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[Union Européenne] nos projets, son futur


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Il y a 19 heures, Heorl a dit :

Les services des bases de défenses (GSBDD, Groupement de Soutien dss Bases De Défense) ne sont pas comptés puisqu'il s'agit de civils, ils font partie des 8,500 civils employés par l'armée et non comptés dans la troupe. Et le service de santé aux armées (17,5k) est centralisé et non compté dans l'AdT aussi. Par contre aux 115k de l'AdT s'ajoutent la majorité des 25k de la Réserve Opérationnelle et les 100k de Gendarmes (plus là aussi 25k de réserve opérationnelle). Donc oui, l'armée française est un plus gros morceau qu'il n'y paraît.

Si, selon Wikipedia, la France compte environ 206000 soldats actifs et l'Allemagne 182000, l'armée de terre française ne peut pas être deux fois plus nombreux que l'armée de terre allemande. 

Ici, les soldats actifs ont été attribués à d'autres secteurs. Mais il est vrai qu'en Allemagne, on a du mal à trouver suffisamment de soldats. Ces derniers temps, il y a de plus en plus de publicité à la télévision et ailleurs.

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20 hours ago, Heorl said:

Les services des bases de défenses (GSBDD, Groupement de Soutien dss Bases De Défense) ne sont pas comptés puisqu'il s'agit de civils, ils font partie des 8,500 civils employés par l'armée et non comptés dans la troupe. Et le service de santé aux armées (17,5k) est centralisé et non compté dans l'AdT aussi. Par contre aux 115k de l'AdT s'ajoutent la majorité des 25k de la Réserve Opérationnelle et les 100k de Gendarmes (plus là aussi 25k de réserve opérationnelle). Donc oui, l'armée française est un plus gros morceau qu'il n'y paraît.

Ce n'est pas aussi simple. La Bundeswehr compte 182k militaires d'active. Parmi ceux-là, 62k font partie de la Heer. Cependant, la Heer ne comprend que les formations de combat et les écoles associées. Ces unités comportent leur propre support logistique mais le soutien de niveau supérieur vient d'une branche différente (commandement logistique du Streitkräftebasis) alors que dans les FAFr, ce support logistique viendrait des commandements de la logistique, de la maintenance des forces et du service de maintenance industrielle.

Similairement, le Cyber- und Informationsraum est, en France partiellement intégré dans les commandements SIC et renseignement tout comme le commandement CBRN. Pour ce qui est de la Gendarmerie, il s'agit avant tout d'une force de police civile et elle n'est pas entièrement intégrable dans l'armée de terre. La partie qui l'est en tant que police militaire a son équivalent en Allemagne au sein du Streitkräftebasis.

À l'inverse, l'Armée de Terre compte 8500 sapeurs-pompiers parisiens qui sont absents en Allemagne.

Toute comparaison directe entre les armées françaises et allemandes est spécieuse à cause de ce genre de différence. Le mieux qu'on puisse dire est que les Forces Armées Allemandes comptent 182k militaires d'active et que les Françaises en comptent 205k.

Source (Allemagne): https://www.bundeswehr.de/de/ueber-die-bundeswehr/zahlen-daten-fakten/personalzahlen-bundeswehr

Source (France): https://www.defense.gouv.fr/chiffres-cles-defense-2021

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https://books.openedition.org/septentrion/53850?lang=fr

Jean Nurdin - Le rêve européen des penseurs allemands (1700-1950) , 2003

Chapitre V. L’idée d’Europe à l’époque bismarckienne

3) Josef Edmund Jörg

Contrairement à Fröbel, il est resté toute sa vie très critique envers l’œuvre bismarckienne, d’autant plus qu’il était chef de la « Bayerische demokratische Volkspartei », puis député du « Zentrum » au Reichstag. Il prend en outre une importance particulière en tant que rédacteur en chef de la revue catholique d’extrême-droite, fondée par Joseph Gorres en 1832 à Munich, les Feuilles historico-politiques pour l’Allemagne catholique (Historisch-politische Blätter für das katholische Deutschland). Il y commente pendant un demi-siècle les événements, avertit et exhorte l’Europe, prophétise et vaticine sur la crise de la société bourgeoise ébranlée par les « idées modernes » et minée par les internationales révolutionnaires.

A ces périls s’ajoutent, cela va de soi, le principe national, fourrier de la démocratie socialiste, négation du droit, « péché originel personnifié », et, après 1870, le danger du regroupement des peuples en grands blocs ethniques. Cette dénonciation du panslavisme, du pangermanisme, du panlatinisme n’est d’ailleurs pas propre à la revue munichoise.

Les crises et les catastrophes, l’éclatement du système européen traditionnel en nations, en classes, en races, ne sont, pour Jörg et ses collaborateurs, que les manifestations multiples d’un mal plus profond : la déchristianisation.

Il est avec J. Fröbel l’un des premiers en Allemagne à avoir clamé l’avènement de la politique mondiale, et cela dès 1853. Avenir problématique que celui de l’Europe prise entre la révolution socialiste russe et l’hégémonie libérale nord-américaine.

Que propose Jörg pour restaurer l’unité de l’Occident européen et lui éviter la balkanisation, les bouleversements révolutionnaires, les guerres nationales et raciales, l’assujettissement aux futures puissances mondiales ? La croisade soit contre la Russie, soit contre la Turquie, idée courante non seulement dans les publications des conservateurs, mais aussi dans celles des libéraux. Nous verrons que le protestant K. Frantz rejoint sur ce point le catholique Jörg.

Jörg a le sinistre pressentiment d’avoir prêché dans le désert. Son rêve d’un Reich pacifique parce que fédératif, chrétien et germanique, placé sous l’égide de l’Autriche et de l’Église catholique était un anachronisme.

https://maitron.fr/spip.php?article216361&id_mot=19167

Conscient des tensions sociales de son temps, il en rendit compte dans des termes qui rappellent Lassalle, voire Marx et il ne voulait pas qu’elles soient résolues dans le sens d’une restauration, comme le souhaitaient Haller et Jarcke, mais en répondant aux formes nouvelles de la vie économique et sociale et en remettant aux travailleurs la direction des coopératives de production. Il envisageait en 1870-1871 une Bavière neutre et indépendante.

4) Constantin Frantz

Considéré par Bismarck vers 1860 comme un publiciste de talent, il rompt cependant avec le Chancelier en 1866, après Sadowa. Contrairement à Fröbel, il ne se ralliera jamais au Reich bismarckien et consacrera, jusqu’à sa mort en 1891, son œuvre à la défense du fédéralisme chrétien.

Frantz est essentiellement l’héritier de l’idéalisme romantique, en particulier de Schelling. Il prolonge jusqu’à la fin du siècle l’idée d’une Europe de la Foi, le mythe du « Reich » œcuménique, organique et rédempteur, dans lequel l’Allemagne jouerait un rôle majeur.

Dans ses dimensions comme dans ses caractères, l’Europe de Frantz s’apparente étroitement à celle de Ranke : c’est l’Europe romano-germanique dans les limites de la chrétienté occidentale, dans la sphère d’influence de l’Église romaine. Mais, contrairement à Ranke, notre auteur est, avec Fröbel et Jörg, l’un de ceux qui ont dénoncé avec le plus de force les périls extérieurs venus à la fois de l’Est et de l’Ouest.

Dès la guerre de Crimée, et pendant près de quatre décennies, Frantz se fait le héraut des conceptions antirusses. Ses diatribes atteignent leur paroxysme dans sa dernière œuvre Die Gefahr aus Osten (Le péril de l’Est, 1899), où il reprend et amplifie toute l’argumentation des russophobes contemporains. L’opposition entre l’Occident et la Russie atteint chez lui au manichéisme absolu. La Russie est l’antipode de l’Europe, et également l’antipode de l’Amérique.

Frantz ne manque pas d’emprunter à Tocqueville le fameux parallèle entre le glaive russe et la charrue américaine. Cependant, s’il préfère le libéralisme de l’Ouest à l’autocratisme de l’Est, il se rend compte que les États-Unis représentent un énorme danger potentiel et que la démocratie nord-américaine sera « aussi dominatrice que toute autre puissance ».

L’auteur de Grande puissance et puissance mondiale (Grossmacht und Weltmacht, Tübingen, 1888) imagine les USA, qu’il connaît par la lecture de Tocqueville et par l’expérience de Fröbel, dépassant économiquement l’Europe du xxe siècle, donnant l’exemple du fédéralisme à l’Ancien Continent, mais l’écrasant de tout leur poids du fait de ses divisions internes.

Frantz tire à boulets rouges sur ce qu’il estime être l’une des séquelles les plus funestes de la Révolution, à savoir le principe national. Il tient certes la nation pour une phase nécessaire de l’évolution historique, il reconnaît que la nationalité est un lien puissant entre les hommes mais en souligne la relativité. Il croit même voir dès 1865 s’annoncer le déclin des nations. Au lendemain de la fondation de l’Empire bismarckien, il voue aux gémonies le « culte de la nationalité et de la puissance, selon le modèle de l’ancienne Rome », chaque pays se déifiant lui-même.

Vouloir faire coïncider en Europe États et nationalités signifierait, affirme-t-il, la figer dans un système rigide et agir contre son génie même. A ce propos, Frantz émet une idée qui mérite attention et qui émane de sa théorie du fédéralisme médiateur : il estime que les États composés de deux ou de plusieurs ethnies sont précisément les moyens termes indispensables à l’apaisement des tensions nationales. Il cite en exemple la Belgique, la Suisse, l’Autriche.

Autre cible des attaques de Frantz : le libéralisme, mécaniste, dissolvant, analytique, négatif. Il ruine le droit international, fomente les révolutions, provoque la démocratie, le communisme, l’anarchisme. Ces critiques sont connues, car elles se trouvent chez tous les conservateurs de cette époque.

La France, principale représentante du principe latin, héritière de Rome, est ici l’objet d’un mythe caricatural, selon le schéma déjà appliqué par Fichte dans ses Discours. A une Allemagne idéale, on oppose une France dangereuse parce qu’impérialiste, centralisatrice, matérialiste, militariste et corruptrice. Des décennies durant, Frantz ne varie guère dans ses réflexions antifrançaises, et même un fédéraliste comme Proudhon ne trouve guère grâce à ses yeux. Bref, il considère que tout projet français d’unification européenne ne peut être que schématique et mécaniste.

Frantz place à la fin du Moyen Âge le grand tournant historique à partir duquel l’idée d’une unité européenne a périclité. Jusque là, l’esprit germanique était le ciment de l’unité incarnée dans le Saint-Empire. Ensuite un esprit nouveau, purement temporel, se substitua à lui, et le « grand Dessein » d’Henri IV et de Sully, projet de république européenne, remplaça la forme germanique et monarchique du Saint-Empire médiéval.

Selon Frantz, le Reich bismarckien marque l’ultime dégradation du principe germanique. L’un des principaux griefs envers Bismarck est d’avoir trahi la mission de l’Allemagne et d’ignorer ses traditions morales et spirituelles. En bref, le Chancelier méconnaît la vocation du « Deutschtum » en introduisant au centre de l’Europe l’idée romaine d’État. La « Grande Prusse » païenne et matérialiste ne ressemble pas plus à l’ancien Empire qu’une « caserne moderne à une cathédrale gothique ».

Après toutes ces critiques, Frantz réserve à son pays une mission prestigieuse de restauration, sur la base de considérations géopolitiques qu’il développe en particulier dans sa Théorie de la question allemande (Theorie der deutschen Frage, 1866). « ... l’Allemagne forme... au point de vue géographique, le noyau du continent européen. La nature elle-même a fait d’elle le terrain sur lequel se décident en dernier ressort les plus hautes destinées de l’Europe ; c’est que l’Allemagne est précisément le pays du milieu ; elle englobe les organes centraux du corps européen... Et c’est entre l’Est et l’Ouest que s’accomplit l’histoire universelle » (Lettre ouverte à Richard Wagner, 1878).

Frantz déduit de ces données, ainsi que des faits historiques, ethnographiques et culturels, que l’Allemagne est « un peuple de peuples » (il souscrit ici à la formule de Schelling), que le principe national stricto sensu ne lui est pas applicable et que « de quelque côté que l’on puisse prendre la question allemande, dès que l’on pénètre dans ses profondeurs, elle se mue en une question européenne ».

Ces constatations amènent Frantz à réserver aux Allemands un rôle politique éminent (création d’une « métapolitique »), mais aussi un rôle économique et social décisif grâce à une sorte de corporatisme chrétien et monarchique qui, espérait-il, parviendrait à éviter à l’Europe des crises fatales. Cependant cet avenir n’est possible que par un retour aux sources de l’esprit germanique et par l’élimination des influences latines. Frantz ne cesse de célébrer les mérites du Reich médiéval, préfiguration de l’ère nouvelle au cours de laquelle la communauté européenne d’Occident renforcera sa « parenté intime ».

La notion de « Reich » fédératif, reprise à l’idéologie romantique, est au centre de la philosophie politique de Frantz. Pour lui, Reich et fédération sont les deux faces d’une même conception. Il ne s’agit pas de copier le Saint-Empire, mais d’en retrouver l’esprit. Quelle sera la nature de cette organisation que l’auteur tient pour révolutionnaire ? Elle consistera à installer au centre du continent un « corps intermédiaire » (ein Mittleres) qui maintiendra la paix entre les peuples et assurera la synthèse de l’État (Staat) et de la société (Gesellschaft). Seul le Reich fédératif sera à même de réduire les contradictions internes de l’Allemagne et les oppositions européennes. Seul il pourra assurer l’autonomie des collectivités municipales et régionales, permettre l’application des principes d’autonomie et de coopération, concilier unité et liberté.

L’idée d’une fédération regroupant tous les pays situés entre la Russie et la France traverse toute son œuvre, sans que cet avatar de la « Mitteleuropa » soit considéré par lui comme un but en soi.

Au centre de la confédération restreinte se trouverait l’Allemagne occidentale, complétée dans la confédération élargie par l’Est de la Prusse et par l’Autriche et attirant dans son orbite d’autres pays, à l’Ouest (Pays-Bas, Suisse), et à l’Est. Après quoi Frantz projette une entreprise plus audacieuse, la restauration de la communauté européenne, tâche indispensable, écrit-il en citant Fröbel et son allusion à une « Confédération helvétique » des Etats d’Europe occidentale.

Mais s’il abonde dans le sens de Fröbel, il rejette en bloc tous les projets qui ne ressortissent pas au fédéralisme chrétien : ceux de Sully, de l’Abbé de Saint-Pierre, de Kant, des juristes comme J.-C. Bluntschli, ainsi que toutes les conceptions mécanistes d’équilibre européen. Bien entendu, il écarte toute idée d’États-Unis républicains inspirée par les tendances révolutionnaires de 1848.

La famille européenne, telle que l’entend Frantz, n’exclut aucun peuple, hormis les Russes. Succédant au rêve d’une « grande alliance germanique », incluant l’Angleterre, la « Sainte-Alliance chrétienne » préconisée par l’auteur de Réponse allemande à la question d’Orient (Deutsche Antwort auf die orientalische Frage, 1877) permettrait de revenir à l’esprit d’un christianisme œcuménique. Frantz s’inspire ici de Leibniz pour proposer aux nations européennes une grande tâche commune, la rechristianisation de l’Orient et la colonisation de l’Afrique et de l’Asie.

La postérité a porté sur lui des jugements fort divergents selon les écoles de pensée. Les fédéralistes chrétiens et pacifistes (F.W. Förster, B. Schmittmann) se sont recommandés de ses idéaux, alors que l’on a pu par ailleurs voir en lui un représentant du pangermanisme, et même un précurseur du nazisme.

Frantz, qui a eu l’ambition de créer une philosophie politique synthétique et un fédéralisme englobant, a été victime de ses propres ambiguïtés. Adversaire de la solution bismarckienne de la question allemande, il a pourtant exalté un nationalisme germanique mythique, susceptible de gauchissements ultérieurs, mais intéressant au plus haut point l’histoire de l’idée européenne. L’œuvre de Frantz est en effet un jalon capital entre l’Europe mystique des romantiques et l’impérialisme pangermaniste. Elle transmet au xxe siècle l’idée d’une Europe de la foi fondée sur les notions de « Reich » et de chrétienté occidentale.

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Jean Nurdin - Le rêve européen des penseurs allemands (1700-1950) , 2003

Chapitre V. L’idée d’Europe à l’époque bismarckienne

5) Johann Caspar Bluntschli

Nous n’entrerons pas ici dans le détail des réflexions que notre auteur consacre aux caractères géographiques et climatiques de ce continent. Elles abondent, depuis Montesquieu, dans nombre d’ouvrages. Nous en retiendrons surtout que la loi de l’Europe, notamment occidentale, est la variété des paysages, des races, des langues, des cultures, des États. Bluntschli, rappelant en ceci Leibniz, déduit de cette diversité essentielle une sorte d’harmonie préétablie, voulue par la Providence et s’exprimant en particulier dans l’équilibre entre Latins, Germains et Slaves.

Bluntschli attend beaucoup de la « fraternité future des Allemands et des Français, dont l’existence conditionne le salut de l’Europe ».

Diverse dans ses races, l’Europe l’est aussi dans ses nations. Mais qu’est une nation selon Bluntschli ? Il proscrit la théorie de la filiation ethnique pour affirmer que les nations d’Europe sont des entités historiques, les produits d’une lente maturation. Ce qui relie entre eux les hommes, c’est une culture commune, ce sont des éléments spirituels, linguistiques, psychologiques.

Quant à l’État national, Bluntschli estime que nationalité et État ne doivent pas forcément coïncider. L’application intégrale du principe national signifierait la balkanisation du continent. Rappelons que notre juriste est d’origine suisse. De plus, comme beaucoup de ses contemporains, il tend à hiérarchiser les peuples suivant leur prétendue capacité à fonder des États. Il dénie ainsi aux petites nations du Sud-Est européen toute existence autonome. Il pense que l’existence de fragments d’ethnies étrangères au sein des grands États nationaux permettrait une médiation bénéfique entre cultures différentes. Bluntschli rejoint ici le point de vue de ses contemporains E. Renan et K. Frantz, avec lequel il est d’ailleurs en complète opposition sur le problème de l’État moderne.

La philosophie politique de Bluntschli a pour objectif essentiel d’introduire les principes de la Raison et du Droit dans les relations entre ces Etats, faisant ainsi de lui l’un des représentants les plus typiques de l’Europe rationaliste d’une part et de l’Europe des réalités politiques et diplomatiques d’autre part. L’auteur du projet que nous nous proposons d’analyser doit admettre que l’idéal kantien de citoyenneté du monde (Weltbürgertum) est encore irréalisable. Il tient la paix éternelle pour une utopie et se déclare également en désaccord avec la théorie de l’équilibre européen, que ce soit à la manière de l’Abbé de Saint-Pierre ou à celle de F. von Gentz.

Il souligne à nouveau l’impossibilité d’appliquer à l’Ancien Continent le fédéralisme à l’américaine, l’extrême diversification et la force des sentiments nationaux interdisant une pareille révolution : « L’Europe, écrit-il, se compose de nations très diverses, qui ne se laisseront pas... unir politiquement, car elles sont séparées par le lieu de résidence, la race, l’histoire, la civilisation, les intérêts, le droit. Allemands et Français, Anglais et Russes, Autrichiens et Italiens ne sont aucunement enclins à former un Etat européen unitaire et collectif. Ils considéreraient celui-ci comme une dissolution et une suppression de leur véritable nationalité, à laquelle ils tiennent par-dessus tout. »

Il considère qu’à la fin du xixe siècle, une constitution sans liberté n’est plus envisageable et qu’il convient d’harmoniser les constitutions particulières des États et les institutions communautaires. Sur ce point, il partage les vues de son collègue écossais James Lorimer (1818-1890), l’un des fondateurs de l’Institut du Droit international (1873). Les deux juristes sont d’accord sur l’application du principe représentatif, mais divergent sur la possibilité d’introduire en Europe le fédéralisme à l’américaine, car, note Bluntschli, il y a un peuple américain, « mais il n’y a pas de peuple européen ».

« Seule la confédération réalisera l’objectif d’une union et d’une communauté durables de l’Europe sans léser la souveraineté des Etats confédérés. »

Toujours réaliste, du moins le croit-il, l’auteur fixe à sa confédération des buts limités, des compétences modestes ne nécessitant « ni division des pouvoirs, ni parlement souverain pour la législation, ni gouvernement commun »75. Les objectifs seront uniquement d’assurer la paix, d’appliquer le droit, de promouvoir les valeurs de la civilisation. L’esprit de coopération et la bonne volonté devraient suffire pour l’accomplissement de ces tâches.

Le pouvoir, cela va de soi, reviendra aux Etats, qui seront au nombre de dix-huit, dont six grandes puissances : Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, Autriche-Hongrie, Russie. Sont écartés tous les petits peuples, résidus de l’histoire. En tant que personnalités juridiques autonomes, les dix-huit Etats seront égaux en droits, mais les grandes puissances, assumant de plus lourdes responsabilités, disposeront d’une représentation plus forte au sein des organismes communautaires, le « Conseil confédéral » (Bundesrat) et le « Sénat » (Repräsentantenhaus).

Soulignons que Bluntschli, qui prend tant de précautions pour que les Etats ne soient pas lésés, prévoit néanmoins le vote à la majorité absolue, et non à l’unanimité.

6) L'Europe des pacifistes

Vers 1848, l’idéologie pacifiste se charge d’un contenu nouveau, national et républicain. Nous savons qu’Arnold Ruge, comme d’autres prophètes d’une Europe fédérée tels V. Hugo ou Mazzini, milite au Parlement de Francfort pour le désarmement et une fédération de peuples libres et fraternels. Le slogan des « États-Unis d’Europe » conserve après 1848 tout le prestige, mais aussi tout le flou du romantisme révolutionnaire, si bien que son contenu ira s’affaiblissant au cours des années et que l’idéal pacifiste devra souvent tenter de s’adapter aux réalités politiques.

En 1865, Der deutsche Eidgenosse salue la fondation du « Parti populiste allemand » (Deutsche Volkspartei), qui se propose de transformer l’Allemagne en une confédération de type helvétique et l’Europe en une vaste fédération ayant pour objectif la paix générale grâce à un congrès des peuples. En 1868, le chef du nouveau parti, le parlementaire prussien Johann Jacoby (1805-1877), en précise les buts : défense des droits des citoyens et des peuples, affirmation de la solidarité internationale, réalisation de « cette grande idée formulée avec tant d’éloquence au congrès pacifiste de Genève, l’idée des États-Unis libres d’Europe ».

La bataille de Sadowa, qui permet en 1866 à Bismarck de triompher de l’Autriche, marque pour Jacoby le début d’une ère nouvelle, symbolisée en 1867 par le grand Congrès pacifiste de Genève, qui donne lieu à la création de la « Ligue internationale de la paix et de la liberté » (Friedens- und Freiheitsliga).

La « Ligue internationale de la paix et de la liberté » eut d’illustres parrains, dont Dostoïevski, Bakounine, Garibaldi, V. Hugo, E. Quinet, Louis Blanc, Jules Favre et Jules Simon. De leur côté, les Allemands et les Suisses jouèrent un rôle important dans sa fondation et dans la rédaction de sa revue Les États-Unis d’Europe, qui parut à Berne de 1867 à 1922.

la « Ligue » s’est trouvée très vite engagée dans de vives polémiques, notamment avec la Première Internationale. Le congrès de l’Internationale tenu à Bruxelles en 1868 proposa sa dissolution. Elle répliqua que la question sociale n’était pour elle qu’une question parmi d’autres.

A cette époque, l’antagonisme franco-allemand contamine, au sein même de la « Ligue », beaucoup des meilleurs esprits. Les messages de V. Hugo aux congrès de 1872 et 1874 illustrent bien cette évolution. Toutefois il est juste de souligner le fait que l’idée d’instaurer une fédération de républiques pacifiques resurgit parfois chez les auteurs allemands comme le social-démocrate Bruno Geiser (1846-1898), gendre de W. Liebknecht et rédacteur en chef de Die neue Welt. C’est en 1886, à l’occasion de la relance du journal Les Etats-Unis d’Europe, que Geiser publie sa brochure Die Überwindung des Kriegs durch Entwicklung des Völkerrechts. Zugleich eine Beantwortung der Frage, wie eine internationale Friedensgesellschaft die Kulturmacht werden kann (Triompher de la guerre par le développement du droit international et répondre à la question : comment une association pacifiste internationale peut-elle devenir la puissance civilisatrice ?)

7) Eduard Löwenthal

Au cours de l’été 1870, l’ardent pacifiste gagna Zurich, où il prit la tête d’un nouveau mouvement, le « Parti de l’Union européenne » (Europäische Unionspartei) et publia un journal intitulé Die Freiheitswacht. Dans un Manifeste à nos frères d’Allemagne, Löwenthal déclare la guerre à l’absolutisme et au militarisme. Il demande la réalisation d’une « fédération libérale des peuples européens identique à l’union nord-américaine ». Il exhorte les Allemands à participer, au côté de la république française créée après Sedan, à la défense de la liberté et de la fraternité en Europe.

En 1871, il publie à Zurich Das preussische Volker-Dressur-System und die europäische Fôderativ-Republik der Zukunft (Le système prussien de dressage des peuples et la république européenne fédérative de l’avenir). Il y appelle de ses vœux l’Europe des peuples et s’élève contre la « conjuration prusso-russe ».

Dans les années 1870, Löwenthal se préoccupe surtout d’arbitrage international, rejoignant les conceptions de juristes comme Bluntschli, auquel il fait du reste grief de « ménager le droit international du plus fort ».

Son ouvrage de 1874, Principes de réforme et de codification du droit international89, suggère une première ébauche de « pouvoir législatif international contractuellement reconnu », ce pouvoir devant émaner de la conscience juridique des Etats civilisés et de la communauté d’intérêts des peuples. L’auteur prévoit diverses institutions : assemblée des chefs d’Etat, assemblée des diplomates, tribunal d’arbitrage. Il a bien conscience de la nécessité de moyens coercitifs pour faire appliquer les décisions du pouvoir législatif international, mais il reste très discret à ce sujet.

Précisons qu’il existe pour Löwenthal deux réalités politiques : les États, séparés par des institutions différentes, et les peuples, liés par une indissoluble solidarité d’intérêts et par une même civilisation rationaliste et hostile à la guerre. Son optimisme l’incite à croire qu’il suffira d’institutionnaliser cette communauté « par la création d’une confédération européenne ».

Par sa croyance en le pouvoir de la raison, Löwenthal est dans la ligne de la philosophie des Lumières, par son argumentation utilitariste, il se range au côté de l’école libérale, selon laquelle le progrès des sciences, des techniques et de l’économie est un facteur décisif de paix.

Il n’aspirait ni à une république socialiste, ni aux États-Unis d’Europe républicains, car il considérait que l’organisation de la paix ne devait pas dépendre de la nature des institutions. Il espérait pouvoir renforcer le contrôle parlementaire, y compris dans les Etats dynastiques, et parvenir ainsi à une confédération pacifique.

Nourri des principes de 1848, il se rallie finalement à une Allemagne dont il espère qu’elle se réconciliera avec la France pour combattre l’absolutisme russe. En font foi les écrits de 1890 et 1891 Der Kampf um die europàische Suprematie oder die Konsequenzen einer französisch-russischen Allianz (La lutte pour la suprématie européenne ou les conséquences d’une alliance franco-russe), Berlin, 1890, et Ein französisch-deutscher Ausgleich im Hinblick auf die Vorgänge in Russland (Un compromis franco-allemand eu égard aux événements de Russie), Berlin, 1891.

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Chapitre V. L’idée d’Europe à l’époque bismarckienne

8) Eugen Schlief

Pour lui, la paix de l’Europe est indépendante des idéologies. C’est « un pur problème juridique ». Cela dit, il a bien conscience que l’Europe de son temps doit impérativement s’organiser si elle ne veut pas sombrer dans l’anarchie. Il croit lui aussi à un certain nombre de facteurs d’unité : communauté de culture, règlement des problèmes sociaux, imbrication des économies. Signalons toutefois sur ce point une contradiction entre cette interpénétration des économies et le principe « politico-économique » selon lequel, estime Schlief, tout État aurait le droit de se développer de manière autonome. Il est cependant juste de souligner que l’auteur récuse le système protectionniste et les politiques économiques et commerciales agressives.

C’est la « communauté des États civilisés » qui doit être le juge compétent en matière de droit. De ces États réunis en un système permanent doit naître un organisme de droit international doté d’une cour de justice. L’auteur de La paix en Europe donne à l’organisme en question le nom de « Système des États européens », institution à vrai dire extrêmement modeste, puisque dépourvue de tout caractère permanent. L’aspect contractuel que lui reconnaît Schlief doit écarter toute possibilité d’évolution vers un système unitaire. C’est pourquoi le projet proscrit toutes les dénominations telles que « Staatenverein » (Union des États), « Staatenbund » (confédération) ou « Etats-Unis d’Europe ».

En dépit d’une volonté évidente de sauvegarder l’autonomie des États, l’auteur est bien obligé d’envisager des moyens de pression envers les puissances récalcitrantes. Il compte beaucoup, semble-t-il, sur l’autorité morale de l’« ensemble de l’humanité civilisée ». Ce « système des États » suppose donc la solidarité des intérêts matériels et moraux entre peuples occidentaux. C’est pourquoi aux yeux de Schlief – et ce point est capital – il ne peut comprendre que les Etats européens garants de la civilisation.

Dans la pensée de Schlief, le système, pour être efficace, doit comprendre la totalité des États européens, à l’exception de la Turquie, contre laquelle il préconise une véritable croisade.

L’optimisme de Schlief ne se dément jamais. Il lui fait entrevoir la pacification de l’Europe comme réalisable à court terme, par paliers et à partir d’un noyau d’Etats influents. Reste le point suivant : de quel pays peut venir la proposition initiale ? L’auteur n’exclut pas les petits Etats, neutres ou pacifistes, ou même la Russie. Mais l’État le plus concerné à cause de sa situation géographique et politique est évidemment l’Allemagne, « cœur de l’Europe », « organe central » du système des États.

Ce projet interétatique, radicalement hostile à toute idée de confédération et de participation populaire n’avait pas plus de chance de voir le jour que les projets antérieurs. Il était condamné d’avance à rejoindre dans les oubliettes de l’Histoire ceux que son auteur trouvait si peu réalistes.

9) L'Europe des socialistes

Il est vrai, comme cela a été avancé, que l’Europe constitue le cadre où s’inscrit la pensée politique de la plupart des socialistes allemands, mais il n’en reste pas moins que la vision marxiste, comme celle de Fröbel ou de Frantz, tend à déborder les limites du Vieux Continent, et qu’au surplus les circonstances obligent les socialistes à mener prioritairement la lutte sur le plan national.

Les discours de Bebel au Reichstag, le 21 juillet 1870 à propos des crédits de guerre, le 26 novembre à propos de l’annexion de l’Alsace-Lorraine évoquent sans ambiguïté les dangers du principe national, du militarisme, de la société de classe et revendiquent pour les peuples d’Europe l’autodétermination. L’éloge de la Commune de Paris le 25 mai 1871 constitue le point culminant des proclamations de Bebel concernant la future révolution socialiste continentale. Une phrase comme celle-ci : « ... le cri de guerre du prolétariat parisien... deviendra celui du prolétariat européen tout entier » ne pouvait manquer de faire impression.

10) Johann Philipp Becker

De 1866 à 1871, il dirigea à Genève Der Vorbote, organe central de la section allemande de l’Internationale.

L’auteur de Comment et quand ? (Wie und Wann ?) préconise une Europe des nations libres, où serait assuré l’épanouissement des hommes et des peuples, où chaque collectivité jouirait d’une complète autonomie.

Pour lui, l’Europe ne peut être qu’une fédération d’associations, ce qui révèle sans aucun doute une influence proudhonienne, mais ce qui ne l’empêche pas de considérer l’Internationale comme l’instrument le plus propre à construire une Europe socialiste, comme « le seul... parti européen ».

La pensée de Becker et du Comité central de l’Internationale à Genève trahit, surtout avant 1871, un curieux mélange d’anticapitalisme, de fédéralisme et d’humanitarisme, allant jusqu’à l’évocation d’une future « race européenne » issue des mélanges ethniques. Ce thème anthropologique sera repris un peu plus tard par Nietzsche.

A cette époque, l’idée d’« États-Unis d’Europe » populaires, libres, mais solidaires et fraternels apparaît comme la solution adéquate pour unifier et pacifier le continent. Il est rare que l’on revendique alors, comme le fait le « Parti ouvrier de Saxe » fondé en 1865 par Liebknecht et Bebel, un « État social-démocratique européen » unitaire.

Le grand modèle est pour Becker sa seconde patrie, la Confédération Helvétique, noyau républicain au milieu d’une Europe essentiellement monarchique. Pas de liberté pour lui sans fédéralisme, notamment sans autonomie des collectivités et des ethnies (Volkerschaften). Il magnifie par ailleurs une future Allemagne républicaine, bastion de la paix, pivot d’une Europe démocratique, médiatrice des peuples et pacificatrice du continent, une Allemagne qui serait avec la Suisse l’organe essentiel de l’équilibre, de la raison et de la justice.

11) Marx et Engels

« Il n’y a plus en Europe que deux forces réelles : la Russie et l’absolutisme, la Révolution et la démocratie... Les peuples de l’Ouest remonteront au pouvoir et retrouveront l’unité de but, tandis que le colosse russe sera ruiné par le progrès des masses et la force explosive des idées. » (New York Tribune, 31-12-1853)

Il apparaît clairement ici que Marx partage les vues de ses contemporains démocrates et républicains concernant l’opposition entre les peuples occidentaux et le panslavisme, les premiers étant naturellement destinés à être les vecteurs de l’histoire et à changer la face du monde. Cependant l’Occident lui-même est divisé en deux camps rivaux, les puissances conservatrices et réactionnaires d’une part, les forces révolutionnaires de progrès d’autre part. Sa pensée dialectique amène Marx à considérer que le progrès de l’histoire naîtra de la confrontation des forces antithétiques : antagonismes entre Russie et Occident, conflits entre impérialismes nationaux, et surtout lutte des classes.

Les puissances conservatrices ne sont pas le seul objet de leurs attaques, qui visent aussi un certain nombre d’idéologies dites « bourgeoises », même si elles sont l’expression de l’esprit républicain et démocratique. Ainsi dès 1849 Engels attaque dans la Nouvelle Gazette rhénane les « rêveurs » comme Lamartine et Ruge, qui croient au mirage de la fraternité des peuples et au fédéralisme européen. En 1850, Marx fustige les émigrés allemands en Suisse et leur « Comité central de la démocratie européenne ».

Des hommes comme Ruge, Karl Blind, Fröbel, voire des socialistes comme Jacoby, B. Geiser, J.-R Becker ne sont pas non plus à l’abri des sarcasmes. Fröbel est accusé de s’être rallié à la bourgeoisie américaine et de prédire un avenir américano-russe. Du côté du pacifisme, la désapprobation n’est pas moindre. Marx tonne contre les « charlatans pacifistes » et refuse de collaborer au journal Les Etats-Unis d’Europe.

Cette hostilité foncière envers l’idée d’« États-Unis d’Europe » fédératifs, qui a orienté durablement la pensée marxiste, requiert quelques explications concernant la conception de la nation et de l’État national chez Marx et Engels. Ils considèrent en effet que l’histoire travaille en Europe, depuis la fin du Moyen Âge, à la constitution de grandes nationalités, l’État national correspondant à la phase bourgeoise du processus historique. L’État national est donc nécessairement un Etat de classe, dont l’indépendance et la souveraineté sont justifiées par le fait qu’elles conditionnent dialectiquement le développement du mouvement prolétarien.

De ces conceptions de base découlent deux affirmations : d’abord que l’Europe doit être composée de grandes nationalités consolidées selon le principe d’autodétermination, ensuite qu’il est nécessaire d’établir une hiérarchie entre les nations. Cette hiérarchisation rappelle de toute évidence la distinction hégélienne entre peuples historiques et non-historiques.

L’essentiel pour [Engels] est la création de grands ensembles nationaux centralisés et doués de capacités révolutionnaires. La plus urgente des tâches est, pour lui comme pour Marx, l’affranchissement du prolétariat d’Europe occidentale.

Dès le 4 septembre 1870, le jour de la proclamation de la République, le Conseil fédéral des sections parisiennes de l’Internationale s’était adressé aux démocrates socialistes allemands pour leur proposer la réconciliation des deux peuples et la création d’une république universelle des Etats-Unis d’Europe, programme certes peu orthodoxe en matière de marxisme, mais qui n’empêchera pas Marx de dresser, dans La guerre civile en France, un monument aux révolutionnaires de Paris, fussent-ils proudhoniens, blanquistes, anarchistes ou libertaires.

Une chose est sûre cependant : le grand mérite de Marx et d’Engels est de dépasser un horizon strictement européen et de donner une vision globale de l’évolution politique, économique et sociale. Ils sont, avec Tocqueville, Fröbel, Jörg parmi les premiers à avoir jugé l’Europe de manière relative, en fonction des impératifs de la situation mondiale, à avoir annoncé l’ascension des puissances extra-européennes et à avoir soumis à une analyse méthodique les répercussions des événements mondiaux sur l’état de l’Ancien Continent.

12) L'Europe des économistes

Comme List, et aussi comme d’autres, [Lorenz von Stein] est préoccupé par la future et redoutable concurrence de l’Amérique. Comme Marx, il est impressionné par le développement du commerce américain au cours de la guerre de Crimée, et il en déduit qu’il serait bon « que l’Europe se sente unie face à l’Amérique ».

Le plus petit des continents est miraculeusement parvenu à s’assimiler la substance de toutes les civilisations, à créer une philosophie commune, une conception fondamentale de l’univers, à laquelle l’auteur conseille de revenir constamment pour éviter l’affaiblissement de la conscience communautaire dans l’Europe moderne.

Fidèle à ses principes de sélection naturelle, Albert Schäffle tient la race anglo-saxonne pour particulièrement vigoureuse. C’est pourquoi il envisage pour l’Europe une émulation fructueuse avec l’Amérique. La concurrence américaine forcera les Européens à « se rassembler en États-Unis d’Europe, graduellement et à partir de l’Europe centrale ».

Élu député de Trieste au Parlement de Francfort, [Karl Ludwig von Bruck] devint dès 1848 membre du cabinet Schwarzenberg et orienta d’emblée sa politique vers l’unification de l’Europe centrale en un vaste ensemble économique allant de la Scandinavie à la Mer Noire, du Rhin à l’Adriatique. Ce bloc engloberait donc « tout le centre et la partie principale de l’Europe » et serait seul capable de concurrencer la Grande-Bretagne. Il tente d’harmoniser le système protectionniste et le système libre-échangiste en une vaste construction dont la cohésion reposerait sur l’identité des intérêts. Le centre du continent serait économiquement et politiquement organisé autour de Vienne, en une fédération regroupant l’Autriche, l’Allemagne, la Suisse, la Belgique, la Hollande, la Scandinavie et l’Italie.

Il s’agit pour Bruck d’agrandir le Zollverein grâce à des structures fédératives. D’ailleurs il fait du fédéralisme le thème de sa dernière œuvre Les tâches de l’Autriche (Die Aufgaben Österreichs, 1860), où il propose en 1859 de régler la question italienne par la création d’une confédération de la péninsule, qui viendrait compléter les confédérations germanique et helvétique. Bruck est mort à temps pour ne pas assister à l’écroulement de ses rêves, ruinés par l’avènement de l’Allemagne bismarckienne.

La revue libérale Deutsche Vierteljahres-Schrift, a joué un rôle considérable dans le débat sur le principe national. Cette revue, qui avait compté F. List au nombre de ses collaborateurs et dans laquelle s’exprimait A. Schäffle, constate que les choses sont en train d’évoluer vers une interdépendance des nations et que « les temps de la vie économique nationale fermée sont révolus », l’industrialisation menant à l’internationalisme économique.

Quant à Fröbel, il apportera en 1865 sa contribution à la libéralisation de l’économie et du commerce. S’interrogeant dans L’Autriche et le libre-échange (Österreich und der Freihandel, Wien, 1865) sur le problème de l’ouverture à la libre concurrence, il croit ne pas trahir la pensée de son maître F. List qui, comme lui, avait une connaissance directe de l’Amérique et était capable d’une vision dépassant les limites de la Mitteleuropa.

Lujo Brentano (1844-1931), professeur à Breslau, puis à Strasbourg, Leipzig, Vienne et Munich, propose en 1885 la création d’une union douanière austro-allemande étendue aux pays balkaniques. Il est convaincu que le xxe siècle verra s’affronter de grands blocs concurrents et que seul un vaste rassemblement économique du centre et du sud-est de l’Europe sera à même de relever le défi.

« On parle sérieusement d’une union douanière commune des États d’Europe centrale contre l’Amérique et la Russie », écrit de son côté en 1882 Gustav Schmoller (1838-1917), « socialiste de la chaire », professeur à Berlin et rédacteur en chef de la revue Jahrbuch für Gesetzgebung, Verwaltung und Volkswirtschaft. Dans l’article qu’il y consacre à La concurrence américaine et la situation de l’agriculture d’Europe centrale, en particulier de l’Allemagne, il élargit le cadre de sa réflexion en notant un peu plus loin : « Les Etats européens dans leur totalité (die gesamten Staaten Europas) seront obligés de faire cause commune pour soutenir la lutte du système douanier européen contre le système américain ».

Reprenant en 1880 les idées de Bruck, Baussnern leur fait subir des extensions, des translations et des réductions successives, allant du rassemblement des pays germaniques (y compris l’Angleterre et la Scandinavie) à une « union douanière entre l’Autriche-Hongrie, l’Allemagne et la France ».

Baussnern part de l’hypothèse que l’avenir sera dominé par les grands empires économiques et que l’intérêt de l’Allemagne serait d’agir « comme régulatrice de tout le commerce mondial, afin de subsister à côté des puissances mondiales d’Amérique, de Russie et d’Angleterre ».

Le philosophe Bruno Bauer, ancien « Jeune hégélien » pourfendu par Marx dans La Sainte Famille (1844), dénonce en 1880 les illusions de l’Europe et l’appauvrissement spirituel de l’Allemagne bismarckienne : « Les journaux allemands répandirent en octobre de l’année dernière la nouvelle qu’une vaste union douanière incluant la France et les Etats voisins plus petits allait inaugurer pour toute l’Europe centrale (Zentraleuropa) l’âge d’or du bonheur et du bien-être... Mais le seul côté réaliste et concret de cette idée était celui-ci : on a eu le sentiment, on a eu conscience que les Etats du continent, qui paraissaient grands, sont en réalité devenus très petits et commencent à s’atrophier ».

A. Schäffle, partant de la traditionnelle union douanière entre l’Allemagne et l’Autriche, l’étend à l’ensemble du continent sous la dénomination d’« Association continentale ». Tous les Etats de l’Europe continentale, y compris la Russie, pourraient y adhérer, la solidité de l’ensemble étant assurée par la solidarité des intérêts matériels. La stabilité économique serait garantie par l’harmonisation de l’industrie et de l’agriculture, le règlement des problèmes monétaires dans le cadre continental, l’augmentation de la productivité, les mesures de protection contre les crises de l’économie mondiale. Il s’agit en somme, comme l’indique Schäffle, de trouver une troisième voie entre l’économie nationale et la libre concurrence mondiale.

Devant la nouvelle situation mondiale, estime [Alexander von Peez], l’union de l’Europe est indispensable : « Si les Etats continentaux ne veulent pas être broyés économiquement, financièrement et ensuite politiquement par le géant anglo-saxon, s’ils ne veulent pas rétrograder peu à peu jusqu’au rang de petits États, menacés d’étouffement sous le poids de la surpopulation, de la prolétarisation, des partis, de la discorde et de la méfiance, ainsi que des armements qui en sont la conséquence, leur union est une nécessité ».

A vrai dire, Peez n’envisage pas autre chose qu’une conférence permanente des représentants des Etats, en l’occurrence la France, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, les petites nations voisines, l’Italie, et éventuellement la Russie.

Influencé par l’évolution de la situation diplomatique dans les dernières années de l’ère bismarckienne, il voit poindre à l’horizon une nouvelle menace, celle de la puissance russe, et revient à l’idée d’organiser l’Europe centrale autour de la Triplice en y adjoignant la Scandinavie, la Belgique, la Suisse, les Balkans et même la Turquie. Peez exprime le vœu qu’un jour la France, les Pays-Bas et les peuples ibériques rejoignent cette « union européenne ».

Mais il n’ignore pas qu’il s’agit d’un vœu pieux, et c’est pourquoi il met quelque espoir dans un éventuel choc psychologique provoqué par le Congrès panaméricain de Washington en 1890 : « J’espère donc, déclare-t-il en avril 1890, c’est-à-dire peu après la chute de Bismarck, que le panaméricanisme éveillera tôt ou tard un « paneuropéisme », à savoir une alliance de tous les États européens à la manière des amphictyonies de l’antique Hellade... ».

En réponse aux suggestions de Peez concernant la formation d’une « union européenne », l’économiste autrichien Alexander von Dorn (1838-1918) dénonce les mobiles nationalistes des hommes d’État en ces termes : « Je crains qu’il ne soit difficile d’amener les nations ou les Etats d’Europe, tant que leur situation ne sera pas pire qu’aujourd’hui, à conclure entre eux une entente, un cartel douanier qui en tout état de cause leur assurerait une existence sensiblement meilleure ».

C’est en 1890 que le journaliste et publiciste prussien Konstantin Rössler (1820-1896) publie son écrit L’avenir des peuples de l’Europe centrale (Die Zukunft der Völker von Mitteleuropa), ouvrage nettement pessimiste où l’auteur dresse un constat de faillite. Selon lui, l’Europe véritablement européenne, en l’occurrence celle des peuples latins et germaniques à l’exception de l’Angleterre, est en train de jouer l’avenir de sa civilisation avec le sort de son économie. Voyons ses arguments : à l’extérieur, l’Amérique et la Russie s’émancipent et font surgir grâce aux technologies européennes des civilisations qui sont la négation de la culture, laquelle repose en effet sur des facteurs moraux et spirituels. A l’intérieur règnent l’anarchie, la discorde, l’autodestruction de l’économie et, partant, de la civilisation. Le monde romano-germanique, sommet de l’histoire, est voué à « un lent dépérissement ».

https://books.openedition.org/septentrion/53848

Jean Nurdin - Le rêve européen des penseurs allemands (1700-1950) , 2003

Chapitre IV. Les libéraux allemands et l’idée européenne

Friedrich List (1789-1846)

Il constate tout d’abord que les puissances de l’Europe continentale doivent s’allier contre l’Angleterre, afin de ne pas renforcer sa domination croissante, et que Napoléon avait vu juste, mais qu’il a eu le tort de vouloir substituer à l’hégémonie britannique une hégémonie française.

Considérant ensuite l’évolution des relations entre la Grande-Bretagne et les USA, ainsi que le rythme du développement américain, List écrit ce qui suit : « Les mêmes causes... auxquelles l’Angleterre doit son élévation actuelle feront parvenir l’Amérique, vraisemblablement dans le cours du siècle prochain, à un degré d’industrie, de richesse et de puissance qui la placera au-dessus de l’Angleterre autant que l’Angleterre elle-même est aujourd’hui au-dessus de la Hollande. »

Un jour viendra, prédit List, où l’Amérique fédérée sous la tutelle des États-Unis tournera ses forces contre les Anglais, ce qui les forcera à sortir de leur isolement : « Alors la Grande-Bretagne cherchera et trouvera dans l’hégémonie des puissances européennes associées sa sûreté et sa force vis-à-vis de la prépondérance de l’Amérique, et un dédommagement pour la suprématie qu’elle aura perdue. »

Il prodigue alors ces sages conseils qui prennent de nos jours tout leur sens : « L’Angleterre sera donc avisée de s’exercer de bonne heure à la résignation, de se concilier par des concessions opportunes l’amitié des puissances européennes et de s’accoutumer dès aujourd’hui à l’idée d’être la première parmi des égales. »

Quelques mois avant sa mort, List ira proposer à Londres une alliance germano-anglaise et y écrira, en anglais, deux mémoires sur les raisons de sa démarche : l’ascension prodigieuse des États-Unis, l’esprit d’indépendance des Américains vis-à-vis de l’Europe, l’antipathie commune des Français et des Russes envers l’Allemagne.

Mais en 1841, dans le Système national, il ne s’agit encore que de l’union du continent contre la suprématie britannique, et cette union ne peut être édifiée que sur l’association de nations libres et égales. La clé de voûte doit en être la nation, considérée par List et les libéraux comme l'échelon intermédiaire indispensable entre l’individu et l’humanité. C’est pourquoi il estime nécessaire de parvenir à l’unification allemande, notamment grâce au Zollverein, car « la civilisation, la formation politique et la puissance des nations sont conditionnées essentiellement par leurs conditions économiques ».

Il découle de cela qu’une confédération ne peut être créée que par des nations ayant atteint un niveau analogue de culture et de puissance, et c’est précisément sur ce point que List critique les conceptions de Sully, de l’abbé de Saint-Pierre et des libre-échangistes. Pour lui, les projets irénistes, le cosmopolitisme, le droit international, ne peuvent trouver leur application en cas de disparité entre les nationalités. La tâche ultime de la politique est de parvenir à l’équilibre des puissances à peu près égales entre elles, ce qui suppose — et nous touchons là à un aspect très contestable des théories de List – que toute nation est fondée à remanier la carte de l’Europe selon ses besoins essentiels et légitimes. Notre économiste peut donc être tenu pour l’un des pères spirituels de la géopolitique.

Il est vrai que son propos est d’entraver l’hégémonie d’une seule puissance, en l’occurrence l’Angleterre, et de rejeter « un monde d’États anglais dans lequel les nations du continent de l’Europe viendraient se perdre comme des races insignifiantes et stériles ».

Après avoir battu en brèche l’impérialisme napoléonien puis britannique, List préconise l’organisation de l’Europe centrale autour d’une Allemagne protectionniste et industrielle, ainsi que l’extension du Zollverein à la Hollande, à la Belgique et à la Suisse. La « pomme de discorde » déjà évoquée par Leibniz doit se transmuer en « médiatrice entre l’Est et l’Ouest du continent européen », fonction qui lui revient de par sa situation géographique, sa constitution fédérative éminemment pacifique, sa tolérance, son ouverture au monde, sa culture. Une Allemagne unie économiquement et politiquement, disposant des ports néerlandais et belges, alliant les avantages des régimes monarchiques et représentatifs garantirait la paix de l’Europe et formerait « le centre d’une alliance continentale durable ».

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Jean Nurdin - Le rêve européen des penseurs allemands (1700-1950) , 2003

Chapitre VI. L’idée du déclin et de la régénération de l’Europe

Nietzsche, le « Bon Européen » (1844-1900)

La Grèce antique, de préférence présocratique, est pour Nietzsche la source originelle, la fontaine de jouvence. Est européen tout ce qui a hérité de l’hellénisme, de sorte que l’Europe nietzschéenne est à la fois plus et moins que l’Europe géographique, « cette petite presqu’île de l’Asie ». Elle englobe en effet « les peuples qui ont leur passé commun dans l’hellénisme, la latinité, le judaïsme et le christianisme ».

La critique exercée par Nietzsche contre l’Europe de son temps vise tous les domaines de la pensée, de la culture et de la vie, depuis l’optimisme rationaliste jusqu’aux maladies physiologiques et psychiques de l’homme moderne, en passant par l’inauthenticité et le manque de style de l’art et de la culture, par l’uniformisation de la société, par la démocratisation et la tyrannie des médiocres.

Le philosophe de la « volonté de puissance » réagit avec la dernière énergie contre tout ce qui dégrade l’homme dans sa force individuelle. Il a été l’un des premiers à dénoncer – avec quelle virulence – l’État et sa collusion avec la démocratie, l’État totalitaire et policier et l’Etat-Providence utilitaire. Le « plus froid » de « tous les monstres froids » ne pouvant aboutir qu’à l’étatisme nationaliste et à la balkanisation de l’Europe, avec comme ultime perspective un « État-monstre » voué à l’éclatement et la division du continent en deux blocs antagonistes.

Le philosophe se présente désormais comme le prophète du mythe de l’avenir, comme le créateur d’un nouveau type d’homme. Il s’adresse dorénavant à une élite, les « libres esprits », les « Bons Européens ». Cette conversion totale à l’européanisme se précise dans Humain, trop humain (1876-1879), où le « Messager de la bonne nouvelle » accueille en lui l’esprit de l’Europe. Héritier de traditions millénaires et enfant du futur, comme il est dit dans le Gai savoir, il place les valeurs supranationales au-dessus des patries et des races. Il se prépare à sa mission de « législateur de l’avenir » et de « seigneur de la terre ».

Nietzsche rêve alors à une phalange d’hommes héroïques et lucides, de chefs tout à la fois poètes, philosophes et conquérants. Ce sont les « Libres Esprits », solitaires, aristocrates de la pensée, annonciateurs des « philosophes de l’avenir » mais déjà porteurs de la « transvaluation de toutes les valeurs » (Umwertung aller Werte) qui doit marquer la naissance d’une nouvelle espèce d’homme.

Le philosophe nihiliste se considère comme le parangon de cette élite chargée de déchiffrer les signes du temps. Cependant la genèse de l’Européen futur implique aussi un immense processus de fusion et de sélection remettant en cause les concepts de nation et de race. Nietzsche tient pour assuré que les nations, produits artificiels, arbitraires et mal définis, feront place à une « race mélangée, celle de l’homme européen ».

Il dénonce avec force le matérialisme des Américains, leur amour de l’argent et les dangers que cela représente pour l’esprit et la culture de l’Ancien Continent. En revanche, il n’hésite pas à prophétiser la venue du siècle des Russes, ceux-ci étant sur le point d’unir vitalité et culture, les deux éléments de base de toute civilisation.

Enfin le philosophe suggère une troisième voie, certes plus banale, mais plus réaliste, autrement dit un processus économico-politique. En voici la preuve, apportée par un aphorisme de 1885 :

« Les petits États d’Europe, je veux dire tous nos États et tous nos empires actuels vont devenir intenables, économiquement parlant, vu les grandes exigences souveraines des grandes relations internationales et du commerce, qui réclament l’extension extrême des échanges universels et un commerce mondial... »

Lorsque l’on constate que, dans le texte précédent, l’auteur préconise une monnaie commune et l’adhésion de l’Angleterre à l’union européenne, on peut difficilement l’accuser d’ignorer totalement l’aspect pratique des choses. Toutefois ses écrits ne sont guère explicites quant aux modalités de l’unification. Pense-t-il en termes de fédéralisme, de convention mutuelle, ou au contraire en termes de pouvoir hégémonique, de puissance dominatrice ? L’exégète des conceptions nietzschéennes en est réduit, là aussi, aux conjectures. Les formules comme « États-Unis d’Europe » ou « union des peuples » (Völkerbund), utilisées dans Humain, trop humain et dans Le voyageur et son ombre, restent tout à fait vagues.

Citons à ce propos un passage dans lequel Nietzsche aborde le problème de la rectification des frontières, de l’aménagement de l’espace européen selon des principes rationnels et scientifiques, et non plus selon des critères dynastiques, historiques, linguistiques :

« Le résultat pratique de cette démocratisation... sera en premier lieu la création d’une union des peuples européens (Völkerbund), où chaque peuple délimité selon des opportunités géographiques occupera la situation d’un canton (Kanton)... on tiendra alors très peu compte des souvenirs historiques des peuples tels qu’ils ont existé jusqu’à présent... »

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Jean Nurdin - Le rêve européen des penseurs allemands (1700-1950) , 2003

Chapitre VII. L’idée européenne à l’ère impérialiste

Il est d’autant plus surprenant que l’idée européenne ait finalement survécu à la pire époque nationaliste et à l’épreuve de la guerre, qui a fait d’elle un thème de réflexion privilégié pour les esprits les plus illustres.

A la veille de la guerre, le grand industriel juif Walther Rathenau, qui devait devenir ministre de la République de Weimar et fut assassiné en 1922, ouvre des perspectives sur une union douanière d’Europe centrale qui, estime-t-il, pourra entraîner l’adhésion future des États occidentaux. Ce bloc européen pourrait dans l’avenir rivaliser avec l’Amérique voire la surpasser.

Le second écrit [témoignant de la persistance de l'idée d'États-Unis d'Europe] date de 1914. C’est une brochure anonyme relevant à la fois de la fiction et de l’analyse historique, La création des Etats-Unis d’Europe (Die Schöpfung der Vereinigten Staaten von Europa). Hostile à l’impérialisme annexionniste des pangermanistes, l’auteur de ce curieux opuscule prévoit que le conflit en cours aboutira à l’union douanière de l’Europe centrale et de la France, et que l’Allemagne fera grâce au fédéralisme ce que la France a manqué, à savoir les États-Unis d’Europe. Mises à part ces anticipations d’un caractère relativement original, l’écrit se signale par la prédiction, parfaitement utopique tout en n’étant pas dénuée d’exactitude, de la création d’une union européenne en 1937 sous l’empereur Guillaume III, à la suite d’une guerre-éclair menée par l’Allemagne avec des armes secrètes. La nouvelle Europe aura pour capitale Aix-la-Chapelle et sera gouvernée par un « Parlement culturel » présidé à tour de rôle par chacune des grandes puissances.

Dans le grand débat d’idées déclenché au milieu de la guerre par la situation stratégique du Reich, l’ouvrage de Friedrich Naumann (1860-1919), Mitteleuropa (1915) prend un relief particulier, d’une part parce que la propagande alliée en fit l’exemple même de l’idéologie impérialiste du Reich wilhelminien, d’autre part à cause de la personnalité et de l’influence de l’auteur. Naumann, homme politique en vue, réformateur chrétien social, créateur en 1896 du « National-sozialer Verein », dirigeait depuis 1894 la revue Die Hilfe, très influente auprès des universitaires et des intellectuels et soutenue par des hommes comme Robert Bosch et Max Weber, qui y fit paraître en 1916 son article Deutschland unter den europäischen Weltmächten. Naumann, libéral de gauche, partisan d’un impérialisme démocratique et social mais adversaire de l’idéologie pangermaniste, était convaincu qu’il fallait parachever l’œuvre bismarckienne en groupant autour de la puissance industrielle allemande les territoires de l’Empire des Habsbourg.

Comme Rathenau, qui avait, dans un mémoire adressé en septembre 1914 au chancelier Bethmann-Hollweg, exprimé sa conviction que la confrontation économique entre l’Europe centrale et le monde occidental ne cesserait pas avec la fin de la guerre, l’auteur de Mitteleuropa envisageait une communauté d’Etats rassemblés en une confédération politique et économique, communauté sui generis où les Allemands, le type même du peuple « économique », tiendraient le premier rôle. Grâce à un socialisme d’Etat imposé par la guerre, la « Mitteleuropa » s’imposerait parmi les puissances mondiales. Elle permettrait en outre de régler le problème des nationalités. Naumann pensait avoir découvert une voie nouvelle, qu’il qualifiait de « übernational » (surnational), entre le nationalisme et l’internationalisme. Le sens de la guerre en cours lui apparaissait précisément comme la création d’un ensemble d’Etats transcendant l’idée nationale, comme la réalisation d’un type d’homme nouveau, l’« Européen central », tenant le milieu entre les grands types nationaux d’Europe.

L’ouvrage de Naumann provoquera d’innombrables réactions à partir de 1916, en Allemagne et en Europe centrale, sans aboutir à une quelconque réalisation. L’idée d’une « Mitteleuropa » devait néanmoins lui survivre, en particulier du fait des problèmes de nationalités. Naumann avait en la matière le grand mérite d’envisager l’organisation de l’Europe centrale non pas en imposant l’hégémonie allemande, mais grâce à un système libéral, confédéral, respectueux des cultures et des langues nationales, de même qu’avant 1914 il a défendu le principe d’une réconciliation franco-allemande.

Naumann observe d’ailleurs qu’à l’intérieur même du parti social-démocrate s’opposent partisans et adversaires de la « Mittteleuropa ». L’Autrichien Karl Renner proclame en effet, en 1915-1916, la nécessité d’une fédération d’Europe centrale pour faire pièce aux impérialismes russe et britannique. D’autres socialistes, surtout allemands, estiment qu’un bloc de ce genre pourrait favoriser la réalisation d’objectifs internationalistes.

Par contre, des hommes de premier plan comme Kautsky (1854-1938), Hilferding (1877-1941) et Otto Bauer (1870-1919) prennent position contre le projet de Naumann. Hilferding publie en 1915 un article intitulé Europäer, nicht Mitteleuropäer, où il considère la « Mitteleuropa » comme une machine de guerre.

Dès 1911, Rosa Luxemburg s’était inscrite en faux contre le slogan des « États-Unis d’Europe » proclamé alors par Ledebour et Kautsky lui-même. Le 3 avril 1911, Ledebour déclarait au Reichstag que les États européens devaient s’unir économiquement et politiquement et affirmait sa conviction d’une proche réalisation des États-Unis d’Europe. De même, Kautsky préconisait dans un article de Die neue Zeit, Krieg und Frieden, l’« union des États de la civilisation européenne en une fédération avec une politique commerciale commune, un parlement fédéral, un gouvernement fédéral et une armée fédérale – la création des États-Unis d’Europe ».

Kautsky attendait d’une semblable union la paix éternelle, mais telle n’est pas la position de R. Luxemburg, qui rejette ces conceptions dans l’optique de l’orthodoxie marxiste. Elle ne tient l’Europe que pour un concept géographique, à la rigueur historique et culturel, et non pour un ensemble économique et politique. A l’ère impérialiste, les Etats nationaux capitalistes sont concurrents et l’Europe n’est plus qu’une partie du système mondial. Par conséquent l’idée d’une union européenne est un anachronisme : « Les « États-Unis d’Europe » sont donc une idée qui aussi bien économiquement que politiquement va directement à l’encontre du cours de l’évolution... »

Luxemburg retrouve ici les arguments de Marx polémiquant contre la « Ligue internationale pour la paix et la liberté » : l’idéal des États-Unis d’Éurope est bourgeois et réactionnaire. Il n’a au fond pour but que la lutte commerciale contre les USA et l’exploitation des peuples colonisés. Le paneuropéisme, conclut-elle, est tout aussi nocif que le pangermanisme ou le panslavisme : « L’idée d’une communauté de civilisation européenne est complètement étrangère au système de pensée et à la conscience de classe du prolétariat. Ce n’est pas la solidarité européenne, mais la solidarité internationale, englobant l’ensemble des continents, des races et des peuples, qui est le fondement du socialisme au sens marxiste ».

Keyserling, qui fut partisan d’une union supranationale de l’Europe, réfléchit dans la revue pacifiste Die Friedenswarte, en 1916, au sens de la guerre. Il cite ce propos de Romain Rolland « Quel que soit le vainqueur, c’est l’Europe qui sera vaincue » et pronostique que l’Europe de l’après-guerre sera analogue à l’Allemagne de la Guerre de Trente ans.

De semblables prophéties ne manquent pas dans la littérature de langue allemande à partir de 1916, lorsqu’il parut évident que la guerre ruinerait de plus en plus les belligérants et qu’il devenait urgent de dépasser les nationalismes pour reprendre conscience de la communauté spirituelle européenne.

L’un des meilleurs exemples de cette démarche est fourni par l’écrivain autrichien Hugo von Hofmannsthal (1874-1929), qui tenta, durant et après la guerre, de sauvegarder les traditions d’une civilisation à la fois européenne et autrichienne. Convaincu de la mission dévolue à son pays, il publie en 1917, c’est-à-dire à la veille du démembrement de l’Empire, deux textes intitulés l’un L’idée autrichienne (Die österreichische Idee), l’autre L’idée d’Europe (Die Idee Europa).

Hofmannsthal y dénonce tous les méfaits de la civilisation moderne, matérialisme et mercantilisme, utilitarisme et règne de l’argent, toutes formes de déclin de l’esprit. Après les grandes époques de l’humanisme, voici la médiocrité du xixe siècle, l’homme soumis à l’esclavage de la technique, « apprenti-sorcier dominé par ses balais »14. L’Europe a perdu son « être » et sa « loi » au profit des « moyens » (Mittel) et d’une apparente liberté (Scheinfreiheit). Ce chaos, ce « danger de désagrégation » a engendré la guerre15. Hofmannsthal trace des parallèles, cherche dans le passé des crises identiques : la Guerre du Péloponnèse, la fin de la République romaine, la rupture de la chrétienté lors de la Réforme. L’Europe n’est ni une unité géographique, ni une unité ethnique. Son essence est de nature spirituelle, transcendante, et le concept d’Europe est précisément en pleine décomposition : « La notion d’Europe : nous avons grandi avec elle. Pour nous, son effondrement est une expérience bouleversante. » Hofmannsthal indique alors, comme un retour à l’orientalisme romantique, une voie possible de salut hors de cette Europe qui sème l’effroi : l’évasion au cœur de l’Asie, à laquelle « l’Europe a symboliquement tendu la palme ».

Se référant aux sagesses orientales, à Lao Tseu, au tao, l’auteur des Aufzeichnungen zu Reden in Skandinavien appelle de ses vœux « l’homme européen de la Loi » (der europäische Mensch des Gesetzes), ancré dans l’« être » (Sein) et non plus soumis à l’instabilité du « devenir » (Werden).

Proche de Hofmannsthal, Pannwitz l’est par l’attirance qu’il ressent envers les grandes sagesses orientales, celles de Bouddha et de Confucius, qui représentent, estime-t-il, la seule solution à la crise de l’Occident.

[Max Scheler] place au-dessus des nations le type du « Bon Européen », représentant d’une communauté de civilisation qu’il définit comme différente du cosmopolitisme des minorités cultivées et de l’internationalisme des masses populaires. Il tente avec d’infinies nuances d’évoquer ce qu’il appelle « européanisme » (Europäertum) ou « européité » (Europäität), et qui s’esquisse d’abord par antithèse face aux autres civilisations. Il en cherche les diverses caractéristiques dans les parentés religieuses, éthiques, intellectuelles et artistiques, mythologiques et esthétiques. Le monde du xxe siècle, affirme Scheler, est uniquement centré sur l’Europe, et l’Amérique elle-même n’est qu’une « colonie culturelle ».

Scheler devait compléter ces conceptions dans une conférence tenue à Vienne en 1917 et parue en 1918 dans la revue Hochland. Ce texte, intitulé De la reconstruction culturelle de l’Europe (Vom kulturellen Wiederaufbau Europas) est pour nous du plus grand intérêt, car son auteur s’efforce d’y tracer d’abord le cadre politique et juridique et d’y définir les conditions morales de la reconstruction. Celle-ci devra être générale et véritablement révolutionnaire, puisqu’il s’agira d’accéder à un sentiment très fort de solidarité face au monde extra-européen, de venir à résipiscence et de pratiquer la conversion intérieure (Umkehr) qui délivrera l’Europe de sa déliquescence spirituelle et morale. La grande affaire sera de parvenir à la conscience de l’authentique « communauté culturelle » (Kulturgemeinschaft) qui lie entre eux les Européens, d’en cerner les caractères, les forces, les devoirs et les limites, de la renforcer par l’éducation et l’enseignement.

Toute éducation orientée exclusivement vers la pensée positiviste et les sciences est à rejeter, de même que tout nationalisme culturel. Scheler prône au contraire la sauvegarde de l’idéal intellectuel humaniste gréco-latin, dont les valeurs sont toujours « des phares pour tous les peuples européens ». Il préconise en outre l’ouverture vers un humanisme moderne axé sur la connaissance des langues et des cultures européennes, notamment slaves. Le philosophe préconise en effet une réorientation radicale en direction de l’Est, de la Russie, de l’Asie et des origines orientales de la pensée antique et chrétienne. Son objectif fondamental est de rompre avec l’activisme et le productivisme à outrance de la civilisation occidentale moderne, et de replacer au centre de tout l’individu en tant que personne autonome et responsable.

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  • 2 weeks later...

 

il y a 34 minutes, nemo a dit :

Boule75 a dit :

1. il n'y a pas de "constitution" de l'UE. Les traités sont révisables.
2. les traités CECA et Euratom sont repris tel quel dans les traités ultérieurs et font donc pleinement partie des fondements de l'UE et de la Communauté Européenne avant elle.
3. la PAC est une politique de l'Union, ancienne, plusieurs fois amendée mais bien vivante.


Tu illustres mon propos sur la volonté de certains d'interdire les débats rationnels basés sur des faits, en les remplaçant par des concours d'imprécations tapissées d'interprétations douteuses ou mensongères présentées comme des faits mais qui n'en sont pas.
Et au final, on ne discute plus des politiques, on gueule seulement.

Et toi tu passes ton temps à jouer sur les mots.

Ne jouons pas sur les mots précisément. "Constitution" a un sens et l'UE n'a pas de constitution, celle qui a été soumise a été rejetée par référendum.

Il y a des traités, dont on peut sortir, que l'on peut dénoncer ou réviser, même si c'est compliqué...
 

il y a 34 minutes, nemo a dit :

Les politiques anciennes ont pas disparus certes pour cause de lobby essentiellement mais dans les faits de nouveaux toutes les nouvelles applications sont dans le jus néo-libéral.

Non. Pas du tout. Définitivement pas. Tiens, un seul exemple, tout récent, mais il y en a bien d'autres et sur de nombreux sujets : Adoption de nouvelles règles sur des salaires minimaux adéquats dans l’UE 14-09-2022. Rien que le titre t'indique qu'on est pas dans un univers "ultra-libéral" (ou néo-libéral" si tu veux, quoi que ça signifie).
Et les vaccins commandés en commun et répartis entre tous, et le RGPD, et REACH, et les évolutions du travail détaché, et la non-conclusion d'un traité de libre échange avec le Mercosur puisqu'ils refusaient d'appliquer l'accord de Paris, et ainsi de suite, et ainsi de suite.

Arrête ton disque.

Que tu dises "voilà ce qui ne marche pas, ou mal, voilà comment je changerai les choses" : très bien. Brailler "ultra-libéralisme !" à tout propos, en dépit des évidences ne mène nulle part.
 

il y a 34 minutes, nemo a dit :

Ce jus non révisable et qui passe son poison partout. Une nouvelle fois que ce soit pas un libéralisme "chimiquement pur" est établi, il y a une histoire et des résistances mais c'est pas la question parce que tu éludes ce qui est central dans mon propos :
- caractère inscrit de façon indélébile dans les traités, car dans les faits les traités sont pas révisable par la règle de l'unanimité.
-et le fait que c'est la nature du projet et c'est dit en toute lettre.

Nier tout cela est simplement stupide.

Bien sûr, bien sûr.

Ce qui est écrit en toutes lettre c'est d'abord et avant tout "économie sociale de marché".

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Il y a 2 heures, Boule75 a dit :

 Brailler "ultra-libéralisme !" à tout propos, en dépit des évidences ne mène nulle part.
Ce qui est écrit en toutes lettre c'est d'abord et avant tout "économie sociale de marché".

ça méne à savoir ce qu'il y a en face de nous. Et c'est "une économie sociale de marché" à aucun titre. 

Citation

Tiens, un seul exemple, tout récent, mais il y en a bien d'autres et sur de nombreux sujets : Adoption de nouvelles règles sur des salaires minimaux adéquats dans l’UE 14-09-2022. Rien que le titre t'indique qu'on est pas dans un univers "ultra-libéral" (ou néo-libéral" si tu veux, quoi que ça signifie).

Ha c'est sur quand on se paie de mot. Les états décideront ce qui est un salaire "qui permet de vivre décemment". Et la contrainte là dedans? Ha bah y en a pas, il fixeront eux même le panier de référence et les salaires minimaux qui vont avec. SI ça c'est pas du socialisme dur de dur...

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il y a une heure, nemo a dit :

ça méne à savoir ce qu'il y a en face de nous. Et c'est "une économie sociale de marché" à aucun titre. 

"J'ai, j'avais, et j'aurais toujours raison, na ! " :chirolp_iei:

il y a une heure, nemo a dit :

Ha c'est sur quand on se paie de mot. Les états décideront ce qui est un salaire "qui permet de vivre décemment". Et la contrainte là dedans? Ha bah y en a pas, il fixeront eux même le panier de référence et les salaires minimaux qui vont avec. SI ça c'est pas du socialisme dur de dur...

Oh ça aurait pu certainement être plus "socialiste", mais à la marge. La création d'une nouvelle juridiction européenne, ou d'un corps d'inspecteurs du travail européen, ou encore d'un salaire minimal homogène dans tous les pays était non-seulement hors de portée, mais non-souhaitable.
C'est un compromis "réaliste", souple. Les modalités de fixation du salaire minimal sont tout de même décrites, et la contrainte aussi : les états qui transgressent seront sanctionnés, à travers les cours de justice de l'UE si leurs cours nationales ne font pas le travail.

Allez, rappelons l'article :

Évaluation de l’adéquation des salaires minimaux

La fixation d’un salaire minimal restera une compétence nationale, mais les États membres devront s’assurer que leurs salaires minimaux nationaux permettent aux travailleurs de vivre décemment, en tenant compte du coût de la vie et des différents niveaux de rémunération. Afin d’évaluer l’adéquation de leurs salaires minimaux légaux existants, les États membres peuvent établir un panier de biens et de services à des prix réels, ou le fixer à 60% du salaire médian brut et 50% du salaire moyen brut.

Encourager la négociation collective

Selon les nouvelles règles adoptées aujourd’hui par les députés, la négociation collective au niveau sectoriel et interprofessionnel est essentielle pour parvenir à un niveau adéquat de protection offerte par des salaires minimaux. Elle doit donc être encouragée et renforcée. Dans les pays où moins de 80% des travailleurs sont couverts par la négociation collective, les États membres, en collaboration avec les partenaires sociaux, devront établir un plan d’action afin d’augmenter cette couverture.

Contrôle et droit de recours

Le texte approuvé introduit l’obligation pour les États membres de mettre en place un système de contrôle, comprenant un système de suivi fiable ainsi que des contrôles et des inspections sur le terrain, afin de garantir le respect de ces règles et de lutter contre la sous-traitance abusive, le faux travail indépendant, les heures supplémentaires non déclarées ou l’augmentation de l’intensité de travail.

Ce n'est pas parfait, c'est un bon pas dans le bon sens, qui pose des principes sains. Les états (ou les patronats) qui ne voulaient pas de syndicats seront gênés, ceux qui refusaient tout principe de salaire minimal devront s'y faire, ça n'aboutit pas à des solutions débiles ou le salaire minimal aurait été le même à Bucharest et à Bonn (soit beaucoup trop bas d'un côté, régression sociale totale, soit beaucoup trop haut de l'autre avec chômage/faillites de masse), etc...

Économie de marché, régulation - certes imparfaite ! pour les côtés environnementaux et sociaux.

Trop fade peut-être... :combatc:

Edit : il y a même une clause anti-Uber qui m'avait échappée...

Modifié par Boule75
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https://books.openedition.org/septentrion/53842

Jean Nurdin - Le rêve européen des penseurs allemands (1700-1950) , 2003

Chapitre I. L’idée européenne de Leibniz à la Révolution française

Gottfried Wilhelm Leibniz

En 1700, l’Académie des Sciences de Berlin est inspirée et présidée par le philosophe, dont les efforts auprès de Pierre le Grand aboutissent en 1725 à la fondation de celle de Saint-Pétersbourg.

Si avant la rédaction du Mémoire de 1670 le philosophe exclut la Russie de la chrétienté, à la fin de sa vie il se prend à rêver à son occidentalisation, d’autant plus qu’il rencontre Pierre le Grand en 1710.

Dès 1700, il considère déjà l’Empire des tsars comme un pont lancé vers la Chine, pays pour lequel il a toujours ressenti une vive attirance et avec lequel l’Europe pourrait, par l’intermédiaire de la « Moscovie », organiser de fructueux échanges. Il écrit dès 1697 :

« Mais le Tsar et le Monarque chinois sont frontiers (voisins) entre eux et tous deux merveilleusement portés à attirer dans leur pays les sciences, les arts et les bonnes manières particulièrement de notre Europe, et ils se peuvent prêter la main et obliger mutuellement à cet égard ».

La Russie serait ainsi une sorte de trait d’union en vue d’une synthèse supérieure des civilisations. On ne saurait trop insister sur le fait que Leibniz a été l’un des premiers à reconnaître l’importance historique, politique et culturelle du règne de Pierre le Grand et de l’occidentalisation de la Russie, à laquelle il estimait pouvoir collaborer lui-même activement. On ne peut nier qu’il ait introduit dans la pensée allemande une ouverture vers l’est que l’on retrouvera chez Herder et ses successeurs et qui contribuera à intégrer l’Empire tsariste au « Concert européen ».

Toutes les caractéristiques de la pensée leibnizienne se retrouvent dans son idée européenne : universalisme, fédéralisme, cosmopolitisme, aspiration à l’unité et à l’harmonie, esprit de conciliation. Les études consacrées à ce génie encyclopédique mettent la plupart du temps l’accent sur l’unité foncière de ses conceptions, qu’elles soient métaphysiques, philosophiques ou politiques. On peut donc affirmer à juste titre que le philosophe de la « monadologie » appréhende l’Europe comme un système de monades autonomes gravitant autour de son centre – en l’occurrence l’Allemagne – selon les lois d’une « harmonie préétablie ».

En même temps qu’il envisage la formation d’immenses ensembles intercontinentaux dont l’Europe serait le centre, il prend acte de la multiplicité de ses génies nationaux et de sa diversification croissante, annonçant par là la théorie herdérienne de l’esprit particulier à chaque peuple. Il va même, lui qui publie beaucoup de ses œuvres en latin et en français et qui conçoit le projet d’une langue universelle, recommander à ses compatriotes de cultiver l’allemand.

Martin Wieland

Wieland voit le « cosmopolite » (Weltbürger) comme un être libre parce que soumis aux seules lois de la Raison. Le devoir de cet être d’élite est d’exercer une influence morale sur la société, d’éclairer et d’éduquer son prochain.

La Révolution française ne pouvait qu’être saluée par Wieland et la grande majorité des intellectuels allemands comme le début d’une ère nouvelle. La France avait la mission d’éclairer l’Europe, elle-même appelée à éclairer le monde. La proclamation de la république et la Terreur obligèrent ces penseurs idéalistes à prendre leurs distances par rapport à la Révolution. Dans ses Entretiens des dieux (Göttergespräche), Wieland fait même l’éloge de l’Allemagne, qui par sa situation géographiques, ses dimensions, sa fertilité et le caractère de sa population, aurait selon lui vocation à devenir la citadelle de l’Europe policée. Cependant il ne faut voir dans ces spéculations que les réflexions d’un homme d’ordre, et non un ralliement au nationalisme. Le « patriotisme » n’est aucunement pour Wieland la passion exclusive d’une nation particulière, mais l’un des degrés menant à l’amour de l’Humanité. Le véritable « patriote » est en même temps un vrai citoyen du monde, soumis non pas à des pulsions totalement irrationnelles, mais aux lois de la Raison.

En 1798, l’auteur des Conversations en tête à tête (Gespräche unter vier Augen) confirme ces conceptions dans les lignes suivantes :

« A quel degré de perfection et de bien-être les peuples d’Europe ne parviendraient-ils pas... s’ils renonçaient définitivement à tous ces résidus honteux de la vieille barbarie, à cette sanguinaire haine de nation à nation, au misérable préjugé selon lequel le bonheur d’autrui nuirait au nôtre, à toutes ces méprisables ruses de boutiquiers, à tous ces artifices de filous que l’on nommait autrefois politique et qui ne trompent plus personne... »

Après cette condamnation de la politique de cabinet du xviiie siècle finissant, Wieland esquisse le projet d’« une association de peuples » (Volkerbund), constituée sans tenir compte de la variété des formes de gouvernement, peu importante dans le fond ; ainsi serait organisée, de façon durable, une « communauté européenne d’Etats ».

Très réticent envers le régime démocratique, il a cru voir en Napoléon le monarque capable de dompter l’anarchie et d’imposer le règne de la loi. En 1806, il exposera encore dans le Teutscher Merkur le plan d’une cour de justice européenne (hohes Staatsgericht), sous l’égide de l’Empereur des Français.

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https://books.openedition.org/septentrion/53844

Jean Nurdin - Le rêve européen des penseurs allemands (1700-1950) , 2003

Chapitre II. L’idée européenne sous la Révolution et l’Empire

Immanuel Kant

Le philosophe de Königsberg avait connaissance du Projet de paix perpétuelle de l’Abbé de Saint-Pierre. Kant va définir sa position dans un opuscule de 1793 : Sur l’expression courante : il se peut que ce soit juste en théorie, mais pour la pratique cela ne vaut rien. Il s’efforce d’y définir le juste milieu entre l’utopie et l’empirisme des juristes et des partisans de l’équilibre des puissances.

Kant expose dans Idée d’une histoire universelle du point de vue cosmopolitique, que l’humanité tend vers une constitution civile parfaite et vers une confédération des peuples (Völkerbund) selon les principes de la Raison et du Droit. C’est là, précise-t-il, un « plan caché de la nature ».

L’essentiel de la théorie kantienne est contenu d’une façon très lapidaire dans les deux Articles définitifs en vue de la paix perpétuelle. Le premier dispose que : « Dans tout Etat, la constitution civile doit être républicaine. » Le second que : « Le droit international doit être fondé sur un fédéralisme d’Etats libres. »

Le problème que le philosophe cherche à résoudre est la question fondamentale qui se pose depuis toujours à l’Europe, à savoir : comment assurer l’unité des peuples tout en garantissant leur autonomie. Dans ce but, il écarte la notion d’équilibre des forces d’une part, la notion d’Etat universel, monarchie ou république mondiale (Völkerstaat) d’autre part. De même que dans la société civile, la liberté des individus doit être assurée, de même la confédération reposant sur un pacte librement conclu doit garantir l’autonomie des Etats contractants.

L’idée fédéraliste n’était pas, lors de la publication de Zum ewigen Frieden, une idée neuve. Montesquieu, Rousseau l’avaient déjà évoquée et, outre la Suisse, l’Allemagne et les Provinces Unies, les Américains avaient appliqué le principe fédératif dans leur constitution de 1787. De plus, Kant restait très concis et ne précisait pas la théorie juridique du fédéralisme. Et pourtant son essai fut très discuté, traduit en français dès 1795 et 1796, en danois et en anglais. Il devint vite un événement de portée internationale, car il apportait, outre les bases d’une organisation moderne et rationnelle de la société internationale, une vision nouvelle de l’Europe. Avec Kant, c’est le passage de l’Europe des Princes, de l’Europe médiévale et œcuménique à l’Europe des peuples et des citoyens.

Johann Gottlieb Fichte

N’étant ni monarchiste, ni catholique, ni mystique, Fichte a eu avec les Romantiques des démêlés retentissants, ce qui n’a pas empêché son influence de s’exercer sur eux, et inversement.

Les circonstances historiques expliquent la réaction de tous ces auteurs contre l’adversaire commun : l’impérialisme napoléonien et l’hégémonie de la civilisation française, auxquels on oppose, dans ces premières années du siècle, une germanité idéale, un sentiment national fortement imprégné d’esprit philosophique.

Fichte part du kantisme, plus précisément de Zum ewigen Frieden. Dans son écrit de 1796 Von Kant zum ewigen Frieden (De Kant à la paix éternelle), il attend encore de la France la création de l’Etat de droit (Rechtsstaat), en d’autres termes la paix. Il est en effet convaincu qu’entre Etats de droit la guerre est impossible, et il croit trouver dans les États-Unis d’Amérique et dans la future « grande république des Etats européens » (die große europäische Staatenrepublik) des preuves irréfutables. Sur la voie du fédéralisme républicain, il pousse même plus loin que Kant la limitation de la souveraineté des Etats.

Mais il constate qu’il existe entre les Etats européens, en dehors de la fragmentation politique, beaucoup de liens qui rendent leur autonomie difficile, à commencer par la lutte pour la concurrence et la liberté du commerce. Le philosophe y voit les causes principales des conflits, des crises et des guerres, et préconise en conséquence un système d’économie autarcique propre à chaque Etat.

Il perçoit dans l’histoire du continent la lutte incessante des Etats de la « République chrétienne » pour la prédominance, pour la « monarchie universelle » et pour le maintien de l’équilibre des puissances. Il va même jusqu’à considérer la rivalité pour l’hégémonie comme le ressort profond de toute notre histoire. Le philosophe constate en outre, dans ces cours de 1804-1805, une tendance générale des Européens modernes à l’uniformité, ce qui, pense-t-il, faciliterait le processus d’unification : « ... les Européens chrétiens par leur nature même ne sont qu’un seul peuple... ils reconnaissent l’Europe pour leur vraie patrie commune, et d’un bout de l’Europe à l’autre, ils cherchent à peu près la même chose... Ils cherchent la liberté personnelle, un droit et une loi qui soient égaux pour tous... ».

Le contraste est grand avec l’opinion de F. Schlegel, qui discerne dans l’évolution de l’Europe moderne un processus de diversification croissante. Fichte, toutefois, est conscient que le phénomène d’homogénéisation qu’il décrit risquerait de mener à la stagnation. Il y remédie en faisant de l’effort et de l’émulation un principe essentiel de la civilisation européenne.

Ces cours de 1804-1805 illustrent de la manière la plus évidente la coexistence du cosmopolitisme et du sentiment national chez Fichte. A la question : « Quelle est donc la patrie de l’Européen chrétien vraiment cultivé ? », il répond : « En général, c’est l’Europe, en particulier c’est à chaque époque l’Etat d’Europe qui est à l’apogée de la culture... ».

Le philosophe s’achemine ici, sans aucun doute, vers les Discours à la nation allemande, qu’il prononcera en 1807-1808 à Berlin et où il fondera la supériorité de l’Allemagne sur des critères linguistiques, religieux, philosophiques, culturels et historiques. Il y exprimera des conceptions proches de la pensée romantique, telles que le rôle des Germains dans l’histoire de l’Europe, l’idée que l’Allemagne est la « Mère » (Mutterland) des peuples européens, la description de la dissociation de l’unité médiévale, l’hostilité au libre-échangisme, au système de l’équilibre européen et à l’impérialisme napoléonien. Mais c’est précisément sur le point de la « monarchie universelle » que Fichte se sépare des Romantiques, car il écarte non seulement le Super-Etat napoléonien, mais aussi le mythe d’un « Reich » renouvelé du Saint-Empire et inféodé au papisme. Il reste en effet jusqu’au bout luthérien et démocrate.

L’auteur des Discours tient l’Europe pour une « nation commune » rassemblant les peuples « néogermains » (neugermanisch), c’est-à-dire germaniques et latins, en un tout à la fois un et divers, animé par une émulation et un enrichissement réciproques.

La situation politique de son temps a poussé Fichte à mettre l’accent sur l’antagonisme plus que sur la solidarité des peuples occidentaux, et ses derniers écrits proclameront toujours la vocation d’une Allemagne unifiée à régénérer l’Europe et à transformer radicalement l’homme et le monde.

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  • 3 weeks later...

Etonnant comme la CPE ne fait pas vibrer sur ce Forum .... Communauté POLITIQUE européenne !     

Je vois surtout là le mot POLITIQUE, et donc cet intérêt POLITIQUE partagé par 44 pays au delà donc le l'UE qui, du coup ne se voit pas reconnu d'avenir  POLITIQUE  ( ou si compliqué ...à accoucher  ) 

Voir surtout les cartes extraites de cet article   https://www.la-croix.com/Monde/A-Prague-lUnion-europeenne-tente-rassembler-lEurope-2022-10-06-1201236418

force-10.jpg

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@Bechar06 En effet, certains ce sont hérissait que l’Azerbaïdjan voir la Turquie y soit, mais notons que Géorgie, Arménie, et la Serbie y sont.

Et dans la Croix, on apprend également que l'UE va aider à délimiter les frontières entre Arméniens et Azéris :

https://www.la-croix.com/L-UE-envoyer-mission-Armenie-aider-desescalade-Bakou-2022-10-07-1301236586

L’Union européenne va envoyer une « mission civile » en Arménie, le long de l’Azerbaïdjan, pour aider à la délimitation des frontières et relancer le processus de normalisation naissant entre les deux pays, mis à mal par des affrontements sanglants en septembre.

« La mission débutera en octobre pour une durée maximale de deux mois. L’objectif de cette mission est d’établir la confiance et, par ses rapports, de contribuer aux commissions de délimitation des frontières », ont annoncé vendredi 7 octobre le premier ministre arménien Nikol Pachinian, le président azerbaïdjanais Ilham Aliev, le chef d’État français Emmanuel Macron et le président du Conseil européen Charles Michel à l’issue de plusieurs heures de discussions à Prague.

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Il y a 2 heures, g4lly a dit :

Qu est ce qu'ils ont encore fait les Serbes pour aller au coin?

Rien du tout. Au contraire c'est bénef pour eux ça les insère dans la diplomatie européenne et peut-être pourrait enfin les pousser à avancer sur certains points dans leur tambouille interne et leur entrée dans l'UE.

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https://www.liberation.fr/international/europe/union-europeenne-les-manigances-de-charles-michel-pour-ecarter-le-candidat-demmanuel-macron-a-un-poste-cle-20221010_3CQZXVXBFJHKPHMBDHJ2CH4WF4/

Après des mois de négociations, la Franco-Suisse Thérèse Blanchet, une juriste sans expérience diplomatique, a été nommée à un poste crucial de l’UE, auquel l’Elysée voulait placer un représentant autrement plus qualifié. A la manœuvre, le président du Conseil européen inflige ainsi un camouflet au chef de l’Etat.

Les Vingt-Sept ont décidé, vendredi, lors du sommet informel de Prague, de nommer au poste de secrétaire général du Conseil des ministres de l’Union européenne (SG), après sept mois de vacance, la Franco-Suisse Thérèse Blanchet, directrice générale du service juridique depuis 2019 de cet organe législatif où siègent les Etats. Même si, pour la première fois, ce poste stratégique sera occupé par une femme, il s’agit d’un choix par défaut, le Belge Charles Michel, président du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement ayant tout fait pour tuer la candidature, soutenue par l’Elysée, du très (trop ?) brillant Représentant permanent français auprès de l’Union (RP, l’équivalent d’un ambassadeur), Philippe Léglise-Costa, qui risquait de lui faire de l’ombre. Résultat de cette manœuvre : jamais ce poste n’aura été occupé par une personnalité aussi faible, ses précédents titulaires étant tous des diplomates de très haut niveau.

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  • 2 weeks later...

J'ai trouvé une analyse intéressante. Elle concerne la France, l'Allemagne et la Pologne. L'auteur est britannique et fait partie de l'un des principaux think tanks allemands. Je dois dire d'emblée que ses réflexions ne font pas partie du mainstream allemand.
Teaser :
La France est dans le camp de l'approfondissement de l'UE, la Pologne dans celui de l'élargissement. L'Allemagne se situe entre les deux.
Dans son discours à Prague en août, Scholz a fait preuve de trop d'égards pour la France. L'axe Paris-Berlin ne peut pas à lui seul créer un compromis pour l'Europe.
Macron a lancé la CPE pour emballer les intérêts français dans un conteneur qu'il peut faire passer pour européen ; c'est sa manière habituelle de procéder. 
Désormais, la CPE est devenue un monstre de Frankenstein sur lequel Macron perd le contrôle. L'Allemagne doit profiter de l'occasion pour se rapprocher de la Pologne.

--------------

https://ip-quarterly.com/en/filling-europes-geopolitical-vacuum

Combler le vide géopolitique de l'Europe
La Communauté politique européenne est lancée aujourd'hui lors d'un sommet réunissant 44 États à Prague sans que l'on sache exactement à quoi elle sert. L'Allemagne a toutefois la possibilité de faire preuve de leadership et de négocier un accord entre la France et la Pologne pour faire avancer l'UE.

Roderick Parkes

À un moment où l'architecture de sécurité de l'Europe est brisée, un nouveau forum potentiel a émergé pour la réparer. Cette semaine, 44 dirigeants européens se réunissent pendant la plus grande crise géopolitique que l'Europe ait connue depuis au moins trois décennies. En tête de l'ordre du jour : déterminer pourquoi ils se réunissent et s'il convient de le faire à nouveau. Ce sommet géant est le fruit d'une proposition française visant à établir une Communauté politique européenne, et s'il reste plutôt informe et sans direction, c'est parce qu'il aurait dû être une proposition allemande avec des conseils allemands sur son objectif et son avenir. C'est l'histoire d'une occasion manquée - et d'une chance de tirer les bonnes leçons.

Tirer sur le vieux canard : élargissement ou approfondissement ?
En mai, lorsque l'Ukraine, la Moldavie et la Géorgie ont demandé le statut de candidat à l'Union européenne, elles ont involontairement ravivé un vieux clivage entre les États membres de l'Union européenne, entre le camp de l'"élargissement" et celui de l'"approfondissement". Les partisans de l'élargissement affirment que celui-ci a permis à l'UE d'adopter des sanctions contre la Russie à l'échelle du continent. Les sceptiques affirment que l'échec de l'approfondissement de l'intégration a permis aux nouveaux États membres de ralentir l'adoption de ces sanctions. C'est un débat qui se déroule depuis les années 1970, lorsque le Royaume-Uni a rejoint l'UE et a considéré l'élargissement comme un moyen de ralentir l'intégration politique. Il s'agit d'un débat extrêmement polarisé.

Dans le coin rouge, la France, qui souhaite rationaliser la capacité de l'UE à agir dans le monde et est convaincue que l'élargissement y fait obstacle. Dans le coin bleu, la Pologne - favorable à l'élargissement et nerveuse à l'idée d'une coopération plus approfondie en matière de politique étrangère, de peur que l'Europe ne se détache des États-Unis ou que la Pologne ne soit mise en minorité par la France. Et entre les deux : L'Allemagne. Au printemps, un accord devait être négocié : Les Polonais obtiennent l'élargissement, mais renoncent à un droit de veto sur la politique étrangère de l'UE ; les Français obtiennent des structures de politique étrangère européennes rationalisées et une Commission européenne plus petite, mais uniquement pour que la future UE élargie soit viable. L'Allemagne était idéalement placée pour conclure cet accord.

L'absence de leadership allemand
Toutefois, cela aurait nécessité un leadership politique de la part de Berlin. En termes purement procéduraux, bien sûr, il n'y a pas de réelle tension entre élargissement et approfondissement ; l'élargissement a toujours obligé les États membres à rationaliser le processus décisionnel. Mais le simple fait de bricoler les procédures de l'UE n'empêche pas la fragmentation politique. L'Allemagne avait besoin d'un argument politique : elle devait dire à Chypre et à Malte : "Vous pensez peut-être que vous risquez d'être dominés si vous renoncez à votre droit de veto, mais en fait, vous invitez la domination, car la Russie et la Chine vous pressent de bloquer les décisions de l'UE" ; ou encore dire à la Hongrie : "Perturbez cet accord européen comme vous l'avez fait pour les paquets de sanctions et risquez de graves répercussions".

Le 29 août, le chancelier allemand Olaf Scholz a finalement tenté de s'imposer, et son discours à Prague a effectivement esquissé les contours de cet accord. Mais il était trop allemand - trop tardif, trop technique, et détourné par une demande de sièges allemands supplémentaires au Parlement européen. L'accent a également été mis sur la nécessité d'obtenir l'adhésion de la France (c'est un mythe dépassé que si l'Allemagne et la France s'entendent, elles forgent un compromis pour toute l'Europe). Et l'on a trop critiqué la Pologne, qui a fait preuve d'une grande solidarité envers les Ukrainiens déplacés et qui a rompu ses liens avec la Hongrie (les provisoires maladroits de Scholz sur la solidarité en matière de migration et l'État de droit).

Un problème à la recherche d'une solution
Il nous restait donc la proposition française, ou plus précisément la méthode française. En lançant la Communauté politique européenne (CPE), le président Emmanuel Macron a suivi son modus operandi habituel : inventer un terme attrayant et le remplir d'intérêts français (élargissement-phobie, protectionnisme, anglo-scepticisme) ; nier furieusement aux autres États de l'UE qu'il s'agit bien d'un véhicule pour les intérêts français ; puis verrouiller les intérêts français en concluant un compromis franco-allemand. Le CPE était donc prêt à tromper l'Ukraine en lui proposant une alternative à la pleine adhésion à l'UE, tout en répondant aux critères allemands d'"inclusion" et de respect des règles et réglementations européennes existantes.

C'est alors qu'est survenu un rebondissement inattendu : face à la confusion de l'Allemagne et à la méfiance des autres États membres, les Français ont semblé prendre peur et ont confié la propriété du projet à la présidence tchèque de l'UE. L'idée a ensuite été accidentellement revigorée par les Britanniques, qui ont annoncé à la dernière minute que la nouvelle première ministre, Liz Truss, participerait finalement au sommet initial et souhaitait même accueillir le suivant. Truss cherchait-elle à échapper à ses problèmes domestiques ? Jouait-elle le même tour que lorsqu'elle est devenue ministre des affaires étrangères et a surpris l'UE en adoptant un ton conciliant ? Ses motivations sont sans importance ; les effets sont réels : Comme un Lazare, la proposition est revenue de son lit de mort.

Une vie propre
Comme le monstre de Frankenstein, le projet de Macron montre des signes sérieux de développement d'une vie propre, loin de son maître. Entre les mains des Britanniques, le CPE deviendrait un forum intergouvernemental de coordination sur la menace russe et la montée de la Chine. La CPE offrirait le type de sessions de rencontre de haut niveau présentées par le président russe Vladimir Poutine lors du sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai à Samarkand le 15 septembre, un forum politique inclusif conçu pour empêcher la Chine de s'attaquer aux franges de l'Europe avec l'un de ses formats "plus un". Avec Londres aux commandes, le CPE se détacherait complètement de l'UE, jetant peut-être les bases d'une nouvelle architecture de sécurité européenne.

Pendant ce temps, de l'autre côté de l'Europe, la Moldavie fait évoluer la proposition dans une direction très différente. Leur conception de la CPE est basée sur un projet et repose sur le sentiment que, même si l'UE s'est engagée de manière rhétorique à s'élargir, dans la pratique, les poteaux d'objectif se déplacent. L'UE approfondit ses normes, introduit de nouvelles taxes et investit dans ses propres transformations écologiques et numériques. Les pays candidats à l'adhésion ont besoin de projets d'infrastructure, afin de rester à portée de main de l'UE. Ils espèrent également que le CPE sera un forum technique permettant à l'UE d'apprendre de ses voisins, plutôt que de leur faire la leçon, en matière de décentralisation, de numérisation et de défense.

"Le centre de l'Europe se déplace vers l'Est"
La bonne nouvelle : L'EPC, malgré ses débuts sournois en France, est en train de tâtonner pour combler un vide géopolitique européen majeur. La mauvaise nouvelle : Ces développements ont contourné la division originale au sein de l'UE entre la France et la Pologne, ce qui signifie que l'UE ne peut pas fournir un noyau politique cohésif et inclusif pour la grande périphérie européenne. L'autre bonne nouvelle : La France n'a pas réussi à verrouiller ses intérêts, et l'Allemagne a encore une chance de négocier un accord entre ses deux voisins. L'autre mauvaise nouvelle : pour y parvenir, l'Allemagne doit se ressaisir. Elle doit reconnaître que c'est la Pologne, et non la France, et non l'Allemagne, qui prend l'ascendant.

Depuis l'élection du gouvernement Droit et Justice (PiS) en 2015, l'Allemagne a eu tendance à passer la Pologne par pertes et profits comme étant eurosceptique et xénophobe. Mais la Pologne se bat désormais pour la démocratie européenne et ouvre les portes aux réfugiés, ce qui éclipse plutôt les "mécanismes de solidarité avec les réfugiés" et la "conditionnalité de l'État de droit" de l'Allemagne." Les Allemands le savent dans leur cœur. Mais dans leur esprit, ils s'attendent à ce que la Pologne mette bientôt de côté sa position morale et que le confortable statu quo puisse revenir. Les Polonais se tirent toujours une balle dans le pied, avec leur désir de contrarier les Allemands (cf. leurs demandes chimériques de réparations de guerre allemandes et leur tendance à s'aligner sur le Royaume-Uni marginal).

L'ancien statu quo européen n'est toutefois pas viable. Le statu quo verrouille les avantages et les intérêts allemands. L'Allemagne ne peut plus revendiquer la responsabilité franco-allemande de son développement et considérer les autres tentatives de réforme comme une atteinte à l'ordre naturel des choses. La Pologne, dès la crise de la zone euro, a compris qu'elle devait passer du statut de décideur passif de l'UE à celui de décideur actif, et a présenté ses idées de réforme économique. Elle a présenté ses idées de réforme économique. La France et l'Allemagne lui ont dit de se tenir tranquille, tout comme ses propositions pour une union européenne de l'énergie en 2014. Lors de la crise de Schengen de 2015, la Pologne a joué le rôle de trouble-fête, se contentant de bloquer les excès de la France et de l'Allemagne.

L'Allemagne doit donc reconnaître qu'elle a une part de responsabilité dans l'aigreur politique de la Pologne, et que l'euroscepticisme de la Pologne - comme celui de l'Italie - ne vient pas d'un rejet de l'UE mais d'un fort sentiment d'appartenance et de propriété qui a été repoussé par la France et l'Allemagne. Elle doit également comprendre que le débat sur "l'approfondissement de l'UE" va bien au-delà des règles de veto au Conseil européen. Il s'agit plutôt d'un désir de changement et d'une peur de la domination. La Pologne serait probablement plus constructive à l'égard de l'"approfondissement" si elle avait le sentiment d'avoir une chance équitable de l'influencer. Faire des concessions à la Pologne aurait été impensable jusqu'à récemment, mais il y a maintenant une fenêtre d'opportunité.
 

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Il y a 15 heures, Manuel77 a dit :

J'ai trouvé une analyse intéressante. Elle concerne la France, l'Allemagne et la Pologne. L'auteur est britannique et fait partie de l'un des principaux think tanks allemands. Je dois dire d'emblée que ses réflexions ne font pas partie du mainstream allemand.
Teaser :
La France est dans le camp de l'approfondissement de l'UE, la Pologne dans celui de l'élargissement. L'Allemagne se situe entre les deux.
Dans son discours à Prague en août, Scholz a fait preuve de trop d'égards pour la France. L'axe Paris-Berlin ne peut pas à lui seul créer un compromis pour l'Europe.
Macron a lancé la CPE pour emballer les intérêts français dans un conteneur qu'il peut faire passer pour européen ; c'est sa manière habituelle de procéder. 
Désormais, la CPE est devenue un monstre de Frankenstein sur lequel Macron perd le contrôle. L'Allemagne doit profiter de l'occasion pour se rapprocher de la Pologne.

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https://ip-quarterly.com/en/filling-europes-geopolitical-vacuum

Combler le vide géopolitique de l'Europe
La Communauté politique européenne est lancée aujourd'hui lors d'un sommet réunissant 44 États à Prague sans que l'on sache exactement à quoi elle sert. L'Allemagne a toutefois la possibilité de faire preuve de leadership et de négocier un accord entre la France et la Pologne pour faire avancer l'UE.

Roderick Parkes

À un moment où l'architecture de sécurité de l'Europe est brisée, un nouveau forum potentiel a émergé pour la réparer. Cette semaine, 44 dirigeants européens se réunissent pendant la plus grande crise géopolitique que l'Europe ait connue depuis au moins trois décennies. En tête de l'ordre du jour : déterminer pourquoi ils se réunissent et s'il convient de le faire à nouveau. Ce sommet géant est le fruit d'une proposition française visant à établir une Communauté politique européenne, et s'il reste plutôt informe et sans direction, c'est parce qu'il aurait dû être une proposition allemande avec des conseils allemands sur son objectif et son avenir. C'est l'histoire d'une occasion manquée - et d'une chance de tirer les bonnes leçons.

Tirer sur le vieux canard : élargissement ou approfondissement ?
En mai, lorsque l'Ukraine, la Moldavie et la Géorgie ont demandé le statut de candidat à l'Union européenne, elles ont involontairement ravivé un vieux clivage entre les États membres de l'Union européenne, entre le camp de l'"élargissement" et celui de l'"approfondissement". Les partisans de l'élargissement affirment que celui-ci a permis à l'UE d'adopter des sanctions contre la Russie à l'échelle du continent. Les sceptiques affirment que l'échec de l'approfondissement de l'intégration a permis aux nouveaux États membres de ralentir l'adoption de ces sanctions. C'est un débat qui se déroule depuis les années 1970, lorsque le Royaume-Uni a rejoint l'UE et a considéré l'élargissement comme un moyen de ralentir l'intégration politique. Il s'agit d'un débat extrêmement polarisé.

Dans le coin rouge, la France, qui souhaite rationaliser la capacité de l'UE à agir dans le monde et est convaincue que l'élargissement y fait obstacle. Dans le coin bleu, la Pologne - favorable à l'élargissement et nerveuse à l'idée d'une coopération plus approfondie en matière de politique étrangère, de peur que l'Europe ne se détache des États-Unis ou que la Pologne ne soit mise en minorité par la France. Et entre les deux : L'Allemagne. Au printemps, un accord devait être négocié : Les Polonais obtiennent l'élargissement, mais renoncent à un droit de veto sur la politique étrangère de l'UE ; les Français obtiennent des structures de politique étrangère européennes rationalisées et une Commission européenne plus petite, mais uniquement pour que la future UE élargie soit viable. L'Allemagne était idéalement placée pour conclure cet accord.

L'absence de leadership allemand
Toutefois, cela aurait nécessité un leadership politique de la part de Berlin. En termes purement procéduraux, bien sûr, il n'y a pas de réelle tension entre élargissement et approfondissement ; l'élargissement a toujours obligé les États membres à rationaliser le processus décisionnel. Mais le simple fait de bricoler les procédures de l'UE n'empêche pas la fragmentation politique. L'Allemagne avait besoin d'un argument politique : elle devait dire à Chypre et à Malte : "Vous pensez peut-être que vous risquez d'être dominés si vous renoncez à votre droit de veto, mais en fait, vous invitez la domination, car la Russie et la Chine vous pressent de bloquer les décisions de l'UE" ; ou encore dire à la Hongrie : "Perturbez cet accord européen comme vous l'avez fait pour les paquets de sanctions et risquez de graves répercussions".

Le 29 août, le chancelier allemand Olaf Scholz a finalement tenté de s'imposer, et son discours à Prague a effectivement esquissé les contours de cet accord. Mais il était trop allemand - trop tardif, trop technique, et détourné par une demande de sièges allemands supplémentaires au Parlement européen. L'accent a également été mis sur la nécessité d'obtenir l'adhésion de la France (c'est un mythe dépassé que si l'Allemagne et la France s'entendent, elles forgent un compromis pour toute l'Europe). Et l'on a trop critiqué la Pologne, qui a fait preuve d'une grande solidarité envers les Ukrainiens déplacés et qui a rompu ses liens avec la Hongrie (les provisoires maladroits de Scholz sur la solidarité en matière de migration et l'État de droit).

Un problème à la recherche d'une solution
Il nous restait donc la proposition française, ou plus précisément la méthode française. En lançant la Communauté politique européenne (CPE), le président Emmanuel Macron a suivi son modus operandi habituel : inventer un terme attrayant et le remplir d'intérêts français (élargissement-phobie, protectionnisme, anglo-scepticisme) ; nier furieusement aux autres États de l'UE qu'il s'agit bien d'un véhicule pour les intérêts français ; puis verrouiller les intérêts français en concluant un compromis franco-allemand. Le CPE était donc prêt à tromper l'Ukraine en lui proposant une alternative à la pleine adhésion à l'UE, tout en répondant aux critères allemands d'"inclusion" et de respect des règles et réglementations européennes existantes.

C'est alors qu'est survenu un rebondissement inattendu : face à la confusion de l'Allemagne et à la méfiance des autres États membres, les Français ont semblé prendre peur et ont confié la propriété du projet à la présidence tchèque de l'UE. L'idée a ensuite été accidentellement revigorée par les Britanniques, qui ont annoncé à la dernière minute que la nouvelle première ministre, Liz Truss, participerait finalement au sommet initial et souhaitait même accueillir le suivant. Truss cherchait-elle à échapper à ses problèmes domestiques ? Jouait-elle le même tour que lorsqu'elle est devenue ministre des affaires étrangères et a surpris l'UE en adoptant un ton conciliant ? Ses motivations sont sans importance ; les effets sont réels : Comme un Lazare, la proposition est revenue de son lit de mort.

Une vie propre
Comme le monstre de Frankenstein, le projet de Macron montre des signes sérieux de développement d'une vie propre, loin de son maître. Entre les mains des Britanniques, le CPE deviendrait un forum intergouvernemental de coordination sur la menace russe et la montée de la Chine. La CPE offrirait le type de sessions de rencontre de haut niveau présentées par le président russe Vladimir Poutine lors du sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai à Samarkand le 15 septembre, un forum politique inclusif conçu pour empêcher la Chine de s'attaquer aux franges de l'Europe avec l'un de ses formats "plus un". Avec Londres aux commandes, le CPE se détacherait complètement de l'UE, jetant peut-être les bases d'une nouvelle architecture de sécurité européenne.

Pendant ce temps, de l'autre côté de l'Europe, la Moldavie fait évoluer la proposition dans une direction très différente. Leur conception de la CPE est basée sur un projet et repose sur le sentiment que, même si l'UE s'est engagée de manière rhétorique à s'élargir, dans la pratique, les poteaux d'objectif se déplacent. L'UE approfondit ses normes, introduit de nouvelles taxes et investit dans ses propres transformations écologiques et numériques. Les pays candidats à l'adhésion ont besoin de projets d'infrastructure, afin de rester à portée de main de l'UE. Ils espèrent également que le CPE sera un forum technique permettant à l'UE d'apprendre de ses voisins, plutôt que de leur faire la leçon, en matière de décentralisation, de numérisation et de défense.

"Le centre de l'Europe se déplace vers l'Est"
La bonne nouvelle : L'EPC, malgré ses débuts sournois en France, est en train de tâtonner pour combler un vide géopolitique européen majeur. La mauvaise nouvelle : Ces développements ont contourné la division originale au sein de l'UE entre la France et la Pologne, ce qui signifie que l'UE ne peut pas fournir un noyau politique cohésif et inclusif pour la grande périphérie européenne. L'autre bonne nouvelle : La France n'a pas réussi à verrouiller ses intérêts, et l'Allemagne a encore une chance de négocier un accord entre ses deux voisins. L'autre mauvaise nouvelle : pour y parvenir, l'Allemagne doit se ressaisir. Elle doit reconnaître que c'est la Pologne, et non la France, et non l'Allemagne, qui prend l'ascendant.

Depuis l'élection du gouvernement Droit et Justice (PiS) en 2015, l'Allemagne a eu tendance à passer la Pologne par pertes et profits comme étant eurosceptique et xénophobe. Mais la Pologne se bat désormais pour la démocratie européenne et ouvre les portes aux réfugiés, ce qui éclipse plutôt les "mécanismes de solidarité avec les réfugiés" et la "conditionnalité de l'État de droit" de l'Allemagne." Les Allemands le savent dans leur cœur. Mais dans leur esprit, ils s'attendent à ce que la Pologne mette bientôt de côté sa position morale et que le confortable statu quo puisse revenir. Les Polonais se tirent toujours une balle dans le pied, avec leur désir de contrarier les Allemands (cf. leurs demandes chimériques de réparations de guerre allemandes et leur tendance à s'aligner sur le Royaume-Uni marginal).

L'ancien statu quo européen n'est toutefois pas viable. Le statu quo verrouille les avantages et les intérêts allemands. L'Allemagne ne peut plus revendiquer la responsabilité franco-allemande de son développement et considérer les autres tentatives de réforme comme une atteinte à l'ordre naturel des choses. La Pologne, dès la crise de la zone euro, a compris qu'elle devait passer du statut de décideur passif de l'UE à celui de décideur actif, et a présenté ses idées de réforme économique. Elle a présenté ses idées de réforme économique. La France et l'Allemagne lui ont dit de se tenir tranquille, tout comme ses propositions pour une union européenne de l'énergie en 2014. Lors de la crise de Schengen de 2015, la Pologne a joué le rôle de trouble-fête, se contentant de bloquer les excès de la France et de l'Allemagne.

L'Allemagne doit donc reconnaître qu'elle a une part de responsabilité dans l'aigreur politique de la Pologne, et que l'euroscepticisme de la Pologne - comme celui de l'Italie - ne vient pas d'un rejet de l'UE mais d'un fort sentiment d'appartenance et de propriété qui a été repoussé par la France et l'Allemagne. Elle doit également comprendre que le débat sur "l'approfondissement de l'UE" va bien au-delà des règles de veto au Conseil européen. Il s'agit plutôt d'un désir de changement et d'une peur de la domination. La Pologne serait probablement plus constructive à l'égard de l'"approfondissement" si elle avait le sentiment d'avoir une chance équitable de l'influencer. Faire des concessions à la Pologne aurait été impensable jusqu'à récemment, mais il y a maintenant une fenêtre d'opportunité.
 

Une redoutable collection de talking points !

"L'UE approfondit ses normes, introduit de nouvelles taxes et investit dans ses propres transformations écologiques et numériques."

Quelles taxes sans rire ??? La seule mention du nom de Liz truss comme signifiant quoi que ce soit rend ce discours risible.

Et puis cette idée qu'il faille un leadership allemand, que ce soit nécessaire et naturel : les anglais caressant l'hubris des uns pour nuire aux autres... (à tous en fait) :rolleyes:

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Il y a 19 heures, Manuel77 a dit :

[...] Il nous restait donc la proposition française, ou plus précisément la méthode française. En lançant la Communauté politique européenne (CPE), le président Emmanuel Macron a suivi son modus operandi habituel : inventer un terme attrayant et le remplir d'intérêts français (élargissement-phobie, protectionnisme, anglo-scepticisme) ; nier furieusement aux autres États de l'UE qu'il s'agit bien d'un véhicule pour les intérêts français ; puis verrouiller les intérêts français en concluant un compromis franco-allemand. Le CPE était donc prêt à tromper l'Ukraine en lui proposant une alternative à la pleine adhésion à l'UE, tout en répondant aux critères allemands d'"inclusion" et de respect des règles et réglementations européennes existantes. [...]

J'ai surtout l'impression de lire un auteur n'ayant jamais eu à rendre compte devant les urnes, n'ayant jamais eu à faire face à une opinion publique. On paye encore, et l'on ne sait d'ailleurs pas de quoi demain sera fait, la volonté d'avoir voulu élargir vite sans faire l'effort d'intégration. On pourra certes objecter que les citoyens français ont largement entravé cette intégration en répondant par la négative lors du référendum sur le projet de constitution européenne. Mais ils n'étaient pas les seuls. Et, à vrai dire, c'est avant l'extension de 2004 ou même sans doute avant l'adoption d'une monnaie commune, qu'il aurait fallu se poser pour développer l'intégration politique et un fonctionnement plus adéquat et plus démocratique. On a des dirigeants français, parce que Macron s'inscrit finalement dans une lignée plus longue, qui remettent sur la table cette question de l'intégration politique... avant de parler d'extension. Et cela me paraît sans doute sage si l'on ne veut pas voir l'Union Européenne imploser à terme ou prendre des virages désastreux.

Modifié par Skw
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il y a 15 minutes, Skw a dit :

On a des dirigeants français, parce que Macron s'inscrit finalement dans une lignée plus longue, qui remettent sur la table cette question de l'intégration politique... avant de parler d'extension. Et cela me paraît sans doute sage si l'on ne veut pas voir l'Union Européenne imploser à terme ou prendre des virages désastreux.

Ces velléités de réforme et d'approfondissement sont contraires à ce qu'a toujours promu le RU lorsqu'il était dans l'UE, et ce qu'il prône encore : une Union sans capacité politique propre et traitant des seules questions économiques, si possible dans une optique très libre-échangiste, l'appartenance ou le rattachement à l'Union étant par ailleurs instrumenté comme un privilège et un outil au service des intérêts politiques défendus par Londres. D'où le refus complet des velléités d'indépendance de l'UE en matière de capacités et d'industrie militaire, d'où l'insistance pour faire rentrer dans l'UE la Turquie par exemple, qui présentait un double bénéfice : développement économique de la Turquie et réservoir de main d’œuvre pas cher d'un membre de l'OTAN, changement des équilibres au sein de l'UE interdisant l'approfondissement de l'union politique, affaiblissement du poids de Paris et Bonn (à l'époque).

De ce point de vue, ce texte est cohérent : la guérilla menée pendant des décennies du dedans se poursuit du dehors...

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