des amendes. Les ONG qui se sont tenues à l'écart de la politique partisane et ont essayé de travailler conformément à leur mission fondamentale et non à celle de leurs donateurs, tout en respectant l'autonomie des citoyens, se retrouveront prises au piège d'une politique qui ne les visait pas. Peu importe que cette loi impose des exigences de transparence financière aux ONG alors que le secteur privé n'est soumis à aucune obligation de ce type. Cette loi ne restaurera pas la souveraineté des Géorgiens, du moins pas dans le sens où elle redonnerait du pouvoir aux citoyens et repolitise l'élaboration des politiques. Elle ne résoudra probablement même pas le problème des ONG partisanes. Ce n'est pas seulement un outil inefficace, c'est un mauvais outil. Au moment où nous écrivons ces lignes, la police anti-émeute frappe les manifestants antigouvernementaux à Tbilissi et utilise des canons à eau et des gaz lacrymogènes contre eux. Les photos de contusions et d'yeux rougis inondent les réseaux sociaux. Le climat politique et le discours public ont atteint de nouveaux sommets ces dernières semaines. La sphère publique géorgienne a été balayée par les mensonges, l'hystérie et la manipulation, éloignant encore davantage le pays de la restauration de la démocratie et de la mise en place d'une politique progressiste. Un observateur géorgien réfléchi et au cœur lourd a exprimé le sentiment que « quelle que soit la voie que nous empruntons, c'est un pas en arrière ». Aussi frustrant et fastidieux que cela puisse être, nous devons mettre fin aux mensonges et aux manipulations pour rétablir un dialogue rationnel. Il est exaspérant de voir des bailleurs de fonds étrangers sermonner le public géorgien avec le plus grand sérieux en affirmant qu'il n'existe aucune influence étrangère liée à l'argent étranger, que les donateurs veulent seulement soutenir une société civile dynamique et qu'ils ne songeraient jamais à dicter aux ONG ce qu'elles doivent faire. Quiconque connaît un tant soit peu le processus d'octroi de subventions sait que les bailleurs de fonds fixent des règles très précises quant aux types d'organisations, de travaux et de questions qu'ils sont prêts à financer. Les militants géorgiens savent très bien ce qu'on attend d'eux, ainsi que les types de comportements qui sont punis ou récompensés. Critiquer le gouvernement sur Facebook vous rapportera plus de subventions que d'aller sur le terrain aider les gens. Il y a quelques années, lorsque les donateurs occidentaux considéraient encore le Rêve géorgien comme un allié précieux, ils demandaient aux militants géorgiens de cesser de critiquer le parti. Aujourd'hui, ils veulent que les militants s'expriment contre eux. D'après l'expérience d'un auteur, les donateurs surveillent même les profils des militants sur les réseaux sociaux, et publier des messages inappropriés peut avoir des conséquences. L'utilisation tapageuse du terme « loi russe » est une autre tactique cynique employée par certains militants géorgiens, politiciens de l'opposition et même responsables occidentaux. On nous dit que le projet de loi est copié sur la législation du Kremlin et qu'il transformera la Géorgie en une nouvelle Russie, ou du moins détournera le pays de sa voie vers l'intégration européenne. Mais cette loi est le symptôme d'une réalité politique spécifiquement et uniquement géorgienne. La Géorgie de 2024 n'a rien à voir avec la Russie de 2012, lorsque cette dernière a adopté sa propre loi sur les « agents étrangers ». Ni sur le plan politique, ni en termes d'alliances internationales, de démocratie et d'État de droit, et certainement pas en termes de rôle joué par les ONG. Les objectifs de la loi russe sur les « agents étrangers » — qui a contribué à ouvrir la voie à la destruction quasi totale des médias indépendants dans le pays — n'avaient rien à voir avec ceux du projet de loi géorgien. Encore plus absurdes sont les allégations selon lesquelles le Rêve géorgien et son fondateur, le milliardaire Bidzina Ivanishvili, seraient des marionnettes de la Russie qui auraient introduit la législation sur « l'influence étrangère » sur instruction du président russe Vladimir Poutine. Selon cette même logique, Poutine aurait également donné pour instruction au parti d'obtenir le statut de candidat à l'adhésion à l'UE et d'inscrire l'intégration euro-atlantique dans la constitution géorgienne. Mais cette inquiétude constante au sujet d'une « loi russe » joue sur les craintes et le ressentiment du public géorgien, ainsi que sur les objectifs géopolitiques des pays occidentaux. Le jeu le plus cynique et le plus dangereux consiste toutefois à lier cette loi à l'adhésion de la Géorgie à l'UE. Les observateurs occidentaux, loin de là, ont les larmes aux yeux devant les images de Géorgiens défendant leur « société civile dynamique ». Mais sur le terrain, les manifestants affirment qu'ils ne cherchent pas à défendre les ONG et qu'ils ne s'intéressent pas particulièrement à elles, un point de vue corroboré par des années de sondages. Au contraire, les gens descendent dans la rue parce qu'on leur a dit que c'était un moment décisif pour l'avenir de la Géorgie dans l'UE. L'aspiration de la Géorgie à adhérer à l'UE touche le point le plus sensible de la politique et de la culture géorgiennes. Après trois décennies d'appauvrissement post-soviétique, de vies écourtées, de souffrances et de traumatismes, de stress chronique, d'insécurité et d'humiliation, l'idée d'adhérer à l'UE est devenue un projet eschatologique pour de nombreux Géorgiens : elle représente la promesse du salut après des années de souffrances et de sacrifices injustes. L'UE n'est pas seulement synonyme de réalisation de rêves – de bien-être matériel, de sécurité, de dignité et de confort –, mais aussi de reconnaissance de la Géorgie comme une nation intrinsèquement « européenne ». Cependant, de nombreux Géorgiens qui descendent dans la rue avec leurs drapeaux européens ont des préoccupations moins métaphysiques. Dans des sondages récents, les Géorgiens classent la possibilité d'émigrer comme la principale raison pour laquelle ils souhaitent adhérer à l'UE. En effet, plus de 5 % de la population a quitté le pays entre 2021 et 2022, la plupart pour rejoindre la sombre économie souterraine européenne. Mais quelle que soit la motivation, la perspective d'adhérer à l'UE représente quelque chose d'existentiel. Cela a permis à l'opposition, à ses ONG partisanes et à leurs donateurs occidentaux de transformer cette crise en une bataille désespérée et épique pour l'avenir potentiellement radieux des Géorgiens. Pire encore, et de manière tout à fait irresponsable, les responsables de l'UE se sont joints à eux, répétant les uns après les autres qu'une telle loi est incompatible avec « les normes et les valeurs de l'UE ». Ce langage est commodément vague, contrairement aux lois réelles de l'UE, qui n'interdisent pas de réglementer le financement des ONG. Plus récemment, un porte-parole de l'UE a déclaré que l'adoption d'une loi sur « l'influence étrangère » irait à l'encontre des « valeurs et attentes » de l'UE, déplaçant ainsi les limites vers un territoire encore plus nébuleux. Fondamentalement, la méfiance croissante à l'égard des motivations des donateurs étrangers qui financent des ONG hyperpartisanes ne fera que s'alimenter si l'on oblige le gouvernement, par des menaces croissantes pesant sur l'adhésion de la Géorgie à l'UE, à continuer d'autoriser ce financement. Il s'agit là d'un jeu dangereux qui pourrait très mal tourner. Dans ces circonstances, avec le durcissement des fronts et la manipulation des craintes existentielles de la population, un débat franc sur les problèmes vieux de plusieurs décennies qui ont conduit à ce projet de loi, ainsi que sur l'efficacité et la pertinence d'une telle loi, n'est plus possible. 1 Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Polybe Posté(e) le 6 décembre Share Posté(e) le 6 décembre Bref, on va résumer : on veut continuer à profiter de l'argent de l'Ouest, mais sous contrôle de l'Est. A l'africaine quoi. C'est dommage, ça manque d'illustration sur ces "ONG hyperpartisanes"... 1 Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Ciders Posté(e) le 6 décembre Share Posté(e) le 6 décembre Il y a 2 heures, Polybe a dit : Bref, on va résumer : on veut continuer à profiter de l'argent de l'Ouest, mais sous contrôle de l'Est. A l'africaine quoi. C'est dommage, ça manque d'illustration sur ces "ONG hyperpartisanes"... Pourquoi crois tu qu'en ce moment, on assiste à la même offensive côté biélorusse ? La finlandisation, mais orientée. Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Polybe Posté(e) le 6 décembre Share Posté(e) le 6 décembre Il y a 1 heure, Ciders a dit : Pourquoi crois tu qu'en ce moment, on assiste à la même offensive côté biélorusse ? La finlandisation, mais orientée. ...oui, et moi je pensais à la Moldavie/Transnistrie aussi. Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
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