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Guerre Russie-Ukraine 2022+ : Opérations militaires
DMZ a répondu à un(e) sujet de Alexis dans Politique etrangère / Relations internationales
Les civils portant des armes sont des francs-tireurs non protégés par la convention de Genève sauf s'ils portent un élément distinctif (brassard...) Ils risquent donc d'être comptabilisés comme "pertes civiles" au mieux, "terroristes abattus" au pire, car je n'ai rien vu de tel sur les images postées. -
Guerre Russie-Ukraine 2022+ : Opérations militaires
DMZ a répondu à un(e) sujet de Alexis dans Politique etrangère / Relations internationales
Convention de Montreux Il ressort de l'état patent de belligérance entre l'Ukraine et la Russie (que la guerre soit formellement déclarée ou non) que le passage de leurs bâtiments est de facto interdit sauf pour ceux qui retournerait à leur port d'attache : un bâtiment de la flotte de la Baltique ne pourrait pénétrer en mer Noire mais est libre d'en sortir, ceux basés à Sébastopol peuvent revenir en mer Noire mais ne peuvent la quitter... La Turquie peut donc refuser tout passage russe ou ukrainien qui ne lui convient pas sans avoir à notifier qui que ce soit (les passages de navires de guerre se font sous préavis de huit jours, article 13). -
Guerre Russie-Ukraine 2022+ : Opérations militaires
DMZ a répondu à un(e) sujet de Alexis dans Politique etrangère / Relations internationales
Il y a trois impacts de tirs, deux explosions juste au dessus de chars, la défense active de ceux-ci les a probablement provoquées, un au pied du pont. Il semble que, sauf saturation, il soit difficile de mettre un coup au but même si les quasi-impacts semblent montrer un guidage précis des projectiles. -
La Sauterelle - Stratégie en chambre Vendredi 28 juin - Huit heures - Londres Je suis reçu par le général De Gaulle dans des bureaux exigus et passablement enfumés, plus que ce que j'ai eu à subir jusqu'ici, l'odeur de tabac froid datant de la veille prend à la gorge. « Sous-lieutenant, à votre âge ? Je m'attendais à recevoir un émissaire plus haut placé, il en est certain qui ne me pardonnent visiblement toujours pas mes prises de positions. - Il faut dire que je commence tout juste ma carrière militaire, mon général, même par ces temps troublés il eut été difficile de me donner un grade un tant soit peu plus élevé. - Il m'est donc échu un débutant pour couronner le tout. » Je ne réponds pas et lui remets la lettre de Georges Mandel. De Gaulle la lit puis me regarde avec curiosité. « Georges Mandel me parle de vous avec chaleur et me dit que vous avez été d'un grand secours dans le ralliement du général Noguès à la cause de la continuation du combat. - Oui mon général, j'ai eu la chance de pouvoir apporter au bon moment des informations cruciales au général Noguès. Je me targue d'avoir un peu de sa confiance depuis. - Bien, expliquez-moi l'affaire. » Je lui tends le message du général Noguès. Après en avoir pris connaissance, il se trouve rassuré. Les deux tâches principales qui lui incombent sont la mobilisation des troupes encore en Grande-Bretagne sur laquelle il ironise : « Me voilà devenu sergent-recruteur ! » et participation à un Conseil inter-alliés pour laquelle il montre beaucoup plus de satisfaction. Je me mets à sa disposition sur le dernier point pour lui apporter toute ma connaissance de la situation en Afrique du nord bien qu'il ait également reçu un rapport sur celle-ci. « Ainsi donc, Darlan a lâché le trop vieux maréchal, je ne sais ce qui l'avait attiré dans ce bourbier. - Comme tant d'autres papillons, il a été ébloui par des lumières trop fortes pour être vraies et trop proches pour être évitées. Il semble que le général Noguès ait allumé son phare juste à temps. - L'image est poétique mais en clair ? - Laval et ses sbires ont manœuvré pour retenir les parlementaires le plus longtemps possible et promis tout à ceux qu'ils voulaient faire tomber. L'amiral Darlan s'est vu un temps à de hautes fonctions au gouvernement, il a certainement compris avec la déclaration du général Noguès qu'il n'y avait pas d'avenir là-bas... - Mais il n'a pas renoncé pour autant ici ! Je pensais bien à une chose semblable. Vuillemin n'a pas eu cette tentation, lui. - Vous savez en quelle piètre estime on le tient dans le sérail, lui qui sort du rang. Il est trop droit pour penser à autre chose que le sort de la France. - Trop simple... Reste l'Armée, qui va la représenter dans cet État-major général ? Noguès est hors-jeux qui doit rester à la Résidence générale. Mais ce ne sont pas les prétendants qui manquent, n'est-ce pas ? - Je ne suis pas assez au fait des états de service des officiers généraux en Afrique du nord, mon général, je n'y suis que depuis une semaine à peine et j'ai été accaparé par de nombreuses tâches. Semaine qui m'a paru une éternité, au reste... - Vous ne cessez de me surprendre, il y a des sujets sur lesquels vous semblez en avance sur tout le monde et d'autres où vous manifestez une étrange ignorance. - Mes centres d'intérêt, mon général, je n'ai pu arriver à cette connaissance approfondie dans certains domaines sans avoir à en négliger d'autres, plus nombreux hélas. - Passons. Donc pas de nom pour le Chef d'État-major non plus. - Pas encore. Mais pourquoi pas l'amiral Darlan ? - Un marin ? À quoi pensez-vous donc ? - Je comprends bien que l'objectif principal étant la reconquête du territoire national et compte tenu du poids de l'Armée c'est un terrien à qui devrait échoir le poste mais considérez qu'il s'agit d'une fonction d'animation et que son titulaire, tout en prenant les décisions, devra fortement s'appuyer sur ses subordonnés dans les trois armes. Alors qu'importe celle dont est issue le chef. L'amiral Darlan est un travailleur acharné, ce qui comptera beaucoup, il est un fervent défenseur des nouvelles armes dans son domaine, le porte-avions en particulier, il saura donc s'adapter et promouvoir les changements à venir. Il simplifiera enfin le choix car il y a pléthore de généraux qui pourrait y prétendre. Le problème est plus que l'on pourrait considérer cela comme un désaveux de l'Armée de terre, surtout après le désastre qui vient d'accabler nos forces en métropole. L'autre solution serait justement de désigner un général de l'armée d'Afrique pour valoriser l'Empire et le récompenser de sa ténacité. Mais ici aussi le désaveux de l'armée de Métropole serait patent. Mais je ne risque pas d'intervenir dans un tel choix, mes réflexion ne vont certainement rien changer au résultat. - Vous m'avez au moins donné à penser. » Il se montre très intéressé par la nouvelle organisation de l'État-major général mais m'ensevelit sous les critiques et remarques à son égard. Je le laisse respectueusement déverser le tout, c'est bien le personnage que les historiens décrivent. Mais dans l'ensemble, je vois bien qu'il est satisfait des évolutions de la pensée opérationnelle. Le général Béthouart est introduit. De Gaulle le met au courant des évolutions en cours et lui annonce qu'il a été désigné pour diriger un Comité d'étude sur les opérations combinées. « Quels seront mes pouvoirs ? - Autant que j'ai pu en juger, interviens-je, vous aurez toute latitude pour choisir vos collaborateurs et déterminer votre programme de travail. Il est attendu une réflexion approfondie sur ce que sera la future armée française qui doit faire interagir toutes ses composantes de manière harmonieuses au niveau opérationnel, voire tactique et stratégique. - À vous entendre, raille-t-il, on penserait que vous avez déjà une idée de la solution. - Je doute, comme vous, qu'il n'y ait qu'une solution. Mais si vous en éprouvez le désir, sachez que je me tiens à votre entière disposition, compte tenu toutefois de mes autres activités en cours. » Il m'énerve un peu à me prendre de haut alors que c'est moi qui l'ai proposé. Ils commencent tous à me fatiguer avec leur suffisance. Ils viennent quand même de se prendre un gros coup de pied dans le cul et ils la ramènent encore, c'est quand même eux qui ont foutu la France dans cette panade et ils osent accabler les politiques et me regarder comme une sous-merde. Je te les enverrais chier... Bon, je suis injuste, Béthouart a réellement battu les Allemands de belle manière à Narvik. Quoiqu'il ait été légaliste et soit reparti pour la Métropole historiquement. Mais quand même, je commence à ressentir les prémisses du surmenage, va falloir que je dose. Ils ne perdent rien pour attendre. Bon, je fais profil bas en attendant. Je les laisse commenter les nouvelles et les ordres. De Gaulle va profiter de Béthouart pour faire une tournée à Trentham Hall dès demain. Je ne doute pas que l'aura de Béthouart saura susciter des ralliements en masse dans les troupes ayant participé à la campagne de Norvège et les autres par effet d'entraînement. La verve de De Gaulle et le respect accordé à Noguès feront le reste.
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La Sauterelle - La multiplication des porte-avions Jeudi 27 juin - Rabat Passage à la Résidence générale pour rendre compte. Le général Noguès semble fatigué, j'espère qu'il ne va pas céder comme Reynaud. Il me félicite pour mes deux jours passés à Alger dont il a eu les meilleurs échos. Les premières procédures nouvelles sont déjà en expérimentation pour les opérations aériennes en Libye. Il me charge de contacter le général De Gaulle à Londres pour mettre en place l'envoi des troupes françaises de Grande-Bretagne vers l'Afrique du nord. J'obtiens de pouvoir rencontrer les autorités anglaises au plus haut niveau possible. J'apprends que les discussions inter-armes ont bien avancé et que je suis également chargé d'un message au général Béthouart à ce sujet. L'amiral Darlan a tenu à voir le drôle de personnage qui se permet de donner des conseil aux officiers supérieurs et a connaissance des projets les plus secrets de la Marine. Je lui parle des porte-avions et du retard à mettre en chantier le Joffre et le Painlevé. « Je regrette le choix de l'Hispano-Suiza 12X pour les Loire-Nieuport 410 qui en ont fait des appareils poussifs qui ont, de ce fait (trop faible altitude à pleine charge et trop faible vitesse), été des cibles faciles pour la Flak et la chasse allemandes, un simple 12Y aurait complètement changé la donne. Il est à ce titre dommage que le LN-42 n'ait pu être développé plus tôt qui aurait indubitablement surclassé le Stuka. J'ajoute que je ne crois pas aux bimoteurs sur porte-avions, appareils trop lourds et trop encombrants sur une plate-forme très contrainte. Le torpilleur Laté 299 issu du très bon hydravion 298 aurait été un meilleur choix, sans compter la rationalisation induite pour la Marine. Mais ces projets sont de toutes manières révolus et il faut se tourner vers l'industrie américaine pour ré-équiper ou simplement maintenir notre flotte. Ne pourrait-on commencer par faire étudier l'achèvement du Jean Bart en Porte-avions ? Il est de la même taille que les derniers navires en construction aux États-Unis qui embarqueront une centaine d'appareils et ne pourra pas être employé comme cuirassé avant longtemps. Nous n'avons que le Béarn dont les capacités opérationnelles sont très limités par ses ascenseurs beaucoup trop lents. - Vous avez une bien curieuse façon de vous adresser à des supérieurs et de bien curieuses manières de présenter vos idées. - Je vous l'accorde amiral, mais l'époque ne me permet pas de prendre mon temps ni de sacrifier au protocole. Vous-même avez longtemps combattu pour vos idées neuves et vous ne sauriez me reprocher d'aller droit au but. - En effet, d'autant que vos conceptions ne sont pas sans fondement. » Nous discutons rapidement sur l'emploi de la DÉM à la mer, sur la possibilité de faire construire une flotte de porte-avions légers basés sur les plan du Commandant Teste en le dotant d'un pont d'envol, la construction soudée devrait permettre de ne pas changer fortement le devis de poids. Je lui suggère les ascenseurs latéraux pour dégager complètement le pont ainsi qu'un axe d'appontage décalé vers babord sur le Jean Bart s'il devait être transformé (le Commandant Teste est trop petit pour ça) pour permettre des activités simultanées de décollage et de récupération des appareils. Je lui indique enfin que la première urgence est, comme il le sait certainement déjà, de renforcer considérablement la DCA de tous les navires avec des calibres plus élevés. Il prend bonne note de l'ensemble et m'indique qu'il me mettra en contact avec les ingénieurs du génie maritime présent en Afrique du nord pour exposer mes idées. Je passe voir Mandel pour avoir son sentiment politique sur la réunion de la veille. Il me confirme que les discussions se sont bien passées et qu'un accord sur le principe d'un État-major général a été trouvé, reste à s'accorder sur le Chef d'état-major ce qui risque de ne pas être simple. J'embarque en fin de matinée sur un Douglas DB-7 à la place du mitrailleur arrière. Malgré le plaisir de découvrir cet appareil racé et puissant, je perds celui de voler avec Claire Roman et je n'aurai même pas la possibilité de discuter avec le pilote autrement que par l'interphone du bord, sans parler de piloter. J'ai bien essayé de prendre la place du navigateur à l'avant mais, pour une telle distance, j'ai obtenu un refus à peine poli. Je me suis quand même procuré une carte et une règle Cras pour m'entraîner en route, je regrette de ne pas avoir mon sextant. La météo est bonne au départ mais nous risquons d'atterrir dans la crasse. Vol sans histoire. Au bout d'une heure, nous doublons le cap Saint-Vincent, extrémité sud-est du Portugal dont nous remontons la côte à bonne distance. Nous pouvons admirer Lisbonne et nous écartons un peu de la Galice espagnole. À partir du cap Finisterre, cap au nord pendant deux heures pour ne pas approcher les côtes française et risquer une mauvaise rencontre. Le ciel commence à se couvrir en altitude. Il est quatre heures trente quand l'interphone crache : « Terre à midi. - L'Angleterre ? - Oui, je pense que c'est la Cornouaille britannique. Nous avons dû nous faire déporter par un vent d'ouest. » J'ai un gros doute, j'interviens : « Je pencherais plutôt pour l'Irlande, la déviation vers la droite du vent en altitude par la force de Coriolis nous a déporté à l'ouest et moins ralenti que prévu. - ... - Navigateur, Irlande ou Cornouaille ? - La Cornouaille est trop à l'est et l'Irlande trop au nord, je ne sais pas bien. - Si c'est la Cornouaille, vous devriez voir la mer d'Irlande au nord d'un mince bande de terre et les Sorlingues à l'ouest. - ... C'est couvert, on ne peut pas être sûr. - La côte de Cornouaille est découpée en anses profondes, celle d'Irlande est plus régulière. - Alors je dirais bien l'Irlande. » Le pilote amorce un lent virage à droite qui me permet de voir cette ligne de côte. « Oui, c'est l'Irlande, je reconnais Fasnet Rock. - Vous reconnaissez quoi ? - Fasnet Rock, le phare sur l'île au large. C'est un lieu réputé pour les régates au large. - Vous voulez dire que vous avez navigué dans le coin. - Oui, et je m'y suis même sacrément fait branler. La mer d'Irlande peut être très méchante. - Cap au 90 commandant. - Quatre-vingt-dix, bien compris. » Nous nous posons une heure plus tard sur un terrain au sud du Pays de Galles sans plus de problème sous une fine pluie. L'équipage me regarde d'une autre manière et j'ai droit à un pot au mess. Mais je ne peux m'attarder, une voiture arrive pour me conduire à Londres. Petite précision : le Goéland n'a pas l'autonomie pour faire un trajet direct pour l'Angleterre, raison pour laquelle j'ai embarqué sur un DB-7 qui peut voler plus de deux fois plus loin. J'aurai pu traverser avec un navire mais ma mission a été considéré comme urgente et le temps de trouver un navire plus celui de la traversée étaient rédhibitoires.
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La Sauterelle - Brain storming Mardi 25 juin - Blida Maison-Blanche est trop encombré et les bâtiments de l'aéroport trop peu importants. La réunion entre les responsables des GC, GB, GR et GU a été planifiée à Blida que les équipages des GB I/11 et II/11 ont libéré hier pour aller sur le front libyen et où doivent arriver aujourd'hui les GBA sur Br.693 en provenance de Toulouse et d'Istre. Aucune nouvelle de l'armistice avec les Italiens, la campagne de bombardement de la Tripolitaine initiée depuis deux jours et le refus de cesser le combat de l'Empire doivent y être pour quelque chose. L'amiral Darlan a fait appareiller les derniers navires et est annoncé en Afrique du nord. Le général Weygand refuse de quitter ses soldats et se tient à l'armistice. Les choses s'éclaircissent. La réunion commence par une présentation rapide de la future organisation par le général Vuillemin qui me laisse ensuite la parole. Il prend immédiatement l'air avec Claire Roman pour Rabat, elle sera de retour dans la soirée pour me remmener. J'entame les discussions. « Messieurs, la nouvelle organisation de l'Armée de l'air va lui donner les mains libres pour plus d'efficacité. Mais ceci ne doit en aucun cas se faire au détriment des besoins de l'Armée de terre, bien au contraire. Nous sommes ici pour discuter et mettre en place l'organisation opérationnelle adéquate. J'attends vos idées mais, par pitié, par de critiques gratuites ou de récrimination, gardons-les pour le repas tout-à-l'heure, ça mettra un peu d'animation. » Les hommes présents consentent à rire à cette mauvaise blague. Suit une séance de "brain storming" avec tableau noir et craies en guise de paper board, post-it et marqueurs. Je note scrupuleusement toutes les idées et fait émerger les thèmes majeurs. Comme dans toute réunion de ce type, les idées fusent, mais plus encore qu'à mon époque car c'est tout nouveau pour eux, tant sur la méthode que sur le droit à la parole, et ils s'en donnent à cœur-joie. Nous avons eu la chance d'accueillir en milieu de matinée le commandant du GBA II/35, arrivé plus tôt car en provenance d'Istres. Il débarque dans un joyeux capharnaüm mais se mets tout de suite dans le bain et ses contributions sont très pertinentes. À midi, les conversations ne cessent pas à table alors que de nouveaux appareils continuent à se poser à proximité. En début d'après-midi, je répartis en équipes pluridisciplinaires les commandants de groupe ou chefs d'état-major de division en groupes de réflexion : "guet aérien", "recueil, analyse et transmission de l'information", "liaison inter-armes et demande d'appui-feu", "identification et désignation des objectifs"... Il y a aussi un marin aviateur et un capitaine de vaisseau pour faire bonne mesure, je n'ai malheureusement pas eu le temps de dénicher un spécialiste de la DÉM (détection électro-magnétique, autrement dit radar) mais je fais office de "sachant" dans le groupe guet aérien. Je me suis assuré que tous avaient commandé au feu durant la bataille. Je passe de groupe en groupe pour tempérer les ardeurs et canaliser parfois les discussions et plus personne ne s'étonne ni se formalise d'être repris par un simple sous-lieutenant. À quatre heures, je dois clore les débats et demander à chacun de présenter sa synthèse. Les idées qui émergent sont, sans surprise, d'un bon sens absolu et très proches de ce qui sera laborieusement mis en place historiquement dans les armées alliées. Je remercie tout le monde et promet mon rapport pour le lendemain matin. L'annonce de l'armistice avec les Italiens vient un peu ternir la bonne humeur mais une résolution belliqueuse reprend vite le dessus. La guerre continue pour eux. Mercredi 26 juin - Alger C'est à l'Amirauté que je rencontre une équipe de spécialistes des transmissions auxquels je présente le projet de transmissions TBF amélioré par les suggestions de Jean Perrin. Ils valident rapidement l'idée et m'annoncent qu'un prototype peut être prêt dans moins d'une semaine. Nous planifions une campagne d'essai dans le sud puis avec la Corse. J'aborde alors la DÉM. Changement d'attitude de mes interlocuteurs, certains ne sont pas très au courant et s'interrogent du regard, d'autre se mettent sur leur réserve, j'ai touché un sujet sensible secret défense. Je me lance donc dans un cours sur le radar qui les captive tous puisque, sans avoir les connaissances pratiques de ceux qui ont pu travailler dessus, je leur apporte des connaissances inédites, en particulier l'éclateur qui permet d'utiliser alternativement la même antenne pour l'émission et la réception, le joint quart d'onde qui permet de réaliser des antennes tournantes ou l'afficheur plan rotatif (le fameux écran radar que tout le monde connaît de nos jours). Je mets en place un groupe de réflexion impromptu sur le radar et nous avançons rapidement sur la définition d'un projet pour apporter les améliorations qu'ils entrevoient à la suite de ma présentation. Je contacte Rabat pour avoir un blanc seing du général Noguès et de l'amiral Darlan qui l'a rejoint hier soir. Il est convenu que les travaux se poursuivront avec l'équipe mise au courant et qui restera en contact avec Jean Perrin. Des ordres sont donnés pour le démontage des installations des îles du Levant et l'expédition par sous-marin dès que possible. Les personnes désignées par mes interlocuteurs, ingénieurs et techniciens de la DÉM, seront approchées en France pour une évacuation par voie des air ou sous-marin. Une priorité maximale est donnée au projet et j'ai du mal à obtenir que ce ne soit pas au détriment de la liaison TBF qu'il faut installer au plus tôt. Départ en début d'après-midi pour Rabat avec à nouveau la désormais lieutenant Roman aux commandes. Bien que maintenant mon supérieur, elle se montre toujours aussi affable avec moi et je peux continuer mes cours de pilotage. Je parle avec elle de mes connaissances vélivoles et dit combien ça peut aider en formation initiale des jeunes pilotes bien que ce soit contre la doctrine officielle actuelle. Je fais un rapport circonstancié au capitaine Xénon dès mon arrivée à Rabat - Salé et nous parlons rapidement de ma mission à Londres. Claire Roman se charge de faire réviser l'appareil et de préparer le vol. Désolé mais je n'ai pas de connaissances là dessus. Il me semble simplement que les ambassades ont continué de travailler pour Vichy. Ici la bataille pour leur contrôle risque d'être sanglante. Je n'ai pas encore décidé si Franco saute le pas ou non mais l'Espagne risque d'être moins facile qu'historiquement dans tous les cas.
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La Sauterelle - L'envol des aigles Lundi 24 juin - Soirée - Alger Après avoir laissé le Goéland aux bon soin des mécanos et m'être enquis de ma Sauterelle, nous partons pour l'Hôtel Aletti où le général Vuillemin est hébergé. C'est devenu une véritable fourmilière mais nous pouvons tranquillement parler dans le salon du général. Comme tout le monde, il est interloqué qu'un pauvre sous-lieutenant accompagnée d'une auxiliaire pilote soit chargé d'une telle mission mais il commence à en avoir vu d'autres. Je lui expose la situation et l'informe de l'accord de Noguès pour redonner totale indépendance à l'Armée de l'air. Je profite de sa surprise et de sa satisfaction pour ajouter aussitôt un bémol : « Il me semble toutefois qu'il serait bon que vous accédiez à une demande insistante de l'Armée pour leur laisser la mainmise sur une aviation légère destinée à l'observation rapprochée et aux liaisons. Si je suis bien convaincu du bien fondé de l'organisation que vous avez toujours défendue car elle va apporter une salutaire simplification et vous permettre de procéder aux concentrations de forces nécessaires aux grosses opérations au lieu de les diluer inutilement, sans compter la bien meilleure efficacité qui résultera d'une aviation homogène, l'observation est un cas un peu particulier en ce sens qu'elle nécessite de faibles moyens locaux mais immédiatement disponibles. Certes les appareils isolés sont des proies faciles pour la chasse ennemie mais, au lieu de les protéger par des escortes dédiée, ce qui immobilise des forces conséquentes qui pourraient être plus utiles ailleurs, il vaut mieux travailler à obtenir une supériorité aérienne ne serait-ce que localement, par des concentrations de chasseurs évoluant indépendamment plutôt qu'enchaînés. De plus, cela ralenti forcement le lancement des missions alors que l'observation des mouvements ou le réglage d'artillerie demande une réaction quasi immédiate. - Ce sont d'assez bonnes raisons mais comment l'Armée formera-t-elle ses pilotes, comment entretiendra-t-elle ses appareils ? Nous sommes déjà trop faiblement pourvus en mécaniciens et les écoles de pilotage ne nous délivrent pas assez de personnel navigant pour nos immenses besoins ? - Il faut garder la maîtrise des équipages et mécaniciens. L'Armée achètera ses appareils, qu'elle choisira de concert avec l'Armée de l'air, celle-là pour la définition des besoins, celle-ci pour la gestion des contraintes, en particulier logistiques, les pilotes et mécaniciens seront formés et détachés par l'Armée de l'air. Ainsi, l'Armée de terre disposera d'une capacité opérationnelle accrue de ses grandes unités sans nuire à la cohérence de l'Armée de l'air. De plus l'Armée s'oriente vers des appareils très léger qui nécessitent moins de personnel et moins de compétences qu'un Potez 63.11 par exemple. - Cela me semble raisonnable et semble un prix assez léger à payer au retour de toutes les unités de combat dans le giron de l'Armée de l'air. Mais, dites-moi, le bombardement aussi nous reviendrait intégralement ? - Oui mon général, pour les mêmes raisons que la chasse. Mais il est primordial que l'Armée de l'air mette en place l'organisation et les procédures qui permettent de répondre rapidement à tout besoin de support des troupes au sol. Elle est la mieux placée pour ça mais il faut une coordination sans faille avec l'Armée de terre au niveau opératif, voire tactique. Le niveau stratégique restera de l'apanage de l'État-major général. - Fort bien, mais pourquoi les appareils de liaison ? - Pour les mêmes raisons que l'observation : rapidité de la réponse aux besoins. Quelle nécessité de remonter deux chaînes hiérarchiques pour effectuer le simple transport d'un officier ou une navette ? Si l'importance de cette liaison nécessite une escorte, il sera temps de lui en attribuer une avec les procédures mises en place. En revanche, le transport doit rester partie intégrante de l'Armée de l'air, y compris pour les unités parachutistes dont on a vu l'efficacité en Norvège, Hollande ou sur le Fort Eben-Emael. Il faut par ailleurs le développer très fortement, nos moyen étant parfaitement ridicules en face des besoins. - Il me faut d'abord songer à reconstituer les unités de combat. - À ce sujet, le général Noguès, de concert avec les hommes politiques, se préoccupe déjà de faire en sorte que les livraisons américaines, en particulier d'appareils de chasse et de bombardement, ne s'interrompent pas. Quand au transport, si nous pouvions mettre en place une chaîne de production de Potez 65, appareil rustique, dans l'Empire, ce pourrait être une bonne base. - Ah ! Voilà une excellente nouvelle. Puissions-nous bientôt recevoir les H-80 ! L'idée des Potez me plaît également. - Mon général, puis-je me permettre, en marge de ma mission, d'attirer votre attentions sur quelques autres points ? - Allez-y ! - Il reste en France métropolitaine de nombreux hommes et femmes de valeur et d'une importance capitale pour la poursuite du combat. Pourriez-vous donner les ordres et trouver les volontaires pour permettre de récupérer le plus longtemps possibles ces personnes où qu'elles se trouvent et quelque soient les risques encourus ? - Comme vous l'avez fait remarquer, les moyens de transport sont faible mais je vais m'en occuper. - Mon supérieur, le capitaine Xénon, vous fera parvenir les noms et la localisation de ces personnes au fur et à mesure que nous les localiserons. - Fort bien. - Je me permets d'attirer également votre attention sur le cas des pilotes auxiliaires féminins qui n'ont pas de grade et dont le recrutement a été fort injustement limité. Dans la période actuelle, il me semble qu'aucune ressource ne devrait être négligée ni dévalorisée. » Il se retourne vers Claire Roman qui me regarde avec de grands yeux. « Vous avez raison, il faut y remédier. Lieutenant, dit-il en s'adressant à elle, voudriez-vous bien me transporter à Rabat dès demain pour la réunion que je dois avoir avec le général Noguès ? - À vos ordres, mon général ! » Claire Roman me paye en retour un festin au restaurant de la jetée extérieure du port où nous écoutons du chaarbi fort tard. (Bon, là, je me fais plaisir à peu de frais car je doute que le général Vuillemin aurait pris d'autorité la décision de donner un grade au personnel féminin, De Gaulle oui, par contre. Je la replacerai peut-être.)
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La Sauterelle - Liberté, Égalité, Fébrilité Lundi 24 juin - Rabat Je contacte Xénon dès mon réveil pour apprendre que Noguès a reçu Daladier et quelques autres parlementaires hier soir. Il n'est pas au courant de la teneur des discussions mais la radio se charge de nous renseigner quand Daladier déclare solennellement : « Françaises et Français, Nos valeureux soldats luttaient depuis deux mois pour défendre le sol de notre glorieux pays quand une déclaration malheureuse les a plongés dans l'incertitude et le doute. Pour ajouter l'ignominie à la faute, un armistice a été signé avec l'ennemi qui met à sa merci ces fiers combattants et le pays tout entier. C'est avec des manœuvres et des mensonges que de tristes personnages sont parvenus à faire croire qu'il n'était d'autre solution que ce renoncement déshonorant. (...) Mais heureusement, il est des Français, derrière le général Noguès, qui n'ont pas accepté cet abandon de nos plus chère valeurs, l'Empire tout entier s'est levé pour refuser que l'espoir s'éteigne. C'est pourquoi nous, représentants de la nation, nous trouvons aujourd'hui en Afrique du nord pour dire notre volonté de continuer le combat et de préserver la liberté de notre pays face à la duplicité et aux appétits de l'Allemagne et de l'Italie. Car c'est bien de cela dont il s'agit. Comment faire confiance à M. Hitler quand il annonçait ne pas vouloir plus que les Sudète, puis le couloir de Dantzig, puis la Pologne ? Non, il ne s'arrêtera jamais. Comment supporter la lâche agression de M. Mussolini qui a tenté de profiter de nos malheurs dans le nord pour nous arracher le sud et peut-être bientôt de larges pans de notre Empire ? Mais cela ne sera pas, nos forces continuent à frapper l'ennemi de ce côté de la Méditerranée et interdira la réalisation de ces hideux rêves de conquête. Peuple de France, ne désespérez pas, l'Empire français est derrière vous et, bientôt, il viendra à votre secours avec l'aide de notre allié britannique dont le sang des fils a déjà par deux fois rougi le sol de notre beau pays pour le défendre. (...) Française et Français, nous ne vous abandonnerons jamais. » À la résidence, nous apprenons qu'un autre paquebot a pu partir in extremis avec un certain nombre de parlementaires à son bord qui sont attendus en fin de journée à Casablanca. Le général Vuillemin, le Président Lebrun et d'autres hommes politiques sont arrivés à Alger hier par avion. Il n'y a pas de nouvelles de l'amiral Darlan ni du général Weygand. L'armistice n'entrera en vigueur qu'après signature avec les Italiens, comme historiquement, cela veut dire que les combats continuent et que nous avons donc encore une chance de le faire capoter. Nous avons une entrevue avec Noguès à qui le capitaine demande ce qu'il pense du mémorandum que nous lui avons soumis samedi. Il l'a fait étudier par son état-major et est globalement d'accord avec les suggestions. Nous insistons sur deux points urgentissimes : l'équipe de déchiffrement qu'il faut récupérer avant qu'elle ne soit définitivement coincée en métropole et la Corse qu'il faut enlever au pouvoir de Bordeaux pour pouvoir la fortifier. Il en convient et annonce que des préparatifs seront diligentés mais qu'il a besoin de la Flotte pour ce faire. Je suggère de solliciter les Britanniques en attendant d'avoir une meilleure vue de la situation, il acquiesce et va contacter Duff Cooper et Lord Gort à ce sujet, ils lui ont par ailleurs promis 25.000 hommes qui pourraient arriver sous moins d'un mois, ils ne seront pas de trop si l'Espagne s'agite. Concernant la Flotte, il nous rassure en nous annonçant que des mesures ont été prises pour s'assurer qu'aucun navire ne puisse appareiller sans son aval. J'apprends au général que les commandes françaises aux États-Unis ont été transférées à la Grande-Bretagne à l'initiative du général Weygand, un autre sujet à aborder avec les émissaires anglais pour rétablir le flux de matériel vers l'AFN. Les opérations aériennes vers la Libye ont été lancées et des missions sont prévues aujourd'hui. Je reviens à la charge sur l'aviation : « Mon général, que pensez-vous de l'organisation proposée par le général Vuillemin d'une Armée de l'air disposant de la responsabilité de l'intégralité des moyens ? - Ce débat a déjà eu lieu et s'est résolu par la séparation entre aviation réservée et aviation de coopération, pourquoi voudriez-vous revenir là dessus ? - Cette organisation a malheureusement montré ses limites lors de la bataille de France, la dispersion des moyens a interdit à la chasse de réaliser des rassemblements conséquents ce qui l'a amené à être en permanence en infériorité numérique lors des engagements, nos pilotes ont payé très cher cette stratégie. D'autre part, par méconnaissance réciproque et complexité de la chaîne de commandement, les moyens disponibles aux armées, l'aviation de coopération, n'ont que rarement été utilisés à bon escient. Il est remarquable, en revanche, que l'une des actions offensives les plus réussies ait été accomplie à Berlaimont par une unité de l'Aéronautique navale qui, comme vous le savez, n'est pas sous commandement terrestre. Ceci montre que l'organisation intégrée n'est pas forcement la forme la plus efficace. - Pouvez-vous m'en dire plus ! - Les équipages de bombardement en piqué de l'Aéronavale ont été entraînés à partir du début de l'année pour l'attaque de cibles navales. En désespoir de cause, il leur a été demandé d'intervenir sur le front, ce qu'ils ont fait avec le même esprit de sacrifice que toutes les autres unités de l'Armée de l'air face à des forces bien supérieures en nombre et une DCA qui nous a coûté bien trop de pertes tout au long de la campagne. Bien que non familiarisés avec les opérations terrestres, ils ont obtenu, au prix de 50 % de pertes, d'excellents résultats en infligeant des centaines de pertes et détruisant des dizaines de véhicules avec une douzaine d'appareils seulement. » Bon, je triche un peu encore une fois, il y a toujours des polémiques sur le résultat réel de cette action au XXIe siècle, mais c'est la vision de l'époque, je ne vois pas pourquoi je ne m'en servirais pas. Et puis j'ai décidé de n'avoir aucun scrupule pour arriver à mon but : rendre la lutte de la France libre la plus efficace possible pour écourter autant que possible la guerre avant de voir ce que je peux faire après. « Cela semble en effet impressionnant. Que suggérez-vous ? - Mon général, en tout état de cause, la situation statique qui va être la notre dans les semaines à venir est une période idéale pour tester et mettre au point une organisation basée sur une Armée de l'air indépendante et une coopération inter-armes, Terre, Air, Mer, telle que ce qui a été mis en place à Narvik pour les opérations combinées avec succès. Il faudrait mettre en place un État-major général, sous la responsabilités des autorités politique, ayant autorité sur les trois armes et qui coordonnerait leurs actions. - Vous ne cessez de m'étonner. Comment avez-vous une telle étendue dans vos connaissances et vos informations ? - Ma position officieuse auprès des grands organes de décision, aussi bien militaires que politiques, m'a permis de recueillir toutes ces informations et de tisser des réseaux de collecte. D'autre part, j'ai passé ma vie à analyser des problèmes complexes, ce qui me donne cette "expertise". Alors que la défaite de la France réduit à néant tout mon travail en métropole, je cherche à transmettre mon savoir le plus largement possible pour le redressement de notre pays. » Un peu de violon, ça ne peut jamais faire de mal... Il est décidé qu'une réunion se tiendra avec le général Vuillemin, l'amiral d'Harcourt, Édouard Daladier et Georges Mandel -j'ai insisté pour que ces deux derniers en fasse partie pour impliquer le pouvoir politique- pour lancer les bases de cette nouvelle organisation. Je suis mandaté pour rencontrer Vuillemin à Alger et lui faire part de ce projet. Je propose d'approcher le général Béthouard qui a excellé à Narvik pour lui confier la responsabilité d'un comité chargé d'étudier les opérations combinées. Je suggère enfin de consulter le général De Gaulle qui a obtenu des succès non négligeables, bien qu'éphémères, dans le Nord et qui a beaucoup théorisé sur l'armée future. Bien que réticent, Noguès consent à ce que je le rencontre à Londres. Je retourne au terrain muni d'un ordre de mission et nous prenons l'air en toute fin de matinée à destination d'Alger. Claire Roman est ravie de reprendre l'air et je profite du trajet pour me faire donner un cours de pilotage sur multimoteur.
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Je m'étonne moi-même... Les idées viennent vite et je les couche aussitôt sur l'écran. Mais j'y consacre quand même pas mal de temps en ce moment, je ne vais pas forcement pourvoir tenir ce rythme longtemps.
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La Sauterelle - Le nerf de la guerre... et le chemin de la paix Dimanche 23 juin - Fin de matinée - Casablanca Tandis que le Massilia entre dans le port, aidé par deux remorqueurs, je discute avec Georges Mandel et Pierre Mendès France des problèmes organisationnels et financiers posés par la rupture entre la France et l'Empire. Comment fonder un "gouvernement en exil" alors que le maréchal Pétain est Président du conseil (même s'il n'a pas encore obtenu le vote de confiance du Parlement) et que la France n'est pas totalement occupée ? Qui faire entrer dans ce gouvernement ? À qui appartiennent les stocks d'or de la Banque de France convoyés en Amérique ? Est-il possible, si la représentation nationale rejoint massivement l'Empire, que celui-ci puisse en disposer ? Comment financer la guerre en AFN, en Indochine si elle y fait irruption ? L'Amérique est fort mal disposée à l'égard des colonies françaises et verra certainement comme une réminiscence de sa propre guerre de sécession la situation actuelle. Mes interlocuteurs en conviennent et pensent qu'il faut obtenir une évolution politique majeure de l'Empire pour que les États-Unis reviennent éventuellement à de meilleures dispositions mais cela voudrait dire autonomie, voire indépendance... impensable pour les personnes qui, justement, sont les acteurs de cette aventure. Nous sommes dans un cercle vicieux dont nous ne voyons pas la sortie. « Et que pensez-vous du général De Gaulle ? Je le crois plus ouvert sur ces questions que l'ensemble du corps politique ? - Ce ne serait pas impossible, me rétorque Mendès France, il a sur beaucoup de sujets des positions peu orthodoxes. Mais il ne pèse pas grand chose et, s'il venait à faire advenir de telles idées, il faudrait trop de temps pour qu'elles aient une influence quelconque sur la politique de monsieur Roosevelt. - Je pense que cet homme a une grande destinée et est un des rares qui pourraient nous permettre de nous relever, confirme Mandel. - Ne faudrait-il pas tout de même l'aider à émerger, ne serait-ce que pour l'avenir. - C'est bien mon sentiment, il est l'un des premiers qui doit entrer dans le gouvernement en exil... - Il a justement envoyé des messages au général Noguès pour se mettre à sa disposition, les informé-je, il y a peut-être une porte à entrouvrir même si Noguès ne semble pas le considérer comme des siens. Pensez-vous pouvoir œuvrer en ce sens ? - Ce serait en effet une bonne chose, il est écouté par nombre de responsables politiques et ses idées sur la conduite de la guerre ont plus de sens que celles qui nous ont mené dans la situation actuelle. » Les ayant informés de mon prochain départ pour Londres, Mandel me remet une missive pour De Gaulle. Nous convenons de travailler à faire évoluer l'état d'esprit des milieux de Washington, tant américains que français d'ailleurs, pour isoler le régime de Pétain et légitimer la lutte de l'Empire et son futur gouvernement. Mendès France va aussi étudier les moyens de mettre à l'abri toutes les réserves disponibles dans l'Empire, dont l'or Belge en particulier. Nous nous quittons alors que le Massilia termine sa manœuvre d'accostage qu'une foule de curieux, ni hostile ni spécialement amicale, observe depuis le quai. Des véhicules arrivent bientôt pour emmener les parlementaires dans un grand hôtel du centre-ville. Je les suis et me mets à la recherche de Jean Perrin.
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La Sauterelle - Massilia de mes amours (modification) Dimanche 23 juin - Rabat - Nuit En arrivant au terrain, nous apprenons la nouvelle de la signature de l'armistice. Je me fais conduire à la Résidence sans avoir réussi à contacter Xénon. Une activité inhabituelle y règne à cette heure tardive. Je patiente depuis déjà une demi-heure quand je vois enfin mon chef. « Alors, lieutenant, que pensez-vous de la situation ? - Mon capitaine, l'armistice signé contient des clauses très graves. Outre la livraison de réfugiés qui est contraire à l'honneur, les Allemands exigent le retour de la Flotte dans ses ports d'attache, certes il ne s'agit pas de la leur livrer, elle sera simplement immobilisée mais cela revient exactement au même, elle sera alors à leur merci. De plus ils vont limiter drastiquement la taille de l'armée française, il est question de 100.000 hommes, comme dans le Traité de Versailles, dans ces conditions rien ne les empêchera de mettre la main sur le reste du territoire sans coup férir. Même sur la façade méditerranéenne, la Flotte ne sera plus à l'abri. Cette signature signifie aussi que le général Noguès va devoir faire le choix de basculer définitivement dans l'opposition... ou se renier. Il lui faut à toutes force un soutien. Le Massilia a quitté Le Verdon vendredi vers midi, il devrait donc arriver à Casablanca aujourd'hui en milieu de journée. Il a à son bord un certain nombre de parlementaires, il faut absolument que le général Noguès les rencontre au plus tôt. Les savoir en route lui permettra de temporiser. - En effet, c'est un élément d'importance. Je vais lui faire passer ce message et m'enquérir de la position du Massilia et de son heure probable d'arrivée. Mais, une fois encore, comment avez-vous connaissance de tous ces éléments. N'affabulez-vous pas ? - Hélas, pas le moins du monde. Vous pouvez certainement trouver de votre côté des éléments qui corroborent ce que je vous présente. Mais je ne peux toujours pas vous dévoiler mes sources, je peux seulement vous dire qu'elles se tarissent et que je n'aurai bientôt plus grand chose à vous donner. » Quelques coups de fil plus tard, nous avons la confirmation de l'arrivée du Massilia à Casablanca en fin de matinée ainsi que la liste des parlementaires à bord où l'on trouve notamment Édouard Daladier, César Campinchi, Pierre Mendès France, Édouard Herriot (qui avait renoncé au voyage au dernier moment historiquement), Jean Perrin. Cela au moins conforte la confiance que le capitaine Xénon me porte. Je lui demande l'autorisation de me faire déposer à bord par le biais de la pilotine pour contacter ces hommes et leur demander leur aide, je crains qu'une arrivée à un tel moment sans information préalable soit moins que productive. Il en est d'accord et nous faisons le siège de Noguès pour lui transmettre ces informations en personne. Nous trouvons un homme effectivement dans le doute que l'annonce de l'arrivée de ces hommes rassérène quelques peu mais qui se montre fort inquiet du devenir de la Flotte. Il prévoit de les recevoir au plus tôt et je file immédiatement vers Casablanca. L'entregent du capitaine lui a permis de m'obtenir un passage sur le bateau pilote que je fais appareiller bien avant l'heure nécessaire pour avoir le plus de temps possible à bord. Nous n'avons envoyé aucun message radio de peur d'écoutes hostiles. Je monte à bord en même temps que le pilote vers dix heures et demie et me fais conduire à Édouard Daladier. Le Taureau du Vaucluse, d'abord un peu inquiet de voir arriver un militaire, est ensuite plutôt flatté d'être l'objet de mon attention. « Monsieur le député, si je me permets de vous aborder c'est pour vous donner quelques informations qui pourraient vous être grandement utiles. Sachez que nous sommes en contact avec le général Noguès mais qu'il n'est pas au courant de cette démarche. Le général s'est difficilement décidé à sauter le pas de ce qu'il considère encore comme une sorte de sédition. Il ne le fait que pour le bien de l'Empire mais est déchiré entre son devoir envers celui-ci et celui d'obéissance. La signature de l'armistice lui pose un cas de conscience plus grand encore. Monsieur le député, il faut que vous puissiez le rassurer sur la légitimité de son action et le support des parlementaires. Si vous pouvez trouver une voie de sortie constitutionnelle à son action, il s'en trouvera grandement conforté. De notre côté, nous avons mis en avant que le Maroc n'étant pas une colonie mais un protectorat, un traité entre la France et une puissance étrangère ne saurait remettre en cause ce statut, nous sommes bien conscient de la faiblesse de cet argument mais tout le monde se raccroche à ce qu'il peut. Monsieur Daladier, en tant qu'ancien Président du conseil et ministre de la guerre, votre stature vous légitime tant auprès du Résident général que de vos collègues. Aidez-nous à résister. Sachez que l'opinion publique est derrière le général Noguès mais ne semble pas vous être favorable. C'est toutefois un grand progrès car, juste avant la déclaration du général Noguès, elle était résolument antiparlementaire. - Bien, voici qui a le mérite d'être clair. La tâche ne va pas être facile mais je vous remercie pour toutes ces informations qui vont grandement nous aider. Vous dites "nous", quelles personnes se cachent-elles derrière ? - Il m'est malheureusement impossible de vous répondre sur ce point. Il y a des gens qui œuvrent dans l'ombre et que nous ne pouvons trahir. Mais voyez plutôt la liste de tous les résidents et gouverneurs de l'Empire qui ont immédiatement répondu présent. - Je comprends et je vous suis reconnaissant de cette démarche. Je vais faire mon possible. - Le Président Reynaud avait demandé à ce que le parlement et le gouvernement se réfugient en Afrique et mis en place les moyens pour ce faire, le maréchal Pétain, qui n'a pas encore obtenu l'investiture, a interdit aux membres de son gouvernement de quitter Bordeaux et a entravé le départ des parlementaires, n'y a-t-il pas là un élément qui pourrait être qualifié d'obstruction ? - C'est ma foi tout à fait possible, je vais en conférer avec les collègues mais nous ne sommes malheureusement pas assez nombreux. - Ne serait-il pas souhaitable d'essayer d'obtenir une déclaration conjointe du Résident général et des parlementaires sur la tenue en Afrique du nord, loin des risques des combats, d'une réunion du Parlement pour traiter de ces question ? Ne pouvez-vous inciter vos collègues à vous rejoindre pour se conformer au souhait du dernier Président du conseil plutôt qu'au diktat du nouveau pas encore installé ? - Oui, je vais songer à un moyen. Encore une fois, je vous remercie pour tout ceci. - C'est à moi de vous remercier pour votre action passée et future. »
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Une dissidence de Noguès aurait posé (et pose dans mon uchronie) divers problèmes à Pétain comme aux Allemands. En effet, les Allemands veulent cesser les combat et neutraliser complètement la France, ils veulent également obtenir la cessation des hostilités de la part de la Grande Bretagne. Un armistice dans lequel l'Empire continuerait la lutte ne va résoudre que partiellement ces problèmes car les perspectives de paix avec la Grande Bretagne s'éloignent et une menace pèse toujours sur le bassin méditerranéen bien la suppression de l'armée en métropole va suffire à éliminer toute menace continentale. On peut penser que l'urgence de l'arrêt des combats va pousser les Allemands a mettre une pression au moins aussi forte par crainte que Weygand, par exemple, se ravise et décide de se ranger du côté de Noguès. Hypothèse fort peu probable à mon sens car Weygand ne voulait à aucun prix que l'armée soit désignée comme responsable par le biais d'une capitulation mais qu'en savaient les Allemands ? Mais il y a aussi la crainte que, l'Empire n'acceptant pas l'armistice, la Flotte reprenne du service outre-mer, d'autant qu'il y a un bon nombre d'unités hors de France. Si les Allemands insistent pour que la Flotte revienne en France, il y a des chances que les négociations achoppent car c'était une ligne rouge avec l'intégrité de l'Empire. Ma vision est que les Allemands vont s'estimer heureux d'obtenir l'arrêt des combats en France et va s'accommoder de la situation. De l'autre côté, les négociateurs français n'auront pas le temps de prendre en compte la nouvelle donne et le gouvernement sera d'autant plus pressé de signer l'armistice pour mettre l'Empire devant le fait accompli que ça peut être utilisé pour le faire revenir dans le droit chemin. Je vote donc pour une signature le 22 dans la soirée comme initialement avec les mêmes termes. La nouvelle sera connue dans la nuit, je vais donc modifier mes derniers textes en conséquence. Concernant les émissions de radio en métropole, l'émetteur d'Allouis de Radio Paris cesse ses émissions juste après avoir diffusé le message du maréchal Pétain « c’est le cœur serré que je vous dis qu’il faut cesser le combat… » comme toutes les autres radio publiques ou privées au fur et à mesure de l'avance allemande, à l'exception semble-t-il de Radio Lyon (privée). Il restera alors les émetteurs en grandes ondes et ondes moyennes de Radio Bordeaux-Lafayette dans les studios de laquelle Pétain a fait son discours, ainsi que ceux des autres radio régionales en ondes moyennes dont beaucoup sont reçues en Afrique du nord. Les émissions cessent sur tout le territoire dès la signature de l'armistice en vertu d'une exigence allemande.
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Zut, je m'aperçois que j'ai oublié de traiter de l'armistice, il aurait dû être signé le 22 à 18 h 36 donc connu le 23 au matin, voire dans la nuit. Il peut avoir été repoussé dans cette trame mais pas autant vu la pression mise par les Allemands. De plus il doit y avoir une guerre des ondes virulente. Il faut que je reprenne des parties du récit.
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La Sauterelle - Les rayons et l'Atome Dimanche 23 juin - Fin d'après-midi - Casablanca « Monsieur Perrin, c'est un honneur pour moi que de vous rencontrer, vous être un modèle tant pour vos travaux scientifiques que pour votre engagement pour une France libre. - N'exagérez-pas, monsieur, en ce qui me concerne, j'ai toujours été de ceux qui pensent pouvoir rendre des services à la France dans la mesure de mes moyens. - Si je vous contacte aujourd'hui ce n'est pas tant pour votre engagement politique, bien que je travaille également dans le même sens que vous, j'ai déjà rencontré monsieur Daladier à qui j'ai fourni des informations sur la situation politique locale, mais pour vous faire part d'un certain nombre de projets technologiques pour lesquels un avis autorisé serait le bienvenu ainsi qu'une introduction auprès de vos collègues pour leur présenter ce que je vais vous montrer. Vous avez travaillé durant la dernière guerre à développer ou améliorer des inventions qui ont eu une importance extrême pour l'obtention de la victoire, pourriez-vous m'éclairer sur la pertinence et la faisabilité technique de quelques projets ? » Piqué dans sa curiosité, Jean Perrin accepte et je lui expose les semi-conducteurs à jonction bipolaire ou à effet de champ, le radar à balayage, la fusée à propulseur solide, la torpille ou fusée à tête chercheuse, les turboréacteur et turbopropulseur, l'ordinateur et la programmation, l'énergie atomique. Il m'interrompt à peine pour me demander comment diable je peux avoir autant de connaissance mais continue à m'écouter, concentré sur mes présentations sur un bloc de papier à lettre à l'en-tête de l'hôtel. Nous discutons fort tard et il m'invite à sa table. Je passe d'abord quelques coups de téléphone pour savoir ce qu'il en est à Rabat. Noguès recevra les parlementaires demain lundi et n'a pas besoin d'un appareil, je libère donc Claire Roman qui est visiblement déçue de n'avoir pas eu l'occasion de voler aujourd'hui mais sait que ce n'est que partie remise. Je profite de l'interruption pour faire passer un message à Pierre Mendès France avec qui je voudrais parler des problèmes budgétaires de l'Empire en guerre, il me promet de se rendre disponible demain, je lui propose de venir le chercher en voiture et de faire la route ensemble. Au terme d'une longue soirée, Jean Perrin me donne les coordonnées des savants qu'il pense les mieux à même de m'aider pour chacun des sujets abordés et une lettre d'introduction pour chacun d'eux, il m'enjoint de me rapprocher de la Fondation Rothschild pour voir comment financer ces travaux et s'engage à la contacter pour lui demander de regarder de manière bienveillante mes projets. Il a également validé le concept d'émetteur très basse fréquence et très faible puissance avec antenne directionnelle et donné des conseils et suggestions sur plusieurs projets. Je le remercie chaudement et lui promet de le garder au courant des avancées tout en lui demandant son support pour la création d'une filière scientifique et technologique dans l'Empire, ce qu'il accepte avec joie. Je rentre à Rabat à une heure tardive une fois de plus.
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La Sauterelle - Massilia de mes amours Dimanche 23 juin - Rabat Je retrouve le capitaine Xénon en début de matinée pour m'enquérir du Massilia, avec l'annonce de Noguès les parlementaires n'ont aucune raison d'aller au Royaume-Unis comme il en avait été question historiquement, il ne va donc pas perdre du temps en mer. Il y a 1.900 milles du Verdon à Casablanca, il en a donc pour une cinquantaine d'heures de navigation. En effet, il est annoncé vers midi à Casablanca. Je téléphone au terrain pour demander à Claire Roman de se tenir prête au cas où et je me rue à la Résidence générale. Noguès ne peut nous recevoir ce dimanche matin. Je lui laisse l'information de l'arrivée imminente ainsi que la liste des personnalités importantes à bord où l'on trouve Édouard Daladier, César Campinchi, Pierre Mendès France, Édouard Herriot (qui avait renoncé au voyage au dernier moment historiquement), informe que le Goéland de Roman est prêt à décoller et obtient une voiture pour me rendre à Casablanca. J'arrive juste à temps pour voir la manœuvre d'accostage du navire. Une petite foule est présente mais ni hostile ni enthousiaste, l'opinion publique semble donc réservée sur la conduite à tenir mais la décision de Noguès l'a résignée si ce n'est obtenu son adhésion, les nombreuses discussions glanées ça et là me montre que si les parlementaires n'ont pas une cote très élevée, Noguès est suivi et obtient une grande confiance. Je réussi à téléphoner à la Résidence où on m'informe que Noguès a donné des ordres pour que les parlementaires soient hébergés dans un grand hôtel de la ville. Je m'y rend pour essayer d'obtenir des informations. Je réussi à m'approcher du Taureau du Vaucluse, le seul que je soit capable de reconnaître. Je lui souhaite la bienvenue et lui demande s'il aurait quelques instants à m'accorder après son installation. Surpris par l'audace d'un sous-lieutenant assez âgé qui ne paie pas de mine, il accepte toutefois et me donne rendez-vous au bar une heure plus tard, je tâte mes poches pour savoir si j'aurai assez s'il me laisse la note... Je laisse également un message à la réception pour Jean Perrin que je souhaite vivement rencontrer pour des raisons bien éloignées. Confortablement installés dans une ambiance un peu survoltée, nous sirotons une anisette. « Monsieur le député, si je me suis permis de vous aborder c'est pour vous donner quelques informations qui pourraient vous être grandement utiles. Sachez que je suis en contact avec le général Noguès mais qu'il n'est pas au courant de ma démarche. Le général s'est difficilement décidé à sauter le pas de ce qu'il considère encore comme une sorte de sédition. Il ne le fait que pour le bien de l'Empire mais est déchiré entre celui-ci et son devoir d'obéissance. Monsieur le député, il faut que vous puissiez le rassurer sur la légitimité de son action et le support des parlementaires. Si vous pouvez trouver une voie de sortie constitutionnelle à son action, il s'en trouvera grandement conforté. De notre côté, nous avons mis en avant que le Maroc n'étant pas une colonie mais un protectorat, un traité entre la France et une puissance étrangère ne saurait remettre en cause ce statut, nous sommes bien conscient de la faiblesse de cet argument mais tout le monde se raccroche à ce qu'il peut. Monsieur Daladier, en tant qu'ancien Président du conseil et ministre de la guerre, votre stature vous légitime tant auprès du Résident général que de vos collègue. Aidez-nous à résister. Sachez que l'opinion publique est derrière le général Noguès mais ne semble pas vous être favorable. C'est toutefois un grand progrès car, juste avant la déclaration du général Noguès, elle était résolument antiparlementaire. - Bien, voici qui a le mérite d'être clair. La tâche ne va pas être facile mais je vous remercie pour toutes ces informations qui vont grandement nous aider. Vous dites "nous", qui se cachent derrière ce pronom ? - Il m'est malheureusement impossible de vous répondre sur ce point. Il y a des gens qui œuvrent dans l'ombre et que je ne peux trahir. Mais voyez plutôt la liste de tous les résidents et gouverneurs de l'Empire qui ont immédiatement répondu présent. - Je comprends et je vous suis reconnaissant de cette démarche. Je vais faire mon possible. - Le Président Reynaud avait demandé à ce que le parlement et le gouvernement se réfugient en Afrique et mis en place les moyens pour ce faire, le maréchal Pétain, qui n'a pas encore obtenu l'investiture, a interdit aux membres de son gouvernement de quitter Bordeaux et a entravé le départ des parlementaires, n'y a-t-il pas là un élément qui pourrait être qualifié d'obstruction ? - C'est ma foi tout à fait possible, je vais en conférer avec les collègues mais nous ne sommes malheureusement pas assez nombreux. - Ne serait-il pas souhaitable d'essayer d'obtenir une déclaration conjointe du Résident général et des parlementaires sur la tenue en Afrique du nord, loin des risques des combats, d'une réunion du Parlement pour traiter de ces question ? Ne pouvez-vous inciter vos collègues à vous rejoindre pour se conformer au souhait du dernier Président du conseil plutôt qu'au diktat du nouveau pas encore installé ? - Oui, je vais songer à un moyen. Encore une fois, je vous remercie pour tout ceci. - C'est à moi de vous remercier pour votre action passée et future. » Je prends congé en le remerciant également in petto de garder la note pour lui, je suppose que ce sera sur le compte de la Résidence générale...
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La Sauterelle - E. T. (Extra Temporel) Téléphoner maison Samedi 22 juin - Rabat - Après-midi Je retourne à la Résidence générale, j'ai eu un rendez-vous avec un responsable du 2e Bureau, le capitaine Xénon, par le truchement de l'aide de camp de Noguès. Je lui présente un projet de liaison très basse fréquence pour recevoir et transmettre des informations discrètement avec la Métropole quand elle sera complètement envahie, nous avons juste le temps de mettre en place cette installation. Je lui propose d'émettre en très basse fréquence vers 10 kHz pour éviter d'être écouté par les Allemands. Une antenne Yagi-Uda sur le plateau de Valensole permettra d'émettre en direction de la Corse à 325 km de là, une puissance infime sera suffisante. La Tunisie est également bien alignée à 820 km et pourra prendre le relais si la Corse n'est pas tenable. Nous allons voir avec la Marine la possibilité d'obtenir matériel et spécialistes pour mettre au point le matériel, des essais pourront être faits discrètement dans le sud marocain ou algérien pour vérifier les performances et les risques d'interception. Nous obtenons une courte audience de Noguès qui valide le principe et nous donne carte blanche pour la suite. Il faut que je résolve mes problèmes matériels, ce matin des mécanos compatissants m'ont trouvé un blouson et un pantalon pas trop élimés et m'ont donné quelques dirhams qui ne me procureront pas plus d'un autre repas, j'ai dormi dans un coin de hangar... Je m'en ouvre à Noguès en lui demandant si je ne pourrais pas émarger au 2e Bureau. Il pèse rapidement le pour et le contre sachant qu'il n'a aucune information sur moi et doit finalement considérer qu'avec tout ce que je lui ai apporté jusqu'ici, je suis plutôt une bonne recrue. Le temps de signer mon bulletin d'engagement sous le nom d'Henri Georges (à vous de trouver pourquoi) et je pourrai passer par la case fourrier, ayant réussi à négocier un grade de sous-lieutenant en faisant valoir un diplôme d'ingénieur que j'ai réellement mais qui ne correspond à rien de connu à ce moment. J'ai perdu de mon indépendance mais j'ai un statut officiel et un moyen d'existence qui vont me simplifier la vie. Mon nouveau supérieur, quand à lui, est ravi de sa recrue inespérée. Bon, va pas falloir oublier de saluer tout ce qui bouge (sans peindre le reste, nous ne sommes pas dans la Marine). Nous contactons l'Amirauté à Alger pour avoir un rendez-vous avec des spécialistes des transmissions. Avec le sésame "général Noguès", nous en obtenons un dès lundi. Dimanche pourra être consacré aux procédures des coordination aéroterrestre. Le capitaine Xénon se chargera demain ou lundi de faire contacter quelqu'un à Londres pour m'accueillir dès que possible. Il a aussi des contacts de confiance en France pour recueillir des informations sur l'évolution de la situation. Je lui demande s'il a des informations sur les équipes chargées de décrypter les communications ennemies mais ce n'est malheureusement pas son domaine. Il va se renseigner auprès de ses collègues. Je passe enfin chez le fourrier pour toucher mon paquetage et une avance sur ma solde et, après m'être acheté des vêtements civils, je retourne au terrain où je suis désormais officiellement hébergé. Claire Roman regarde avec envie mon uniforme, elle qui n'a pas droit à un grade, mais elle n'a pas l'air de m'en vouloir personnellement. Nous soupons en ville avec des pilotes pour arroser mon nouveau grade, j'ai déjà bien entamé ma maigre solde. Rentré tard au terrain alors que nous décollons aux aurores demain. Nous contactons l'Amirauté à Alger pour avoir un rendez-vous avec des spécialistes des transmissions. Avec le sésame "général Noguès", nous en obtenons un sans problème pour mercredi 26, nous aurions pu en avoir un même plus tôt mais je tiens à être là pour l'arrivée du Massilia. Cela me laisse le temps d'organiser une grand messe avec quelques commandants de groupes de chasse, de bombardement et de reconnaissance et deux ou trois officiers d'état-major de division pour discuter des procédures des coordination aéroterrestre. Le capitaine Xénon se chargera demain ou lundi de faire contacter quelqu'un à Londres pour m'accueillir dès que possible. Il a aussi des contacts de confiance en France pour recueillir des informations sur l'évolution de la situation. Je lui demande s'il a des informations sur les équipes chargées de décrypter les communications ennemies mais ce n'est malheureusement pas son domaine. Il va se renseigner auprès de ses collègues. Je passe enfin chez le fourrier pour toucher mon paquetage et une avance sur ma solde et, après m'être acheté des vêtements civils, je retourne au terrain où je suis désormais officiellement hébergé. Claire Roman regarde avec envie mon uniforme, elle qui n'a pas droit à un grade, mais elle n'a pas l'air de m'en vouloir personnellement. Nous soupons en ville avec des pilotes pour arroser mon nouveau grade, j'ai déjà bien entamé ma maigre solde. Rentré tard au terrain...
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Je n'en suis pas sûr mais il me semble que le front était calme, il était fortifié de part et d'autre et aucun des deux camps n'avait les moyens de percer à ce moment, de plus c'était le tout début de la saison chaude peu propice à de quelconques opérations.
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La Sauterelle - Pensum Samedi 22 juin - Après-midi - Rabat - Salé Après avoir mangé un poisson grillé sur le port en admirant la Casbah, je retourne au terrain pour voir avec Claire Roman le voyage vers Londres. Nous préparons également l'aller-retour vers Alger où je dois rencontrer les chefs des groupes de chasse, de bombardement et de reconnaissance et quelques commandants de division. Elle ne pose pas de question sur la situation mais l'action qui s'annonce l'enchante visiblement. Je m'attelle ensuite à rédaction d'un mémorandum sur diverses actions. 1) Opérations aériennes contre la Libye Les appareils de l'Armée de l'air ou de l'Aéronautique navale sont largement supérieurs à ce que peut opposer la Regia aeronautica. Les LeO 451 volent trop vite pour les CR 42 et trop haut pour la maigre DCA italienne, leur viseur est conçu pour bombarder à 5.000 m, ce qui va donner une bien meilleure précision que ce qui a été obtenu en France à basse altitude, même si cette précision reste relative, un bombardement de zone en plein jour fera beaucoup de dégâts matériels et psychologiques. Il y en a six groupes en AFN, c'est plus que suffisant pour une campagne intensive contre le port et les terrains de Tripoli jusqu'à épuisement des pièces. Il y a également quatre groupes d'Amiot 351-354 qui peuvent faire le même travail. Les D.520 ont montré leur supériorité en Provence face à des escadres italiennes bien plus nombreuses, la supériorité aérienne sera aisée à atteindre ici mais elle exige une présence continue et un guet aérien sans faille. Le premier point va user les machines et le second exige une mise en point qui fait défaut jusqu'à présent. Il faut absolument récupérer au plus vite l'installation de détection électromagnétique (radar) des îles du Levant qui a une portée de plus de cent kilomètre et monter une organisation du même type que celle de la Chain Home britannique. Les Savoia-Marchetti SM.79, relativement rapides, seront néanmoins des proies difficiles. Les BD-7 et Glenn Martin seront très efficaces à basse ou moyenne altitude contre des objectifs faiblement protégés par la DCA. Ils doivent harceler les lignes italiennes entre Tripoli et la frontière tunisienne. Les Vought V156F et Loire-Nieuport 41, même sous motorisés et en très faible quantité, sont des armes redoutables contre les cibles navales ou de petite taille. Ils devront être systématiquement escortés contre la chasse adverse mais ils ont prouvé leur capacité de bombardement de précision. Malheureusement, les V156 n'ont pas leur lance-bombe principal et ne peuvent donc être utilisés contre des navires, leurs bombes d'une dizaine de kilo étant bien trop faible pour le moindre escorteur, ils pourront, en revanche, faire des missions à terre contre les lignes de défense italiennes. Les Laté 298 torpilleurs auront eux aussi besoin d'escorte mais vont rendre, de concert avec les bombardiers en piqué, la vie intenable aux convois de ravitaillement de la Libye. Pour l'efficacité de ces attaques navales, une reconnaissance lointaine continue doit être mise en place. Les quelques 250 milles entre le sud de la Sicile et Tripoli peuvent être franchis en à peine plus d'une nuit par des paquebots ou des navires de guerre, la détection des convois doit donc se faire le long des côtes siciliennes. Il faut pour cela avoir en permanence un MB 174 de reconnaissance patrouillant cette zone avec des rapports radios pour accélérer l'alerte. Leur vitesse devrait leur permettre d'échapper à la chasse ennemie mais ils risquent d'avoir à payer un lourd tribut. Il faut enfin récupérer les cinq groupe de bombardement d'assaut sur Br.693 qui se trouve à Toulouse ou Istres. 2) Défense contre l'Espagne Le terrain montagneux dépourvu de route du Rif contraint fortement les axes de pénétration au Maroc sous protectorat français. Les mille canons de 75 en provenance des États-Unis vont permettre d'équiper 13 27 régiments d'artillerie (3 groupes de 3 batteries de 4 pièces). Une demi-douzaine d'entre eux doivent être déployés au débouché des vallées venant de Melila entre Fès et Oujda. Depuis Tanger, Ceuta et Tetouan, la plaine côtière vers Rabat est pour une grande part sous la menace des canons de gros calibre de la Flotte. QuatreDeux régiments d'artillerie en complément devraient suffire à contenir les attaques. Les deux bataillons de chars de combat équipés de D1 à peu près en état de marche devront être rapatriés de Tunisie si la menace se précise pour pouvoir intervenir l'un à l'est, l'autre à l'ouest du Rif. L'utilisation d'avions d'assaut, Br.693, Martin DB-7, Chance Vought 156 permettra d'intervenir rapidement en cas de menace sur un point. Les V156 n'étant pas d'une utilité flagrante sur le front italien, ils pourront être basés à Oran ou Fès. Au moins un groupe doit pouvoir être transféré en 24 heures depuis la Tunisie. Ici aussi une surveillance stricte est nécessaire qui pourra être effectuée par des Po 63.11 du fait de la moindre menace de l'Ejército del Aire, surtout qu'il ne s'agit pas pour le moment de pénétrer l'espace aérien espagnol. Deux groupes de chasse sur Morane devraient suffire à maintenir une dissuasion mais deux groupes sur D.520 doivent être prêts à venir les épauler sous 24 heures. 3) Défense de la Corse Les points de débarquement les plus pratiques en Corse sont les deux grandes plaines orientales. La côte occidentale est trop loin des côtes françaises ou italiennes pour pouvoir facilement ravitailler un débarquement sauf à venir de la Sardaigne mais cette dernière n'est actuellement même pas assez équipée pour se défendre. Calvi et Ajaccio sont toutefois des cibles potentielles à ne pas négliger. Au sud-est, Porto-Veccio est un havre naturel qui peut donner de bonnes opportunités mais est très proche de la zone fortifiée des Bouches de Bonifacio. Il faudrait une cinquantaine de batteries de 75 pour couvrir tous les points sensibles tout autour de la côte corse, soit moins d'un tiers des canons reçus des États-Unis. Deux ou trois groupes de chasse sur D.520 seront nécessaires pour la couverture aérienne et il faudra obtenir des équipements RDF (Radio Detection and Finding) des Anglais comme ils les nomment pour avoir une alerte précoce des attaques aériennes. La défense aérienne pourra être initialement effectuée par des appareils ayant une trop faible autonomie pour faire la traversée comme les Morane 406 ou Bloch 152-155. En fonction des réceptions, ils pourraient aussi être remplacés par des Curtiss H75 ou H80 (resp. P 36 ou P40). Ici aussi, le pré-positionnement des pièces de rechange et munitions pour les Vought V156 pourra permettre de réagir rapidement en cas de menace imminente. 4) Déchiffrement Quelle que soit la réaction du gouvernement Pétain au déménagement, il est impératif de récupérer les personnels travaillant au déchiffrement des messages ennemis et qui se trouvent dans la zone non encore envahie. Il appareille entre 12h30 et 13h30 du Verdon selon les sources. Si le message radio-diffusé de Noguès à lieu vers huit heures, d'autres parlementaires auraient le temps de venir de Bordeaux. Il y a une centaine de kilomètres de route et le train a son terminus sur l'embarcadère. Et ils peuvent prendre d'autres navires.
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La Sauterelle - Résolutions et doutes Pour différencier les deux uchronies, je désignerai désormais la première, celle de mon évasion vers l'Angleterre, par le préfixe "Chronos" et la seconde par "La Sauterelle". J'espère que ça suffira à ne pas trop embrouiller le lecteur quand je reviendrai à l'autre. Samedi 22 juin - Rabat - 13 heures Au moment de partir, le général Noguès me pose une dernière question. « Qu'allez-vous donc faire à Londres ? - Je dois rencontrer des responsables britanniques et voir le général De Gaulle. - Que pouvez-vous bien attendre de ce lui ? Son cas relève de la justice militaire. - C'est en homme politique, et non en tant que militaire, qu'il a appelé à continuer le combat, tout comme un grand nombre du personnel politique qui n'est pas forcement aligné sur les vues des tenant de la cessation des hostilités. Je vous rappelle à ce propos que le gouvernement du maréchal Pétain n'a pas encore reçu l'investiture de la Chambre. Que des voix s'élèvent pour demander à ce que la politique du gouvernement démissionnaire, qui n'a pas été renversé, se poursuive jusqu'à ce que celle du nouveau soit approuvée est tout à fait légitime. De plus, le général De Gaulle a l'oreille de Churchill, le mettre dans votre camp simplifiera beaucoup vos relations avec les Britanniques même si vous avez reçu leurs émissaires aujourd'hui. Pourquoi ne pas répondre favorablement à son offre de se mettre sous vos ordres, il vous sera alors facile de le faire revenir à une plus stricte obéissance. Enfin, il y a d'importantes troupes françaises au Royaume-Uni, toutes aguerries et comportant de nombreux spécialistes, en cas d'armistice ces hommes pourraient bien choisir d'être démobilisés, il nous faut les convaincre de rejoindre l'Empire et le général De Gaulle pourra grandement y aider. - Vous semblez une fois de plus avoir raison contre l'évidence. Je ne sais si je dois m'en réjouir ou le déplorer. - Mon général, n'y voyez là que le fait que j'ai eu accès à une masse d'informations confidentielles qui, si elles vous avez été connues, vous aurez amené à des conclusions similaires. - Fort bien, je vais donner des ordres en conséquences et vous faire mettre à disposition un moyen de transport. - Si vous le permettez, je vous propose de désigner Claire Roman, elle m'a conduit jusqu'ici depuis Alger, elle pilote un Caudron Goéland. - Une femme pilote ? Voilà bien une lubie de l'Armée de l'air ! À Dieu ne plaise qu'on voit jamais ça dans l'Armée. » Bien, j'ai déjà fortement altéré la trame temporelle. Il ne va plus me rester beaucoup de "prévisions" à offrir à mes nouveaux compagnons de route, je vais devoir me rabattre sur la technologie. Tout de même, les jours à venir vont être décisifs. Comment Pétain, Laval, Weygand vont-ils réagir ? Noguès ne risque-t-il pas de tourner casaque ? Darlan va-t-il permettre l'évacuation vers l'AFN ? Quelle va la réaction allemande ? En cas de signature de l'Armistice, est-il possible de faire en sorte que les Italiens refusent d'en être partie prenante ? Ou n'est-ce pas un faux problème puisque l'Empire reste dans la guerre ? L'Espagne ne risque-t-elle pas d'entrer en guerre ? Comment se prémunir du risque ? Quelle va être la position de l'administration Roosevelt ? Soutiendra-t-elle Pétain ou Noguès ? Les durs du gouvernement Pétain ne peuvent laisser la situation évoluer à leur désavantage, ils vont régir de manière forte. Mais la défection de l'Empire est un énorme coup porté à leur politique, il est possible que le Massilia arrive avec plus de parlementaires et ceux qui resteront à quai vont certainement remettre pour partie en question l'arrêt des combats. De l'accueil des députés du Massilia va dépendre beaucoup de choses. Même si Noguès a brûlé ses vaisseaux avec sa déclaration publique et le ralliement de tout l'Empire, il faut que je reste à proximité ces jours-ci car il va être soumis à une énorme pression. Il faut à toutes forces que Darlan fasse lui aussi son coming out. Même s'il est bien tard pour mettre en place une évacuation à grande échelle, un minimum de personnel peut être évacué et si une dizaine de Somua ou une vingtaine de FCM peuvent être transférés en AFN, ils feront une énorme différence. Et la Flotte doit rejoindre l'Empire. Si la lutte se continue dans l'Empire, les Allemands peuvent considérer et prétendre que la France a bel et bien été écrasée et que ses confettis ne représentent rien, reste à voir leur position sur la zone non occupée. Avec la menace de l'Empire, il est peu probable qu'ils délaissent les côtes sud de la France. Alors un état croupion dans le Massif central et les Alpes pour laisser une fiction d'état indépendant ? Ce serait la seule solution pour permettre la signature d'un armistice qui leur permettrait de gagner entre trois et huit semaines de combats. Ils peuvent aussi choisir de finir d'écraser l'armée française en métropole mais alors ils n'auraient plus de gouvernement à leur botte. Vont-ils alourdir leurs exigences pour faire pression et se venger ou au contraire les alléger pour faciliter la signature ? Dans tous les cas, Pétain va devenir une sorte de Quisling, surtout si il ne peut obtenir le vote de la Chambre. Il est probable que, même s'il obtient officiellement l'investiture, il n'aura pas les pleins pouvoirs. Et, si il y a une grande défection de parlementaires, ses décisions seront encore plus contestables et contestées qu'historiquement. Pour saboter l'Armistice, il faut que les Italiens en refuse les conditions. La continuation des hostilités en Afrique du nord fait peser un tel risque sur la Libye mais leur donne aussi une telle opportunité en Tunisie qu'ils ne peuvent l'accepter. Ils vont vouloir des garanties autrement plus importantes, ils vont peut-être considérer que l'octroi de la Tunisie obligera les Allemands à les aider à mettre au pas les Alliés. Mais Mussolini considère peut-être toujours sa Mare Nostrum comme chasse gardée. Et les Allemands ne vont peut-être pas lier la signature à un accord avec les Italiens, ils pourraient s'en laver les mains sachant que l'armée française réduite à 100.000 hommes ne représente absolument aucun danger pour son incontrôlable voisin. Any way, faire pression militairement sur la Libye ne peut être que bénéfique pour la continuation des combats. Franco sautera-t-il le pas ? La question de savoir s'il a réellement souhaité entrer en guerre ou s'il n'y avait que des effets de manches reste toujours posée au XXIe siècle dans ma trame historique ; ce qui est certain est qu'il y avait des factions opposés sur ce thème et que savoir qui va l'emporter maintenant est une vraie bouteille à l'encre. Même si ce n'est pas le plus probable, il n'est pas impossible qu'il finisse par se saisir de l'opportunité pour mettre la main sur Gibraltar, le Maroc et l'Oranais. Noguès est confiant sur sa capacité à résister mais il y a quand même là un risque plus important qu'en Tunisie car la frontière du Rif est bien plus grande et il n'y a nulle "Ligne Mareth" pour protéger Fés, Rabat ou Oran. De plus, la distance à parcourir au dessus de la mer est bien plus faible que pour la Libye et peut permettre la remise en place d'un pont aérien de sinistre mémoire quoique dans l'autre sens. Il faudra suggérer la mise en place de régiments d'artillerie formés avec une partie des mille 75 reçus des États-Unis pour contrer toute tentative. Il ne faut pas oublier que si les Espagnols ont des moyens biens inférieurs, ils sont en supériorité numérique locale et attisent la révolte au Maroc. À surveiller de près. Reste le cas des Américains. J'ai rappelé à Noguès les avions commandés aux États-Unis mais il va y avoir une bataille juridique pour savoir quel est le gouvernement légitime et donc qui est propriétaire de ces avions et de l'or de la Banque de France qui conditionne leur paiement. Roosevelt et Cordell Hull vont voir d'un très mauvais œil la sédition d'un général, qui plus est à la tête d'un empire qu'ils veulent abattre. Il faut absolument recouvrir d'un verni de légalité cette histoire et travailler les milieux français de Washington. À ce propos, il faut que le Béarn rejoigne Casablanca avec son chargement d'avions, tout obsolètes qu'ils soient.
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Coup de tonnerre Samedi 22 juin - Rabat Quand je me réveille, j'apprends immédiatement la nouvelle qui court partout en ville : Noguès a déclaré solennellement que le Maroc ne saurait être concerné de quelque manière que ce soit par le résultat des combats en France métropolitaine. Georges Le Beau pour l'Algérie, Marcel Peyrouton pour la Tunisie, Léon Cayla depuis Dakar, Robert Brunot au Cameroun, Félix Éboué au Tchad, Mittelhauser en Méditerranée orientale, Legentilhomme à Djibouti, Catroux pour l'Indochine ont repris mot pour mot la déclaration et affirment se mettre à disposition de Noguès si la France venait à succomber. L'Empire a basculé ! Personne ne parle de De Gaulle. Après avoir pu me rendre un peu plus présentable que la veille, je me rends à la Résidence générale où je dois faire antichambre toute la matinée. Je vois passer des civils et des militaires empressés, une délégation britannique est reçue... Noguès me fait introduire un peu avant midi, son aide de camp est présent qui me regarde d'un œil courroucé, je vais devoir l'amadouer, il ne doit pas me pardonner de l'avoir mis à l'écart pour lui faire ensuite passer une nuit qui a dû être blanche ou du moins fort chargée. Noguès me présente son chef d'état-major qui semble plus intrigué qu'hostile. « Comme vous le constatez, j'ai franchi le Rubicon. Dieu fasse que je n'ai pas à m'en repentir. - À ceci près que, si les dés en sont bel et bien jetés, vous ne marchez pas sur Bordeaux et restez en vos provinces. Pour ce qui est de ma part de responsabilité, j'en assumerai entièrement les conséquences. Je reste à votre disposition tant que vous jugerez bon de recourir à mes services. Au reste, vous avez l'appui unanime de l'Empire, il semblerait que votre choix ne soit pas si mauvais que ça. - Je souhaiterais toutefois des éclaircissements : Bordeaux m'a envoyé un télégramme comminatoire et je ne peux le laisser sans réponse. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la coercition au sein du gouvernement ? - Sans pouvoir vous donner aucun nom, je peux vous dire que certains membres ou agents du gouvernement sont sous la coupe des Allemands car leur famille est prise en otage. Comme je vous l'ai indiqué hier, de nombreuses exactions ont déjà eu lieu et la Gestapo a réussi à opérer en France juste avant l'invasion. D'autres sont simplement défaitistes, vous vous souvenez certainement de l'odieux article "Mourir pour Dantzig" qui appelait à un nouveau renoncement après la honteuse reculade à Munich. De ce fait, vous ne pouvez aucunement vous fier aux informations données par le gouvernement actuel. Mais vous avez sagement fait savoir que le Maroc, protectorat et non colonie, ne peut faire l'objet d'un quelconque compromis avec l'ennemi de la France, il ne peut rien vous être reproché à ce sujet, des constitutionnalistes m'avaient confirmé ce point. Les autres administrateurs de l'Empire ont déclaré se mettre à votre disposition en cas de défaillance de la Mère patrie, mesure de sauvegarde de bon sens. Qui pourrait y voir un quelconque coup de force ou une quelconque désobéissance au pouvoir civil ? Je ne peux que me permettre de vous conseiller de faire venir un émissaire haut placé du pouvoir pour le sonder à ces sujet car, comme vous l'avez fait judicieusement remarquer dans vos télégrammes, il ne saurait être question d'abandonner votre place ce qui aurait le plus mauvais effet sur les populations et la bonne marche du territoire. Vous pourriez suggérer l'amiral Darlan qui après avoir refusé l'appel à cesser le combat, penche maintenant pour l'armistice. Il a de ce fait la confiance du maréchal Pétain et, autre point de la plus haute importance pour vous, il est la clef du devenir de la Flotte dont vous aurez le plus grand besoin pour la suite. » J'ai pris soin de m'adresser autant que possible à son aide de camp également pour qu'il se sente inclus dans la discussion, je ne connais pas son influence sur le général et je ne voudrais pas d'un travail de sape dans les prochains jours. Je m'assure également du coin de l’œil que son chef d'état-major ne se braque pas. « Invitez-le à venir vous rencontrer pour discuter de la situation, reprends-je, vous montrerez votre bonne volonté tout en pouvant l'entretenir de la seule chose importante : le conjurer de préparer le transfert de la Flotte à Bizerte, Mers-el-Kébir, Casablanca et Dakar au plus vite. Au demeurant, rien dans ces mouvement ne saurait changer le cours des événements en Métropole ni ne modifierait le contrôle de l'amiral sur la Flotte. Vous resterez dans votre rôle de rempart de l'Empire ainsi que vous l'avez toujours été et on ne saurait vous reprocher de continuer à vouloir rester à votre poste comme vous l'avez toujours affirmé jusqu'à présent. - Je vais étudier cette suggestion. Je vous remercie. - Si je puis me permettre, mon général, puis-je demander ce qu'il en est d'une offensive aérienne en Libye ? Je vous rappelle respectueusement que nos forces aériennes surclassent totalement en nombre et en performances les Italiens et qu'il me semble souhaitable que des actions soient entreprises le plus rapidement possible. - Pourquoi diable êtes vous si pressé ? intervient son chef d'État-major, nous devons prendre le temps de réorganiser ces forces et de mettre au point les plans d'action, il nous faut attendre les résultats des missions de reconnaissance... - Excusez-moi, mon général, mais l'expérience de la malheureuse campagne de France nous a appris que la rapidité de réaction est un facteur fondamental du succès de toute opération. Ne pouvons-nous lancer les missions de bombardement dès le retour des reconnaissances ? C'est ce qu'ont fait les Allemands depuis la campagne de Pologne et c'est l'un de nos manques les plus criants. D'autre part, l'efficacité de l'Armée de l'air va décliner avec l'usure du matériel avant que les appareils américains puissent prendre le relais. Nous avons une fenêtre d'opportunité qu'il ne faut pas laisser passer. - Mais il nous faut développer les clichés, les transmettre au Quartier général, les analyser, coordonner les actions... - Mon général, c'est beaucoup trop long, il faut raccourcir la chaîne. Un groupement doit pouvoir en moins d'une demi-heure recevoir les informations, les analyser, décider d'une action, déterminer les moyens à mettre en œuvre (bombardier, escorte de chasse, appareils d'observation), les rassembler, leur donner toutes les informations sur la mission et la lancer là où une journée entière était perdue ces dernières semaines. Pour cela, il est impératif que les groupements aient toute latitude dans ses décisions et que chaque échelon soit le plus autonome possible. Le Grand quartier général doit donner les grandes orientations et les objectifs généraux à atteindre tout en décidant de la répartition des moyens, à chaque groupe de les mettre en œuvre dans la plus grande liberté pour obtenir les résultats demandés. L'initiative doit être la règle. Les demandes de l'Armée de terre doivent être traitées de la même manière : précision des objectifs désignés ou des soutiens demandés, rapidité de l'action en retour. Cela demande une grande coordination qui ne peut être atteinte qu'aux conditions d'avoir des moyens de communication fixes et radio efficaces et fiables et une bonne connaissance mutuelle : ce dernier point ne sera réglé que la présences d'officiers de liaisons au sein des unités de l'Armée de terre, officiers aviateurs sachant comprendre les besoins, déterminer les moyens et transmettre les demandes directement aux moyens alloués sans passer par une chaîne hiérarchique infinie. - Cela va demander des semaines pour réorganiser cela ! Si tant est que ce soit possible. Et donner son autonomie à l'Armée de l'air... - Non, vous pouvez le faire beaucoup plus rapidement, j'en suis certain. Et c'est bien ainsi que vous avez agis lors de la guerre du Rif avec les résultats que l'on sait. Mon général, continué-je en m'adressant à nouveau à Noguès, je dois aller au plus tôt à Londres mais je suis prêt à passer deux jours avec les commandants de groupes et de grandes unités pour expliquer ce qu'il serait souhaitable de mettre en place, vous pouvez les consulter au demeurant, ceux qui reviennent du front ne vous diront pas autre chose que moi. - Allez-y ! Avez-vous d'autres points à soulever ? - Pas d'aussi urgent pour le moment, mon général. Mais il faudrait penser à mettre en défense la Corse, même si elle ne fait pas partie de votre périmètre, il serait bon de voir ce qui peut être fait. Je vous laisserai un mémoire à ce sujet avant mon départ pour Londres. Il faudrait également préparer des opérations offensives contre la Sardaigne et la Tripolitaine. - Mais ne rappeliez-vous pas à juste titre hier que nous n'avons pas encore les moyens de passer à l'offensive ? - La Sardaigne n'est quasiment pas défendue, sa prise déstabilisera fortement Mussolini et sécurisera la Méditerranée occidentale, un tel projet vous sera également d'un grand poids dans vos discussions avec l'amiral Darlan. Quand à la Libye, nos amis Anglais ne vont pas la laisser longtemps tranquille, il nous faut être prêt à les aider de notre mieux. Dernier point, les Japonnais sont très agressifs et des menaces pèsent sur l'Indochine, le général Catroux aura bientôt besoin d'aide, là-bas aussi il faudra se coordonner avec les Britanniques qui ont plus de moyens que nous sur place même s'ils ne sont pas non plus à la hauteur des besoins. »
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Il ne me semble pas, il a les fonctions de commandant en chef du théâtre d'opérations d'Afrique du nord mais je ne pense pas que ça inclut la Méditerranée ou l'Atlantique l'Afrique du Nord. C'est un point difficile auquel je dois m'atteler mais, ici encore, je ne veux pas divulgâcher la suite...
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La guerre de Troie aura-t-elle lieu ? Vendredi 21 juin - Dix-huit heures - Palais du Résident général C'est un peu fripé que je me présente, ou plutôt que je suis présenté à Noguès. Il tique un peu en voyant ma dégaine et me dévisage un moment. « Vous avez donc des informations importantes sur la situation en Métropole, paraît-il, monsieur. - Oui mon général mais elle sont extrêmement confidentielles et il me faut m'entretenir avec vous en privé. Libre à vous ultérieurement de les diffuser à qui il vous semblera bon, bien entendu. Je ne peux que révéler que j'apporte quelques réponses à vos multiples télégrammes restés sans réponse tangible. » Un silence passe. « Laissez-nous. - Mais, mon général, vous n'y pensez pas ! Ce peut être dangereux. - Vous ne me croyez pas apte à me défendre contre un homme seul désarmé ? Au demeurant, il ne me paraît pas avoir une attitude particulièrement agressive. » L'entourage sort en marquant clairement mais silencieusement sa réprobation. « Allez-vous me dire enfin ce que vous savez ? - Mon général, la situation en France est bien pire que vous ne pensez. Nous avons bien reçu vos différent messages sur la situation au Maroc et en Afrique du Nord en général et sur votre volonté de continuer la lutte si nécessaire, en particulier si l'intégrité de l'Empire était en jeu. Vous avez également fait part de votre inquiétude sur les répercussions possibles dans ces territoires auprès des populations indigènes et de la perte de confiance en la France qu'entraînerait un armistice aux Fourches caudines. Vous vous étonnez de ne pas recevoir de réponse claire à vos interrogations plus que légitimes. Mon général, sachez que le gouvernement du Maréchal n'est pas libre. - Que voulez-vous dire ? Qu'est-ce qui attente à sa liberté ? - Vous connaissez la duplicité des Nazis qui ont tant de fois promis pour renier immédiatement leur parole. Vous avez peut-être entendu des témoignages des exactions qui ont eu lieu sur le front auprès des populations civiles et des militaires, en particulier des troupes indigènes que les Allemands craignent plus que tout et méprisent tout à la fois. Sachez que ces débordement sont bien pires que ce qu'il advint en 14. Ceci n'est que la partie visible et il est malheureusement avéré que la cinquième colonne est à l'action. Certains membres du gouvernement sont sous son emprise, pour certain de manière directe pour d'autres plus insidieusement. Le résultat est que la décision de demander un armistice n'est pas fondée sur une analyse objective de la situation. » Noguès va réagir, il ne faut pas que je lui laisse le temps d'objecter, j'enchaîne. « Certes l'armée française est battue et les Allemands vont occuper l'ensemble du territoire métropolitain, c'est une évidence et le général Weygand a averti le gouvernement depuis longtemps sur ce fait. Mais pour autant, est-il conforme à l'honneur d'abandonner la lutte alors que l'Empire n'a pas encore donné toutes ses forces. Vous-même l'avez assez fait savoir qui considérez que la continuation du combat est possible outre-mer. Alors pourquoi le maréchal Pétain veut-il cet armistice ? Parce que des informations essentielles lui sont cachées et que certains travaillent à noircir le tableau en permanence. Comment croyez-vous que la percée de Sedan fut possible ? Le deuxième bureau avait identifié les axes de progression mais il n'en fut pas tenu compte car les informations furent bloquées à des niveaux intermédiaires ou noyées sous le flot de fausses nouvelles. Je n'ai aucune preuve tangible à vous apporter et vous n'obtiendrez que dénégation de la part de Bordeaux à ce que je vous narre mais avez-vous reçu une seule information fiable ou une seule réponse consistante à vos questionnements depuis quelques semaines ? » Je fais là un horrible mélange de vraies informations plus ou moins altérées et de mensonges éhontés mais il me faut frapper fort et vite. Noguès reconnaîtra certainement des choses connues et doit accepter le reste. « Le général Vuillemin a déjà fait en sorte que l'aviation soit mise hors de portée en ne gardant que le strict minimum pour supporter nos forces continuant à se battre. L'amiral Darlan a préparé l'évacuation de la flotte et de ce que nous pouvons de l'armée. Mais ces dernières mesures ont été sabotées et l'amiral commence à être victime de la désinformation. Vous avez fait savoir que les forces de l'Empire peuvent résister et tout le monde en est persuadé. C'est la seule voie de salut et la France vous en sera éternellement reconnaissante. Certes les meilleures troupes ont été envoyées en métropole et il sera difficile d'en récupérer beaucoup mais il n'est que de voir les officiers issus d'Afrique du Nord qui ont montré une capacité d'adaptation bien supérieure à celle de leurs homologues n'ayant pas connu les guerres du Rif et autres missions de pacification. C'est ici qu'ont été inventé les opérations combinées aéro-terrestres. Les lectures des écrits des généraux allemands montrent qu'ils se sont particulièrement nourris de cette belle expérience et craignent plus que tout cette armée d'Afrique comme je vous l'ai déjà dit. Il n'y a aucune chance que nos ennemis parviennent à prendre le contrôle de l'Empire par la force, comme vous l'avez fait savoir au gouvernement, alors pourquoi le laisser faire par un mauvais traité ? Certains vous rétorqueront peut-être que les clauses de l'armistice ne le permettront pas mais avez-vous vu le chancelier Hitler respecter une seule de ses paroles ? Non, si l'armistice est signé, les Allemands et les Italiens, sans compter les Espagnols qui ne feront pas autre chose que ceux-là, profiteront de l'abaissement de la France pour fondre sur notre flotte et notre empire et se les partager. Cela ne doit pas être. » La guerre de Troie aura-t-elle lieu ? (suite) Il est temps de lui laisser un peu de place pour qu'il émette ses objections. « Je ne sais toujours pas qui vous êtes, quelles sont vos fonctions ni comment vous avez connaissance de tout ce dont vous venez de m'entretenir mais il est clair que votre analyse a du sens. Mais que puis-je faire si le gouvernement signe l'armistice ? Je ne suis pas un factieux. - Faites savoir publiquement que l'armistice ne saurait engager le Maroc. Après tout, c'est un protectorat et la parole du Sultan compte. Votre prestige et votre autorité morale feront pencher la balance dans votre sens et les factieux, les vrais, ceux qui intriguent en coulisse en France pour nous faire subir le déshonneur en seront pour leurs frais. - Si l'armistice n'est pas signé, les combats ne s'arrêteront pas en les Français continueront à souffrir. - Nos soldats se battent et meurent en ce moment même, j'étais dans le Doubs et j'ai vu des morts, des blessés, des destructions. Votre sollicitude vous honore mais pouvons-nous trahir ceux qui donnent leur sang pour la défense, fut-elle sans espoir, de leur sol natal ? Quand à la souffrance, l'exemple de la Pologne sous le joug Nazi depuis près d'un an nous donne suffisamment à voir que, armistice ou non, la France sera détruite et humiliée par ceux qui n'ont pas su accepter notre victoire en 18. Je ne suis pas un soldat mais j'ai pris tous les risques pour venir vous apporter ces terribles nouvelles et je le referai au besoin. Je ne saurais trahir ceux qui m'ont confié leur lettre à des êtres chers au moment de succomber. - Quelles lettres ? » Je lui tends le paquet. Il les lit l'une après l'autre. Le silence se fait pesant. « C'est donc ça leur état d'esprit ? - Je vous demande pardon, mon général, je ne les ai pas lues. Elles ont été ouvertes à l'aérodrome de Rabat par un officier qui voulait s'assurer de leur contenu avant de me laisser aller. Mais j'ai croisé des soldats désemparés car n'ayant plus d'espoir dans le destin du pays, pourtant ils m'ont aidé du mieux qu'ils ont pu alors que la canonnade se rapprochait inéluctablement. Ils étaient magnifiques. - Fort bien, je pourrait faire une déclaration, mais ensuite que se passera-t-il ? Nous n'allons pas altérer le cours de la guerre par ce seul fait. » S'il savait... « Oui... et non, mon général. Comme je vous l'ai dit, votre parole est attendue par nombre de vos homologues à Alger, Tunis, Dakar... Parlez et ils se dresseront derrière vous et l'ennemi saura qu'il ne nous vaincra jamais. Mais vous avez raison, il nous faut des actes. Si nous ne pouvons envahir la Libye pour punir l'Italie de sa traîtrise, d'autant que l'Espagne risque de lui emboîter le pas et qu'il faut nous en garder, l'Armée de l'air a envoyé suffisamment d'appareils pour qu'une campagne de bombardements soit initiée en Tripolitaine, voire en Sicile. Outre montrer clairement notre détermination, cela interdira toute action offensive sur la ligne Mareth et permettra de dégager des forces pour sécuriser le Maroc contre toute menace d'incursion. Vous le savez bien, le plus tôt une telle action sera entreprise, le plus tôt tous nos galvaniserons nos compatriotes et montrerons notre détermination à nos ennemis. - Mais je ne peux ignorer le gouvernement, il me faut conférer avec lui avant toute chose. - Mon général, avez-vous eu une réponse correct de ce gouvernement ? Vous a-t-il donné des informations ou des consignes claires ? Vous avez le soutien de tout l'Empire. Vous ne prenez aucune disposition allant à l'encontre des institutions ou des dirigeants de la Nation, vous ne faites que prendre des mesures de sauvegarde de ce dont vous avez la charge. Au demeurant, le Président Lebrun a fait affréter le paquebot Massilia pour les parlementaires, qui devrait arriver d'ici un jour ou deux à Casablanca, n'est-ce pas la preuve que la représentation française ne veut pas s'avouer vaincue. - Ce n'est pas elle qui se bat. - Non, mais c'est elle qui a voté depuis plusieurs années des crédits supérieurs à ce que l'Armée demandait. Je peux témoigner que de nombreux parlementaires ont participé à des travaux pour chercher à améliorer l'efficacité de notre industrie d'armement, de nos fortifications. Elle est peut-être coupable de bien des choses mais elle a réellement cherché à sauvegarder l'indépendance de la Nation. Mon général, il faudra bien un jour déterminer les responsabilités de cet effroyable désastre mais l'urgence est de l'endiguer. Mon général, vous seul pouvez le faire ! - Admettons que nous nous battions, nos n'avons que deux mois de munitions et de carburant. Nous ne pourrons pas longtemps non plus entretenir nos chars et nos avions. - Vous savez que nous montons au Maroc même des appareils de combat américains, trois mille ont été commandé dont nous n'avons reçu qu'un millier. Toute la puissance de leur industrie s'est mise à notre service. Il est temps de montrer que ça n'a pas été en vain. » Silence à nouveau, je le laisse méditer sur ces dernières paroles. Il sonne. « Convoquez l'État-major du Quartier général. - Maintenant mon général ? - Oui, tout de suite. Et je veux envoyer des messages, réveillez le chiffre. » Il me remercie sobrement et je prends congé, épuisé par ces deux journées et la tension de notre échange.
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À l'ombre sous le soleil d'Afrique Vendredi 21 juin - Quatre heures du matin - Maison-Banche Je ne sais pas comment elle a fait mais Claire Roman a bel et bien un ordre de mission pour Rabat et le Goéland est fin prêt pour le voyage (si c'est pas une belle ellipse, ça, et un joli moyen de ne pas se fouler à trouver une explication qui tienne la route...) Je reconnais quelques fêtards de la veille dans les spectateurs de ce curieux départ, le lieutenant, lui, ne se montre pas. Roman aligne l'appareil face au faible vent de nord-ouest et décolle en souplesse. C'est déjà beaucoup plus confortable que la Sauterelle et je peux terminer ma nuit tranquillement. Je me réveille quelques heures plus tard alors que la nuit s'éclaircit à l'arrière de l'appareil. Je ne distingue plus la côte et nous devons être au Maroc. Claire Roman me confirme que nous survolerons bientôt Fès et que Rabat n'est qu'à une grosse demi-heure. Elle me raconte son évasion rocambolesque en Bretagne et nous échangeons sur les malheurs de l'époque succédant aux gloires passées de la "Ligne" et des records en tous genres. Je me suis présenté comme un pilote amateur ayant fait quelques heures sur Pou et quelques glissades sur planeur sans vraiment avoir mon brevet. Elle en sourit et me lâche pour tout commentaire : « Vous avez bien raison, si on attend les autorisations... Il vaut mieux se battre pour décrocher ses droits ! » Atterrissage impeccable à Rabat - Salé à huit heures. C'est là que les choses vont vraiment se compliquer, il va falloir jouer encore plus serré. Nous sommes rapidement pris en charge par un capitaine qui nous demande papiers et ordres de mission. Claire Roman s'exécute et je vois divers sentiments passer sur la figure de l'officier : entre étonnement, admiration et irritation. Puis il se tourne vers moi : « Pouvez-vous me montrer vos papiers, monsieur. - Malheureusement non, j'ai vécu quelques péripéties difficiles en France métropolitaine et vous pouvez constater que je n'ai plus aucun effet personnel. J'ai réussi à m'évader in-extremis d'un terrain avant qu'il ne tombe aux mains des Allemands. Je dois voir le général Noguès au plus vite pour lui faire part d'informations urgentes. - Rien que cela, le général Noguès ! Et votre histoire d'évasion, vous ne pensez pas que je vais y croire ? - Je peux m'en porter garant, mon capitaine, intervient Roman, nous avons pu constater hier soir son arrivée à Alger dans un appareil qui avait à peine l'autonomie pour traverser. - Et qu'est-ce qui me prouve qu'il arrive bien de là où il le prétend ? » Je sors de ma poche la liasse de lettres des mécanos. « Voici des courriers que les derniers défenseurs du terrain de Luxeuil m'ont été confiés pour leur famille, sachant leur capture prochaine probable. Je suppose que vous pouvez en prendre connaissance puisque la censure va les ouvrir avant de les acheminer. » Il parcourt les lettres et je le vois blêmir, je n'ai pas lu leurs lettres mais j'imagine que ces hommes doivent raconter leurs peurs et leur désespoir à ce moment critique. « Bon, en effet, il semble bien que vous étiez sur le front hier matin. Mais qui me dit que vous n'avez pas déserté ? - Je suis un peu vieux pour avoir été mobilisé, ne croyez-vous pas ? Au surplus, je ne cherche pas à me soustraire à l'autorité militaire puisque je viens voir le général Noguès. À ce sujet, vous n'êtes pas sans savoir que la situation en France est pour le moins chaotique et les informations que je lui amène sont d'une importance capitale. Pourriez-vous faire en sorte que je puisse échanger avec lui, il sera toujours temps ensuite d'éclaircir mon affaire, ne pensez-vous pas ? » L'homme est touché par mes arguments mais, ici aussi, il faut passer par la sacro-sainte hiérarchie. Je suis bon pour un parcours du combattant à réexpliquer mon histoire à tout un tas de gens qui veulent en savoir beaucoup plus que je ne peux ni ne veux dire. Le seul élément favorable est mon statu apparent (mais qui est qui en cette période troublée ?) de civil qui leur interdit provisoirement de m'incarcérer sans autre forme de procès. Mais comme je reste à leur disposition, ça ne change pas grand chose. Quatorze heure, un officier du deuxième bureau se présente et l'interrogatoire recommence. Je ne varie pas d'un pouce : je dois voir le général pour lui donner des informations cruciales et extrêmement urgentes, non, je ne peux les délivrer à personne d'autre, elles sont confidentielles, non, je ne peux dévoiler la source de ces informations. Enfin un officier se présente comme l'aide de camps de Noguès. Il a eu vent de l'histoire et a décidé de voir par lui même avant d'en rendre compte au Résident général. Je lui ressors la même histoire en insistant sur le caractère confidentiel. Je termine en glissant : « Je peux simplement vous dire que le général Noguès cherche désespérément à obtenir des informations sur la teneur des discussions pour un armistice menées par le général Huntzinger et des consignes données à ce dernier par le gouvernement et qu'il n'obtient que des réponses dilatoires. J'ai des informations à ce sujet. » L'homme est visiblement ébranlé que je sois au courant des demandes répétées de Noguès et du peu de cas qui en a été fait à Bordeaux. Après avoir essayé d'obtenir ces précieuses réponses, il me quitte sans faire de commentaire. Faut pas spoiler comme ça ! Non, ça va être un peu plus compliqué.
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Avec le canon à 10 km et tout le groupe de chasse parti, je doute qu'il reste beaucoup de volontaires pour se battre avec moi d'autant que la compagnie de l'air en charge du site a dû se faire réquisitionner pour la défense du coin ou tente elle aussi de passer en Suisse ou vers le sud. Mais bon, je l'accorde, c'est un peu gros, c'est juste pour l'histoire car ça va devenir de plus en plus énorme... La Grande Bleue 20 juin 1940 - Dix heures Cap au sud, donc, je vais traverser les lignes allemandes qui doivent être assez discontinues par ici et voler jusqu'au Jura, premier point de repère. Ensuite, le longer jusqu'au massif de la Dôle et passer sur l'autre versant, au ras de la frontière suisse matérialisée par le terrain de Genève - Cointrin pour se retrouver dans la zone encore tenue par l'Armée des Alpes d'Olry. Par Chambéry, je rejoindrai ensuite Valence et la vallée du Rhône jusqu'à son embouchure, je devrais avoir assez d'essence pour y arriver. Comme prévu j'essuie quelques tirs de fusils qui ne me font pas grand mal de la part de soldats verts-de-gris qui sont surpris par un appareil assez silencieux qui débouche au dessus d'eux à la dernière minute. Je prends soin de rester le plus possible au dessus des forêts ou des champs et évite comme la peste les grands axes et les agglomérations. En trois quarts d'heure, je suis à la frontière suisse et je commence le saute-mouton le long des crêtes. Un Morane suisse vient me renifler de loin mais je suis du bon côté. Au dessus, je vois des Bf 110 et des He 111 qui passent en violant l'espace aérien helvétique sans rencontrer d'opposition, le général Guisan doit avoir donné l'ordre de cesser les interceptions. Ça m'arrange mais attention toutefois à la DCA. Midi moins le quart, je commence ma descente derrière la Dôle, c'est bizarre ce massif sans aucune remontée mécanique ni aucun immeuble en bas des pistes qui n'en sont pas encore... Je suis accompagné pendant quelques centaines de mètres par un aigle qui doit surveiller son aire. Midi et demie, je passe Aix-les-Bains et oblique au nord de la Chartreuse vers Valence que je passe à une heure moins le quart. Le Rhône non canalisé me paraît étrange. Ici aussi, quelques tirs sporadiques de loin en loin, je passe de l'autre côté du Rhône pour limiter mes contacts avec des excités de la gâchette mais je ne vois plus que des colonnes de réfugiés... Deux heures, je passe Avignon. Quelle destination prendre ? Tous les terrains de la région doivent être saturés d'avions et je risque des questions gênantes. J'opte pour la Camargue, il y a des grands champs dans la plaine de la Crau et, s'il n'y a pas trop de cailloux, je devrais pouvoir m'en sortir. Posé à quelques kilomètres à l'ouest de Salon-de-Provence, je refais le plein rapidement et redécolle un peu avant trois heures. Dans la pagaille ambiante, mon manège est passé totalement inaperçu. Le fut n'est pas totalement vide, je vais avoir assez pour la grande traversée mais il me faudra compléter le plein en route, j'ai préféré le faire au sol cette fois-ci mais je n'y échapperai pas au dessus de la Grande Bleue. Je n'ai pas de carte mais je sais qu'Alger est un peu à l'ouest du plein sud, je prend un cap au 190, j'espère que la déclinaison magnétique n'est pas trop importante à cette époque mais je vais pouvoir me recaler sur les Baléares, il faudrait passer au dessus de Minorque pour être sur la route directe, je devrais l'apercevoir dans deux heures environ. Je ne suis pas inquiet car je vois des navires sur ma route dans un sens ou dans l'autre, j'aurai de la compagnie si je doit aller à la baille. Huit cents mètres d'altitude, vitesse : cent-cinquante kilomètres à l'heure, j'arriverai un peu après le coucher du soleil. Les heures s'écoulent, monotones. Cinq heures et quart, Minorque apparaît, presque droit devant, pas de problème. Je passe un peu à l'écart, ne voulant pas narguer les Messerschmitt espagnols puis je reprend la route au 195 cette fois-ci. Un peu avant sept heures, je vide le fut dans le réservoir en profitant de la lumière encore bien présente. Les vapeurs d'essence n'améliorent pas ma fatigue et je lutte pour ne pas somnoler. Il n'est pas huit heures quand je vois les hauteurs de l'Atlas Tellien se détacher sur l'horizon, dans le rougeoiement du soleil couchant. Encore une bonne demi-heure à tenir mais je peux identifier la baie d'Alger, tout va bien. C'est dans l'obscurité tombante que je me pose à Maison-Blanche. Je roule jusqu'au coin du terrain déjà bien encombré pour libérer la piste et coupe le contact. Une petite foule accoure, il y a un lieutenant, quelques soldats et des pilotes et mécanos. « D'où venez-vous ? me demandent ces derniers. - De Luxeuil. - De Luxeuil ? Avec une Sauterelle ? C'est pas possible ! - Comment avez-vous traversé la Méditerranée ? - Regardez en place avant. » Les hommes se bousculent pour voir et sont éberlués par mon montage, ils le commentent abondamment. Je leur précise que j'ai fait une pause technique en Camargue, ne serait-ce que pour pouvoir pisser et me dégourdir les jambes, ce qui les fait bien rire. « Quelqu'un peut prendre en charge mon appareil ? - Bien entendu ! Je vais voir avec le chef mécano. » Mais le lieutenant intervient : « Qui êtes-vous ? - Lieutenant, je suis crevé et affamé mais je dois d'abord voir de toute urgence le général Noguès. Il me faut un moyen de le contacter sans retard ! » Et je lui montre un ordre de mission hâtivement tapé à la machine à Luxeuil pendant qu'André faisait les pleins et vérifications. Je l'ai bardé des tampons qui me sont tombés sous la main et signé du nom d'un obscur colonel du 2ème Bureau de l'Armée de l'Air. Ça vaut ce que ça vaut mais il faut que j'aille vite. De toutes manières, dans l'obscurité, il ne peut en déchiffrer tous les termes. L'officier ne sais pas bien à quoi s'en tenir face à quelqu'un qui lui semble avoir un certain respect de la part des pilotes et mécaniciens et qui lui parle avec tant d'aplomb. Il a déjà vu un certain nombre d'appareils se poser mais un si petit, il sent qu'il y a quelque chose de particulier. « Je dois en référer à mes supérieurs. - Bien entendu mais faites vite, ma mission ne souffre aucun retard ! » Par chance, l'heure tardive (et la désorganisation ambiante ?) fait que personne de sa hiérarchie n'est joignable. Je commence à m'impatienter et menace le pauvre lieutenant de tous les maux, à commencer par une petite cour martiale. Je me tourne vers les pilotes qui suivent les échanges avec attention : « J'ai besoin de me rendre à Rabat le plus vite possible, voyez-vous un moyen ? - On peut faire le plein de votre Potez mais vous en avez pour un sacré moment. Il y a plus de 900 bornes. D'un autre côté, avec ce que vous avez déjà fait... - C'est extrêmement *** si quelqu'un pouvait m'y conduire avec un appareil plus rapide, je ne saurais trop le remercier. - Moi, je peux ! » Une femme en tenue de pilote me regarde crânement. « Vous faites partie des pilotes auxiliaires de l'Armée de l'air ? - Claire Roman. - Vous venez juste de vous évader ! Déjà sur la brèche ? - Les nouvelles vont vite. » Le lieutenant est complètement dépassé et se contente désormais de suivre de loin les échanges. Il est vite convenu que Roman va demander un ordre de mission pour aller à Rabat sur Caudron Goéland. Quand j'annonce que je ne connais pas cet appareil, un autre pilote se propose pour nous accompagner. Il est décidé de partir dans la nuit à trois heures pour arriver à Rabat au matin, le reste de la soirée se passe au mess improvisé où je suis sommé de raconter mon périple en détail.
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Faisons une petite pause et essayons une autre approche... Je reviendrai à la grisaille anglaise un peu plus tard, le temps d'explorer des cieux plus cléments. Le Chemin des oiseaux 20 juin 1940 - Huit heures du matin - Le Clair Bois, Anjeux Bon, nous sommes le 20 juin 1940 (voir plus haut, page 2 du présent fil...) Je suis en bordure du bois et la D 417 - tiens, c'est une nationale à l'époque - offre le spectacle désolant de véhicules abandonnés plus ou moins endommagés que des convois allemands dépassent. Parmi eux, une moto Gnome-et-Rhône est couchée dans le fossé. Le terrain de Luxeuil est à une vingtaine de kilomètres, en passant par les petits chemins que je connais j'en aurais pour moins d'une heure. Au bruit de la canonnade, les Allemands ne doivent pas encore y être. Alors, on tente une évacuation aérienne ? Allez, banco, si je ne trouve rien, je me planquerai à Luxeuil avec les réfugiés et j'aviserai. Suit une attente interminable d'une accalmie dans le passage des troupes allemandes. Enfin une pause, je peux redresser la moto et je kicke comme un malade pour la faire démarrer. J'enclenche une vitesse et lâche doucement l'embrayage, je cale ! On recommence, ça marche... Merde, un camion au fond, vite, je fonce vers lui et tourne à gauche dans le chemin de terre vers Girefontaine. Des coups de feu claquent derrière moi. La vache, le chemin est bien plus défoncé qu'à mon époque, c'est parti pour un kilomètre de cross avec un tape-cul, je ne vous dis que ça ! Aïe, ça se termine en sentier, je dois pousser la moto sur cent mètre juste avant d'entrer dans Girefontaine. À nouveau quelques soldats dans la rue principale mais je parviens à me faufiler vers Anjeux sans trop attirer l'attention. Je m'attendais à une petite route de campagne mais c'est un chemin de terre ici aussi. J'arrive devant ma maison, à Anjeux, que je dépasse un peu et je laisse la moto dans le chemin creux à l'arrière. Ce n'est plus (pas encore ?) ma maison, c'est une ferme qui semble barricadée. Un petit tour du village pour me procurer des habits moins voyants que mon jogging, une petite vieille me prend en pitié et me donne une chemise. Je repars direction de La Pisseule, ici aussi en chemin de terre, ça m'arrange il n'y a personne, d'où je prends la route d'Ainvelle. J'entends quelques coups de canons plus au nord et plus au sud, probablement les passages de la Sémouse à Saint-Loup-sur-Sémouse et à Conflans-sur-Lanterne, c'est bien, la Sémouse ne doit pas être franchie, je vais pouvoir passer la Lanterne sans trouver d'Allemand à Briaucourt. Direction Abelcourt à travers le bois, je croise quelques soldats français qui se cachent et ne s'occupent pas de moi. Sainte-Marie-en-Chaux, Breuches, je suis au terrain de Luxeuil - Saint-Sauveur à neuf heures et demie. De la fumée s'élève, les avions qui m'ont survolé tout-à-l'heure sont peut-être passés par là ce matin. Je coupe à travers champs et découvre l'ampleur des dégâts. Un Potez 60, dans un coin, n'a pas l'air trop amoché ; j'avise un soldat : « Y'a un mécano, dans le coin ? », il me désigne un groupe planqué le long d'un hangar « Vous avez un pilote pour la "Sauterelle" ? - Non, ils sont tous partis. - Dans quel état est-il ? - Il doit tourner mais je monterais pas dedans... - Vous avez assez d'essence ? - Y'en a dans les soutes. - Et qu'est-ce que vous attendez pour y foutre le feu ? Vous n'entendez pas les Boches ? - J'ai pas d'ordre. - Bon, en attendant, on va faire le plein et vous allez me remplir tous les réservoirs que vous trouverez et qu'on entassera sur le siège avant. J'aurais aussi besoin de durites et d'une pompe à essence manuelle. - Vous croyez que vous pouvez piquer un avion comme ça ? - Vous préférez que les Boches le prennent ? - Ouais, vu comme ça... - Allez ! Donnez-moi un coup de main, il est impératif que je puisse m'extraire d'ici. - Bah ! Ça ou autre chose... On est livrés à nous-même. Y'a plus un officier, ils sont tous partis et ont laissé les rampants derrière, y'avait pas de place dans les avions. - Si vous voulez essayer de vous en tirer et ne pas être faits prisonniers, il y a la forêt des Sept Chevaux, juste au nord. Prenez des rations, autant que vous pourrez, et vous essayerez ensuite de prendre contact avec les habitants de Luxeuil pour disparaître dans le décor. - Oui, merci pour le conseil. - Et foutez-moi le feu aux soute dès que je serai parti, d'accord ? Les Allemands sont à moins de dix bornes. - D'accord. » Une heure plus tard, André, le mécano, a tout vérifié et mis un fût d'essence à la place du siège avant en le sécurisant à peu près avec une corde, une pompe manuelle est installée sur le côté du poste de pilotage et un tuyau est en place vers le réservoir, j'espère que ce bricolage tiendra. J'ai quelques provisions fournies par le cuisto et des lettres pour les familles "au cas où...", me v'la dans l'Aéropostale ! Je fais ma pré-vol et lance le moulin après qu'il ait dégommé le moteur en tournant l'hélice. Trois ou quatre autres soldats aident à mettre l'appareil en ligne sur un axe as trop défoncé par les bombes et je décolle après un très court roulage. Un battement d'ailes pour saluer André et je mets le cap au sud. J'ai assez de carburant pour arriver sur la côte méditerranéenne ; pour le moment faut faire gaffe à ce qui peut venir d'en haut ou d'en bas, le plus sage est de faire du rase-motte, avec un tel appareil c'est assez simple, on dirait presque un planeur.