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Opérations au Mali


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Il y a 2 heures, Patrick a dit :

Raconte!

Pas bien compliqué : pas besoin de champs de mines étendus quand tu peux en larguer une ou deux sur les axes de communication, tout en placardant des petits mots dans les villages ("danger : mines"). Au premier camion qui saute ou se prend une rafale d'un tireur isolé, les flux vont drastiquement se réduire et les prix augmenter dans le sens inverse. 

Un ou deux petits raids sur les postes de police ou de douanes, quelques bombes qui tombent de nuit sur les transformateurs ou à proximité des casernements militaires isolés, ce genre de choses. 

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Il y a 1 heure, Ciders a dit :

Pas bien compliqué : pas besoin de champs de mines étendus quand tu peux en larguer une ou deux sur les axes de communication, tout en placardant des petits mots dans les villages ("danger : mines"). Au premier camion qui saute ou se prend une rafale d'un tireur isolé, les flux vont drastiquement se réduire et les prix augmenter dans le sens inverse. 

Un ou deux petits raids sur les postes de police ou de douanes, quelques bombes qui tombent de nuit sur les transformateurs ou à proximité des casernements militaires isolés, ce genre de choses. 

La ressource drones et pilotes est rare (encore plus de nuit). Je soupçonne que si l'on se rapproche des Russes, il y a des moyens de contre-mesures. Ce qui expliquerait que les touaregs aient posté sur X une photo de drone à fibre optique...

Le ciblage des civils est délicat. Ici, des transporteurs commencent à obéir à leurs lois : ça implique leur protection en échange.

Enfin, un blocus c'est aussi du racket (la zakat, un impôt révolutionnaire à la sauce islamique en gros), donc on tue pas la poule aux œufs d'or.

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il y a 11 minutes, Polybe a dit :

La ressource drones et pilotes est rare (encore plus de nuit). Je soupçonne que si l'on se rapproche des Russes, il y a des moyens de contre-mesures. Ce qui expliquerait que les touaregs aient posté sur X une photo de drone à fibre optique...

Le ciblage des civils est délicat. Ici, des transporteurs commencent à obéir à leurs lois : ça implique leur protection en échange.

Enfin, un blocus c'est aussi du racket (la zakat, un impôt révolutionnaire à la sauce islamique en gros), donc on tue pas la poule aux œufs d'or.

Justement. On utilise avec précaution de faibles moyens mais en tapant là où il faut, ou pas loin, pour avertir. Nul besoin de massacrer tout le monde (encore que, côté EI, on ne se posera peut-être pas la question). La question ici est de savoir si les oppositions veulent couler le régime ou creuser des brèches. Dans le premier cas, il va falloir taper davantage que dans le second. 

Pour les contre-mesures russes, je serais très curieux de savoir ce qu'ils ont comme défense antiaérienne. Notamment à l'aéroport de Bamako. Je dis "ils", on peut aussi rajouter les FAMA. 

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il y a 8 minutes, Ciders a dit :

Justement. On utilise avec précaution de faibles moyens mais en tapant là où il faut, ou pas loin, pour avertir. Nul besoin de massacrer tout le monde (encore que, côté EI, on ne se posera peut-être pas la question). La question ici est de savoir si les oppositions veulent couler le régime ou creuser des brèches. Dans le premier cas, il va falloir taper davantage que dans le second. 

Pour les contre-mesures russes, je serais très curieux de savoir ce qu'ils ont comme défense antiaérienne. Notamment à l'aéroport de Bamako. Je dis "ils", on peut aussi rajouter les FAMA. 

"Là où il faut" est une notion très complexe en Afrique, en tout cas au Sahel. ^^ Plus d'un service s'y est cassé les dents. Et comme tu parles de mines... Si tu savais combien de Maliens ont sauté sur des engins destinés aux troupes étrangères.

Je serai curieux aussi. Ma déduction vient du fait de voir des drones optiques côté touareg. Je me souviens que le convoi Wagner/CA qui s'était fait déboiter par le FLA/JNIM avait des leurres de Pantsir il me semble. C'est probablement un indice.

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il y a 8 minutes, Polybe a dit :

"Là où il faut" est une notion très complexe en Afrique, en tout cas au Sahel. ^^ Plus d'un service s'y est cassé les dents. Et comme tu parles de mines... Si tu savais combien de Maliens ont sauté sur des engins destinés aux troupes étrangères.

Si c'est comme au Cambodge, je ne sais pas mais je me doute. 

il y a 9 minutes, Polybe a dit :

Je serai curieux aussi. Ma déduction vient du fait de voir des drones optiques côté touareg. Je me souviens que le convoi Wagner/CA qui s'était fait déboiter par le FLA/JNIM avait des leurres de Pantsir il me semble. C'est probablement un indice.

Il y a eu des déclarations enflammées sur l'arrivée d'une batterie de S-300 mais je crois que c'était au Niger. Niveau Pantsir, je ne parviens pas à me rappeler s'ils en ont reçu et/ou qui les met en ligne. Il faudrait se replonger dans Mali-Actu mais flemme ce soir, en plus je viens d'acheter le bouquin sur les archives Mitrokhine et ça a l'air bien passionnant (et légèrement HS ici).

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Il y a 2 heures, Polybe a dit :

La situation a largement changé, et là ça tient du sophisme pur je pense.

Voir aussi la réaction des états à côté. Et des USA (par exemple).

Ben non, ça n'a pas tellement changé. Les djihadistes sont actifs aujourd'hui comme autrefois dans le bassin du fleuve Niger, mais il y a des "forts français" tout le long de la vallée du Sénégal, nous montre la carte allemande. Quand tu dis les "États d'à côté" c'est par exemple le Sénégal actuel, qui est l'héritier de cette région protégée par les forts français et qui ne passe pas sous la coupe de l'empire toucouleur.

Le sahel central repasserait djihadiste, mais le sahel côtier resterait connecté à la modernité occidentale (ou chinoise).

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il y a 2 minutes, Ciders a dit :

Si c'est comme au Cambodge, je ne sais pas mais je me doute. 

Il y a eu des déclarations enflammées sur l'arrivée d'une batterie de S-300 mais je crois que c'était au Niger. Niveau Pantsir, je ne parviens pas à me rappeler s'ils en ont reçu et/ou qui les met en ligne. Il faudrait se replonger dans Mali-Actu mais flemme ce soir, en plus je viens d'acheter le bouquin sur les archives Mitrokhine et ça a l'air bien passionnant (et légèrement HS ici).

Ouais du S-300 là j'y crois pas. Mais les réseaux maliens en général et pro-AES en particulier sont totalement hors-sols sur les matériels. Je pense que ça a du se calmer, à la base ce genre d'annonce visaient surtout à dire qu'on allait combattre les français.

Là ça ressemble bien au cul d'un 1P18 https://www.maliweb.net/armee/mali-livraison-par-la-russie-de-deux-helicopteres-de-combat-et-des-radars-de-surveillance-2973340.html

 

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il y a 2 minutes, Wallaby a dit :

Ben non, ça n'a pas tellement changé. Les djihadistes sont actifs aujourd'hui comme autrefois dans le bassin du fleuve Niger, mais il y a des "forts français" tout le long de la vallée du Sénégal, nous montre la carte allemande. Quand tu dis les "États d'à côté" c'est par exemple le Sénégal actuel, qui est l'héritier de cette région protégée par les forts français et qui ne passe pas sous la coupe de l'empire toucouleur.

Le sahel central repasserait djihadiste, mais le sahel côtier resterait connecté à la modernité occidentale (ou chinoise).

Le djihadisme actuel n'est pas comparable aux califats d'alors. L'islamisation de la zone non plus.

Supposer qu'il le deviendrait à terme tient de la SF pure.

L'Histoire récente nous montre ce qu'il advient des califats.

 

Le JNIM à la base, ce sont des autonomistes touaregs qui ont pris le truc à la mode venant des arabes, le djihadisme.

Ce qui peut aussi donner un indice de ce que ça donnerait s'ils prenaient le pouvoir : un truc potentiellement à la syrienne, qui devrait encore se taper la menace EI.

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il y a 30 minutes, Polybe a dit :

Le djihadisme actuel n'est pas comparable aux califats d'alors. L'islamisation de la zone non plus.

Supposer qu'il le deviendrait à terme tient de la SF pure.

L'Histoire récente nous montre ce qu'il advient des califats.

Le JNIM à la base, ce sont des autonomistes touaregs qui ont pris le truc à la mode venant des arabes, le djihadisme.

Ce qui peut aussi donner un indice de ce que ça donnerait s'ils prenaient le pouvoir : un truc potentiellement à la syrienne, qui devrait encore se taper la menace EI.

Est-ce que la population n'a pas dans son patrimoine mémoriel et anthropologique ancien, des ressources pour s'adapter à un djihadisme moderne qui lui donnerait de facto une légitimité ? Parce qu'a contrario, les liens entre cette population et la gouvernance moderne, qu'elle soit coloniale ou post-coloniale n'ont pas laissé suffisamment de traces positives pour que cette population ait envie de résister et de se battre pour cette gouvernance moderne ?

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Je ne sais pas si l'on peut comparer les djihadistes maliens aux Talibans afghans, mais dans le cas des Talibans afghans, ils apportaient dans leurs bagages un mode de gouvernance apprécié :

Le 30/08/2021 à 23:04, Wallaby a dit :

https://www.irsem.fr/le-collimateur/tetes-chercheuses-4-le-succes-des-tribunaux-talibans-pendant-la-guerre-d-afghanistan-24-04-2020.html

https://www.cairn.info/revue-politix-2013-4-page-25.htm (4e trimestre 2013)

Adam Baczko, Les cours de justice Taleban en Afghanistan (2001-2013)

C’est dans cette perspective qu’il convient de comprendre la mise en place, par les Taleban, d’un système judiciaire en pleine guerre civile, alors même qu’ils ne sont qu’un acteur politico-militaire parmi d’autres, sans autre légitimité à faire valoir que la cause pour laquelle ils affirment se battre. L’entreprise n’est paradoxale qu’en apparence.

D’une part, les Taleban prétendent arbitrer les litiges entre des individus qui recouvrent, le plus souvent, des clivages sociaux, ethniques et identitaires – ce qui réclame d’eux, pour être reconnus, qu’ils se placent dans une position tierce. Ils ont d’autant moins de mal à faire valoir cette forme d’impartialité qu’aussi bien l’intervention occidentale que le régime officiel tendent à exploiter et par là à exacerber cet enchevêtrement des conflits privés et des clivages sociaux, ethniques, tribaux ou territoriaux. Mais, d’autre part, c’est par ce mouvement qui consiste à neutraliser les oppositions sociales et les conflits interpersonnels que les Taleban entendent refonder une unité politique dans le but de poursuivre la guerre et de la gagner.

On peut dire que les Taleban ont réussi là où l’intervention occidentale et le régime au pouvoir ont échoué, puisqu’ils sont parvenus à construire un système judiciaire objectivé dans un contexte de politisation des conflits privés qui caractérise la guerre civile en Afghanistan.

En 2010, un employé de la Mission d’Assistance des Nations Unies pour l’Afghanistan dénombrait ainsi dans la province du Paktya, dans le Sud-Est de l’Afghanistan, quatre institutions chargées de résoudre les conflits privés, créées respectivement par la United States Agency for International Development (USAID), les forces spéciales américaines, le gouverneur provincial et le régime de H. Karzai. Mais ces instances n’ont finalement qu’ajouté des lieux de contestation possibles des actes de propriété et des contrats, avec le plus souvent pour effet de relancer des disputes.

Les entrepreneurs politiques locaux sont les principaux bénéficiaires de ce vide juridique. Les tribunaux du régime les avantagent, car ils disposent des ressources économiques et des relations sociales nécessaires pour payer les pots-de-vin et faire avancer leurs dossiers. Pour le reste de la population, engager un procès est une démarche particulièrement risquée et coûteuse. Outre les frais de procédure et les honoraires d’avocats, les parties doivent débourser des sommes importantes en corruption [13][13]Les cours de justice sont décrites par les Afghans comme les…. Les procès s’apparentent, de ce point de vue, à des enchères dont le montant dépasse souvent l’enjeu de la dispute, notamment dans les affaires foncières et familiales à forte dimension symbolique.

Jim Gant, officier des forces spéciales, fait en 2009, dans un pamphlet intitulé One tribe at a time, le récit de son expérience à la tête d’un détachement en 2003. Ce document révèle une vision stéréotypée de la population, mêlant essentialisme et caricature : les Afghans sont comparés aux Indiens d’Amérique ; l’unité baptise ainsi son poste « Fort Navajo » tandis que Jim Gant surnomme un notable influent dans un village Sitting Bull.

De surcroît, la stratégie d’éliminations ciblées a offert à de nombreux Afghans un moyen commode pour se débarrasser d’un cousin gênant dans une affaire d’héritage, d’un voisin avec qui l’on a un conflit foncier ou d’un rival local. Les night raids, des exécutions par des forces spéciales faites souvent de nuit dans les maisons, et les frappes aériennes, par avion ou drone, constituent les principales méthodes de l’armée américaine pour combattre l’insurrection Taleban. Le ciblage dont dépend cette stratégie d’assassinats s’appuie sur des dénonciations souvent calomnieuses. Face à des militaires ignorant tout de la configuration locale, ne parlant pas la langue, avec pour mission de traquer des « terroristes » – réseaux locaux, Taleban et membres affiliés à Al Qaeda étant tous confondus –, les Afghans qui parviennent à se faire reconnaître comme une source d’information fiable ou comme traducteur peuvent facilement tirer profit de leur position d’interface entre l’armée américaine et la population.

En outre, les Taleban reçoivent aussi de nombreuses dénonciations calomnieuses d’individus accusant leurs rivaux de collaborer avec les Occidentaux.

En recrutant des clercs comme juges et en les insérant dans une organisation relativement centralisée et bureaucratisée, l’insurrection a produit un système judiciaire qui parvient à un certain degré à se détacher des enjeux locaux qui minent les autres instances de résolution de conflit en Afghanistan.

L’exercice de la justice au sein du mouvement Taleban est le monopole des clercs, diplômés des écoles religieuses, socialement reconnus comme compétents pour appliquer la loi islamique. Les Taleban les recrutent dans le réseau des écoles religieuses déobandies implantées dans les zones frontières du Nord du Pakistan.

Après une dizaine d’années dans les écoles religieuses, loin de leur famille et de leur village, les clercs sont plus intégrés dans les réseaux cléricaux que dans les groupes de solidarités, ethniques, tribaux ou territoriaux, de leur lieu d’origine. En les recrutant comme juges, l’insurrection Taleban se positionne ainsi d’emblée hors des enjeux locaux et segmentaires qui attisent les disputes privées.

[Voir la suite ci-dessous]

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Le 30/08/2021 à 23:09, Wallaby a dit :

[Suite de ce qui précède]

https://www.cairn.info/revue-politix-2013-4-page-25.htm (4e trimestre 2013)

Adam Baczko, Les cours de justice Taleban en Afghanistan (2001-2013)

Le Conseil judiciaire, l’instance en charge de la gestion administrative des juges, installée au Pakistan, à Quetta, avec une sous-branche à Peshawar, approuve au préalable les candidats sur la base de leur formation et de leurs références religieuses. Ils sont ensuite envoyés dans une province différente de leur province d’origine, où l’administration Taleban locale les prend en charge.

Afin d’empêcher qu’un juge ne se lie personnellement à la population locale et devienne sensible à des pressions ou la corruption, le Conseil judiciaire de Quetta et sa branche de Peshawar coordonnent une rotation des juges tous les trois à douze mois.

Par ailleurs, les juges sont étroitement surveillés par les commissions provinciales Taleban, à qui ils doivent envoyer les verdicts les plus importants avant de les annoncer publiquement, et qui conservent des copies des jugements précédents, centralisant les données au niveau de la province.

Les commissions siègent régulièrement et les habitants peuvent venir se plaindre des juges. En outre, elles disposent des réseaux d’informateurs du mouvement dans les villages pour surveiller les juges, et le conseil judiciaire de Quetta envoie régulièrement des hommes incognito pour recueillir l’avis de la population concernant les cours du district.

Un cas à Andar, dans la province de Ghazni a ainsi été rapporté à l’auteur lors d’un entretien en septembre 2012 avec un notable souvent sollicité pour faciliter le travail des cours Taleban : « Un juge a rendu un verdict contre la personne qui aurait dû gagner le procès. La personne s’est plainte à la commission. Ils ont mené une enquête et ont découvert que le juge avait reçu des pots-de-vin. Le juge a été condamné à six mois d’exil et a été renvoyé. »

L’arrivée de centaines de juges, mais aussi de gouverneurs, de responsables de l’éducation ou de la santé, tous de formation religieuse, a considérablement réduit les champs d’activité des chefs militaires, posant les bases d’une distinction entre fonctions civiles et combattantes au sein de l’insurrection. Les nombreux entrepreneurs politiques locaux, qui avaient négocié une place pour leur réseau de clientèle au sein du mouvement Taleban, ont perdu de nombreuses prérogatives au profit de religieux nommés à des positions spécialisées.

Leur organisation, dotée de postes officiels et d’une hiérarchie centralisée, s’oppose directement aux logiques clientélistes qui ont permis l’émergence des chefs militaires locaux.

Le code de conduite (layha) interne du mouvement, dont la première édition date de 2006, puis a été republié, avec certaines modifications, en 2009, 2010 et 2011, affirme explicitement le rôle du juge, ou, en son absence, du gouverneur provincial Taleban, pour juger les combattants accusés de crimes et de mauvais traitements.

Donner aux juges suffisamment d’autorité pour juger les chefs militaires ne s’est pas fait sans heurts.

Pour arrêter un chef militaire, selon l’importance de celui-ci, les juges doivent souvent mobiliser des combattants en provenance d’autres districts, voire d’autres provinces.

La résolution de nombreux litiges a accru la popularité du mouvement dans les campagnes, surtout en comparaison avec le régime de H. Karzai.

En outre, les cours Taleban sont peu onéreuses. Le système de recrutement et de supervision des juges enraye largement la corruption. L’absence d’avocats, qui réduit à néant les droits de la défense dans les poursuites criminelles et les accusations politiques, constitue en revanche une économie considérable dans les disputes foncières ou familiales. En l’absence d’honoraires à régler, la population rurale, disposant de revenus modestes, est davantage susceptible d’engager des procédures judiciaires.

De surcroît, obtenir des informations sur la charia auprès d’un religieux local est bien plus facile pour les ruraux peu éduqués que s’informer auprès d’un avocat sur le droit officiel, méconnu dans les campagnes. D’autant que le consensus autour de la légitimité de la loi islamique rend difficilement contestables les décisions des juges Taleban.

Les Taleban donnent beaucoup d’importance à l’application des verdicts, menaçant de peines très sévères toute résistance. Deux de mes interlocuteurs soulignent ce point : « Les juges Taleban [par opposition aux juges du gouvernement] disent ce qu’ils font et font ce qu’ils disent [38][38]Entretien avec R., 2011. » ; « La différence entre le gouvernement [de Karzai] et les Taleban ? Quand les Taleban prononcent une sentence, ils appliquent leur décision. Quand ils disent quelque chose, ce n’est pas du flan [39][39]Entretien avec Y., 2010. ».

Les Taleban reprennent dans les campagnes la fonction de garantie des transactions et de la propriété qui est le propre de l’État.

Les Taleban appliquent un droit islamique hanafite qui s’oppose sur certains points aux normes coutumières, notamment sur la place des femmes et leur droit à posséder la terre. Cependant, certains juges Taleban admettent, voire revendiquent l’usage du pashtounwali dans leurs jugements. Les situations varient de province en province : à Ghazni, les Taleban forcent les paysans à accepter que des filles héritent de la demi-part que leur reconnaît la jurisprudence islamique, tandis que dans le Logar ou la Kunar, les juges tolèrent la dépossession des femmes.

La mise en place d’un système judiciaire objectivé a permis aux Taleban de déborder les clivages tribaux et communautaires qui avaient été le principal facteur de fragmentation de l’insurrection antisoviétique dans les années 1980.

L’introduction de juges détachés des dynamiques locales permet à l’insurrection de dépasser les frontières tribales et ethniques, avec des verdicts régulièrement favorables aux non-Pashtounes. Même des Hazaras portent plainte auprès des cours insurgées.

Dans le Nord, les cours de justice ont constitué un des instruments par lesquels les Taleban sont parvenus à mobiliser des Ouzbeks, des Turkmènes et des Tadjiks, dépassant ainsi les frontières ethniques. Cet usage politique des juges a été efficace car il s’insérait dans une stratégie plus large visant à recruter parmi les populations non pashtounes, avec notamment la nomination de commandants et des gouverneurs tadjiks, ouzbeks et turkmènes.

Le recrutement de juges non pashtounes, par exemple ouzbeks dans la province de Takhar, a aussi considérablement facilité la pénétration du mouvement dans tout le Nord.

En imposant leur système judiciaire dans les campagnes, les Taleban n’ont pas seulement débordé les clivages territoriaux et identitaires ; ils s’affirment aussi comme l’autorité politique dans les campagnes afghanes, légitimant leur revendication à gouverner le pays à mesure qu’ils assument les prérogatives généralement dévolues à l’État. Ce faisant, le récit Taleban de la situation en Afghanistan gagne en audience et en crédibilité : celui non plus d’une bande de « bandits », de « terroristes » ou de « radicaux » qui affrontent l’État et la société, mais de représentants d’un régime, l’Émirat islamique d’Afghanistan, confronté à une occupation militaire. Dans cette guerre des récits politiques et historiques, la désastreuse image de l’occupant s’impose ainsi concrètement au sein de la population à mesure que les Taleban s’affirment effectivement comme l’autorité qui administre les campagnes .

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