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L'armée romaine tardive et l'armée byzantine


Tancrède

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D'ailleurs, pour ceux impressionnés par les armées du temps de César, je rappellerais qu'elles étaient très mal équipées: pendant tout le temps de la guerre des Gaules, des guerres civiles et des premiers temps d'Auguste, c'est pas fameux question équipement, et pourtant, malgré quelques belles défaites, cette armée fut la meilleure de son temps et, dans l'absolu, l'une des meilleures de l'histoire (ce genre de comparatif étant toujours relativement à son temps), prenant sa revanche de toutes ses défaites (les aigles reprises aux Germains et ceux-ci sacrément réprimés, les aigles de Crassus reprises aux Parthes et ceux-ci aussi sévérement torchés).

Question matos:

- une armure généralement en cuir, parfois en cotte de maille (la cuirasse lamellée si omniprésente dans Astérix n'est inventée que plus tard)

- un petit casque en bronze (pas en fer) sans protèges-joues ni couvre-nuque (ou alors bricolé en cuir par le légionnaire): juste une demi-calotte

- un bouclier ovale en bois (celui-là est correct)

- un gladius, excellent, qui est bien plus grand que le modèle court (50cm) en vogue sous Auguste: le modèle de Délos, contemporain, révèle que le gladius sous César devait mesurer dans les 70-75cm

- un couteau

- un pilum, secondé si besoin est par une hasta ou une pila muralia (lance en usage spécifique pour les sièges)

L'équipement n'est pas vraiment fabuleux, ni même vraiment homogène: le légionnaire s'équipe à ses frais, et il n'y a pas de production harmonisée.

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  • 2 weeks later...

Je relance ce topic avec juste un chiffre amusant que j'ai trouvé et qui explique beaucoup de choses sur l'importance de la crise de 406-408 pour l'empire d'occident. J'ai déjà indiqué que la population de la partie occidentale de l'empire avait connu un relatif déclin à partir du IIIème siècle, avant de commencer à se redresser; l'empire romain comptait, vers la fin du IVème siècle, dans les 60 millions d'habitants, dont environs 35 millions en Orient et 25 en Occident.

Mais ce qui est particulièrement marquant est qu'à lui seul, notre hexagone (non pas les Gaules, mais juste les frontières actuelles de la France) en comptait entre 12 et 13 millions (chiffre qu'il ne retrouvera qu'au XIIIème siècle), soit la moitié de la population. Avec la Belgique et la Rhénanie, c'est plus de la moitié des Romains d'occident qui vivent entre Rhin et Pyrénées! Le reste se répartit entre l'Italie (pas plus de 4 millions), la Bretagne (1 million), l'Espagne (sans doute 2 à 3 millions) et l'Afrique du Nord (autour de 3-4 millions).

On s'explique encore mieux l'impact décisif de l'autonomisation même partielle des Gaules face à la menace vandale et à l'inaction de Rome, sans même compter la rupture rapide avec l'île de Bretagne (les Gaules sont un passage obligé pour tout transit d'importance): les moyens issus de la ressource fiscale ont du morfler brutalement d'une année sur l'autre.

Et la brève sécession de l'Afrique du Nord lors de l'intervention wisigoth en Espagne a coupé aussi l'autre ressource essentielle des Empereurs (pour les subventions, l'alimentation gratuite de Rome, l'alimentation des armées, les aides politiques aux chefs barbares....), le blé.

Même un court moment, ces interruptions ont complètement bousillé les moyens d'action de l'empereur, au mauvais moment et face à une conjoncture déjà velue avec les moyens normaux.

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Pour compléter, j'apporte des renseignements de mes dernières lectures, à savoir L'armée romaine dans la tourmente de Yann Le Bohec, concernant l'un des adversaires de l'Empire Romain, à savoir les Perses Sassanides.

L'armée perse, pendant le IIIème siècle, est devenue progressivement une armée permanente, au moins pour une partie significative, de même que s'est accrue son importance numérique, les grandes campagnes du IIIème siècle ayant démontré la capacité des souverains sassanides à mobiliser plusieurs armées en même temps.

Son organisation repose sur des unités, cavalerie comme infanterie, obéissant à un système décimal: elles sont de 50, 100, 1000 et 10 000h. L'effectif global d'une grande guerre tournait autour de 50 000h pour l'armée de campagne, voire parfois plus. Les mercenaires y étaient nombreux, mais sans doute pas au point de peser d'un poids décisif; ils étaient recrutés sur une base territoriale, individuelle ou ethnique (Scythes, Arméniens, Bactriens, Ibères du Caucase....) et incluaient aussi des prisonniers de guerre employés pour leur savoir-faire particulier (surtout pour la formation et l'encadrement: Grecs et Romains notamment).

On trouve 4 grands types d'unités:

- la Garde Royale (Hamriz): il s'agit de soldats d'élite appartenant à de hautes castes sociales, souvent de peuples périphériques parlant mal la langue perse et peu impliqués dans les réseaux sociaux des élites perses. Mercenaires ou non, leur recrutement correspond à un principe classique des monarchies qui est de recruter des populations lointaines, voire étrangères, pour limiter les possibilités de complots. Parmis ces unités de Garde, on retrouve les célèbres Immortels et les Pages du Palais (Retak)

- la cavalerie lourde (Asvar): l'un des deux piliers de l'armée perse. Socialement et tactiquement, on y retrouve avant tout l'élite du pays, donc il s'agit d'unités nobiliaires, organisées en groupes de 1000 hommes commandés par des Surena (il s'agit d'un grade et pas d'un nom; l'erreur fut la même pour le chef des Gaulois Sénons qui prit Rome au IVème siècle avant JC, Ambigat, que les Romains ont gardé en mémoire sous le nom de Brennus, qui vient de "Brenn", qui veut dire "chef"). Il s'agit de cataphractaires/clibanaires lourds, avec un homme aussi cuirassé que son cheval (des chevaux spécialement élevés pour pouvoir emporter le tout), dans une cotte de maille intégrale. Leur armement repose avant tout sur une lance lourde et un arc, avec en complément une hache ou une masse d'arme. L'introduction de l'épée fut plus tardive et longtemps anecdotique.

- la cavalerie légère: l'autre grand pilier de l'armée. Elle est organisée en vastes groupes de 10 000h aussi sous les ordres d'un Surena. Ici, il ne s'agit pas d'unités nobiliaires, sauf pour l'encadrement. La proportion cavalerie lourde/cavalerie légère semble donc être de 1 pour 10. Non protégée, cette cavalerie est montée sur de petits chevaux légers et son armement principal est l'arc composite à double courbure (le même qu'ont adopté les Romains), à la portée longue et à la puissance dévastatrice, d'autant plus que chaque archer avait un assortiment de flèches différentes selon l'adversaire.

- l'infanterie (Ram): le parent pauvre. L'encadrement est nobiliaire, mais les unités sont faites surtout de fantassins légers peu protégés, mal armés et surtout très peu professionnels. Un changement partiel s'opère tout au long du IIIème siècle avec l'ntroduction d'une infanterie lourde permanente (infanterie de piquier et infanterie d'assaut à l'épée) sans doute entraînée par des prisonniers romains: lance, casque, cuirasse et épée sont apparus dans l'inventaire perse. Le chiffrage est impossible, mais les effectifs n'eurent rien d'anecdotique, même si cette arme semble n'avoir pas pesé d'un poids décisif après la crise du IIIème siècle. l'organisation de l'infanterie la répartissait en unités de 10 000h, commandées par un Baivarpat, subdivisées en Hazarmadt de 1000h (aux ordres d'un Hazarpat), Draft de 100h, et enfin de groupes de 50h

La tactique semble aussi avoir changé au cours du IIIème siècle, principalement au contact des Romains:

- on l'a vu, apparition d'une infanterie lourde professionnelle

- croissance de l'infanterie dans l'effectif global, ce qui veut dire une armée plus apte au choc frontal et renonçant en partie à la tactique type des peuples cavaliers, mais aussi une logiqtique plus lourde, une mobilité moins grande

- apprentissage de la poliorcétique gréco-romaine, rendant possible des campagnes de conquête durable de zones denses en grandes agglomérations

- usage d'éléphants et de chariots de guerre, tombés en désuétude dans la période précédente

- abandon de la tactique de charge de cavalerie lourde contre l'infanterie jusqu'ici préambule de la bataille (et hécatombe de l'élite du pays à tous les coups)

- professionalisation d'une partie des unités de cavalerie

Globalement, la professionalisation est le mouvement le plus marquant, en même temps que le changement de proportions en faveur de l'infanterie dont une partie est devenue permanente et apte au combat frontal. C'est le trait d'un empire qui se sédentarise et favorise désormais, après la défense (stratégie principale des Perses, dont les frontières sont vastes et toutes hostiles et ouvertes), la conquête durable au lieu du raid (punitif, de ravage ou de pillage). Enfin, trait encore plus notable d'un empire en développement et affirmant des bases institutionnelles, économiques et urbaines plus profondes, l'armée grossit nettement; une grande croissance démographique en est aussi à l'origine, comme effet concomittant de l'expansion agricole (encore une fois, un niveau de sédentarisation supérieur).

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  • 1 month later...

Ouais, je viens de le finir ce bouquin de Le Bohec. J'aime beaucoup l'auteur, mais il a un niveau de parti pris qui me gonfle de plus en plus à mesure que je m'informe en profondeur sur le sujet de l'armée romaine (toutes époques confondues). Quelques légèretés et quelques omissions, notamment sur le plan de l'analyse des batailles qui me paraît légère: un truc qu'il factorise à un moment pour expliquer le résultat d'une bataille, il l'oublie à un autre, et pas mal d'autres petits trucs comme ça. Il a le défaut de beaucoup d'historiens de vouloir expliquer 100% des batailles selon les fondamentaux uniquement, et non selon les circonstances. Généralement, ce genre de tendances confine, même s'il ne va pas explicitement jusque là, à aller jusqu'à décrire des peuples comme plus "faits pour la guerre" que d'autres, des peuples intrinsèquement plus forts.... Ce qui est une facilité qui m'énerve profondément et qui va parfois jusqu'à faire des hiérarchies complètement stupides. Je ne le dis pas par bien-pensance antiraciste ou autres conneries du genre, juste par constat.

oula, je découvre ce post, il va me falloir une demi-journée pour lire et avaler tout ça (obligé vu mon pseudo); merci Tancrède !

De rien, mais si les lecteurs pouvaient aussi se faire contradicteurs ou critiques, ce serait plus amusant  ;); à vot'bon coeur, m'sieurs dames, une petite polémique, juste pour me faire plaisir  :lol:.

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Peut-être, peut-être pas (on sait toujours plus de trucs qu'on croit), mais il reste possible de critiquer ce que j'ai écrit; le texte n'est pas parfait, et il y a (ou doit y avoir) des incohérences. y'a pas mal de conclusions personnelles.

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  • 2 weeks later...

Oh là, calmons-nous! J'ai rien inventé, me faites pas rougir.

Mais sur ce sujet là, je crois avoir dit le plus gros; il me faut des questions, des attaques, des corrections, des critiques ou des remises en causes pour pouvoir continuer.

A côté de ça, pour de l'ajout brut, j'ai plus que quelques trucs sur l'évolution de l'armée byzantine et l'affaiblissement du modèle au VIIème siècle. Après ça, il faudra entrer dans des conclusions et analyses plus personnelles, nécessairement moins étayées et essayant de sortir des amorces de "thèses" sur divers aspects du sujet.

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  • 1 month later...

Bon, là je suis sur uj sujet compliqué parce que mal documenté: l'épuisement de l'armée byzantine et ses déboires dans la période noire du VIIème siècle, face à l'Empire sassanide et face au nouvel intervenant que furent les armées musulmanes du califat naissant, l'armée rashidun.

Sinon, je voulais faire juste un micro décrochage sur ces armées du passé qu'on connaît mal et qu'on ne voir que par grandes masses informes et impersonnelles, en rappelant ces constantes de l'Histoire militaire que sont les unités de base, les petites trucs élémentaires, qui à l'heure échelle ne perçoivent pas toujours l'ampleur des changements de modèle. Dans l'Empire romain, ce sont le contubernium, la centurie et la manipule qui, après la réforme de Marius, ne changent pour ainsi dire plus, et se poursuivent à l'identique chez les Byzantins.

Le contubernium, c'est le groupe de combat de 8h, qui se partage une tente (d'où vient son nom). En compte administratif, c'est une unité de 10h, 2 auxiliaires de service et logistique leur étant adjoints afin d'assurer l'intendance, mais aussi la maintenance du matériel. Mais dans l'organisation de combat, une centurie après Marius, c'est 80h dans l'idéal, plus fréquemment 60h. La manipule, c'est l'unité de combat complexe élémentaire, regroupant 2 centuries, offrant la capacité de combattre avec une réserve ou d'organiser une vraie manoeuvre.

Le contubernium, c'est donc le squad, ou le groupe de combat, dirigé par un décurion (nom hérité des divisions administratives de la population de Rome, base du système militaire avant Marius; dans la France médiévale, on avait ainsi les dizeniers et centeniers), ou un décarque en Orient, et qui peut se subdiviser en une avant (dirigée par un pentrarque) et une arrière garde (dirigée par un tétrarque).

Une mule est attribuée par contubernium, gardée par les 2 auxiliaires.

L'esprit de corps y est très fort, et la solidarité totale, y compris dans les pires moments, la faute d'un soldat rejaillissant sur tout son contubernium, y compris jusqu'à la décimation, qui se fait sur la base de cette unité. De même pour les récompenses.

Chez les Grecs, on avia tun système analogue, dont le vocabulaire fut repris par l'armée d'orient puis dans son évolution thématique: le contubernium est une file (héritage de la phalange), la centurie est le Pentekostys (dirigé par un Pentacontarque) et le manipule le bandum (dirigé par un Comte). Alternativement, une variété orientale subdivise plus le bandum, 2 Pentekostys (5 contubernium) étant groupés en 1 Lochos, confié à un Hécatontarque.

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  • 3 months later...

Je fais un apparté sur le vif (qui ramène à la fin de l'empire d'occident) :

Je fais réciter les grandes invasions à ma pôvre fille en CE1 :

et je découvre Aetius qui a coordonné la réponse alliée (Wisigoth Alains -avec leur cavalerie lourde, romains) mais qui sera assassiné par l'empereur lui même de peur qu'il ne le putche vers 450

Et ensuite Syagrius et son éphémère zone "gallo romaine" qui sera envahie avec l'assentiment de l'empereur d'orient vers 476-480

Sans oublier auparavant le gendre d'origine barbare de l'empereur assassiné autour de 406.

Finalement l'empire romain a eu le comportement des grands empires décadents :

ne voir le monde extérieur qu'au travers du prisme de ses luttes internes 

Cela a plombé les Chinois autour de la guerre des Boxers

Mais aussi ... le port de Marseille autour de sa toute puissance ...

Mais dans tous les cas le colosse s'effondre ...

Bref des institutions solides cela aide...

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Sans oublier auparavant le gendre d'origine barbare de l'empereur assassiné autour de 406.

C'est Stilicon. C'est dans cette période, autour de 406-412, que s'est vraiment joué le sort de l'empire d'occident, soit dans une fenêtre de temps extrêmement courte et pas après une longue décadence qui est avant tout un mythe.

Pour le reste, aux temps d'Aétius ou de Syagrius, l'empire est bien fini depuis longtemps (de fait sous Syagrius, il l'est déjà), du moins en occident. A partir des années 420, on ne peut plus parler d'un Empire d'Occident qui compte, seulement d'une agonie, suite à la crise fatale des années 410, dont il ne peut pas réchapper. J'ai écrit ma version sur ce topic, il y a quelques pages.

Mais les institutions romaines étaient solides, et c'est en partie ce qui a prolongé l'agonie: ce qui était faible, comme partout et en tout temps, c'étaient les décideurs. Rome n'en était pas à ses premières querelles internes, seulement les circonstances ont voulu que personne ne puisse s'affirmer réellement et avoir assez de pouvoir après l'assassinat de Stilicon.

La décadence, c'est une vision d'historiens des XVIIIème-XIXème, magnifiée par le romantisme; s'il fallait les en croire, elle aurait quasiment commencé au Ier siècle! C'est absurde (4 siècles de décadence, et 8 de plus pour l'empire d'orient? La décadence est combien de fois plus longue que l'ascension et l'apogée?), et j'ai passé tout ce topic à casser cette image, au moins pour le registre de l'armée, de la marine et de la principale administration impériale, l'Annone.

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  • 11 months later...

Bonjour.

A l'époque de la deuxième guerre punique, les romains avaient pu surmonter le désastre de cannes grâce aux réservistes.

En effet l'armée romaine était alors une armée de conscrits. Le service militaire y était relativement court (cinq ans?).

La République disposait donc d'une immense réserve de soldats aguerris, qui n'avaient besoin que d'équipement pour être à nouveau opérationnels.

Donc, pas besoin de faire appel à des mercenaires étrangers, à la loyauté douteuse, pour combler les trous dans les effectifs.

Il est inévitable que l'empire subisse des désastres de temps en temps.

Sous l'empire, les soldats servent jusqu'à la vieillesse (40 ans).

L'empire ne dispose donc d'aucun réserviste. En cas de désastre, il lui faut recruter des dizaines de milliers de mercenaires étrangers. ce qui le conduira à la chute.

Pendant la deuxième guerre punique, l'empire romain se résumait à l'Italie. Il était peuplé d'à peu près 8 millions d'habitants.

A Cannes, Hannibal détruit une armée de 80 000 romains, soit 1% de la population totale de l'empire!

Malgré l'ampleur du désastre, les romains parviennent à reconstituer instantanément leurs effectifs en faisant appel aux réservistes. Ils parviennent même à monter leurs effectifs jusqu'à 3% de la population soit 240 000 hommes!

Au cinquième siècle, l'empire ne survit pas à la perte de 20 000 hommes, alors même qu'il est bien plus peuplé qu'à l'époque d'Hannibal.

Conclusion: si l'armée romaine était restée une armée jeune avec un service militaire limité à cinq ans et de nombreux réservistes, l'empire aurait survécu aux invasions germaniques.

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Un syllogisme fort simpliste si je puis me permettre.

La République disposait donc d'une immense réserve de soldats aguerris, qui n'avaient besoin que d'équipement pour être à nouveau opérationnels.

Donc, pas besoin de faire appel à des mercenaires étrangers, à la loyauté douteuse, pour combler les trous dans les effectifs.

Une réserve aussi bien équipée, aussi bien formée et aussi bien disciplinée que l'armée professionnelle de l'Empire tardif ? Une armée de réservistes n'est certainement pas aussi aguerrie qu'une force composée de professionnels se transmettant les traditions, discutant et innovant.

À noter qu'à cette période Rome est dans une période axiale : elle cesse de se penser en Cité et se voit davantage comme Empire, passage qui avait également lieu au même moment à Carthage, du moins dans la tête de certains (Hannibal notamment, mais il n'est pas très soutenu).

Malgré l'ampleur du désastre, les romains parviennent à reconstituer instantanément leurs effectifs en faisant appel aux réservistes. Ils parviennent même à monter leurs effectifs jusqu'à 3% de la population soit 240 000 hommes!

Le nombre vient partiellement remplacer la qualité mais sans plus, la victoire face à Hannibal tient plus à l'inventivité des officiers commandants qu'à la qualité des troupes (lire Liddel Hart à ce sujet). Enfin une telle mobilisation a, me semble-t-il, fait plus que creuser les moyens financiers de Rome (il me semble que "l'anecdote" (gros guillemets c'est plus qu'une anecdote) interdisant aux femmes de porter bijoux date de cette époque là. Une telle mobilisation n'est pas la preuve d'une grande organisation militaire mais un acte désespéré.

Au cinquième siècle, l'empire ne survit pas à la perte de 20 000 hommes, alors même qu'il est bien plus peuplé qu'à l'époque d'Hannibal.

La défaite d'Andrinople est plus due à l'absence de commandement qu'à une mauvaise organisation. L'Empire est plus peuplé mais il est aussi plus grand et demande d'autres logiques (notamment de disposer d'une réserve mobile et projetable immédiatement, ce qui suppose une force professionnelle, des appelés n'étant pas disponible immédiatement, il faut au moins une révision avant de partir en campagne...), il n'est plus dans une logique d'expansion (la dernière vraie période c'est Trajan et la Dacie, qui relève plus de l'attaque préventive, et bien sûr la campagne d'Orient, un désastre).

Enfin la chute de l'occident (et non de l'Empire entier nuance) est due à une pluralité de facteurs dont l'un est l'absence de troupes disponibles à un instant T pour des raisons politiques (voir plus haut en ce qui concerne Stilichon).

Enfin l'Empire disposait encore de la faculté (même en Orient), de décréter le tumultum, soit la mobilisation générale. Encore faut-il en avoir les moyens, or c'est ce qui manque à l'occident au début du Vième siècle, le fric. LA recherche d'une capacité de coercition à moindre coût provoque un cercle vicieux qui est de s'adresser à des mercenaires qui, une fois devenus irremplaçables du fait de pertes de compétences et d'une changement de mentalité des décideurs, font pression sur les prix et au final le modèle coûte plus cher que l'armée dont on s'est débarrassée. La dynastie Ange fera, en son temps, la même erreur en recourant aux Cités Etat italiennes pour remplacer sa marine. Autrefois protégées, les villes d'Italie sont devenus des protectrices et enfin de bons gros pillards (sac du XIIIième siècle).

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En effet l'armée romaine était alors une armée de conscrits. Le service militaire y était relativement court (cinq ans?).

Et n'était pas une armée très efficace; la grande force des Romains alors était de s'adapter plus vite que les autres et de se remettre d'un choc. Au fur et à mesure de l'expansion, en Italie et autour, l'armée de la République était de moins en moins un outil adapté: les campagnes s'allongeaient, les ennemis n'étaient plus juste des Cités-Etats et avaient des dispositifs plus nombreux, complets et professionnels, et la société romaine n'était plus juste la seule cité de Rome et ses environs, ou même le seul latium. Ca ne pouvait plus fonctionner de la même façon.

La réforme de Marius, de standardisation, de simplification, de professionalisation et de prise en charge par l'Etat et les sénateurs d'une bonne partie du budget préparation-équipement n'a pas été faite sans raison.

Un service militaire de 5 ans calculé sur les périodes du cens (recensement démographique, familial, économique et fiscal sur bases des "centuries" et tribus de Rome) ne pouvait exister que dans une Cité Etat et, sur le plan opérationnel, n'avait de pertinence et d'efficacité (pas maximale, mais bonne) que dans l'hypothèse d'une défense de la zone territoriale de la Cité Etat.

Une réserve aussi bien équipée, aussi bien formée et aussi bien disciplinée que l'armée professionnelle de l'Empire tardif ? Une armée de réservistes n'est certainement pas aussi aguerrie qu'une force composée de professionnels se transmettant les traditions, discutant et innovant.

De fait, la guerre aux IVème-Vème siècle est plus "professionnelle" en ce que le nombre d'acteurs géopolitiques (Etats et peuplades migrantes) disposant d'effectifs de guerriers professionnels en quantités importantes s'est largement accru, et tous se sont plus ou moins mis au diapason de l'armée romaine, modèle des modèles. Et l'Empire a plus d'adversaires importants en de multiples points très éloignés de sa géographie logistiquement très difficile: une mer et toute sa périphérie, peu de profondeur stratégique terrestre et beaucoup de distances de marches, souvent allongées par du relief (Balkans, Alpes, Anatolie....). L'Empire est souvent comparé aux USA pour bien des raisons, mais celle de la logistique militaire (points d'appuis, routes, garnisons, magasins, planification, timing.... Qui se traduisent par des entraînements, les marches cadencées, les régulations....) est l'une des plus pertinentes: l'Annone, en plus d'une administration impériale générale et d'un outil diplomatique, était l'ancêtre du Air Command et du Sealift Command :lol:.

Mais le débat éternel conscription/pros ne peut être aussi facile, y compris dans ce seul exemple romain: toute la société romaine, à part au tout début, n'était pas appelée à servir, loin de là, et la conscription n'était que théorique. Tout citoyen pouvait être APPELE à servir, mais il n'y avait pas de période d'entraînement conscrit avec retour à un statut de réserviste après. Ca c'est la conscription moderne. Il n'y avait pas d'armée permanente, active ou pro, et l'Etat romain ne voulait et ne pouvait pas prendre une telle charge.

Aucun modèle n'est bon ou pas dans l'absolu: la force de la conscitpion initiale à Rome fut le mordant qui ne venait pas tant de la qualité de l'armée que du "sentiment national" de la citoyenneté romaine, plus forte encore que beaucoup d'autres, comme la "manifest destiny" américaine. La citoyenneté romaine fut le principe qui donna une grande force de cohésion, mais ça ne pouvait marcher ainsi que jusqu'à une certaine échelle et, dans un certain sens, la réaction face à Hannibal serait peut-être la dernière manifestation de ce "sentiment national" de la Cité Etat. Et encore faut-il signaler que ce qui a sauvé Rome, c'est plus le temps qu'Hannibal a laissé aux Romains pour se retourner (il était paralysé par le non envoi de renforts, moyens et argent en raison de l'opposition politique à Carthage): même des centaines de milliers de volontaires enthousiastes ne se sont jamais transformés en guerriers compétents du jour au lendemain, quand bien même certains d'entre eux auraient servi quelques années dans le passé. Former des unités de combat efficaces, c'est long. Ce temps, allongé par la stratégie fabienne de terre brûlée et de refus de l'engagement, affaiblissait Hannibal qui perdit une part de ses mercenaires, et renforçait Rome qui pouvait entraîner en grand ses unités.

Mais déjà alors, et plus ensuite, de profonds changements dans la société romaine invalident graduellement ce modèle: l'expansion romaine et le fonctionnement économique ont impliqué une concentration croissante des richesses (et surtout des terres agricoles) qui a lentement fait exploser la cohésion socio-économique et les équilibres politiques fragiles définis à la fin de la royauté et à la fondation de la République (aristocratie républicaine compensée par la représentation votante de la plèbe), équilibres fondateurs de la cohésion romaine. Grands domaines agricoles et conquêtes ont joué de concert pour massifier les populations serviles dans l'agriculture et l'artisanat, au point que des pans entiers de la société se retrouvaient déclassés vers la plus basse classe de citoyens, celle sans obligation militaire par ailleurs. Mais surtout, Rome en interne se vivait de plus en plus comme une aristocratie pure et dure, et la division politique traditionnelle entre populares et optimates a atteint un niveau d'hostilité occasionnant plusieurs guerres civiles, périodes de dictatures.... Jusqu'à l'éclatement final sous César.

Dans un tel cadre, la conscription ne marchait déjà plus du tout, les effectifs formellement recrutables avaient chuté, les durées de temps de service quand une légion était levée ne suffisaient pas à former suffisamment les soldats face aux nouvelles exigences, et encore moins à assurer des temps de disponibilité satisfaisants pour les campagnes hors d'Italie.

La réforme de Marius et le modèle (pour l'aspect recrutement) qui prévaut en fait de lui jusqu'à, symboliquement, l'Edit de Caracalla (212 après JC) est sans doute un bon compromis, même si les circonstances ont fait qu'il a été entretenu par les événements et menaces. L'armée est professionnelle, le temps de service minimal plus long, mais à un moment aussi où le "sentiment national" est extrêmement fort (et non plus dépendat d'un équilibre social et politique) et "l'idée romaine" est devenue une croyance messianique, présente à tous les degrés, mais toujours présente, dans toutes les couches de la citoyenneté romaine (ça peut n'être qu'un bête sentiment de supériorité, mais ça peut être plus, notamment le sentiment d'une "mission", ou d'un "destin" de Rome qu'il est légitime et même recommandable de servir, une vie digne d'être vécue, ce qui donnerait presque un aspect moral au pillage pour le légionnaire individuel  :lol:).

La citoyenneté est alors quelque chose qui n'est pas le fait de tout le monde dans l'empire, qui est extrêmement valorisé et méritoire, même en ne comptant pas les esclaves, et l'armée est quasiment le seul moyen pour qui n'est pas né citoyen ou n'appartient pas à l'élite, d'y accéder.

Une armée pro peut présenter aussi tous les défauts, et avant tout ceux de la qualité du recrutement et de la motivation qui peuvent laisser à désirer si le sentiment national baisse (sur-représentation de la lie de la société et de ceux qui ne sont pas voulus ailleurs, un phénomène bien connu des sociétés d'Ancien Régime). Dans une société trop aristocratique, cela peut aussi impliquer une fermeture des postes d'encadrement à partir d'un certain niveau. Enfin, et ce fut le cas à Rome, l'interdiction des métiers militaires aux élites dirigeantes peut nuire à la société et à l'outil militaire en écartant ces élites de toute notion ou conscience de l'intérêt national, en même temps qu'elle prive l'armée de hauts cadres aux prises avec la perception stratégique d'une action militaire, qui font naturellement la jonction entre niveau stratégique et politique, et niveau opérationnel et tactique. Ce fut une des grandes forces du modèle romain, dans le cursus honorum, que d'imposer le service des armes à tous les rejetons de grandes familles qui avaient la moindre ambition d'un jour participer à la direction des affaires de Rome. L'encadrement professionnel des centurions, concept à mi-chemin entre le sous-off et l'officer (bas officier essentiellement, mais aussi pas mal de postes médians et quelques-uns d'officiers généraux, et de toute façon toujours impliqués dans les grandes décisions en tant qu'experts opérationnels), fut l'autre grande force de ce système de répartition des rôles avec les élites, en constituant un grand moyen d'ascension sociale en même temps qu'une des institutions d'encadrement militaire les plus solides qui aient jamais existé.

Il faut ainsi noter plusieurs choses:

- comme toujours, une armée s'adapte à sa situation stratégique, tactique, mais aussi à la société et à l'économue dont elle émane.

- l'armée "citoyenne" de la république était adptée à une défense proche de ses bases, dans un terrain donné (l'Italie centrale montagneuse qui a imposé le système manulaire aux dépends des grandes formations de phalanges, le combat rapproché et moins l'attaque ou la défense massive de ces formations).

- les nombreuses faiblesses de ce système ont imposé les changements professionnels de Marius, ne serait-ce que sur le plan tactique: création de la cohorte avant tout face aux manques des maniules, trop petites et déconnectées face à des armées plus vastes et complexes

- sociologiquement, la réforme de Marius est arrivée à un moment où la conscription ne pouvait plus fournir les effectifs et la qualité suffisante, et où la société romaine, bien que "nationaliste" dans son ensemble, était divisée, l'ascenseur social brisé et les richesses concentrées. L'ancien système militaire, initialement analogue à celui des Cités Etats grecques, n'existait et ne pouvait le faire que dans le cadre d'un petit territoire (Rome et le Latium, voire un peu plus) qui combat près de chez lui et assez peu souvent, et où les élites prennent plus que leur part dans la charge combattante (temps passé, moyens consacrés....). L'armée romaine n'a pas à se poser la question du recrutement pendant un long moment, le volontariat étant abondant, l'armée offrant des perspectives de carrière en même temps que le statut de citoyen pour les méritants, et le sentiment national restant fort pendant longtemps.

- les Guerres puniques ont montré bien des faiblesses du modèle, au-delà de l'inadaptation à un combat de haut niveau loin du territoire d'origine: l'armée de citoyens fantassins, avec peu de cavaliers, était faite pour affronter les voisins immédiats, de moindre dimension ou équivalents, ayant des armées similaires et peu variées. Face à un dispositif interarme complexe, le business n'est plus le même, et le recours aux unités mercenaires pour toutes les spécialités (archers, frondeurs, cavalerie légère, cavalerie lourde, infanterie montée, infanterie légère) est une nécessité qui atteint alors la parité numérique avec les effectifs légionnaires. l'historiographie romaine peut fausser le jugement parce que, jusqu'au Haut Empire, elle n'évoque que le mérite et l'action des légionnaires, mais la réalité est que dans un combat interarme, le système militaire romain n'est, à partir des Guerres Puniques, plus qu'à moitié fondé sur les légions qui ne pourraient pas faire grand chose seules. Le Haut Empire pousse la réforme Marienne un cran plus loin en "officialisant" les unités d'auxiliaires, et en les ouvrant graduellement aux citoyens avant d'en faire des unités régulières comme les légions qui, de leur côté, sont moins employées comme telles pour constituer des "task forces" dosées et adaptées à chaque situation.

L'armée tardive est un modèle militaire très abouti qui résume la pensée militaire romaine après des siècles d'évolution. Aurait-il bénéficié d'avoir plus de moyens? Certainement, et la question d'une réserve n'est jamais sans fondement. Mais ça restera toujours un problème: comment avoir une réserve abondante, mais aussi assez qualifiée (les soldats du Bas Empire servent 20 à 25 ans: à la retraite, ils sont plus très frais), qui ne pompe pas trop de moyens ET qui soit acceptée par la population comme système (si elle doit être efficace, il faut plus que de petites périodes de rappel) sans pour autant que le niveau politique en abuse et y recoure souvent pour pallier des dépenses qui auraient du être faites dans l'armée régulière, le tout dans un contexte où l'engagement opérationnel est permanent, important (avec au moins un adversaire majeur à tout instant: la Perse) et en de multiples endroits? Dans l'Histoire, personne n'a jamais trouvé la réponse à cette question, et c'est pas le système US actuel de réserves/Garde Nationale qui apportera la réponse: il a déjà connu problèmes et surchauffe pour un conflit mineur en Irak. 

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  • 3 months later...

Remontée de ce topic pour faire une cartographie simplifiée de l'organisation de l'armée romaine tardive, et quelques commentaires, vu que mes posts ont été longs, souvent confus et/ou trop fournis, avec quelques contradictions à l'occasion, reflétant ma propre confusion face aux polémiques des historiens du sujet.

L'armée romaine tardive n'est donc pas l'armée "duale" qui a souvent été décrite, avec une force de gardes frontières et des "armées mobiles" de l'intérieur qui auraient été la seule "vraie armée". L'une des grandes tendances récentes est d'avoir sérieusement réévalué les gardes-frontières, ou limitanei, et revu en profondeur la soi-disant "armée mobile", bien plus subdivisée (opérationnellement, hiérarchiquement, géographiquement) qu'il a été longtemps pensé. Et ce pour quelques raisons simples, qui ont concouru des difficultés militaires romaines à certains moments (révoltes, proclamations d'empereurs par les troupes, invasions.....), empire romain qui a toujours cruellement manqué d'effectifs importants pouvant être concentrés en permanence en suffisamment d'endroits:

- l'armée n'est pas que l'armée: elle assure le maintien de l'ordre hors des grandes villes (qui ont leurs propres "cohortes urbaines", généralement miliciennes) et joue donc aussi les gendarmeries, elle collecte l'impôt (en nature et en numéraire, ce qui implique d'importants convois en permanence) et sécurise les grands axes, concourt à l'entretien des routes (axes stratégiques et instrument de son efficacité; mais il y a aussi nombre d'esclaves et surtout de civils astreints à des corvées en paiement de leur impôt)

- elle est un garant politique interne contre les soulèvements, séditions, protestations.... Mais aussi doit être un garant contre elle-même et la tendance du IIIème siècle à proclamer des généraux empereurs, ce qui implique un besoin d'éparpillement minimal et une séparation en un certain nombre de commandements opérationnels qui, en dernier recours, se font concurrence. en outre, l'écartement des élites sénatoriales de tout poste militaire implique que celles-ci sont, hors de celles vivant dans les 2 capitales, essaient de se renforcer localement et d'acquérir autrement de la puissance politique: économiquement, dans la politique d'une province/préfecture/diocèse, par le clientélisme qui inclue aussi des négociations avec les tribus et peuples barbares (et leurs contingents mercenaires), par la mainmise sur les forces de milices (qui peuvent servir en cas de soulèvement).... Face à cela, les forces militaires doivent pouvoir être présentes partout

- l'entretien de fortes concentrations militaires aux frontières impliquait une logistique très lourde, d'énormes convois permanents aiguillant les surplus agricoles et tous les produits que les légions consommaient vers la "ceinture dorée" qu'étaient les zones frontières, zone de keynésianisme avant la lettre où l'implantation militaire massive créait des villes, développait l'endroit, mais à un coût énorme qui ne fit que s'accroître avec la propension des empereurs des IIème et IIIème siècles à augmenter brutalement les revenus militaires pour s'assurer de la fidélité des troupes, ce qui a concouru à créer la spirale inflationniste qui a constitué le noeud de la grande crise du IIIème siècle qui a failli emporter l'Empire. Tant contre l'instablité politique que pour réduire le coût d'entretien, l'armée est donc plus répartie en garnisons de taille plus réduite, afin que chaque unité puisse être entretenue localement autant que faire se peut et limiter l'effort logistique.

- l'accroissement de la menace, en raison des migrations de peuples et surtout d'un accroissement démographique, sur toutes les frontières, la plus grande dangerosité de cette menace (les "barbares" ont fait des progrès, avaient des tribus plus nombreuses, et surtout ont commencé à se liguer en coalitions de tribus, voire de peuples; de son côté, la Perse aussi s'est renforcée avec le changement de dynastie).... beaucoup de facteurs ont imposé les changements opérationnels nécessitant des temps de réaction plus courts, des forces pouvant avoir à intervenir en de multiples points de la frontière tout en restant capables de concentrations, une surveillance plus continue du limès.... Le tout à moyen constants au mieux, inférieurs plus souvent

Les unités romaines proprement dites se sont réduites en taille et multipliées en nombre, obéissant ainsi à une logique de task force depuis longtemps montante, et concourant d'un mouvement continu depuis que Rome a commencé à s'étendre au-delà de la péninsule italienne: des guerres plus mobiles, des campagnes de plus longue haleine, une tactique impliquant le mouvement.... nécessitent des soldats plus aguerris, faisant de longues carrières, très disciplinés, polyvalents même s'ils ont toujours une spécialité dominante, une plus forte proportion de cavalerie (qui doit être fiable).... Bref, des unités plus petites que la légion, de moins en moins employée comme telle et plus par cohortes et groupements de cohortes, des unités ayant moins de sous-unités pour être maniables et mobiles et optimiser le combat articulé de façon plus dynamique, plus aptes au combat interarme....

Ce combat interarme, de même, n'a fait que suivre aussi une autre tendance longue de l'armée romaine en développant de plus en plus d'unités spécialisées: archers et javeliniers montés et à pieds en régiments permanents ont fait leur apparition (avec en plus un contingent d'archers organique dans chaque unité d'infanterie et de cavalerie), un quasi "corps d'artillerie" est aussi apparu, spécialisant un peu plus ce qui jadis était l'apanage de quelques spécialistes dans chaque légion.... Les auxiliaires mercenaires étrangers apportaient toutes les spécialités et quantités nécessaires au combat interarme, de façon ponctuelle et inégale. Le Haut Empire en a fait des unités permanentes et plus homogènes, et le Bas Empire a encore plus poussé leurs spécialisation (pour les archers montés et à pied, infanterie et cavalerie légères) ou leur pleine intégration dans la ligne (comme auxiliats de fantassins d'assaut jumelés avec les légions, comme cavaliers lourds, voire, au point extrême, comme cataphractaires). Et le tout était alimenté désormais par un recrutement unique approvisionnant aussi bien les légions que les autres unités de citoyens ou de barbares, les provinciaux non citoyens et pérégrins ayant disparu avec l'Edit de Caracala (qui fait de tout habitant libre de l'empire un citoyen).

Une perte (discutable) peut cependant être notée par rapport au Haut Empire: la Légion, dans une armée en campagne, formait une "grande unité" de manoeuvre intermédiaire qui n'existe désormais plus: entre les unités élémentaires de cavalerie ou d'infanterie, et un commandement d'armée en mouvement, il n'y a plus de commandements permanents, seulement des groupements temporaires d'unités dont il est impossible d'évaluer le degré d'entraînement à la manoeuvre; éparpillés en temps normal, les unités devaient être rassemblées pour des manoeuvres régulières, mais à quelle fréquence, impossible de le savoir. Ce fait est de toute façon relatif, vu que la bataille antique reste quelque chose d'assez linéaire, voire statique dans son ordonnancement initial, et en tout cas lent une fois déclenché. Et d'autant plus relatif qu'en face, les adversaires sont moins organisés. Si la Légion n'a jamais été une unité de manoeuvre en soi (trop de cohortes, voire pire avant la cohorte: une longue liste de manipules), elle formait cependant un univers constant où les chefs d'unités élémentaires vivaient ensemble et savaient donc se coordonner via la pratique au quotidien. Les groupements de quelques cohortes devaient donc être des sortes de task forces temporaires, mais entre personnes qui se pratiquaient beaucoup, donc devaient plus fréquemment être les mêmes, selon la logique des "équipes qui gagnent". Avec la formalisation de l'éclatement répondant à une logique d'emploi opérationnel, seul le degré de professionalisme permet de rendre efficients les "groupements modulaires" façon "plug and play", d'unités désormais organiquement séparées.

Autre perte, plus problématique: le service à 20-25 ans a certes comblé en grande partie les problèmes d'effectifs disponibles, quoique le principe même d'une armée professionnelle à "haute valeur ajoutée" rende chaque perte lourde et peu rapidement remplaçable, et fasse de chaque soldat un investissement et un capital cher, mais le vrai problème est que, contrairement à l'époque du Principiat ou de la République tardive, ROME N'A PLUS DE RESERVE QUALIFIEE RAPIDEMENT MOBILISABLE. Quand ils partent en retraite, ceux qui ont survécu au service ne seront plus très vaillants en cas de besoin, là où les soldats des époques précédentes, avec une dizaine d'années de service ou un peu plus, gardaient une marge de disponibilité: avec 5 ans ou plus, ça laissait un volet intéressant pour disposer de troupes de réserve directement disponibles sans trop de temps de (re) formation, pendant que des recrues plus fraîches seraient mises à l'entraînement. Dans la période qui a suivi Andrinople, c'est sans doute ce qui a le plus manqué, et de loin, accroissant d'autant la dépendance immédiate de Théodose envers les chefs contractors barbares!

Mais ils ont fait d'énormes progrès, en équipements, en entraînement, en organisation, en expertise opérationnelle "en grand", et surtout en effectifs. Et c'est aussi la raison de l'évolution de l'armée romaine: l'abandon du couple "gladius - pilum" est parfois décrié par des historiens, voire présenté comme le signe d'une armée romaine moins courageuse, ne recherchant plus le contact.... CONNERIES: qui a jamais appelé les spartiates et macédoniens tapette parce qu'ils combattaient à la lance?! Ils sont passé à la lance d'arrêt et à l'épée longue avant tout en raison du changement de l'adversaire: des barbares nettement plus entraînés qu'avant, nettement plus nombreux, mais aussi dont la proportion de troupes équipées, et avant tout de protections (boucliers en bois et plus en osier -quand il y avait bouclier, mais surtout plus grande fréquence d'armures diverses et de casques), impliquent tout connement que les volées de pilums détruiront une moindre proportion de troupes adverses, et que le gladius, fait pour taillader le ventre, prélèvera aussi une proportion moindre de tués/blessés chez l'ennemi mieux protégé, mais aussi mieux entraîné en moyenne. Enfin, plus organisé, plus aguerri et plus nombreux: l'ennemi barbare ne cède plus si facilement à la panique si son élan initial est cassé. D'abord parce que le "1er choc" imposé par les légionnaires prélève moins de monde dans l'absolu (meilleure protection....), et en proportion (effectifs plus grands). Ensuite parce qu'il est plus aguerri (avec notamment une part plus importante de guerriers professionnels, souvent ayant servi Rome), enfin parce qu'il est plus organisé en unités et sous-unités, avec des chefs et une hiérarchie.

 

Il faut donc une épée longue pour frapper de taille et imposer des dommages contondants pour passer les protections là où la frappe d'estoc a moins de chances qu'avant, il faut une lance d'arrêt dans des groupements en phalange dont l'effet de masse est nettement plus meurtrier et qui préserve plus de vies côté romain. Et plus encore il faut une puissance de feu renforcée pour maximiser les pertes à l'adversaire avant le contact et pendant: des archers montés et à pieds ne faisant que ça doivent exister en proportions importantes pour un impact mesurables. C'est pourquoi il y en a des unités permanentes, mais aussi pourquoi chaque unité d'infanterie en a un effectif minimum qui, en bataille, occupe le dernier rang d'une unité pour arroser en continu. Mais c'est aussi pourquoi il faut des artilleurs professionnels permanents et non plus des légionnaires polyvalents qui sont soit à jouer de l'artillerie soit à réintégrer leur place dans le rang, mais pas les 2. A noter que la cavalerie, même lourde, a des effectifs équipés d'arcs.  

Et enfin c'est pourquoi chaque fantassin emporte, outre son armement de mêlée (une lance d'arrêt, une épée, un poignard et un bouclier), 2 petits javelots (spiculums) au minimum, et surtout 5-6 dards plombés (plumbatae) accrochés à son bouclier, ce qui, par rapport au légionnaire "historique" avec ses 2 pilums, représente un accroissement massif de la puissance de feu individuelle. Parce qu'en face, les adversaires aussi ont développé la leur.

Au global, le fantassin tardif est sûrement plus entraîné et équipé que son prédécesseur du principiat ou de la République tardive, tant individuellement qu'en unités constituées, pour le combat, le combat en formation et la manoeuvre. Un détail révélateur: le fait d'avoir à la fois des armes de jets (spiculum, verutum-angon, plumbatae), une arme de contact (hasta) et une arme de mêlée (la spatha ou épée longue, couplée avec le bouclier) révèle un besoin de formation technique poussée, plus qu'auparavant, mais aussi un besoin de maitriser les techniques individuelles de ces armes avec des entraînements plus nombreux et pointus pour le combat en formation: l'emploi de la lance implique un combat en phalange dont il faut maîtriiser les paramètres, et avant tout celui des espaces et de la cohésion de l'unité (plus qu'à l'époque de la tortue de chaque manipule), tandis que celui de l'épée implique de changer d'espace de combat (formation moins dense) tout en gardant aussi la cohésion. Le légionnaire précédent, surtout recherchant le contact au gladius, n'avait pas à pousser autant les différentes densités de formation, celle faite pour le combat au gladius-bouclier étant de très loin la plus importante, là où son successeur en a 3 essentielles: le combat à la lance et sa logique de phalange statique ou mobile, le combat à l'épée et la disposition en tirailleur pour utiliser sa puissance de feu plus abondante et variée.

Il est loin le temps où le seul entraînement du légionnaire et le couple gladius-pila imposait un tel différentiel avec des barbares peu ou pas entraînés et flanchant rapidement, mais surtout incapables de s'organiser efficacement en grand (éclatement des peuples et tribus). Leur développement et le renforcement de l'institution étatique iranienne ont fait croître le niveau de menace contre Rome de façon exponentielle.

Alors comment Rome organise ses forces?

Dans l'ordre "croissant" d'importance, de coûts et surtout de concentration, des unités:

Les numeris

Pas vraiment partie de l'armée romaine, il s'agit des milices locales des zons frontalières, soit des paysans soldats concourant à la défense de leur région. Rome ne paie qu'en temps de levée, et un minimum, leurs chefs qui fournissent les contingents. A noter que lors d'une campagne, sont aussi appelés numeris les unités de mercenaires barbares frontalières engagées via leurs chefs, et dot la taille est plafonnée (autour de 300h)

Les grandes et communes un peu importantes organisent elles-mêmes leurs propres milices conscrites pour la défense des murs, mais surtout des tâches de police et de sécurité civile

Les Limitanei

L'appellation de "gardes frontières" ne rend pas justice à ces troupes qui ont eu enfin droit à une réhabilitation. Il s'agit d'unités professionnelles avec les mêmes contrats longs que les armées dites "mobiles", soit des contrats de 20 à 25 ans; il serait donc difficile de les qualifier d'unités de seconde zone, et ce d'autant plus que, avant tout frontalières, elles sont confrontées en permanence aux ennemis de Rome, pas dans les grands raids et conflits signalés dans l'histoire (occasionnels) mais dans les raids de petite envergure, mais quasi permanents, dans les petites opérations de reconnaissance et de rétorsion en territoire étranger, de harcèlement et guérilla, dans des expéditions de renseignement en profondeur pour "sonder" les peuples "d'en face"....

Le fait est qu'il s'agit avant tout d'unités de cavalerie et d'infanterie légère, donc peu faites pour le combat en bataille et en larges groupements coordonnés. Mais ce sont des professionnels qui gardent la paix entre 2 grandes guerres, mais en faisant la "petite" tout le temps. Ils font aussi la police dans les zones frontalières, et, comme le reste de l'armée, s'occupent d'un ensemble de tâches; prélèvement de l'impôt, entretien des routes et fortifications, sécurité des axes, patrouille le long des frontières et en profondeur....

S'y retrouvent:

- les gardes frontières proprement dits, stationnés sur les bordures de l'empire, en unités réparties dans des tours de guets, fortins, points d'appuis, villes-frontières, mais aussi dans de vastes flottilles fluviales sur le Rhin et le Danube

- les garde-côtes, surtout en Gaule, en Bretagne (Angleterre) et en Flandres, avec le développement important de la piraterie et des raids de tribus germaniques dans des campagnes maritimes au long cours, plus de 500 ans avant les vikings

- des unités en garnison plus loin des frontières, pouvant aller renforcer celles-ci ou assurer les mêmes tâches de temps de paix dans les zones situées derrière les régions frontalières. Celles-ci ont généralement des unités de ligne, même si elles sont en majorité des unités légères, et sont plus entraînés à la manoeuvre en grandes unités. Leur rôle militaire est donc double: celui de limitanei proprement dit et, en période de mobilisation pour une campagne ou pour contrer une invasion, elles sont intégrées à une armée mobile comme "pseudocomitatenses"

Ce sont les unités présentant le plus grand nombre de zones de commandement, évidemment, vu l'extention géographique. Plus de commandements, ceux-ci ayant donc moins d'effectifs; chacun est confié à un Duc (Dux, "chef") ou un Comte (Comes, "compagnon"). A noter que l'Egypte est la seule grande région dont les forces militaires ne sont faites que de Limitanei (mais en grand nombre).

Les Comitatenses

Il s'agit là des armées régionales, des troupes de lignes faites elles pour la campagne et la bataille en grand avant tout. Elles s'organisent en grands commandements dans chaque grande zone jugée "stratégique", correspondant à un certain degré de concentration en arrière de la frontière. Mais dans la pratique quotidienne, il n'y a pas de "grande base" où elles se retrouvent toutes; elles sont éparpillées en garnisons, surtout citadines. ainsi, il y a un certain nombre "d'Etats-Majors de forces" :lol: capables de monter des armées de campagne et de gérer une région militaire et auxquels sont subordonnés, en plus, les commandements des Dux et Comes des Limitanei:

- Illyrie, Orient (la plus importante, face à la Perse) et Thrace pour l'Empire d'Orient.

- Afrique (Maghreb oriental et Lybie), Tingitane (Maroc) et Bretagne (Angleterre), plus la Gaule, le plus maousse (le seul à inclure des unités de palatins), côté empire d'occident

Une force de comitatenses est un des grands commandements stratégiques romains, mais c'est l'effectif qui détermine le grade de son titulaire: En Orient, tous les commandements de comitatenses ou de palatins correspondent au plus haut grade, celui de magister militum. En occident, les commandements sont surtout des Comtes. Seul celui de Gaule est un magister (magister equitum).

Les palatins

Unités de ligne aussi, mais d'un rang supérieur et sans doute d'un cran qualitatif encore au-dessus, les unités palatines sont une réserve encore plus stratégiques. Ce sont des unités moins territoriales, et plus "impériales" en ce que leur recrutement n'est pas local, et peut donc être passé en partie par une sélection de recrues déjà aguerries dans les limitanei ou les comitatenses.

Plus en retrait des frontières, elles ne sont pas non plus concentrées en "grandes bases", mais réparties en garnisons. Cependant, leurs implantations majeures révèlent que leur usage est à la fois:

- militaire: réserve de forces mobiles d'intervention de qualité pour appuyer une zone en danger dont les forces propres ne suffisent pas. Face au manque général d'effectif, des unités de plus haute valeur sont là pour être affectées de façon plus ponctuelle et parcimonieuse. Mais elles servent aussi à former le coeur d'une expédition/campagne de contre attaque importante ou une offensive pure et dure sans forcément trop avoir à prélever sur la capacité défensive d'une région

- politique: troupes "impériales" et non localess, elles servent de garantes contre les séditions et soulèvement.

Ainsi, leurs zones de garnisons peuvent aussi bien correspondre à un emplacement à but avant tout de réserve opérationnelle, comme en Orient, ou à un but de stabilité politique qui l'emporte sur la logique opérationnelle comme en occident:

- en orient, il y a 2 groupements de Palatins, tous deux proches de Constantinople: ils sont répartis sur chaque rive du Bosphore et peuvent tous deux le franchir vite. Le but premier est de pouvoir aller rapidement en Orient ou sur la frontière danubienne, en 2 échelons si le besoin de vitesse est grand. Le but second est qu'en orient, le danger politique est la sédition de la capitale.

- en occident, il y en a un à dans la région de Milan, prêt à renforcer la frontière danubienne après avoir fait sa concentration, à renforcer la Gaule, mais surtout à contrer une sédition au coeur de l'Empire; en occident, c'est la seule armée complètement expéditionnaire. Il y en a un autre en Illyrie, lui plus fait pour la tâche militaire d'être la réserve stratégique de la frontière danubienne. Il y a quelques troupes palatines dans le Comitatus de Gaule. Mais il y a surtout un commandement palatin en Espagne: si sa capacité à aller renforcer la Gaule demeure, de même que celle à intervenir en Afrique, son but premier est la stabilité de la péninsule ibérique (étrange a priori de voir une armée d'élite si loin de toute zone frontière sensible), économiquement cruciale et sans force d'autre nature puisque la plus éloignée de toute frontière (pas de limitanei, pas de comitatenses propres).

Donc un commandement palatin est de 2 types:

- régional: c'est l'équivalent d'un comitatus "normal", en plus haut de gamme, jouant le rôle de réserve et de défense, et/ou celui de garant politique

- "central": 1 en occident (Milan) et 2 en orient (les 2 rives du Bosphore): c'est le plus stratégique, la force dont l'empereur dispose rapidement, et donc confiée à un Magister Militum. Ces armées de réserve sont les "Comitatus praesentales" (armées d'accompagnement impériales).

Un commandement d'une force palatine correspond au plus haut commandement militaire, mais là encore, l'effectif détermine le grade, ainsi que la proximité de l'Empereur (qui veut garder les puissants personnages sous sa main): les forces palatines d'Espagne et d'Illyrie sont confiées à des Comtes, et seul celui de Milan en occident a un magister militum. En Orient, les 2 sont confiées à des magister militum que l'empereur peut avoir en permanence sous son contrôle.

Les Palatins représentant presque autant d'effectifs que les comitatenses, une différence de qualité significative est douteuse; leur statut "d'élite", qui impliquait entre autre un équipement plus luxueux et une meillure paie, a sans doute plus correspondu à leur logique d'emploi (réserve plus mobile, employée en dernier recours ou comme force principale d'une offensive détachée d'une obligation de défense régionale) et à leur mode de recrutement "impérial" qui les préservait plus des tentatives de sécession d'une région et les attachait plus à l'empereur en particulier.

Les Scholae palatina

Top du top, crème de la crème, il s'agit d'unités de cavalerie d'élite (7 en orient, 5 en occident; une unité de cataphractaires, une d'archers montés, et 10 de scutaires) qui sont, à tout moment, attachés au lieu où se trouve l'empereur. Ils sont sa garde, le protègent contre des coups d'Etat et soulèvements, sont sa force d'intervention "politique" permanente, le coeur d'élite d'une armée mise en campagne avec l'empereur dedans, donc le fer de lance de la cavalerie romaine. Ils protègent l'empereur et son Palais dans les capitales, en faisant la police dans les quartiers environnants. C'est parmi eux que sont prélevés en occident et en orient les "capes blanches", les 40 candidati qui forment les gardes du corps personnels de l'empereur.

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Dernier point montrant que l'armée tardive n'est pas une régression par rapport aux périodes précédentes, mais bien la continuation du constant processus d'adaptation et de progression de l'organisation militaire romaine, la logistique, la fourniture aux armées, la planification:

- La fabrication des armes, équipements et armures est désormais centralisée dans les fabricae, des manufactures de grande échelle qui ont succédé, quelque part pendant les IIème et IIIème siècles, aux plus petits centres de production assurés dans les camps légionnaires par les militaires eux-mêmes. Rationalisation de la production pour une armée énorme, ces fabricae sont de vraies unités de production de masse (pour l'époque) réparties sur tout l'empire. Certaines, peu nombreuses, produisent plusieurs types d'équipements (des armes diverses et des armures de maille ou d'écaille), d'autres seulement des armes ou des armures, et d'autres encore juste un type d'arme. Et un point révélateur est qu'il en existait spécialisées dans les engins d'artillerie, révélant un degré plus poussé d'expertise et d'exigence dans ce domaine, là où précédemment, les légions produisaient elles-mêmes sur place, en campagne, leurs engins, nécessairement moins pointus même s'ils disposaient de pièces détachées déjà fabriquées. L'homogénéité et l'exigence qualitative sont de ce fait l'aboutissement de ce processus de rationalisation, ainsi que sans doute une recherche d'économies.

- la planification militaire et la logistique sont désormais centralisées, là où précédemment, même si existaient des experts du domaine dans les légions et dans les élites dirigeantes, il n'y avait ni structure permanente et formelle, ni services dédiés, donc un empirisme éclairé suppléé par le recours "au privé" pour compléter les capacités de chaque armée. L'anone militaire (qui a en charge propre le transport maritime, "stratégique"), les services fiscaux et le service de transport impérial (cursus publicus: la voirie et le transport, mais aussi les services de relais et messagerie) sont ainsi de fait le "strategic lift command" de l'administration impériale. La réorganisation de Dioclétien, qui entérine l'abandon du système purement centralisé d'entretien de garnisonsaux frontières et pousse vers la plus grande répartition des troupes pour les rendre supportables localement autant que faire se peut, redonne du souffle à ce système et lui permet de disposer de plus de marges de manoeuvres pour organiser les approvisionnements en  grandes campagne. Le degré de calculs logistiques nécessaires à ce système atteint désormais des sommets, pour une époque sans ordinateurs, ni même un boulier :lol:. La logique voulait que tout soit transporté par voie maritime ou fluviale autant que faire se peut, étant donné l'énorme différentiel de coût entre les 2 modes de transport. L'unité "de compte" pour le transport terrestre était le chariot ou wagon à 2 boeufs transportant environs 700kg de fret (norme légale) sur 15km par jour (5h de transport avant que les 2 boeufs soient crevés), et celle du navire moyen (privé ou impérial) de 100t pour 20h d'équipages, couvrant 100km pa jour. Le différentiel était atténué par la croissance du réseau routier, mais surtout les facteurs météo qui ont toujours apposé une limite sur la marine à voile (4 mois d'hiver sans possibilité de transport, dépendance aux vents et à leur constance, crue des fleuves).

Une légion de 1000h nécessitant 2,3 tonnes d'équivalent-grain (tous besoins alimentaires confondus, sauf l'eau) par jour, et les chevaux consommant plus que les hommes, en ajoutant la consommation des hommes et bêtes assurant le transport, on arrive à un besoin supérieur à 5000 tonnes d'équivalent-grain pour mettre en campagne une armée de 25 000h (le comitatus "type"), et encore sans compter la nourriture des animaux. Les zones de production à fort surplus étant par ailleurs pas si nombreuses, il est crucial de voir le degré de sophistication de l'organisation militaire qui en découle.

Sinon, pour revenir sur les 2 problèmes mentionnés qui sont à mon sens une vraie perte par rapport aux périodes précédentes; à noter que ça fait partie de mes petites fiertés parce qu'elles viennent de mes propres conclusions, je ne les ai trouvées nulle part ailleurs ;) 8) :lol:(vanitas, vanitatum):

- la disparition de la légion "ancien modèle" me semble un problème au sens de l'organisation et de la capacité de manoeuvre, en terme de tempo opérationnel et de capacité globale. La différence peut-être plus ou moins marginale selon les cas, mais en y réfléchissant, ça pose pas mal d'emmerdes au plan pratique. Il est évident que la légion n'avait jamais été une grande unité de manoeuvre: on ne manie pas 10 cohortes dont une double, c'est impossible. Le seul usage possible de l'unité en entier est dans une ligne statique oà chaque cohorte, ordonnancée en damier, sert comme les régiments du temps du combat en ligne, de "section" (pas de tir évidemment, mais de frappe) dont l'objet est de tenir la ligne (compartimenter ce long alignement d'hommes pour limiter les possibilités de rupture par l'encadrement et la subdivision) et d'optimiser son efficacité via la possibilité d'actions ponctuelles. Mais hors de ça, pas d'énormes possibilités tactiques qui ne soient accessibles, et surtout très facilement surpassables, par des unités plus petites et encadrées, surtout pour une guerre et un combat mobiles. Les légions elles-mêmes utilisaient des task forces de cohortes ou de groupes de cohortes, voire de "packs" de manipules, pour des tâches spécifiques, avec ou sans des auxiliaires spécialisés (surtout de la cavalerie): pour un flanquement, une manoeuvre, une diversion, l'usage de forces d'infanterie légère.... Bref, le légat d'une légion utilisait ses ressources pour constituer des battlegroups, comme les divisions, au temps de la guerre blindée, ont fini par être des machins trop vastes pour être utilisés tactiquement. En cela, on voit bien l'origine d'une légion qui, avant d'être une simple unité, était à la base censée être une armée complète. Mais c'est là aussi que l'armée tardive, comme nos armées "modulaires" actuelles, y a perdu quelque chose: un groupement tel qu'une légion aurait gardé une pertinence comme unité "de garnison", comme "pool de ressource" où se forment des équipes de travail, des relations.... A l'échelon d'une "grande unité" de manoeuvre, intermédiaire entre une armée de campagne et les unités élémentaires, soit l'équivalent d'un battlegroup ou d'un corps d'armée, petite force complète et semi-autonome utilisable sur la carte d'une progression en campagne aussi bien qu'en bataille. Cela a sans doute existé, mais apparemment pas comme groupement permanent pouvant pensé, et surtout être "rôdé" en tant que tel, chose qui permet d'améliorer le tempo opérationnel et l'efficacité globale.

- l'absence d'une réserve rapidement disponible: de loin le plus grand manque de l'Empire tardif: des soldats de 20 ans de carrière ou plus ne peuvent plus constituer de pool remobilisable. Et à part ça, qu'y a t-il dans l'Empire? Des miliciens sur lesquels visiblement il ne faut pas compter, et qui n'entendent généralement pas quitter leur ville ou leur zone. Leur formation est sans doute limitée à la défense des murs, et certainement pas de toute façon à aucune forme de combat en formation. Sinon, des paysans soldats, souvent des barbares plus ou moins récemment intégrés et envoyés pour coloniser des zones peu peuplées, frontalières pour l'essentiel. Des combattants certes, mais là encore, pas en unités importantes, et surtout ils sont déjà plus ou moins intégrés au dispositif défensif, faisant partie des limitanei ou les assistant; leur éparpillement géographique et les problèmes pour leur faire quitter leurs zones qui, sans eux, n'ont pas de défense, est un problème, et ils ont besoin de toute façon d'un long temps de formation pour avoir des unités d'une certaine taille qui soient efficaces et aptes au combat en ligne. Il reste la population, toujours soumise au devoir de conscription (auquel Théodose fera appel après Andrinople), mais là encore, c'est une réserve de "long terme", puisqu'ils doivent tous apprendre depuis la base. Donc il n'y a aucune réserve d'armée professionnelle, pas d'unités un peu solides rapidement remobilisable, ce qui laisse comme seule possiblité le recours aux barbares, non comme recrues, mais bien comme unités constituées, voire pire encore, en groupements d'unités constituées avec un chef, souvent efficace et ambitieux, voire de vraies armées "clés en main" auxquels les dirigeants court-termistes auront un peu trop facilement un recours grandissant sans que l'urgence le justifie toujours. Au temps de l'armée républicaine, et même avec la professionalisation graduelle après Marius puis l'armée du Principiat, la limitation du service à une dizaine d'année gardait la possibilité de disposer d'un pool de soldats aguerris immédiatement disponible, en tout cas rapidement capables de remonter des unités efficaces.

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  • 1 year later...

Déterrage de topic!

Tout d'abord, très gros boulot Tancrède, je n'aurai pas pu écrire un telle masse de pavés.  =)

Sur les défauts que tu mentionnes, il y'en a un qui me semble très pénalisant (outre l'absence de réserve): l'absence totale de mobilité à l'échelle de l'empire en dehors la pure réserve stratégique. Le limitanei et comitatus provinciaux sont quasiment impossibles à bouger sous peine de révolte, idem pour les lètes et fédérés installés avec leurs familles dans une région et qui refuseront de la laisser être ravagée. Le recrutement romain a deux graves défauts: sur-représentation des populations périphériques et recrutement en unités constituées sur une base locale, donc intéressées pour la plupart aux intérêts locaux et pas assez à l'intérêt de l'empire d'autant plus que leur région d'origine est en permanence menacée.

Les goth ont tapé au pire endroit possible: au centre de l'empire ce qui leur ouvre plusieurs axes de progression donc autant de directions différentes à défendre, et surtout à la jonction entre l'empire d'occident et l'empire d'orient. Comme dans le cas de corps d'armées ou armées du XXième siècle, la jonction entre deux zones d'opérations est beaucoup plus vulnérable que le reste du front. Et à l'origine du désastre d'Andrinople: si Valens n'avait pas eu à agir en coordination avec Gratien donc à faire la course pour avoir "sa" victoire, il ne se serait pas stupidement précipité avec des forces mal composées et insuffisantes. La victoire des goth leur a ensuite donné une très bonne position pour arbitrer les querelles entre orient et occident tout en jouant sur le manque de coordination des deux parties de l'empire romain (chacun visant de facto à repasser le fardeau à l'autre).

A mon avis la priorité impériale aurait du être de dégager les goth de cette position très dangereuse au coeur de l'empire à la première occasion, quitte à lacher du terrain sur la périphérie: abandonner la bretagne (sans attendre qu'il soit trop tard en 410), dégarnir les comitatus gaulois et du moyen orient pour rassembler de quoi régler le problème goth. Les fronts du rhin et du moyen orient auraient mené une retraite défensive en cas d'attaque majeure puis reçu de quoi stopper leur adversaire une fois que "leurs" unités auraient été de retour de la campagne contre les goth (depuis au centre de l'empire donc pas trop loin de n'importe quelle menace). Le limes est organisé en profondeur avec des forteresses donc est adapté à un rôle de retardement et autorise l'évacuation des limitanei. Il y'a une prise de risque dans cette manoeuvre, mais ça ne peut pas être plus catastrophique que de laisser les goths au coeur de l'empire. Certaines provinces périphériques auraient sans doute été abandonnées aux perses, le nord de gaule peut être été temporairement pillé, mais ça n'aurait pas été la première fois dans les deux cas.

Au final le seul vrai obstacle à cette stratégie de sauvetage de l'empire a été l'absence de mobilité du gros de l'armée romaine pour faire une concentration contre les goth. Stilicon a du tenter cette manoeuvre en dernier recours en 407 en demandant au comitatus gaulois de venir défendre l'Italie, beaucoup trop tard alors que la Gaule était déja en pleine invasion vandale et en sachant probablement qu'il y avait un grave risque d'usurpation en Gaule. La suite est connue.

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  • 10 years later...

@Tancrède  @Rob1Opération archéologique pour ce fil avec l'exploitation plus de cinquante ans après des photos des satellites espions Corona américains. Une série de forts construits vers 300 découverts en Syrie au début du XXe S seraient en réalité des comptoirs commerciaux, poste de péage et de ravitaillement sur les routes commerciales et non une ligne de défense de l'empire romain :

https://www.courrierinternational.com/article/syrie-des-forteresses-romaines-revelees-par-d-anciens-satellites-espions-americains

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Je suis totalement hors de mon champ de compétence, mais peut être que la notion de poste de ravitaillement n'est pas totalement incompatible avec une notion de point de défense.

Sur la route de la soie aussi, ça me fait penser typiquement au caravansérail. Point de ravitaillement, de repos, mais aussi point fortifié ( c'est plus prudent puisque tout de même, les convois de passage transportent de la richesse ). Le puit, élément stratégique pour la ravito et la capacité à tenir un peu si "assiégé" figurait forcément dans l'enceinte fortifiée, d'ailleurs. Il y a une porte façon chateau fort, et même des trous au dessus de la porte pour arroser en cas de volonté d'incendier le portail par les assaillants. 

Le caravansérail sassanide typique, c'est sur la fourchette de date 200 / 600 ap JC

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