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[LPM] Loi Programmation Militaire


xav

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il y a 7 minutes, Nec temere a dit :

Sans évoquer le reste du quinquennat Macron I, est ce qu'on a des raisons de douter de sa parole ? Mieux, est ce qu'on devrait pas commencer à lui faire confiance sur le financement de nos armée ? Encore plus quand les signaux sur les coop avec les Allemands sont moins alarmant.

La confiance envers un décideur, c'est comme les munitions non explosées. C'est pas obligé que ça pète mais dans le doute, compte tes doigts d'abord.

Après, on verra. C'est moins pire qu'il y a dix ans mais... à surveiller.

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On 7/11/2022 at 12:31 PM, Fusilier said:

probablement, il n'y qu'à Paris qu'ils ont fait un bataillon de réserve...  Mais, il y a des zones où il n'y a pas ou peu d'unités.  Faudrait demander l'opinion des réservistes sur le genre de boulot qui leur confient, le temps de formation, etc... On est loin de la réserve brit, par exemple. 

Perso, je remplaçais au coup par coup des engagés. Mais j'avais un passé. 

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il y a une heure, prof.566 a dit :

Perso, je remplaçais au coup par coup des engagés. Mais j'avais un passé. 

Dans la Marine, si mes infos sont bonnes, 50 % des réservistes opérationnels sont des anciens; les Prépas Marine sont, par exemple, gérées que par des réservistes. Là où il doit y avoir le plus de primo, ça doit être dans les Fus et les guetteurs sémaphores, par l'effet du nombre. Chez les Fus et les Guetteurs, ils sont intégrés aux équipes et font le même boulot.  

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13 hours ago, Fusilier said:

Dans la Marine, si mes infos sont bonnes, 50 % des réservistes opérationnels sont des anciens; les Prépas Marine sont, par exemple, gérées que par des réservistes. Là où il doit y avoir le plus de primo, ça doit être dans les Fus et les guetteurs sémaphores, par l'effet du nombre. Chez les Fus et les Guetteurs, ils sont intégrés aux équipes et font le même boulot.  

J'ai été Fusco et CPA dans l'ADLA. effectivement.

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1 minute ago, Fusilier said:

Je le savais :tongue:

D'ou le. 566 d'ailleurs. La formulation des convocs etait assez amusante d'ailleurs. A Orléans c'etait "chargé de mision". Bonne nouvelle, je vais partiellement revenir "dans le milieu" en faisant des missions pour le cieds. J'arrête, HS. 

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  • 2 weeks later...

Audition du CEMAT à l'assemblée:

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/cion_def/l16cion_def2122008_compte-rendu#

Beaucoup de choses sur la réserve, et des précisions sur les Caesar ukrainiens: les 18 viennent de nos stocks et seront remplacés par des Caesar identiques, pas NG

Citation

Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

— Audition, à huis clos, du général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre.


Mercredi
20 juillet 2022

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 8

session extraordinaire de 2021-2022

Présidence
de M. Thomas Gassilloud,
président

 

—  1  —

La séance est ouverte à onze heures dix.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Nous sommes ravis, mon général, de vous accueillir pour votre première audition devant notre commission, qui s’est renouvelée à plus de 80 %.

 

Je tiens à saluer et à remercier toutes les femmes et les hommes qui servent dans l’armée de Terre, ceux qui ont défilé lors du 14 juillet mais aussi tous ceux qui sont projetés loin de chez nous.

 

Nous attendons de votre part une présentation de l’armée de Terre, de son rôle dans la défense nationale – ce que vous appelez son offre stratégique. Armée de nos territoires, elle est la plus proche de nos concitoyens et la plus visible, mais elle peut aussi être complexe pour un néophyte découvrant les traditions des marsouins, des légionnaires, des hussards, des spahis ou des chasseurs alpins – je compte sur votre pédagogie.

 

Après cinq années de remontée en puissance, nous serons heureux d’entendre votre premier bilan de la modernisation de nos forces et de connaître votre appréciation de l’équilibre actuel entre masse et technologie dans un contexte de retour du conflit de haute intensité.

 

Fort des premières leçons du conflit ukrainien, vous pourrez aussi nous faire part de votre vision stratégique.

 

Pour autant, l’Ukraine ne doit pas nous détourner des autres théâtres d’opérations ainsi que des autres champs de conflictualité. Quel regard portez-vous sur le niveau et les modalités de l’engagement des forces terrestres sur le territoire national et en opérations extérieures ? Quelle est votre analyse de la reconfiguration de l’opération Barkhane et des conditions du maintien de notre présence au Sahel et plus largement en Afrique de l’Ouest ?

 

Enfin, s’agissant des moyens, quels sont, selon vous, les besoins et les priorités de l’armée de Terre dans la perspective de la nouvelle loi de programmation militaire (LPM) et quels sont vos points de vigilance ?

 

M. le général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre. Je vous remercie, Monsieur le président, pour les mots que vous avez eus à l’égard de l’armée de Terre. Chef d’état-major de l’armée de Terre, armée des territoires, depuis un an, je suis heureux de pouvoir m’adresser à la représentation nationale.

 

Je salue et félicite les nouveaux et les anciens membres de la commission. L’armée de Terre s’attachera à vous réserver le meilleur accueil afin de vous aider à mener à bien vos travaux. Je veillerai à entretenir la relation de confiance qui a toujours prévalu.

 

Alors que nous venons de célébrer la fête nationale et en pleine période estivale, j’ai une pensée pour les 25 000 soldats de l’armée de Terre en posture opérationnelle, dont 5 000 sont déployés en opérations extérieures et 9 000 assurent la protection du territoire national en métropole et outre-mer, notamment à travers les missions Sentinelle ou Héphaïstos, en renfort des forces de sécurité intérieure dans la lutte contre les feux de forêt. Je pense aussi à ceux qui se tiennent en alerte ainsi qu’à tous ceux qui se forment et s’entraînent en ce moment même.

Une année après avoir pris mes fonctions, je peux en témoigner, nous avons une belle armée de Terre, une armée d’emploi qui sert avec enthousiasme jusqu’à payer le prix du sang en opération. Le moral de nos soldats est bon – 80 % des membres de l’armée de Terre interrogés annuellement déclarent avoir un très bon, un bon ou un assez bon moral – en raison des engagements opérationnels, des livraisons d’équipements qui concrétisent les efforts de la Nation et parce qu’ils ont confiance dans leurs chefs et leur institution.

 

Avant de répondre à vos questions, je vous livrerai un instantané de l’armée de Terre. J’évoquerai ensuite le durcissement et la modernisation entrepris depuis plusieurs années dans le cadre du plan Supériorité opérationnelle dont les enseignements de la guerre en Ukraine confirment la pertinence, même s’ils imposent de l’ajuster. Enfin, j’aborderai les enjeux des engagements terrestres des prochaines années.

 

L’armée de Terre est un concentré de France chargé de protéger les Français. Elle a historiquement entretenu une relation incarnée avec nos territoires, vos circonscriptions, et elle y reste ancrée. Elle compte 140 000 terriens dont 35 000 servent en dehors de l’armée. Sur les 106 000 hommes et femmes servant au sein de l’armée de Terre, 97 000 sont des militaires et 9 000 des civils, auxquels il faut ajouter 24 000 réservistes. L’armée de Terre est répartie dans 550 implantations dans quatre-vingts départements ; deux tiers de ses membres sont affectés en dehors des grands pôles urbains et un quart – plus de 25 000 – dans des communes rurales.

 

Sur le plan économique, un régiment, environ 1 000 soldats, génère 50 millions d’euros de retombées locales par an. Cette empreinte résulte des commandes effectuées auprès d’entreprises, de la consommation, des emplois directs et indirects. Au-delà des seules retombées économiques, ce sont des familles qui dynamisent la vie locale des territoires, des enfants accueillis dans les écoles, etc.

 

L’armée de Terre est un concentré de France. Chaque année, 15 000 jeunes choisissent de rejoindre nos rangs. La jeunesse est un impératif et un atout pour nos armées. Il serait probablement plus pertinent de parler des jeunesses, car les jeunes dans nos rangs sont représentatifs de la diversité sociale de notre population ; ils proviennent de toute la France métropolitaine et ultramarine – les outre-mer représentent plus de 10 % de notre recrutement, autant que celui en provenance d’Île-de-France – et présentent des talents extrêmement variés. Cette diversité fait la richesse de notre armée de Terre.

 

Pour répondre à cette envie de servir, atout quasiment unique en Europe, l’armée de Terre s’attache à valoriser les mérites de ses soldats et à leur offrir des perspectives professionnelles et des opportunités de progression. L’escalier social fonctionne. La moyenne d’âge des régiments est de 28 ans. Le recrutement initial et le niveau scolaire à l’entrée dans l’institution ne sont pas déterminants. Sans multiplier les exemples de soldats ayant atteint le sommet de la hiérarchie, la moitié des officiers sont issus du corps des sous-officiers et la moitié des sous-officiers sont issus des militaires du rang.

 

L’armée de Terre est un levier d’intégration citoyenne grâce aux exigences de la finalité opérationnelle et à la singularité militaire. Le passage dans ses rangs accroît le sens du collectif, l’esprit de discipline, le dépassement de soi et la prise de responsabilité contribuant ainsi à la résilience de la Nation.

 

L’armée de Terre contribue à la défense du territoire national. Elle participe à la sécurité du quotidien des Français. Si l’engagement de nos soldats d’active et de réserve dans le cadre de l’opération Sentinelle est le plus emblématique, ces derniers se tiennent prêts à intervenir en cas de besoin. Ce fut le cas en 2020, après le passage de la tempête Alex dans les Alpes-Maritimes, lors des pics de la pandémie de covid-19 et aujourd’hui dans la lutte contre les incendies.

 

L’armée de Terre sert d’abord à combattre, en tout lieu, en tout temps, quelle que soit la mission. Elle est chargée de protéger le pays contre la dangerosité du monde. En tant que chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT), ma responsabilité est de faire en sorte que nos soldats soient prêts pour faire face à toute éventualité.

 

L’Europe connaissait un épisode de paix durable. La grande majorité de nos concitoyens n’a pas connu de temps de guerre. Nous appartenons certainement à l’une des générations les plus riches de l’histoire ; nous habitons l’un des espaces privilégiés du globe. Nombreux étaient ceux qui pensaient pouvoir fermer les yeux et ignorer les menaces pesant sur cette opulence. Mais la guerre est revenue sur notre continent. La menace planait depuis de nombreuses années. En effet, l’invasion russe a été précédée d’un effort de modernisation militaire qui voulait impressionner et de plusieurs coups de semonce : Géorgie, Crimée, Donbass, Syrie. La menace était identifiée. Consciente de sa montée inexorable, l’armée de Terre avait su anticiper cette surprise attendue et commencer un durcissement et une modernisation destinés à la rendre apte à s’engager dans tous les types de conflit jusqu’à un engagement majeur. Cette modernisation est en cours, même si elle est encore dans sa phase initiale de réparation.

 

En 2016, le document « Action terrestre future » évoquait le retour des logiques de puissance entre États et de conquête de la supériorité militaire par certains États. En 2020, la vision stratégique de mon prédécesseur soulignait l’incertitude du contexte stratégique et l’extension des champs de conflictualité.

 

Face aux incertitudes de l’environnement stratégique et dans le cadre de la modernisation de nos équipements, au travers du programme SCORPION, l’armée de Terre s’est engagée dans une marche en avant pour consolider encore davantage sa réactivité et sa crédibilité en poursuivant quatre objectifs : des hommes à la hauteur des chocs futurs ; des capacités pour surclasser nos adversaires ; un entraînement centré sur l’engagement majeur ; un fonctionnement réactif et opérationnel. C’est l’enjeu du plan Supériorité opérationnelle.

 

En s’appuyant sur le modèle du plan Au contact, importante réforme menée il y a cinq ans, le plan Supériorité opérationnelle vise un objectif très clair : forger l’armée de Terre dont la France a besoin.

 

Au cours des dernières décennies, l’armée de Terre a acquis une expérience opérationnelle d’une grande valeur qui a fortement contribué à l’efficacité reconnue de nos forces.

 

Durcir ne signifie pas faire fi de l’expérience des opérations de stabilisation et des conflits de contre-insurrection. Comme un pianiste, il faut travailler sa deuxième main pour exploiter au mieux « le clavier de l’action », pour reprendre les mots du général Beaufre. L’armée de Terre doit être capable de produire des effets décisifs et d’apporter des solutions stratégiques dans les différents scénarios d’engagement, de l’affrontement direct des volontés aux approches indirectes, et de composer avec les modes majeurs et mineurs de la conflictualité.

 

Se durcir, c’est aussi consolider les capacités, anticiper et réfléchir aux besoins à venir, tant avec le futur char de combat franco-allemand, le MGCS, que dans le domaine cyber et électromagnétique, par exemple.

 

Avec le programme SCORPION, l’armée de Terre entreprend probablement la modernisation la plus importante depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Il s’agit de faire d’une pierre deux coups : renouveler nos blindés, en service depuis quarante ans, et capitaliser sur les apports du combat collaboratif. Les blindés, et plus largement les unités, partageront en temps quasi réel les informations les plus utiles pour déterminer la meilleure combinaison possible pour se protéger et pour détruire l’ennemi. Comprendre plus vite, décider plus vite, agir et réagir plus vite, tout cela multiplie nos chances de dominer l’adversaire. Le combat collaboratif est appelé à devenir une norme.

 

Le CAESAR permet ainsi de transmettre des éléments de tir à des systèmes d’artillerie mobiles disséminés et camouflés. Sur ordre, ils se mettent en batterie, tirent six obus et, avant même que le premier obus ne frappe leur cible, ils ont déjà quitté leur position. L’emploi de l’artillerie en Ukraine nous confirme la pertinence de notre choix de matériel.

 

Le bien-fondé du durcissement de la préparation opérationnelle est attesté par les soubresauts des relations internationales et les recompositions géopolitiques.

 

Nous nous tenons prêts à combattre, tous moyens en notre possession réunis, dès ce soir tout en continuant à forger l’outil qui nous permettra de combattre dans dix ans. Il est primordial de tenir un tel point d’équilibre.

En 2022, la loi de finances a consacré une augmentation de 1,7 milliard d’euros du budget de la mission Défense par rapport à 2021. Cela représente 132 millions d’euros de crédits supplémentaires pour le budget de préparation des forces de l’armée de Terre qui atteint 1,67 milliard d’euros.

 

L’année 2022 est une année charnière, capitale pour la poursuite de la modernisation qui nécessitera deux lois de programmation militaire successives pour être conduite à son terme. La poursuite des livraisons permettra d’atteindre presque 20 % de la cible prévue par le plan SCORPION en fin d’année pour les véhicules Griffon, Jaguar et Serval. En 2022, 500 véhicules blindés supplémentaires ont été commandés, représentant à eux seuls une nouvelle tranche de 15 % du total des équipements SCORPION.

 

La modernisation n’en est qu’à ses débuts et beaucoup reste à faire pour rehausser le niveau de préparation opérationnelle de l’armée de Terre. En effet, la LPM prévoit les augmentations de ressources afférentes les plus importantes, à hauteur de 3 milliards d’euros, à partir de 2023.

 

L’environnement géopolitique, en particulier le conflit en Ukraine, qui représente probablement un tournant stratégique d’une ampleur comparable à celui de la fin du pacte de Varsovie dans les années 1990, confirme la pertinence de la modernisation dans laquelle s’est engagée l’armée de Terre, mais elle met aussi en exergue des impératifs d’adaptation. Le conflit nous rappelle quelques principes fondamentaux et illustre toute la complexité du milieu terrestre.

 

La guerre moderne et les évolutions technologiques n’ont pas rendu l’affrontement au sol accessoire. L’engagement au sol et près du sol vise à prendre l’ascendant sur l’ennemi, à le dominer physiquement et moralement, jusqu’à sa destruction si nécessaire. Demain comme hier, cet affrontement continuera de se dérouler dans l’incertitude qui singularise le milieu terrestre. C’est bien l’affrontement au sol et près du sol qui concrétise la détermination politique. Le conflit en Ukraine le démontre une nouvelle fois, la guerre moderne se caractérise par des opérations de grande ampleur impliquant de la masse, des forces conventionnelles comme spéciales, des moyens interarmes en nombre et une capacité à durer. Attaquer, détruire peut se faire à distance ; construire, conquérir se fait au sol. Le milieu terrestre demeure l’espace fondamental des rivalités stratégiques : conquête de richesses, gain territorial, influence et contrôle des populations et des centres de pouvoir. Pour dissuader de telles velléités adverses, nous nous devons d’être prêts et réactifs.

La ligne choisie par l’armée de Terre se trouve confortée par ce que nous observons en Ukraine, même si certains enseignements nous amènent à procéder à des ajustements.

 

Le soldat est la prunelle des yeux de l’armée de Terre – ce n’est pas un truisme. Nous sommes une des seules armées en Europe à disposer en quantité et en qualité des soldats dont nous avons besoin. C’est le signe de l’esprit de défense de notre pays.

 

Les forces morales sont la qualité première attendue du combattant. Les affrontements entre l’Ukraine et la Russie révèlent encore davantage l’importance de la richesse humaine et des forces morales. L’aguerrissement est impératif pour éviter la défaillance des forces morales. Les forces morales de nos soldats ou d’une Nation ne sont pas innées ni acquises une fois pour toutes. Pour les consolider, l’armée de Terre développe un observatoire dédié. L’étude des forces morales doit être approfondie afin de dégager des techniques de développement individuel et collectif concrètes.

 

Les compétiteurs ne manœuvrent pas en 2CV. Il est à noter l’apparition des premières images de véhicules terrestres télé-opérés russes pour appuyer uniquement le déminage à ce stade.

 

La guerre en Ukraine est révélatrice des capacités décisives que l’armée de Terre doit consolider ou acquérir. Elle rappelle que la technologie joue un rôle essentiel pour dominer l’adversaire. Elle souligne également que la masse est un des facteurs de supériorité opérationnelle, ce que les études et travaux de l’armée de Terre, et plus globalement des armées, ont constamment mis en avant depuis plus d’une dizaine d’années. Gardons-nous d’une vision trop manichéenne qui opposerait masse et technologie. Les deux sont nécessaires et complémentaires. Nous devons continuer à rechercher cet équilibre qui a guidé le développement de nos programmes d’armement. Le fait de disposer d’un matériel moderne, robuste et en nombre suffisant pour emporter la décision contribue directement à la confiance, aux forces morales, donc à l’efficacité opérationnelle.

 

Parmi les capacités à renforcer, je citerai les capacités de défense sol-air, les drones, les feux dans la profondeur, les systèmes d’information et de communication, le renseignement ou les moyens de franchissement.

 

La complexité de l’engagement au sein du milieu terrestre requiert une préparation exigeante. Il ne suffit pas à un soldat de détenir une arme ou de piloter un engin blindé, il doit savoir l’employer en coordination avec les autres unités. C’est l’enjeu du combat dit interarmes. Les capacités des armes de mêlée sont limitées sans appui ni soutien.

 

La préparation à l’hypothèse d’un engagement majeur, redevenu malheureusement possible sur notre continent, amène l’armée de Terre à changer d’échelle en matière de préparation opérationnelle. Ce sera l’enjeu de l’exercice Orion 2023 qui revêtira un caractère interarmées, interservices et interministériel. Dans la continuité de la participation à l’exercice Warfighter 2021 aux côtés de nos alliés américains dont les enseignements ont irrigué l’ensemble de l’armée de Terre, il s’agit de poursuivre la maîtrise de procédures et l’acquisition de savoir-faire spécifiques.

 

Le réalisme et l’intensité doivent caractériser les phases d’entraînement. Train as you fight : c’est le principe de la préparation opérationnelle interarmes augmentée que développe l’armée de Terre dans ses centres d’entraînement, en particulier à Mailly, Sissonne, Canjuers ou Mourmelon, avec des phases de contrôle plus longues, plus exigeantes, dans des conditions plus rustiques.

 

Si l’armée de Terre souhaite renforcer l’aptitude à intervenir sans délai par une autonomie accrue du corps d’armée et de la division, qui sont les deux outils de référence de la nouvelle grammaire stratégique, il est nécessaire de réinvestir dans l’entretien programmé des matériels, de reconstituer des stocks pour améliorer l’activité. L’excellent rapport d’information sur la préparation à la haute intensité, publié en début d’année par la commission, préconisait d’augmenter le potentiel des matériels terrestres, notamment par la constitution de stocks de pièces de rechange suffisants. Il s’agit là du ciment et du liant qui transforment les grands équipements que nous possédons en capacités de combat réactives et polyvalentes. Il faut aussi poursuivre la modernisation des moyens de commandement opérationnel – la connectivité et le combat collaboratif –, indispensables au commandement au combat d’une grande unité ; et renforcer les appuis et les soutiens opérationnels du système de combat divisionnaire.

 

L’attaque russe en Ukraine met nos armées au défi de la réactivité. Ce défi est collectif. L’armée de Terre ne peut le relever seule. Il implique l’ensemble des armées, des directions et services du ministère à travers le soutien apporté aux forces, ainsi que la base industrielle et technologique de défense (BITD) pour les modalités d’adaptation et de réponse rapide en cas de besoin, qui sont communément appelées économie de guerre.

 

La défense nationale est un choix de société. À l’heure où la menace d’une guerre est redevenue une préoccupation pour notre continent, une question demeure : à quel prix et comment – c’est là ma responsabilité – notre pays souhaite se défendre ?

 

L’ambition politico-militaire de la France est d’assumer ses responsabilités de puissance d’équilibre, une ambition fixée par le Livre blanc de 2013 puis par la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale en 2017 et son actualisation au début de l’année 2021. Les ressources consacrées aux armées ces dernières années ont permis de réparer l’outil militaire, qui doit soutenir cette ambition et de commencer sa modernisation.

 

Pour une défense puissante, il faut donc une armée de Terre durcie. La France doit pouvoir compter sur son armée qui a le devoir de se préparer et, si les circonstances l’exigent, de s’engager dans un conflit majeur. « Si tu veux la paix, prépare la guerre » selon l’adage bien connu qui est aussi la devise de l’école de guerre Terre. Chef d’état-major de l’armée de Terre, c’est ma responsabilité de garantir que ce soir, nous sommes prêts à partir en opération tout en nous dotant des moyens qui seront nécessaires pour répondre aux défis des dix prochaines années.

 

Pour conclure, je vous invite à assister à la présentation des capacités de l’armée de Terre, qui aura lieu le 6 octobre à Satory. Vous pourrez, à cette occasion, rencontrer nos soldats et échanger avec eux. Ce sont les meilleurs ambassadeurs de l’armée de Terre.

 

M. François Cormier-Bouligeon. Alors que 25 000 soldats des forces terrestres sont actuellement déployés en posture opérationnelle et qu’un éventuel renforcement de notre engagement sur le flanc est de l’Europe a été récemment évoqué par le Président de la République, l’armée de Terre est de plus en plus sollicitée. Je tiens à témoigner, au nom du groupe Renaissance, notre estime et notre reconnaissance aux hommes et aux femmes engagés au quotidien pour nous protéger.

 

Mes questions portent sur les conséquences du conflit en Ukraine pour l’armée de Terre. Alors que la guerre s’installe dans la durée, comment concilier notre assistance légitime à ce pays qui subit les horreurs de l’agression russe avec les intérêts de nos propres forces ? S’agissant de la disponibilité des matériels et des munitions, quelles sont les conséquences notamment de la cession des canons CAESAR ? Quelles mesures ont été éventuellement prises pour s’adapter à cette nouvelle donne ?

 

En ce qui concerne les femmes et les hommes, comment la haute intensité a-t-elle été intégrée, d’une part, dans la formation des personnels, en particulier à la maintenance et la logistique opérationnelles dont le conflit en Ukraine a montré le rôle essentiel pour assurer la profondeur logistique et la réactivité des forces, et, d’autre part, dans l’entraînement des forces. La préparation opérationnelle est, selon moi, l’un des éléments clés de la remontée en puissance de nos armées, au même titre que la capacité à régénérer les matériels.

 

Au moment de prendre mes fonctions de rapporteur pour avis des crédits des forces terrestres, je souhaite saluer le travail de ma prédécesseure, Sereine Mauborgne, et rendre hommage à la présidente Françoise Dumas. Quelles priorités identifiez-vous pour l’armée de Terre dans la perspective du budget pour 2023 et de la nouvelle LPM ?

 

Mme Caroline Colombier. Vous avez raison, général, la puissance et la bonne santé de notre armée relèvent d’un choix de société qu’il nous faut assumer. Les menaces à l’Est et la persistance des déséquilibres au Sahel nous inquiètent tandis qu’est apparu un nouvel ennemi qui n’a ni drapeau ni nationalité et frappe indistinctement : l’inflation. La remontée en puissance de l’armée de Terre ne peut pas s’affranchir des contraintes économiques. Vous l’avez souligné dans un récent entretien à La Tribune, l’inflation est un « sujet de préoccupation » qui risque d’entraver notre remontée capacitaire, à laquelle nous souhaitons associer nos partenaires européens.

 

Ces derniers, malgré leurs discours louant la solidarité européenne, font bien souvent l’impasse sur les éventuels partenariats qu’ils pourraient établir avec notre industrie de défense. Avez-vous noté, chez vos homologues européens, une prise de conscience de la nécessité de relancer les programmes d’armement et une volonté de faire appel à notre pays, qui dispose d’une expertise en matière de combat terrestre à nulle autre pareille en Europe, plutôt que de se tourner, une fois encore, vers notre allié outre-Atlantique ?

Dans son discours du 13 juillet, le Président de la République a souligné l’urgence d’accroître le volume de nos forces afin de faire face à l’extension des champs de la conflictualité et à la perspective d’affrontements plus durs. Ce renforcement passe par la restructuration de notre réserve alors même que la fidélisation de nos soldats apparaît comme un enjeu de taille. Ne craignez-vous pas que le retour de la haute intensité ne constitue un obstacle supplémentaire au recrutement des soldats, la guerre n’étant plus une hypothèse d’école ?

 

M. Emmanuel Fernandes. L’Allemagne a décidé, à cause de la guerre en Ukraine et des risques accrus de conflit en Europe, de consacrer des sommes record – plusieurs milliards d’euros – à sa défense. Notre voisin, qui était historiquement en retrait par rapport à la France dans ce domaine depuis la seconde moitié du XXe siècle, souhaite se doter de la plus grande armée conventionnelle d’Europe.

 

De notre côté, après plus qu’un quart de siècle de réduction des dépenses militaires et du format des armées, la LPM pour les années 2019 à 2025 prévoit de porter la part des dépenses militaires à 2 % du PIB en 2025.

 

Le resserrement de l’écart entre la France, première puissance militaire européenne, et l’Allemagne modifie les équilibres au sein de l’Union. Les coopérations entre nos deux pays sont nombreuses qu’il s’agisse d’armement, de l’installation à Évreux de l’escadron de transport franco-allemand ou encore de groupements conjoints avec d’autres armées européennes – je pense à l’Eurocorps, situé à Strasbourg, dont nos pays étaient à l’initiative.

 

L’augmentation significative du budget allemand de la défense pourrait remettre en cause les équilibres des politiques de défense européenne et renforcer l’influence des États-Unis par le biais de l’OTAN. Dans cette nouvelle configuration, les partenariats franco-allemands vous semblent-ils toujours pertinents et sont-ils voués à se développer ?

 

M. Jean-Louis Thiériot. Vous avez qualifié l’armée de Terre de « concentré de France ». Il s’agit de l’un des derniers corps où l’escalier social demeure. Lorsqu’on voit un engagé volontaire de l’armée de Terre entrer à l’école de guerre, on se dit que la France et la République sont belles.

 

Comme vous, nous sommes convaincus du rôle indispensable de l’armée de Terre. C’est toujours la compagnie d’infanterie ou l’escadron de cavalerie qui conquiert le terrain et qui l’emporte sur le dernier kilomètre.

 

Ma question concerne les premières leçons que vous pouvez tirer du conflit en Ukraine en matière de trous capacitaires. La mission d’information sur la préparation à la haute intensité dont j’étais le corapporteur en avait relevé plusieurs. Vous les avez mentionnés à l’exception de deux : le segment lourd et les mines.

 

S’agissant du premier, le char lourd serait condamné, dit-on – on prédisait déjà la fin du char lors de la guerre du Kippour. Quelle est votre analyse ?

 

Quant au second, nous avions souligné l’effort à faire pour restaurer les capacités de minage-bréchage. Quel est votre avis en la matière ? Quel usage est fait des mines en Ukraine ?

 

L’armée de Terre a aussi pour mission la défense du territoire contre des menaces telles que les incendies de forêts, comme nous en connaissons. Envisagez-vous de renforcer les trois unités militaires de la sécurité civile ?

 

Mme Delphine Lingemann. Dans ma circonscription, le 28e régiment de transmissions d’Issoire a établi un partenariat innovant avec des établissements de formation du territoire. Le Président de la République l’a rappelé dans son récent discours aux armées, d’autres filières existent partout en France. De l’école des mousses au 4e régiment étranger, en passant par la compagnie d’instruction du service militaire adapté (SMA) d’Hiva Oa, les dispositifs de formation de nos armées sont une chance pour nos jeunes.

L’actualisation de la loi de programmation militaire sera l’occasion de renforcer le lien entre nos armées et la jeunesse, déjà resserré grâce au service national universel (SNU) et au plan Ambition armées-jeunesse. Comment comptez-vous renforcer les partenariats entre nos armées, l’éducation nationale et l’enseignement supérieur pour répondre aux enjeux du recrutement demain ?

 

Mme Anna Pic. La modernisation de l’armée de Terre, destinée à remettre à niveau nos capacités après des années de sous-investissement, ne fait que commencer, avez-vous dit. Avons-nous les moyens de soutenir l’Ukraine autant que nous le souhaiterions ? Quelle doit être la stratégie budgétaire pour les années à venir afin d’accélérer la modernisation au regard des nouveaux besoins ?

 

Le retour de la guerre de haute intensité sur le sol européen n’a pas été anticipé, ce qui remet en lumière le rôle indispensable du renseignement. Quelle est la feuille de route du nouveau directeur du renseignement militaire ?

 

Quelle est notre stratégie à l’égard de M. Poutine qui reste une menace pas seulement vis-à-vis de l’Ukraine ?

 

M. Loïc Kervran. Le groupe Horizons tient à saluer la contribution décisive de l’armée de Terre à la sécurité des Français.

 

Vous avez largement évoqué SCORPION, le combat collaboratif, les données, la technologie et la modernisation. Mais nous connaissons les fragilités dans ce domaine ainsi qu’en témoignent les menaces cinétiques et cyber sur nos satellites – je salue à cet égard le travail de Thomas Gassilloud sur la résilience nationale.

 

Quelles mesures l’armée de Terre prend-elle pour répondre aux enjeux de masse et de résilience et pour être capable d’agir en mode dégradé quand rien d’autre ne fonctionne plus ?

 

M. le général Pierre Schill. Vous l’imaginez, j’ai une affection particulière pour le programme 178 « Préparation et emploi des forces » dont vous serez le rapporteur pour avis, Monsieur Cormier-Bouligeon.

 

Dès lors que le Président de la République a décidé que la France devait soutenir l’Ukraine, en particulier en matière d’artillerie, l’armée de Terre s’est organisée pour offrir une capacité la plus efficace possible.

 

Certaines dispositions ont été prises pour assurer la formation des Ukrainiens qui étaient appelés à utiliser les canons CAESAR, à les réparer et à effectuer leur maintenance. Nous avons cédé à l’Ukraine, outre dix-huit des soixante-seize canons que nous possédons, des pièces d’artillerie et des munitions qui ont été prélevés sur les capacités des forces terrestres. Manifestement, ces canons répondent à un besoin opérationnel des Ukrainiens : ils réussissent à échapper aux tirs de contre-batterie et se montrent efficaces contre les forces russes.

 

Deux impératifs s’imposent à l’armée de Terre. Le premier est la préparation opérationnelle : pour que nos régiments d’artillerie continuent à s’entraîner, nous avons revu la répartition de nos canons et remettons en ligne ceux qui étaient en réparation. Le second est la reconstitution de la capacité d’artillerie de l’armée de Terre à hauteur des soixante-seize canons puis des 109 qui avaient été définis. Ce que l’on observe en Ukraine m’incite à penser que nous devrions même aller au-delà.

 

Nous avons déjà contractualisé auprès de Nexter pour racheter les canons et les obus d’artillerie nécessaires. Ils nous parviendront dans un délai qui doit être le plus rapide possible. C’est pourquoi, plutôt que d’attendre la nouvelle génération de canons, celle qui sera une évolution de nos canons actuels, nous avons fait le choix d’équipements de sortie de chaîne.

 

L’Ukraine montre qu’un durcissement des armées s’impose, notamment du point de vue des hommes. En particulier, nous nous intéressons à la force morale qui, dans son aspect individuel, recouvre le sens de l’engagement, la volonté de se battre, la capacité à supporter les privations et les situations difficiles. Tout cela est bien pris en compte dans l’entraînement des militaires du rang, des sous-officiers et des officiers dans le cadre de leur formation initiale.

 

Dans sa dimension collective, la force morale s’exprime dans la cohésion des unités : le groupe donne confiance aux individus. Toute notre démarche, notamment identitaire, consiste à mettre en avant certains symboles et éléments de fierté. À cet égard, le défilé du 14 juillet, par l’accueil que lui réserve la population et sa mise en exergue à la télévision, est très important pour le moral des unités.

 

L’Ukraine montre aussi que le lien entre la Nation et l’armée, s’il a pu être galvaudé, est essentiel. L’armée doit être capable d’aller au bout de ses ressources pour défendre la Nation. Les fêtes d’arme retiennent des combats menés jusqu’au bout – Camerone, Bazeilles, Sidi Brahim – plutôt que des victoires, car ces batailles subliment l’extrémité que tout soldat doit envisager. Marioupol en fournit un exemple moderne.

 

L’Ukraine donne également l’exemple du soutien de la Nation attaquée à ses armées, par la très forte mobilisation de sa population, même si celle-ci n’a pas le même sens en France car le niveau de la menace n’est pas le même.

 

Depuis l’invasion de l’Ukraine, j’ai rencontré deux fois mes homologues : en mars, lors du forum des chefs d’état-major des armées de Terre de l’Union européenne que nous avons organisé à Strasbourg dans le cadre de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne ; il y a dix jours, en Allemagne, à l’invitation du chef d’état-major de l’armée de Terre des États-Unis. Les armées françaises, notamment l’armée de Terre, avaient conscience de la menace et s’étaient engagées dans la modernisation. L’engagement de la bataille a toutefois changé la donne. Cinq jours après l’offensive russe, dans un tweet désormais fameux, le chef d’état-major de l’armée de Terre allemande se disait désolé de n’avoir aucune solution à apporter à son pays.

 

Mes homologues mettent en avant une situation d’urgence : il faut vite faire quelque chose. D’une part, ils estiment que la Russie, en dépit des attritions importantes qu’elle a subies en Ukraine, serait en mesure de relancer son action et d’attaquer dans un délai très court, de deux à cinq ans et qu’il leur faut être prêts. D’autre part, ils souhaitent utiliser rapidement les budgets mis à disposition par leur gouvernement, craignant qu’ils soient annulés une fois la paix revenue.

 

La conjonction de l’urgence et de la rapidité d’agir les conduit souvent à identifier les États-Unis comme la puissance prête à vendre des équipements dès à présent. La tentation est grande d’employer les ressources mobilisées pour procéder à des achats d’équipements interchangeables américains, plutôt qu’à servir un sursaut collectif de défense et contribuer à l’équilibre entre forces et industrie en Europe.

 

Dans les deux instances, je n’ai cessé de défendre qu’il y avait en effet urgence, mais peut-être pas dans un délai de deux à cinq ans. L’armée russe a aussi appris des échecs de son offensive initiale : réorganiser la chaîne de commandement, améliorer la confiance entre les échelons les plus élevés du commandement et le terrain, et modifier sa tactique lui prendra plus longtemps.

 

Chaque Nation est chargée d’estimer au mieux ces enjeux cruciaux. En raison de notre position géographique et disposant d’une plus grande profondeur stratégique, nous n’avons pas la même pression que les Polonais, les Roumains ou les Lituaniens. Reste que, pour mener à bien la stratégie de défense en Europe, qui est fondamentalement collective, la coopération est primordiale. Sans préjuger de la pertinence politique à ce qu’elle se fasse dans le cadre de l’OTAN ou de l’Union européenne, il n’y a pas d’autre solution qu’une coalition dans notre stratégie.

 

Que ce soit au sein de l’OTAN ou dans une coalition ad hoc, la France a l’ambition d’être une nation-cadre, de peser dans la décision et dans l’action. Pour l’armée de Terre, cela signifie être à même de déployer un corps d’armée, avec les éléments organiques nécessaires, et une division. Cela passe forcément par l’interopérabilité : au minimum une connaissance mutuelle, si possible des règles communes – l’OTAN est l’instrument idoine –, et, mieux encore, des équipements communs. Dans le cadre du programme SCORPION, le partenariat stratégique Capacité motorisée (CAMO) entre la France et la Belgique en est un exemple très réussi : les Belges ont acheté une brigade française, équipements et concept complet.

 

Nos 24000 réservistes sont un élément primordial de l’équilibre entre masse et efficacité. Dans les dernières années, l’armée de Terre a réalisé un vrai bond en avant en matière de professionnalisation et de modernisation, mais cela n’a pas été le cas pour la réserve. Nous devons faire le nécessaire pour la professionnaliser.

 

Pour répondre à la demande de doubler les réserves, on ne peut pas procéder par simple homothétie. Il s’agit d’une culture à développer dans notre pays, qui requiert sans doute que l’on passe par certains outils réglementaires et législatifs. Pour l’armée de Terre, c’est une question d’organisation consistant à donner des missions et des équipements plus adaptés aux réservistes afin qu’ils puissent combiner leur vie civile et leur engagement dans l’armée de Terre, des missions non seulement d’infanterie légère sur le territoire national mais aussi professionnalisées.

 

En matière de coopération industrielle, dans le domaine militaire, une position franco-allemande est primordiale pour atteindre l’objectif d’interopérabilité entre nos armées, dans l’OTAN ou l’Europe, de manière à offrir au politique des moyens d’action culturels et juridiques, mais aussi en matière d’équipements – au mieux les mêmes, au moins qui puissent communiquer. Si l’Allemagne et la France parviennent à faire un pas en avant, comme bien souvent, cela aura un effet d’entraînement sur les autres pays.

 

J’ignore si l’armée allemande parviendra à transformer la disponibilité des ressources en capacités militaires effectives. Mon homologue allemand compte investir la part des 100 milliards annoncés par le chancelier Olaf Scholz qui reviendrait à l’armée de Terre dans les domaines de la connectivité et du combat collaboratif, dans lesquels la France dispose de technologies à la fois matures et en pointe. J’ai souligné l’importance, sinon d’acheter nos équipements, du moins de construire un ensemble interconnectable avec la France. J’espère être entendu.

 

S’agissant du système principal de combat terrestre (MGCS), notre char lourd du futur, nous devons aligner les besoins des deux armées de Terre. Nous ne sommes malheureusement pas dans la même situation par rapport à l’urgence. La France lance la dernière étape de modernisation du char Leclerc, pour lui permettre de s’interconnecter avec la bulle SCORPION, sachant que, dès 2035, ces chars devront être remplacés. Au contraire, l’Allemagne a la capacité d’utiliser une génération supplémentaire du char Leopard, avant le futur équipement. Il y a des enjeux dans ce programme pour les deux pays et nous nous efforçons donc de les faire converger, de les aligner.

 

Sur le plan militaire comme industriel, les Allemands doivent choisir, par un acte politique, de construire avec nous cet équipement. Nous ne sommes pas en position de demandeur, car nous avons des atouts avec les éléments de connectivité que nous pourrions apporter dans le programme. Comme souvent, la décision politique doit se transformer en décision opérationnelle. Or, en Allemagne, où il n’y a pas, comme en France, d’organisation en base industrielle et technologique de défense (BITD) placée sous la houlette de la direction générale de l’armement (DGA), il est difficile d’avoir une prise sur les industriels.

 

Le char lourd fait partie des trous capacitaires que j’ai évoqués en Ukraine, moins pour des raisons de pertinence qu’en raison du nombre de plateformes. Il reste l’un des outils indispensables au combat des trente années à venir. Dans l’offensive initiale russe, censée être une opération rapide qui devait probablement faire s’écrouler le système adverse, les chars lourds ont été mis en échec suite à de mauvaises appréciations tactiques : la fonte des neiges précoce et la concentration des chars ont rendu ceux-ci vulnérables aux fantassins, qui ont pu mener des attaques contre les colonnes de blindés à partir des zones forestières et urbaines. Il n’en demeure pas moins que cette capacité est primordiale pour rompre un dispositif et exploiter ensuite l’avantage en profondeur.

 

Le char lourd, utilisé correctement, offre des capacités de connectivité et surtout de subsidiarité aux différents niveaux tactiques. C’est là un élément primordial de la culture opérationnelle et militaire française que les événements d’Ukraine nous invitent à développer davantage et qui est absent de la culture de l’armée russe, où les ordres sont très directifs et laissent peu de place à l’initiative aux échelons subordonnés. C’est probablement une raison pour laquelle les Russes auront besoin de temps pour se reconfigurer.

 

Nous avions prévu d’acquérir plus tard des capacités de bréchage et de franchissement. Il nous faudra probablement le faire maintenant, car nous avons vu combien les Russes ont eu de difficultés à franchir les cours d’eau et les zones minées.

 

Les unités d’instruction et d’intervention de la sécurité civiles (UIISC), dimension importante de l’armée de Terre, sont composées de soldats mis à la disposition du ministère de l’Intérieur. Nous sommes capables de fournir les personnes nécessaires à ces unités, qui sont très courues. Parmi les officiers les mieux classés qui choisissent l’arme du génie, beaucoup optent pour la brigade des sapeurs-pompiers de Paris et les UIISC. Ma tâche est de conserver un équilibre qui permette d’irriguer correctement à la fois ces unités et celles du génie combat, avec des forces de qualité, et qu’elles soient employées dans l’économie générale de prévention et de protection décidée par le ministère de l’Intérieur.

 

Le recrutement est bien une chance à la fois pour les jeunes et pour notre pays. Quinze mille jeunes rejoignent l’armée de Terre chaque année, si bien que la France figure, avec l’Espagne et le Portugal, parmi les trois seules armées en Europe à disposer, en quantité et en qualité, des hommes dont elles ont besoin. Il y a deux ans, l’armée britannique a dû réduire ses effectifs pour tenir compte des effectifs manquants dans chaque régiment de son armée de Terre. Mes homologues allemand, danois, néerlandais, belge, que j’ai pu rencontrer, m’ont fait part de leurs difficultés en ce qui concerne leurs effectifs.

 

En France, le recrutement bénéficie d’une sorte d’équilibre entre l’état d’esprit général de la Nation, l’image que les jeunes ont de leur pays, de son ambition et de ses responsabilités internationales, les modalités d’organisation des armées, avec l’escalier social et le recrutement dans l’ensemble du territoire, l’apport des outre-mer. Nous pouvons compter sur l’engagement des jeunes Français. La situation est toutefois tendue et le recrutement de 15 000 jeunes par an représente une vraie manœuvre. Elle contribue aussi à recruter et à former des jeunes dans des dispositifs comme le service militaire adapté (SMA) ou le service militaire volontaire (SMV). Chaque année, entre les recrues des SMA et SMV, les 4 000 réservistes et 15 000 jeunes qui décident de s’engager, et les préparations militaires, l’armée de Terre touche durablement 35 000 jeunes sur une classe d’âge de 800 000. Il nous est demandé d’en toucher davantage ; l’armée de Terre fera cet effort.

 

J’ai fait des propositions au chef d’état-major des armées (CEMA) et au ministre. Par exemple, pour atteindre 10 000 jeunes de plus par an, nous allons proposer de développer le concept de volontaire du territoire national, sous la forme d’un service volontaire de six mois au profit des territoires, les unités étant territorialisées – une première alors que l’armée de Terre est aujourd’hui organisée au niveau national en réservoir global de forces sans prédestination territoriale. Ce serait également un moyen d’accroître les effectifs de la réserve.

 

Un ajustement à la hausse serait possible, y compris pour le service national universel (SNU), mais un changement d’échelle radical, qui viserait l’ensemble de la classe d’âge, poserait des difficultés de modalités comme de fond. De fait, la finalité de la hiérarchie et des règles de vie militaires, c’est l’opérationnel : c’est parce qu’il faudra aller au combat ensemble que la discipline militaire – qui peut sembler dure – s’impose. Sans cette finalité opérationnelle, ces règles n’ont plus de sens. [On peut admirer la façon très diplomatique de dire que le SNU n'a aucun sens]

 

Nous avons certes une spécialité et un savoir-faire reconnus pour les jeunes adultes, mais nous ne savons pas faire, ou très peu, pour les mineurs, à l’exception d’établissements comme le BTS Cyber du Lycée militaire de Saint-Cyr l’École ou l’École militaire préparatoire technique de Bourges. Un caporal-chef de l’armée de Terre sait encadrer de jeunes majeurs, mais pour les mineurs, c’est autre chose.

 

Le niveau de soutien que nous pourrions apporter à l’Ukraine est une décision politique plutôt que technique. Dès lors que nous n’intervenons pas en Ukraine, ni par la force armée ni en appui, la question se pose en termes de fourniture de moyens ou de prestations. Les équipements disponibles sont ceux qui servent dans l’armée de Terre française, qui sont justement dimensionnés parce que nous sommes en train de construire ces capacités. S’ils sont envoyés en Ukraine, c’est une capacité militaire qui est amputée.

 

D’une certaine manière, on peut juger que c’est tant mieux, car il y a un avantage stratégique à aider aujourd’hui le partenaire à se défendre. Mais c’est une affaire d’équilibre. En tant que chef d’état-major de l’armée de Terre, j’ai aussi le devoir de garantir au CEMA que nous serons capables d’intervenir en cas de montée aux extrêmes. Dès lors, le bon équilibre serait de ne pas céder trop de nos équipements.

 

Quant à l’industrie de défense, la question sera de prévoir la capacité d’entrer dans une économie de guerre et de sortir d’une logique de flux pour disposer des stocks indispensables à la réactivité et à la capacité à durer, d’ouvrir des lignes de fabrication et de produire des équipements, des munitions, des pièces de rechange dans des délais très courts.

 

Dans ce contexte, le renseignement, dans sa fonction opérationnelle « connaissance et anticipation », est primordial. Les centres de renseignement de l’armée de Terre contribuent à apprécier la situation et les combats au sol en Ukraine. Leur rôle est de fournir une appréciation des capacités militaires ainsi que des intentions des chefs militaires sur le terrain. Les intentions politiques et stratégiques relèvent d’autres services de renseignement.

 

Agir en mode dégradé est également un enjeu primordial et, là encore, une question d’équilibre. Quand un jeune soldat, officier ou sous-officier rejoint les armées, il doit apprendre la topographie et le sens du terrain. Depuis de nombreuses années, nous nous interrogeons sur l’opportunité de donner un GPS lors des courses d’orientation. Si l’on favorise l’usage de la boussole, la recrue ne saura pas se servir des instruments les plus modernes. L’idéal est d’inventer des courses lui permettant d’utiliser au mieux la technologie, tout en étant capable de sentir le terrain et de savoir s’orienter lorsque son GPS ne fonctionne pas. Il s’agit de conserver une forme de rusticité, de sobriété, notamment dans le volume de données transmises, de façon à être capable de résister le plus possible aux pertes de liaison.

 

Mme Lysiane Métayer. Les réservistes apportent beaucoup à nos armées grâce à la diversité des métiers qu’ils exercent et des compétences qu’ils ont développées au cours de leur vie civile, notamment dans les domaines des technologies, du numérique ou de la santé. Votre prédécesseur avait fait du développement de la réserve opérationnelle une de ses priorités et le Président de la République a appelé, le 13 juillet dernier, à en doubler les effectifs dans les mois à venir.

 

Comment l’armée de Terre répondra-t-elle à cet objectif ? Quels partenariats peut-elle nouer pour promouvoir et valoriser l’engagement de nouveaux réservistes, par exemple dans le cadre du SNU, avec les collectivités territoriales ou en intervenant sur sollicitation des entreprises ?

 

Mme Valérie Bazin-Malgras. J’ai eu le privilège de voir 1 200 soldats et leurs familles rejoindre ma circonscription de l’Aube pour reconstituer le 5e régiment de dragons, dont la ville de Troyes est la marraine et auprès duquel je suis colonelle de réserve citoyenne.

 

Quelles ambitions l’armée de Terre nourrit-elle pour la réserve opérationnelle, afin d’augmenter ses capacités en cas de crise militaire ou de catastrophe naturelle ? L’État et l’armée pourraient-ils investir dans des bâtiments comme des piscines, des gymnases ou des maisons de santé pour favoriser l’enracinement des régiments ?

 

Mme Josy Poueyto. La guerre de haute intensité requiert attention, anticipation et prospective. Vous avez appelé de vos vœux une armée durcie, ce qui passe par un entraînement opérationnel accru. Disposez-vous des moyens essentiels à cet entraînement, en termes de disponibilité, d’équipement, de munitions et de temps ?

 

Mme Anne Genetet. Vous avez dit qu’il ne faut pas opposer masse et technologie. Quel regard portez-vous sur le choix de la Chine, de diminuer les effectifs et de privilégier la technologie ?

 

Les 500 000 jeunes qui vivent à l’étranger se sont vus refuser l’accès à la journée défense et citoyenneté sur une décision unilatérale et sans concertation du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Que proposez-vous à ceux qu’un début de carrière dans l’armée française pourrait intéresser ?

 

Enfin, qu’entendez-vous par « offre adaptée pour les étudiants » dans l’opuscule que vous nous avez fait distribuer ?

 

M. Lionel Royer-Perreaut. Mon général, je salue la liberté de ton de votre analyse de la situation internationale. Très évolutive, comme le contexte géostratégique, elle nous obligera à réexaminer certaines questions dans le cadre de nos travaux, notamment la prochaine LPM et l’élaboration de livres blancs géostratégiques.

 

Nous retenons notamment de votre exposé que le format de l’armée de Terre doit évoluer. Or j’ai souvenir d’avoir entendu vos prédécesseurs dire, dans cette pièce, qu’il fallait le réduire. Nous avons réduit nos capacités, ainsi que notre présence territoriale et bâtimentaire. Quels effets la volonté de nous réarmer et de remonter en puissance aura-t-elle sur nos territoires ? Je vous pose la question en tant qu’élu de la circonscription où sont stationnés le 1er régiment étranger de cavalerie (REC) et l’état-major de la 3e division (DIV) de l’armée de Terre.

 

Quant à la réserve opérationnelle, chacun ici est conscient de la nécessité de la développer. Cette maison recèle d’innombrables rapports traitant de la réserve opérationnelle dans sa globalité. Cela fait au moins vingt ans que j’entends les mêmes discours sur le thème « Il faut réarmer la réserve opérationnelle et lui donner du sens ». En fin de compte, il semble que nous ayons encore besoin d’imaginer de nouveaux concepts pour la rendre attractive. En quoi les choses ont-elles changé ?

 

Mme Anne Le Hénanff. Vous avez employé dans votre propos liminaire une expression qui me plaît et que je reprendrai très certainement : « armée des territoires ».

 

Plusieurs départements, littoraux pour la plupart, comme le Morbihan, présentent une attractivité aux conséquences négatives sur la population civile et militaire en matière de conditions de logement. Les habitants s’installant de plus en plus loin dans les terres, les militaires doivent parcourir plus de kilomètres le matin pour rejoindre leur site ou leur régiment. Leurs familles, le cas échéant, en subissent de plein fouet les conséquences négatives.

 

Depuis plusieurs années, le ministère des armées a engagé une politique consistant à se séparer de certains de ses bâtiments, parfois à des conditions défavorables compte tenu des prix de l’immobilier. Quelle est la vision de l’armée de Terre pour bien loger ses militaires, notamment dans des territoires en tension en matière de logement ? Envisage-t-elle de revoir sa politique de délestage des bâtiments militaires ? Compte-t-elle travailler plus en coopération avec les collectivités locales, tant les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) que les régions ?

 

M. Frédéric Mathieu. Mon général, vous-même et l’un de vos collaborateurs étant issus des troupes de marine (TDM), permettez-moi de souhaiter aux Marsouins un excellent 400e anniversaire.

 

J’aimerais vous interroger sur la conscription. Le groupe La France insoumise y est plutôt favorable. La nouvelle donne sécuritaire et stratégique remet-elle cette hypothèse sur la table ?

 

Les nombreuses raisons pour lesquelles une nation instaure une conscription sont d’ordre symbolique et politique – unité nationale, lien armée-nation, diffusion de la culture de défense –, mais aussi d’ordre strictement opérationnel. Il peut s’agir, par exemple, de créer une porte d’entrée vers la réserve opérationnelle ou, dans une optique de durcissement des conflits, de constituer un troisième rideau permettant, dans le cadre de la réserve professionnalisée que vous appelez de vos vœux, de mener des missions d’appui exigeant des conscrits une professionnalisation moindre que celle des militaires de carrière et des membres d’une réserve opérationnelle au long cours.

 

Cette question est vraiment spéculative. Quelles réflexions sont susceptibles d’être menées ? Pensez-vous que l’hypothèse d’une conscription est remise sur la table, pourquoi et comment ? Sinon, pourquoi ? Je vous remercie d’avance de la franchise de votre réponse, comme de celle de vos propos depuis le début de votre audition.

 

M. le général Pierre Schill. Je répondrai de façon globale aux nombreuses questions portant sur la réserve militaire.

 

L’armée de Terre compte 24 000 réservistes. Mon sentiment à ce sujet est que nous n’avons pas, dans l’armée de Terre et dans notre pays de façon générale, clairement tranché l’importante question de savoir si la réserve est l’un des moyens dont dispose l’armée de Terre pour accomplir les missions qui lui sont attribuées, ou si elle doit remplir une mission qui lui est propre.

 

Lui assigner une mission propre est une réminiscence de la réserve et de la mobilisation d’antan, destinées à affronter une menace pesant directement sur notre territoire. Dans cette optique, on tend à considérer que les diverses composantes de la réserve doivent être employées sur le territoire national, plutôt pour venir au secours des populations.

 

Au sein même de l’armée de Terre, on considère qu’en prévision des Jeux olympiques, nous devons procéder dès à présent à la montée en gamme et à la mobilisation de nos réserves pour cet événement important qui se tiendra de mi-juin à mi-août 2024. Sur ce point, je suis d’accord. Toutefois, lorsqu’on en déduit immédiatement que les réservistes assureront la sécurité des rues de Paris aux abords des sites de compétition, c’est en vertu de ce raisonnement qui veut que toute mission sur le territoire national doit échoir aux réservistes.

 

Je défends une autre vision de l’emploi de nos 24000 réservistes. L’armée de Terre a des ressources, composées des hommes et des femmes d’active, ainsi que des hommes et des femmes de réserve. Avec ces ressources, elle accomplit ses missions. S’il se trouve que, dans l’environnement des Jeux olympiques de 2024, la 3e compagnie d’active du 3e régiment de parachutistes d’infanterie de marine (RPIMa) est déployée avec des réservistes en son sein parce que le chef de corps en a décidé ainsi, tant mieux ! Ce modèle est celui d’une réserve pleinement intégrée.

 

Avant de déterminer comment mieux employer les 24 000 réservistes et comment les intégrer dans l’histoire de la professionnalisation des armées, je tiens à trancher, au sein de l’armée de Terre, la question de savoir si la réserve est une armée à part, chargée de missions à part, ou si elle est une partie de l’armée de Terre exécutant les mêmes missions que les autres. Il incombe aux divers échelons de responsabilité, notamment à l’échelon régimentaire, d’en décider.

 

Cet aspect peut aller loin dans l’organisation des unités. Pourquoi créer des compagnies de réserve qu’on n’emploiera pas ou plus difficilement ? Pour former un réserviste, il faut trente jours. Pour former un groupe de combat de réserve, il faut y ajouter dix jours d’entraînement collectif. Il en faut dix supplémentaires pour une section de réserve, qui compte trois groupes de combat, et ainsi de suite. Autrement dit, pour déployer une compagnie de réserve sur le territoire national dans le cadre de la mission Sentinelle, il faut investir, pour m’en tenir à l’aspect utilitaire de la question, trente jours de formation par militaire et de nombreux autres pour chaque échelon. Tout cela pour qu’une telle compagnie ne soit disponible qu’une quinzaine de jours par an, compte tenu de la possibilité de ne mobiliser chaque réserviste que trente jours par an. Par conséquent, la volonté d’augmenter l’activité des unités de réserve induit une déperdition des activités de la réserve du point de vue opérationnel. Ce choix serait une première façon de trancher la question de la réserve de façon plus nette qu’auparavant.

 

Une autre façon d’y répondre serait de considérer que plutôt que de cantonner les unités de réserve dans un métier de base de l’armée de Terre – l’infanterie légère, pour faire très court –, on pourrait faire le choix de les spécialiser dans le métier de chaque régiment, par exemple en affectant un escadron de reconnaissance à chaque régiment de cavalerie ou une unité de franchissement à chaque régiment du génie.

 

Une troisième méthode d’évolution réside dans les leviers réglementaires dont nous disposons, mais, compte tenu du profil des jeunes qui nous rejoignent, obliger les employeurs à donner davantage de jours de disponibilité à leurs salariés pour la réserve a peu de chances de donner des effets concrets.

 

Quoi qu’il en soit, le Président de la République a émis le souhait que, dans le cadre de la prochaine LPM, un effort particulier soit consenti pour la réserve, en vue du doublement de son effectif. Je considère que le modèle de réserve qui est celui de l’armée de Terre aujourd’hui est le bon pour un effectif de 24 000 militaires. Nous pouvons recruter 5 000 personnes supplémentaires sans changer de modèle. En revanche, pour en recruter 24 000 supplémentaires et doubler l’effectif nous devrons inventer un autre modèle, une autre façon de faire, ce qui supposera de recourir à des leviers extérieurs.

 

Parmi ceux-ci, le levier culturel est essentiel. L’image de la réserve dans notre pays dépend notamment de l’avantage qu’elle peut offrir, par exemple en matière d’inscription à l’université, et de son inscription dans un mouvement général, aux côtés d’autres formes de service civique – dès lors que tout jeune choisit un engagement, pourquoi pas celui-là ? Il faut donc favoriser une évolution de l’environnement de la réserve, et probablement une évolution légale et réglementaire, avec toute la circonspection nécessaire face à l’efficacité supposée d’un levier basé sur la seule obligation.

 

Il faut aussi favoriser une évolution de l’organisation de la réserve. Il m’incombe, en tant que CEMAT, de la proposer. Sans ressources dédiées, je ferai avec, mais je souhaite que la montée de la réserve ne se fasse pas au détriment de l’active : d’un point de vue opérationnel, je préfère l’efficacité d’un soldat d’active à celle d’un réserviste.

 

Outre sa fonction opérationnelle, que je mets en avant, la réserve sert aussi à renforcer le lien armée-Nation, ce qui soulève une question de géographie et une autre de typologie. Du point de vue de l’efficacité militaire et de la simplicité, le levier le plus rationnel pour doubler l’effectif de la réserve, serait d’employer la réserve opérationnelle de deuxième niveau (RO2) dans le cadre de l’obligation de service de cinq ans applicable à quiconque quitte les armées, soit 15 000 personnes chaque année pour l’armée de Terre.

 

Ce levier a cependant peu d’effet du point de vue du lien armée-Nation. Pour renforcer celui-ci, il faut recruter des jeunes qui ne souhaitent pas consacrer leur vie à la défense ni devenir soldats professionnels. En outre, ces jeunes soldats à temps partiel présentent des avantages du point de vue de la résilience de la Nation. On peut supposer que, ayant accompli dans leur vie une démarche d’engagement, ils se proposeront pour apporter leur aide dans une situation difficile ou catastrophique. Par ailleurs, les recruter permet une forme de brassage, notamment géographique.

 

J’ai donc proposé au CEMA que l’armée de Terre recrute 10 000 jeunes par an dans le cadre d’un service de six mois, qui servirait d’instrument pour augmenter les effectifs de la réserve. Comme nous ne pouvons pas le faire à organisation inchangée, je lui proposerai d’implanter de nouveaux bataillons dans de nouveaux espaces, que nous pourrions appeler « Volontaires du territoire national ».

 

Ce pourrait être à proximité d’agglomérations importantes dans un désert militaire, mais aussi un bassin de population où se trouvent des jeunes susceptibles d’être intéressés par un service de six mois ou par un engagement dans la réserve pas trop loin de chez eux. Faire appel à eux permettrait aussi de territorialiser une partie de l’armée de Terre. Ces unités pourraient, en effet, être des unités territoriales, placées sous le commandement de l’officier général chargé de la zone de défense correspondante.

 

La mise en œuvre de cette proposition dépend du niveau général de ressources dont nous disposerons. J’ai chiffré son coût : il faut financer des infrastructures, peut-être en lien avec les collectivités territoriales, qui doivent en tirer un bénéfice localement, et assumer un coût de fonctionnement qui n’est pas négligeable, dès lors que 2 000 cadres et gradés d’active sont nécessaires. Ce projet pourrait aussi constituer une contribution de l’armée de Terre à la phase trois du service national universel (SNU) pour, in fine, intéresser tous les jeunes. En plus des 35 000 jeunes que nous touchons déjà chaque année, nous atteindrions une proportion non négligeable de la jeunesse de notre pays.

 

S’agissant de l’investissement de l’État dans l’armée de Terre, j’aimerais évoquer le plan « famille », et plus généralement nos liens avec les territoires.

 

Une expression venue de l’armée de Terre a fait florès, au point d’acquérir une véritable signification dans la LPM 2019-2025 : « à hauteur d’homme ». Certes, nous devons mener le durcissement de l’armée de Terre et il est impératif, pour les années à venir, de réaliser une montée en gamme capacitaire, de nous entraîner plus durement et de modifier notre organisation, mais le cœur de l’affaire, ce sont les hommes. Nous constatons en Ukraine que la force morale, l’adhésion des soldats à la cause qu’ils défendent et le soutien réciproque de l’armée et de la Nation ne sont pas uniquement des questions théoriques. Il s’agit de dispositions primordiales, qui de surcroît ont un effet opérationnel.

 

En prévoyant chaque année une augmentation des ressources, à hauteur de 1,7 milliard d’euros lors des premières années de son exécution, puis de 3 milliards, la LPM 2019-2025 a d’emblée privilégié l’investissement permettant de commander les grands équipements, avant d’introduire le ciment pour les lier, notamment à partir de 2023, en vue de leur donner de réelles capacités. Il s’agit, par exemple, du brouilleur anti-mines et du tourelleau du Griffon, ainsi que des équipements individuels du soldat.

 

En matière de préparation opérationnelle, nous avons défini une norme d’entraînement. Cette armée française que nous voulons bâtir, qui est parmi les plus grandes d’Europe, quel niveau d’entraînement doit-elle atteindre, en temps d’activité par an ? À l’heure actuelle, l’armée de Terre réalise 64 % de la norme d’entraînement fixée par la LPM 2019-2025, contre 60° % l’an dernier. Nous augmenterons ce niveau d’activité et de préparation opérationnelle dans les années à venir.

 

Ce qui nourrit la foi dans leur métier et la volonté de servir des soldats de nos unités, c’est le sentiment qu’ils ont de servir à quelque chose lorsqu’ils sont déployés en opération, mais aussi les moyens dont ils disposent pour leur entraînement et leur vie quotidienne. Si, l’an prochain, en dépit d’une augmentation de 3 milliards du budget des armées, les chauffe-eau des bâtiments restent deux mois en attente de réparation et les munitions manquent pour s’entraîner, c’est que quelque chose ne va pas.

 

Nous ferons preuve de réactivité et de capacité d’adaptation. Si nous bénéficions de ressources supplémentaires, tant mieux. Sinon, je proposerai d’adapter le fonctionnement de l’armée de Terre, qui devra réduire les investissements pour garantir une approche à hauteur d’homme en matière d’entraînement, de niveau d’activité, de confiance des militaires dans leur équipement et de bon fonctionnement des équipements très performants que nous avons acquis, au premier rang desquels les Griffon, afin que nous ayons ce qu’il faut si nous devons partir au combat ce soir.

 

Dans le cadre de l’approche à hauteur d’homme, Madame Parly, ministre des Armées, avait mis en œuvre le plan « famille », qui a eu de forts effets concrets et psychologiques dans nos armées. Je milite pour sa prolongation. La démarche à hauteur d’homme n’est pas un retour mécanique sur une disponibilité, mais une question de solidarité générale et la capacité de prendre en compte les familles. Dans l’hypothèse d’un engagement majeur induisant des pertes nombreuses, la solidité de l’édifice, familles comprises, doit être prise en compte.

 

Il faut notamment tenir compte de l’hébergement des soldats dans leurs quartiers et du logement de leurs familles ailleurs. D’ores et déjà, le contrat d’externalisation de la gestion des logements domaniaux du ministère des armées (CEGeLOG) prévoit un nouveau prestataire, dans l’espoir d’obtenir une montée en gamme de la prestation.

 

La transformation de certaines emprises militaires n’est pas exclue, d’autant que la cession de nos infrastructures n’est plus, sauf exception, à l’ordre du jour. Le durcissement de nos armées nous a fait prendre conscience de leur importance, et de la nécessité de les inscrire dans une perspective de long terme. Nous devons, tout en tenant compte des données importantes que sont la pression immobilière et les enjeux d’aménagement du territoire à l’échelle locale, conserver les capacités d’hébergement et de logement, ainsi que de desserrement et de préparation opérationnelle, nécessaires à nos armées à l’avenir.

 

S’agissant de l’entraînement opérationnel durci, nous prévoyons d’atteindre 100 % de la norme d’entraînement après 2025. Dans l’économie générale de l’ajustement nécessaire, l’augmentation de notre niveau de préparation opérationnelle et d’entraînement, quitte à y consacrer des ressources supplémentaires ou, à défaut, en rabattre sur la préparation de l’avenir, sera probablement un élément de positionnement. Je milite résolument pour que, dans la construction du projet de loi de finances pour 2023, nous ayons les moyens de mener notre activité au bon niveau, et de maintenir, voire d’augmenter notre niveau de préparation opérationnelle et d’entraînement.

 

L’une des difficultés, pour l’armée de Terre, est de le mesurer. La marine nationale le mesure en jours de mer sur les bâtiments, l’armée de l’air en heures de vol sur les différentes flottes. Pour notre part, nous le mesurons à travers les normes d’activité terrestre. De façon générale, nous durcirons notre entraînement selon la typologie des exercices que nous menons.

 

La conscription est une question difficile. Dans ma logique militaire de CEMAT, dont la priorité est de garantir l’efficacité opérationnelle, je considère, compte tenu de la technicité des moyens mis en œuvre, que le recours à des soldats professionnels est la bonne solution en matière d’opérationnalisation de l’outil militaire. Du point de vue de la nécessité de se préparer à une forme de menace ou d’action sur le territoire national, ce qui exige de garantir la souplesse des effectifs en les organisant autour d’un corps assez ramassé, avec la possibilité d’ouvrir assez largement le recrutement, la bonne solution est la réserve, à hauteur de quelques dizaines de milliers de personnes, même si son organisation actuelle n’est pas optimale. Généraliser la conscription, du point de vue de l’efficacité militaire, je n’y suis pas favorable, non sans être conscient de son intérêt pour diffuser l’esprit de défense, assurer le brassage des populations et satisfaire la volonté d’engagement de la jeunesse.

 

L’essentiel, me semble-t-il, est de veiller à ne pas dissocier la finalité opérationnelle des modalités d’organisation. Si on fait du militaire, avec de l’encadrement militaire, il faut viser une finalité militaire. Sinon, il s’agit d’une pièce de théâtre, consistant à faire comme si on était à l’armée, en faisant semblant de donner et d’exécuter des ordres. Au demeurant, la question des modalités et du changement d’échelle demeure, dès lors que chaque classe d’âge compte environ 800 000 jeunes.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Mon général, nous vous remercions de la lucidité et de la franchise que vous avez partagées avec nous tout au long de cette audition.

 

 

 

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il y a 19 minutes, hadriel a dit :

Le char lourd fait partie des trous capacitaires que j’ai évoqués en Ukraine, moins pour des raisons de pertinence qu’en raison du nombre de plateformes. Il reste l’un des outils indispensables au combat des trente années à venir. Dans l’offensive initiale russe, censée être une opération rapide qui devait probablement faire s’écrouler le système adverse, les chars lourds ont été mis en échec suite à de mauvaises appréciations tactiques : la fonte des neiges précoce et la concentration des chars ont rendu ceux-ci vulnérables aux fantassins, qui ont pu mener des attaques contre les colonnes de blindés à partir des zones forestières et urbaines. Il n’en demeure pas moins que cette capacité est primordiale pour rompre un dispositif et exploiter ensuite l’avantage en profondeur.

 

Le char lourd, utilisé correctement, offre des capacités de connectivité et surtout de subsidiarité aux différents niveaux tactiques. C’est là un élément primordial de la culture opérationnelle et militaire française que les événements d’Ukraine nous invitent à développer davantage et qui est absent de la culture de l’armée russe, où les ordres sont très directifs et laissent peu de place à l’initiative aux échelons subordonnés. C’est probablement une raison pour laquelle les Russes auront besoin de temps pour se reconfigurer.

 

Nous avions prévu d’acquérir plus tard des capacités de bréchage et de franchissement. Il nous faudra probablement le faire maintenant, car nous avons vu combien les Russes ont eu de difficultés à franchir les cours d’eau et les zones minées.

Interessant ce retex.

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Il m'est arrivé de proposer la création de bataillons afin d'augmenter la réserve.... :rolleyes:

Le CEMAT, citation

"J’ai donc proposé au CEMA que l’armée de Terre recrute 10 000 jeunes par an dans le cadre d’un service de six mois, qui servirait d’instrument pour augmenter les effectifs de la réserve. Comme nous ne pouvons pas le faire à organisation inchangée, je lui proposerai d’implanter de nouveaux bataillons dans de nouveaux espaces, que nous pourrions appeler « Volontaires du territoire national".

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On enchaine avec le CEMA:

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/cion_def/l16cion_def2122006_compte-rendu#

 

Citation

— Audition, à huis clos, du général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées.


Mercredi
13 juillet 2022

Séance de 15 heures 30

Compte rendu n° 6

session extraordinaire de 2021-2022

Présidence
de M. Thomas Gassilloud,
président
 

 

La séance est ouverte à quinze heures trente.

M. le président Thomas Gassilloud. Mon général, nous sommes ravis de vous accueillir en cette veille du 14-Juillet pour votre première audition devant notre commission, renouvelée à près de 80 %. Nous avons auditionné le ministre des Armées et, ce matin même, le délégué général pour l’armement (DGA), puis le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).

Si j’osais filer la métaphore, je dirais que nous sommes dans une la nouvelle configuration politique de l’Assemblée nationale : nous sommes passés de la « guérilla » des oppositions à une « haute intensité politique », opposant des masses plus proches les unes des autres. Et de nombreux réservistes ont été appelés à servir dans l’Assemblée afin de rééquilibrer les rapports de force.

Pour revenir à la défense, en tant que chef d’état-major des Armées (CEMA), vous avez été l’un des premiers à évoquer la possibilité du retour aux combats de haute intensité et la nécessité pour les armées de s’y préparer en durcissant les entraînements et en pensant la guerre probable. Grâce à votre triptyque « compétition-contestation-affrontement », repris par tous, vous avez renouvelé la lecture stratégique des événements et de la conflictualité dans le monde. Par votre objectif affiché de « gagner la guerre avant la guerre », vous avez fixé le cadre d’une action militaire adaptée aux menaces actuelles et aux tactiques possibles.

L’invasion de l’Ukraine constitue un cas d’école de ce que l’actualisation stratégique de 2021 appelait « un aventurisme grandissant ». Quelle est votre appréciation de la guerre en Ukraine et des conséquences sur nos forces ? Quelles sont les conditions potentielles d’engagement de nos forces dans l’ensemble des mesures de réassurance que l’OTAN met en place en Europe orientale et sur ses pourtours ?

Nous serions heureux de vous entendre sur la réarticulation de l’opération Barkhane, le retrait du Mali et la continuation de notre présence au Sahel.

Enfin, de quels moyens disposez-vous pour que les armées réussissent les missions qui leur sont assignées ? Vers quelles conclusions vous conduisent les travaux de réévaluation de la loi de programmation militaire (LPM), à l’aune de la guerre en Ukraine, que le Président de la République a annoncés publiquement. Cela devrait vous conduire à nous parler de l’adaptation du format de nos forces, de leurs effectifs, du volume de leur équipement, de leur intensité technologique, des stocks, de leur capacité à durer et de l’adéquation de tout cela avec les moyens financiers qui leur sont alloués.

M. le général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les membres de la commission de la défense nationale et des forces armées, permettez-moi de saluer les anciens membres que je suis très heureux de retrouver, et celles et ceux qui rejoignent les rangs et qui pourront apporter un regard nouveau. Il y aura peut-être une redondance dans certains des propos que j’ai déjà tenus dans cette enceinte, notamment pour ce qui tient de la Vision stratégique des Armées, mais je n’ai pas changé d’avis et les évènements militaires semblent confirmer sa pertinence.

La XVIe législature s’ouvre dans un contexte stratégique en profonde mutation, particulièrement exigeant pour les États et pour les armées. Les menaces se multiplient et le passage à l’acte, comme en Ukraine, est une réalité, même en Europe. La mission des armées, elle, demeure inchangée. Elle est de protéger la France et les Français. Nous devons donc poursuivre l’adaptation des termes de l’équation pour façonner l’armée dont la France a besoin. Rien de cela n’est une découverte mais, depuis la guerre en Ukraine, nous constatons une véritable accélération. Il y a un enjeu immédiat pour rester en phase avec l’évolution de la conflictualité.

Mon propos liminaire sera divisé trois parties : mon appréciation de situation sur l’environnement stratégique ; un aperçu des engagements opérationnels en cours et mes convictions face aux défis qui se présentent.

 

 

La dégradation du contexte international durant la dernière décennie, récemment illustrée par la guerre en Ukraine, se caractérise par trois tendances.

Première tendance, l’emploi désinhibé de la force est redevenu pour beaucoup le mode de règlement des conflits. Les structures internationales de régulation qui jouaient un rôle de tampons et de ralentisseurs s’affaiblissent. Alors que le tempo d’une crise était donné par l’ONU, au rythme de résolutions préparées, votées puis mises en œuvre sur le terrain, il est désormais donné par les belligérants qui emploient la force et ne tiennent pas compte ou contestent ces décisions. Si le réarmement n’est pas un fait nouveau, nous constatons une désinhibition dans l’emploi de la force, l’Ukraine en étant l’exemple le plus emblématique.

Ensuite, deuxième tendance, la liberté d’action est contestée, pour les militaires comme pour les États. Sur les plans tactique et opératif, dans l’emploi des unités sur le terrain. Durant les vingt dernières années, le combat contre le terrorisme militarisé n’était certes pas facile, mais notre supériorité ne pouvait être contestée que dans le milieu terrestre. Nous disposions librement des autres milieux, notamment de la troisième dimension. Dans la bande sahélo-saharienne (BSS), les combats sont durs, mais il est toujours possible de faire appel à un appui aérien pour évacuer un blessé ou ravitailler. Le ciel nous appartient. Dans les conflits de haute intensité, face à nos adversaires, ce milieu est contesté et les autres peuvent l’être aussi. C’est le cas du milieu maritime où nos lignes de communication pourraient être menacées, c’est le cas pour l’espace et le cyber où notre liberté d’action tactique et opérative est contestée. C’est aussi le cas sur le plan stratégique, où nous faisons face à de grands compétiteurs, tels que la Russie et la Chine, et à un autre niveau l’Iran, tous animés de la même volonté d’affirmer leur présence sur le terrain, contraignant notre liberté d’action. Sur des théâtres d’opération, jusqu’à récemment, on pouvait prendre des décisions qui avaient certes un coût politique ou diplomatique, mais l’adversaire ne nous empêchait pas de le faire. A contrario, même si l’Ukraine ne veut pas de la guerre, son ennemi l’impose. S’il faut être deux pour vouloir la paix, il n’est pas besoin d’être deux pour vouloir la guerre, un seul suffit.

La troisième tendance est le changement d’échelle. Il se traduit tout d’abord par l’extension de la conflictualité à l’ensemble des milieux et des champs et donc aussi des grands fonds marins, du cyber, de l’espace exo-atmosphérique, du champ informationnel et la combinaison d’actions dans ces différents champs, propices aux stratégies hybrides qui compliquent notre positionnement et nos capacités de réaction. Ce changement d’échelle se traduit également dans le volume des unités et les types de combats engagés. Par exemple, au maximum au Mali nous étions un peu plus de 5 500. En Ukraine, par le seul engagement des unités d’active, on trouve quelque 150 000 hommes de chaque côté. Ce changement d’échelle a des conséquences non seulement sur la consommation des munitions, mais aussi sur les pertes, cela dans des proportions inconnues dans les engagements actuels.

En résumé, l’évolution du contexte international se caractérise par le renouveau de la puissance et par des interactions qui sont davantage de portée stratégique. Cela doit nous inciter à appréhender le monde de manière beaucoup plus stratégique. De ce fait, le continuum « paix-crise-guerre » ne nous semble plus constituer une grille de lecture stratégique pertinente.

Nous avons donc pris le parti de nous référer à un nouveau triptyque « compétition-contestation- affrontement ». Plus adapté à la prise en compte de l’intrication des différents milieux et champs, il permet d’envisager avec plus d’acuité les stratégies hybrides et de prendre en compte l’importance du rapport de force. Il ne s’agit pas de vous imposer ce nouveau triptyque mais, dans les armées, celui-ci nous aide à structurer nos réflexions, nos travaux et à expliquer notre appréciation de situation.

Qu’entend-on par triptyque « compétition-contestation-affrontement » ?

Je considère la compétition comme le mode normal d’expression de la puissance. Durant cette phase, les armées contribuent à la connaissance des compétiteurs, proposent des options militaires et participent à la signification de la détermination de la France, en vue d’infléchir la détermination et la résolution de nos adversaires. Je le traduis par l’expression « la guerre avant la guerre ». Durant la phase de compétition, nous ne sommes pas en guerre puisque ces actions se conduisent en dessous du seuil armé et plus particulièrement dans les champs non militaires : économique, culturel, diplomatique, et un peu dans le domaine sécuritaire mais sans engagement armé. Dans cette guerre avant la guerre, toutes les actions concourent déjà à se positionner. Quand on se contente de se poser en spectateur, les adversaires et les compétiteurs déroulent leurs manœuvres et contraignent notre liberté d’action immédiate et future.

La contestation, c’est lorsque des acteurs décident de transgresser les règles communément admises pour obtenir un avantage. L’exemple le plus emblématique est celui de la Crimée. Le compétiteur russe avait estimé qu’en s’appuyant sur une forme de guerre hybride, il avait une carte à jouer en imposant un fait accompli sans provoquer de réaction. Durant cette phase, il nous faut lever l’incertitude, forcer l’adversaire à révéler ses intentions et empêcher l’imposition d’un fait accompli, ce qui nécessite de réagir vite et suffisamment fort afin de l’empêcher. C’est « la guerre juste avant la guerre ».

Dans l’affrontement, c’est-à-dire dans « la guerre », un acteur décide de recourir à la force pour atteindre ses objectifs, provoquant une réaction de niveau au moins équivalent. Pour les armées, cela nécessite d’être capable de déceler les signaux faibles afin d’anticiper le basculement dans l’affrontement. En effet, comme il est difficile de s’engager « à froid » dans un affrontement, il y a souvent une phase de préparation et d’anticipation de la bascule, afin, si nécessaire, d’être en mesure de livrer bataille.

Dans ces conditions, l’ambition est de tout faire pour « gagner la guerre avant la guerre », d’imposer notre volonté et de signifier notre détermination à nos adversaires, si possible avant d’aller à la contestation pour éviter l’affrontement. Il y a bien là un sujet de crédibilité. Pour être capable de signifier votre détermination et de gagner la guerre avant la guerre, vous devez disposer d’un outil et de forces préparées et entraînées pour s’engager dans un affrontement et montrer ainsi à votre adversaire que vous seriez capables de gagner la guerre.

Comment donc les armées se positionnent-elles dans cet environnement ? À quels engagements sommes-nous confrontés ?

Pour caractériser les engagements opérationnels, j’ai coutume de décliner les missions en deux volets : le premier relatif à dangerosité du monde, le second, à la dangerosité du quotidien.

Protéger les Français contre la dangerosité du quotidien, c’est, par exemple, lutter contre la pandémie, le terrorisme et les catastrophes naturelles. Ce n’est pas la partie la plus dimensionnante pour les armées, mais c’est la partie la plus visible par les Français. Il importe que les Français puissent voir à quoi sert leur armée.

Protéger les Français contre la dangerosité du monde, c’est lutter contre le terrorisme militarisé ou la menace d’un compétiteur de taille plus importante. Cette mission bien plus dimensionnante en termes d’entraînement et de capacité d’intervention est paradoxalement moins visible par les Français. La guerre en Ukraine fait exception par sa forte présence, depuis presque quatre mois, sur les chaînes d’information continue mais, pour beaucoup d’autres opérations le sujet est peu abordé. D’où l’intérêt de ne pas négliger les missions sur le territoire national au profit direct des Français et de les valoriser, afin de leur permettre de mieux percevoir l’action de leur armée engagée dans leur intérêt.

Avant d’illustrer ces deux volets, je commencerai par évoquer la dissuasion nucléaire parce qu’elle est la clé de voûte de notre système de défense. Le Président de la République l’a rappelé dans son discours du 7 février 2020 à l’École militaire, la dissuasion nucléaire autonome, robuste et crédible demeure la clé de voûte de la défense de notre pays. Strictement suffisante, la dissuasion nucléaire est assurée par une composante océanique et une composante aéroportée. Force nucléaire et forces conventionnelles s’épaulent en permanence pour défendre nos intérêts souverains partout dans le monde.

En ce qui concerne la dangerosité du quotidien, les postures de sûreté visent à garantir en tout temps la sanctuarisation et la protection du territoire national et de ses approches en métropole comme outre-mer.

La Posture permanente de sûreté aérienne (PPSA) garantit le respect de la souveraineté française dans son espace aérien. Il s’agit de détecter – quelque 12 000 pistes radar par jour survolent de la France et de ses approches –, d’identifier et d’intervenir avec la Permanence opérationnelle (PO). Des avions de chasse et des hélicoptères en alerte sont capables de décoller en moins de sept minutes. Depuis le début de l’année 2022, nous avons eu 101 décollages de la permanence opérationnelle pour 109 violations de l’espace aérien. Nos avions ont également décollé pour surveiller six raids à longue rayon d’action des bombardiers russes, dont deux avec mise en œuvre de la chaîne de défense aérienne française.

La Posture permanente de sauvegarde maritime (PPSM) concourt directement à la protection des approches du territoire, dans un milieu où l’activité des États-puissances est croissante. Environ 1 300 marins sont engagés en permanence dans cette mission. Il s’agit, là aussi, de surveiller et d’identifier les menaces et les dangers au moyen d’un réseau fixe de 58 sémaphores, d’une présence permanente à la mer de nos bâtiments et de l’utilisation de moyens aéronautiques. Ces moyens sont également utilisés pour secourir, lutter contre le pillage de nos ressources ou suivre les mouvements de nos compétiteurs, par exemple, par le marquage des bâtiments russes qui transitent en Manche.

Il faut également ajouter nos postures dans les nouveaux champs d’action. Dans l’espace, nous suivons par exemple les orbites basses non déclarées des satellites chinois. Dans le domaine cyber, la détection des attaques informationnelles et la riposte éventuelle, telle que la suppression de comptes Twitter de trolls russes, font partie de nos réalités opérationnelles.

Sur le territoire national, les armées sont très impliquées dans l’opération SENTINELLE, dispositif très réactif grâce à 7 000 soldats engagés en permanence et 3 000 en réserve stratégique pour répondre efficacement à la menace sur le terrain en s’appuyant sur un bon niveau de subsidiarité et la connaissance de la situation par les unités.

En Guyane, au titre de la mission HARPIE de lutte contre l’orpaillage illégal, 350 militaires sont déployés en permanence en coordination avec les forces de gendarmerie pour contrôler 80 000 kilomètres carrés. La mission TITAN, visant à protéger le Centre spatial guyanais, est activée trois à cinq jours par mois par le déploiement d’un effectif pouvant aller jusqu’à 400 militaires pour assurer la sécurité des lancements et le déplacement des engins spatiaux.

Dans vingt-trois départements du sud de la France, la mission HÉPHAÏSTOS est activée durant les mois d’été pour appuyer des Unités de sécurité civile et les pompiers dans la lutte contre les feux de forêt. Pendant les trois mois d’été, cinquante militaires, trois hélicoptères et vingt véhicules sont ainsi engagés.

De plus, les armées sont toujours prêtes à incarner une part de la résilience de la nation par des missions ponctuelles comme l’opération RÉSILIENCE, déclenchée lors de la crise du Covid, ou lors de catastrophes naturelles comme des inondations, où les moyens militaires sont capables d’intervenir très rapidement pour porter assistance aux populations.

En ce qui concerne la dangerosité du monde, sur le flanc est, il s’agit concrètement d’y participer au dispositif défensif et dissuasif de l’OTAN. Pour l’année 2022, la France assure le commandement de la NATO Response Force (NRF) dont l’élément déployable le plus réactif de l’Alliance (Very high readiness joint task force - VJTF). Dans ce cadre, dès le 28 février 2022, la mission AIGLE a déployé en Roumanie un bataillon composé de 800 militaires, dont 500 français, complété par des militaires belges (qui seront remplacés le 1er août par un détachement néerlandais de même volume). Pour cette mission, nous sommes capables d’assurer le commandement au niveau brigade sur court préavis.

En Roumanie, outre le bataillon AIGLE, nous avons déployé le système de défense sol-air MAMBA. Chargé de défendre l’espace aérien, il est connecté aux systèmes de défense de l’OTAN ; il complète la démonstration de notre solidarité stratégique vis-à-vis de nos amis roumains.

Nous sommes également déployés en Estonie dans le cadre du dispositif LYNX, avec environ 250 militaires intégrés à un bataillon britannique d’environ 800 militaires.

Dans le domaine aérien nous avons déployé depuis le mois d’avril quatre avions et cent aviateurs qui patrouillent au-dessus de l’Estonie et des différents pays baltes au sein du dispositif eAP (Enhanced Air Policing), de police de l’air avancée et renforcée.

Depuis le 24 février 2022, des appareils français participent également à la défense de l’espace aérien en Pologne par des missions au départ de Saint-Dizier ou de Mont-de-Marsan, dans le cadre d’un dispositif de vigilance renforcée.

En Afrique, vous le savez, la réarticulation du dispositif français au Mali est en cours. Celle-ci prévoit le désengagement de nos forces afin de poursuivre la lutte contre les groupes armés terroristes à partir du Niger et du Burkina Faso et renforcer nos opérations de partenariat militaire opérationnel au profit des pays du golfe de Guinée. Venus à la demande du Mali en 2013, nous quittons ce pays à sa demande, dans le respect de sa souveraineté. Je constate que les autorités maliennes n’ont pas su, au cours de ces huit années, profiter du contrôle de la situation au niveau sécuritaire qui leur était offert pour trouver des solutions politiques. C’est entre autre le constat de cette impossibilité qui a prévalu dans la décision de retrait du Mali. Le retrait est une opération logistique d’ampleur dans un Sahel très étendu, aux axes de communication peu développés avec toujours un risque sécuritaire élevé. La manœuvre de désengagement en ordre et en sécurité, très lourde à exécuter, devrait être terminée d’ici à la fin de l’été. Nous bénéficions d’un appui américain dans le domaine du renseignement et de la logistique, ainsi que pour ce dernier aspect de l’aide, entre autres, des Émirats arabes unis, du Canada et du Qatar.

L’activation de la task force TAKUBA a permis, dans le cadre d’une coalition ad hoc réunissant une dizaine de pays européens, d’appuyer les unités maliennes dans la région de Ménaka pour la lutte contre le terrorisme. Si ce dispositif est désengagé du fait de notre désengagement du Mali, notre objectif est bien de maintenir l’esprit TAKUBA en coordination étroite avec les pays africains à partir desquels nous allons poursuivre la lutte contre le terrorisme. Celle-ci se poursuit en particulier à partir du Niger, dans le cadre d’un engagement non plus direct mais uniquement réalisé en appui des forces nigériennes, lesquelles décident où sont conduites les opérations, à quel rythme et selon quelle intensité.

Un effort est également consenti au profit des pays du golfe de Guinée au regard du constat d’un terrorisme militarisé qui, descendant vers le sud, commence à tangenter leurs frontières nord, au Togo, Bénin, Ghana, Côte d’Ivoire, Guinée, voire Sénégal.

Les militaires français sont également déployés au Proche et au Moyen-Orient, dans le cadre de l’opération de surveillance de la zone sud du Liban, sous mandat de l’ONU. Depuis cinq ans, le contingent français intègre un détachement finlandais (350 Français et 200 Finlandais). Nous appuyons par ce biais les forces armées libanaises dont l’action est essentielle pour assurer la stabilité du pays.

En Irak, il s’agit de poursuivre la lutte contre Daech auprès du partenaire irakien et d’organiser des activités opérationnelles bilatérales pour les aider à acquérir une autonomie suffisante.

La surveillance de la navigation se poursuit dans le golfe Arabo-Persique, dans le cadre de l’opération de l’Union européenne AGÉNOR.

 

 

Au vu de nos engagements, de la situation que j’ai décrite et des enjeux, quelle est l’armée dont la France a besoin ?

La LPM 2019-2025 a permis de répondre aux enjeux des opérations et d’entamer la réparation grâce, par exemple, à 1,6 milliard d’euros pour des petits équipements tels que les armements individuels, les jumelles de vision nocturne ou encore l’outillage. Elle a permis notamment la livraison d’une centaine de véhicules du programme Scorpion, de frégates multi-missions, d’appareils ATL2 au standard 6 et de Mirage 2000 rénovés. Toutefois, vous avez fait ce constat et des rapports ont été faits en ce sens : vingt années de conflits asymétriques et d’engagements choisis ont conduit à des arbitrages réduisant certaines capacités. Je ne saurais blâmer ceux qui ont fait ce choix dans des circonstances différentes d’un point de vue budgétaire et de type de menaces. En Afghanistan ou au Mali par exemple, les dispositifs de défense sol-air n’ayant pas d’utilité, des impasses ont été faites. Il convient maintenant de les rattraper. Il en va de même dans les domaines du franchissement, de la guerre électronique ou des moyens de protection nucléaire, radiologique, bactériologique ou chimique. En outre, le soutien a été optimisé de manière excessive et le budget de fonctionnement a trop souvent été considéré comme variable d’ajustement. Une logique faible stock a prévalu, considérant qu’on pouvait faire beaucoup à flux tendus, mais on s’aperçoit que c’est plus difficile avec les munitions. L’absence de moyens financiers pour maintenir les flux a créé des dépendances.

Surtout, la guerre de haute intensité en Europe et les menaces stratégiques de nos grands compétiteurs nécessitent de repenser les équilibres entre la technologie et la masse, l’efficience et l’efficacité, l’optimisation et la résilience. Il s’agit aussi de changer d’échelle dans l’entraînement, ce qui n’est pas facile à mesurer. Il faut passer plus de temps à l’entraînement sur nos matériels majeurs, avec lesquels nous pourrions être amenés à nous engager en cas d’affrontement et consacrer davantage de munitions pour ces phases.

Quels sont les axes sur lesquels il est indispensable de faire porter nos efforts ?

Le premier axe concerne la cohésion nationale, élément essentiel auquel les armées peuvent et doivent contribuer. Il conviendra de réorganiser les bonnes et nombreuses initiatives en direction de la jeunesse que les Armées portent déjà. Il faudra aussi contribuer à la montée en puissance du service national universel (SNU) car les armées ont beaucoup de choses à apporter à la jeunesse. En outre, il importe de lancer une nouvelle dynamique pour les réserves, afin de pouvoir les engager dans des missions plus complexes et de dégager des marges de manœuvre pour compléter les effectifs d’active. Les réserves sont en mesure d’apporter une masse, une expertise non détenue dans les armées et sont aussi un des vecteurs les plus directs pour le maintien et la consolidation du lien entre l’armée et la nation.

Le deuxième axe vise à développer la solidarité stratégique, nécessaire pour faire face à la nature des nouvelles menaces. Il s’agit d’investir davantage les structures de l’Alliance, qui demeurent la clé de voûte de notre défense collective. Il faut rechercher une plus grande influence dans les structures de commandement en tirant un meilleur parti des exercices, de tous les travaux conduits par l’OTAN et des développements capacitaires.

Il faut être capable d’être nation-cadre en haute intensité, c’est-à-dire d’assurer le commandement d’une structure, comme nous le faisons actuellement en Roumanie. Nous pouvons accueillir d’autres unités, mais il nous revient de fixer le cadre de l’engagement, d’assurer l’organisation des flux logistiques, notamment de mettre en place les moyens de communication permettant de commander l’ensemble. Il faut également revoir nos modèles de coopération opérationnelle ou capacitaire, afin de mieux tenir compte des besoins de nos partenaires et de mieux comprendre les contraintes qui pèsent sur eux. Chaque pays a, par exemple, des modes de fonctionnement et d’exercice de la démocratie différents en termes de contrôle parlementaire, de justification et de mise en valeur. Lorsque l’on forme une alliance ou une coalition ad hoc, il faut impérativement prendre en compte ces contraintes sous peine de nuire à l’efficacité générale. Il nous faut voir nos partenaires tel qu’ils sont et non tels que l’on voudrait qu’ils soient.

Il est également indispensable de développer nos capacités d’influence pour gagner la guerre avant la guerre. La France a beaucoup d’atouts à faire valoir auprès de ses partenaires, mais elle est insuffisamment organisée pour conduire une politique d’influence efficace. Par exemple, il faudrait accueillir beaucoup plus de stagiaires étrangers dans nos écoles. Cela nécessite d’y consacrer des moyens, mais on peut en attendre un fort retour sur investissement.

Le troisième axe est l’efficacité et la crédibilité de notre outil militaire. L’observation du conflit en Ukraine incite à disposer de capacités plus létales. On doit être en mesure d’affronter un adversaire et d’infliger des dégâts importants dès les premiers contacts, ce qui nécessite par exemple de l’artillerie de longue portée. Nous devons aussi penser au développement d’armes nouvelles comme les armes à énergie dirigée et les drones de combat. Il s’agit aussi d’être plus résilients grâce notamment à plus de redondance des moyens de commandement, d’autonomie numérique et de communications satellitaires.

Atténuer la contestation de notre liberté d’action passe par une capacité à anticiper davantage. Il faut être apte à détecter l’évolution de la menace dans les milieux traditionnels terre-air-mer mais aussi dans les milieux cyber, exo-atmosphériques ou les grands fonds marins et pouvoir adapter notre posture pour décourager l’adversaire.

Il faut être capable d’agir au quotidien de manière plus efficace et plus intégrée dans le champ des perceptions. J’ai évoqué ici la nécessité de mieux combiner l’action dans les champs physiques et l’action dans les champs immatériels, autrement dit de conduire la bataille du narratif.

Globalement, il faut être capable d’agir dans tout le spectre de la conflictualité, y compris dans l’affrontement de haute intensité dans la durée. Pour ce faire, il faut disposer d’une organisation du commandement capable d’articuler les forces et de combiner tous les effets pour prendre l’ascendant, dès le contact, de façon brutale et, si nécessaire, avec une létalité très forte.

 

En conclusion, au-delà de nos engagements, demain, nos armées se présenteront aux Français. Le défilé du 14-Juillet est toujours pour les militaires un moment de fierté partagée avec nos concitoyens. Celle-ci est parfaitement justifiée, car la France dispose d’une belle armée dont les succès sont reconnus sur la scène internationale. Pour être déjà allés au contact de nos soldats, vous savez que ces jeunes Françaises et ces jeunes Français ont choisi de s’engager pour leur pays. Ce faisant, ils n’ont pas choisi la voie de la facilité. J’en suis très fier et nous pouvons leur rendre hommage.

Dans les temps qui sont les nôtres, il importe que le soutien de la population à son armée se manifeste non seulement le 14-Juillet mais également les autres jours de l’année. Le courage et la combativité des soldats ukrainiens tiennent pour une large part au très fort soutien de leur population. La commission de la défense a un rôle particulier, voire déterminant à jouer en la matière. Vous pouvez compter sur mon engagement personnel et ma détermination pour conduire ma mission.

Mme Anne Genetet. Députée des Français établis à l’étranger, j’ai dans ma circonscription la Russie, l’Ukraine, l’Iran, la Chine, l’Inde et l’Australie. À l’étranger, plus de 300 000 jeunes Français n’ont plus accès aux journées défense et citoyenneté (JDC). Le lien entre la jeunesse et notre pays est un élément important, y compris à l’étranger.

Quelles mesures sont prévues afin que nos personnels déployés au sein de l’OTAN puissent revenir partager leur expérience au sein de nos forces armées ou dans d’autres structures nationales ?

Quels sont vos contacts avec le Quai d’Orsay pour développer notre capacité d’influence ?

À de rares exceptions, personne ne comprend ce que signifie le déploiement de moyens dans la zone indo-Pacifique et une stratégie indo-pacifique. Face à des Chinois qui développent un narratif très romantique, nous avons besoin de déployer le nôtre. Nous avons matière à cela. J’ai quelques idées à partager avec vous, si vous le souhaitez.

M. Frank Giletti. Mon général, la guerre en Ukraine a montré que la dissuasion demeure le fondement de notre système de défense. Le regain des tensions est évident. Selon la Cour des comptes, le risque de conflit de haute intensité entre États est moins improbable que par le passé. Alors que certains n’hésitent plus la brandir la menace nucléaire, la position de la France reste incertaine. Le programme de patrouilleurs océaniques, destinés à dégager la voie de nos sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) avant leur dilution dans l’océan, qui date de 2020, bute sur un problème de budget, les industriels ne parvenant pas à entrer dans l’enveloppe financière très contrainte souhaitée par le ministère des armées. Dans un contexte de pandémie, d’inflation et de guerre en Europe, l’actualisation de la LPM permettra-t-elle de lancer cet important programme, sachant que la Cour des comptes estime difficile de la concilier avec la réduction du déficit public à 3 % du PIB en 2027 ?

M. Bastien Lachaud. Mon général, la guerre en Ukraine rebat les cartes et il est plus indispensable que jamais de favoriser une compréhension partagée des événements et du monde dans lequel la France évolue. Nous avons besoin de clarté sur les objectifs poursuivis par nos opérations. Barkhane se replie du Mali vers le Niger. Quel est l’objectif poursuivi par notre stationnement au Niger ? S’il s’agit, comme pour Barkhane, de l’éradication définitive des groupes armés, il est fort à craindre que nous rencontrions les mêmes difficultés qu’au Mali et que l’issue ne soit guère différente.

Plus largement, notre modèle d’armée est taillé, depuis la chute du mur de Berlin, pour être en capacité d’envoyer rapidement des corps expéditionnaires à l’autre bout du monde, ce que nous savons très bien faire. Depuis votre nomination, vous ne cessez de plaider pour en revenir à un modèle capable d’affronter un conflit de haute intensité. Comment les succès tactiques mais aussi l’échec stratégique de Barkhane, comment les retours d’expérience de la guerre au Haut-Karabagh et surtout les premiers retours d’expérience de la guerre en Ukraine influent-ils sur votre vision de l’armée de demain et sur ce que nous devrions faire pour nos armées dans ce monde changeant ?

M. Jean-Louis Thiériot. Mon général, la guerre en Ukraine a fait tomber certaines certitudes et renforcé des éléments d’analyses préalables. Hélas, beaucoup d’éléments figurant dans notre rapport fait avec Patricia Mirallès sur la préparation à la haute intensité ont été largement confirmés. De la place d’acteur et d’observateur qui est la vôtre, quelle leçon tirez-vous d’ores et déjà de la guerre en Ukraine, au niveau tactique comme au niveau opératif ? Quelles conséquences en tirez-vous pour notre format d’armée ou sur les trous capacitaires à combler ?

Mme Isabelle Santiago. Le conflit en Ukraine est le point culminant de l’intensification des conflictualités au niveau mondial. Sur le territoire européen, l’inquiétude grandissait dès avant le démarrage du conflit. De nouvelles zones d’affrontement se dessinent, notamment dans les Balkans et dans l’Indo-Pacifique. Que vous inspire le rapprochement entre la Chine et la Russie à la faveur de la guerre en Ukraine ?

La montée des conflictualités, « gagner la guerre avant la guerre », ces sujets vont nous intéresser lors de l’actualisation de la LPM. Sommes-nous suffisamment dimensionnés pour mener l’ensemble des actions que vous avez déclinées, qu’il s’agisse de la lutte antiterrorisme au Sahel ou de notre présence sur le flanc est de l’Europe ? Compte tenu de l’inflation, le budget sera-t-il à la hauteur des enjeux ?

La boussole stratégique a été ratifiée par l’Europe. L’Allemagne annonce un effort budgétaire pour la défense de 100 milliards d’euros. Dans le prolongement du conflit ukrainien, quel sera le rôle de la France dans la défense européenne parmi des pays européens qui s’engagent très fortement ? Quel est l’état de vos discussions au sein de l’OTAN et de l’Europe ?

Mme Anne Le Hénanff. Général, vous avez évoqué les réserves, sans préciser lesquelles. On pense souvent aux réserves opérationnelles et moins à la réserve citoyenne. Comprenant souvent des gens dotés d’expertises, elle est, à mon sens, sous-exploitée. Quelle est votre feuille de route pour la réserve citoyenne ? Au côté du correspondant défense, présent dans les communes, lui-même un peu sous-utilisé, elle est à même de renforcer le lien armée-nation, d’être un levier d’unité nationale et un moyen de capter la jeunesse dans nos territoires en lien direct avec la mémoire, c’est-à-dire les associations d’anciens combattants. Quelle est l’ambition du chef d’état-major des armées et de ses équipes pour la réserve citoyenne et les correspondants défense ?

M. le général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées. Dans des pays comme Djibouti ou le Sénégal où des unités françaises sont stationnées, il est possible d’organiser des JDC pour les jeunes Français à l’étranger, mais sans forces pré-positionnées ou de présence, c’est évidemment plus compliqué. La phase Covid a rendu plus difficile l’envoi de missionnaires, mais les armées et le ministère ont bien la ferme volonté de maintenir le lien avec ces jeunes Français. Sur le territoire métropolitain, où les JDC avaient été interrompues, plus de neuf dixième du retard ont été rattrapés. Je vais regarder ce qu’il en est du dispositif à l’étranger.

Mme Anne Le Hénanff. Il faudrait convaincre le ministère de l’Europe et des affaires étrangères et mettre en œuvre des moyens digitaux pour assurer ce lien essentiel.

M. le général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées. L’amélioration du partage de l’expérience des militaires français ayant servi dans des états-majors de l’OTAN est prise en compte, afin que ces experts irriguent nos états-majors nationaux de leurs connaissances. Je pense par exemple à des cycles bien définis pour les militaires sortant d’un état-major de l’OTAN et revenant servir dans des états-majors comme le corps de réaction rapide-France (CRR-Fr), à Lille. Des parcours vertueux de ce type sont en place.

Le développement de notre capacité d’influence est un élément clé dont les armées ne sont qu’un des acteurs. Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, dont c’est la mission, est l’acteur principal. Je ne peux m’exprimer à sa place, mais un lien étroit est en cours de consolidation pour agir en coordination avec les ambassades des pays dans lesquels nous sommes engagés en opération, en particulier dans la bande sahélo-saharienne. Mieux définir et appliquer notre stratégie d’influence relève de la compétence des porte-paroles mais passe aussi par des contacts fréquents au plus haut niveau. Il s’agit d’une guerre en réseau ; un maximum de gens doit donc contribuer à cet effort. Ce n’est pas un domaine dans lequel on obtient des victoires décisives, mais il est important d’occuper intelligemment le terrain et d’utiliser tous les moyens à notre portée. Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères dispose de moyens puissants, puisqu’il est l’autorité de tutelle en matière de moyens de radiodiffusion et de télédiffusion. Cela est bien identifié, en particulier en Afrique où nous rencontrons quelques difficultés, parce que nous ne sommes pas les seuls et que nous faisons face à des adversaires très engagés et performants.

Concernant la stratégie indopacifique, qui n’est pas une stratégie militaire mais une stratégie nationale, il est sans-doute plus facile pour les Français de la comprendre que pour les autres Européens. La France est une nation de l’Indopacifique, 1,7 million de Français y résident, elle y occupe plus de 9 millions de kilomètres carrés et 7 500 militaires y sont déployés en permanence. Nous avons aussi beaucoup parlé de la Nouvelle-Calédonie, l’année dernière. Cela mérite probablement une attention supplémentaire mais comprendre l’importance de la zone indopacifique ne me paraît pas hors de portée pour les Français.

Le développement des patrouilleurs océaniques figurant dans la programmation militaire n’est pas complètement achevé, mais nous n’en sommes pas encore au stade de la rupture capacitaire. La dissuasion étant un domaine prioritaire, d’autres moyens assurent cette mission, ce qui n’est pas pleinement satisfaisant, puisque ceux-ci pourraient être utilisés autrement. Des choix et un calcul ont été faits en fonction des moyens dont on disposait, mais ce programme figure en haut de la liste des priorités.

Quant à la capacité à gérer l’évolution de la LPM au regard du PIB et de l’inflation, c’est vous qui détenez une partie de la réponse.

M. Frank Giletti. Nous répondrons favorablement !

M. le général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées. Vous qualifiez Barkhane d’échec stratégique, au regard de notre capacité à infliger sur le terrain des pertes à nos adversaires terroristes sans parvenir à régler la situation. Je conteste la notion d’échec. L’échec est le fait des autorités maliennes, ce qui cependant n’est pas satisfaisant pour nous. Les Français, mais également les forces de la mission multidimensionnelle des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et l’Union européenne, se sont engagées durant huit ans et ont subi des pertes. Le but était d’améliorer la situation sécuritaire afin de permettre aux autorités maliennes de trouver une solution politique. La solution militaire ne pouvait pas régler le problème malien. En huit ans, il n’y a pas eu un pas malien dans cette direction. À cela s’ajoute le fait que le gouvernement n’est plus légitime et ne veut plus aller vers la phase de transition. Enfin la présence du groupe Wagner n’est pas compatible avec notre présence sur le sol malien. Cela a conduit le Président de la République à dire que la France entendait poursuivre prioritairement la lutte contre le terrorisme mais qu’elle n’était plus en situation de le faire à partir du Mali.

La nature de notre engagement au Niger est clairement différente de celle conduite au Mali. Au Mali, nous avons commencé par l’opération SERVAL, engagement direct des forces françaises pour rétablir la souveraineté des autorités maliennes. Durant huit ans, l’effectif de l’armée malienne est passé de 7 000 à 40 000 hommes ! C’est le résultat des actions de BARKHANE de la mission de formation de l’Union européenne au Mali (EUTM) et de la MINUSMA. Au Niger, notre engagement est uniquement calibré sur un appui des forces nigériennes. Le volume des forces est moindre comparé à ce qu’il était au Mali. Les unités nigériennes ont la main sur le curseur et planifient les opérations qu’elles veulent conduire. Nous nous engagerons dans la zone où elles décideront de s’engager. Si elles ne s’engagent pas, nous ne conduirons pas d’opération. La différence peut sembler ténue mais est d’importance. Le terrorisme ne sera vaincu que par les armées locales africaines. N’importe quel villageois au fond du Mali comprend qu’un terroriste restera toujours plus longtemps qu’un soldat français, danois, de l’ONU ou autre. Le seul fait que les militaires nigériens conduisent des opérations pour lesquelles nous n’intervenons qu’en appui inverse la perception de la population et son rapport aux terroristes.

De plus, les Nigériens sont très sourcilleux au sujet de leur souveraineté, et c’est très bien. Ils veulent avoir la maîtrise des forces qui seront déployées. On a écrit à tort qu’on transférait les unités françaises vers le Niger. Les unités qui sont au Niger sont celles souhaitées par les autorités nigériennes pour conduire les opérations. Actuellement, nous avons un seul groupement tactique interarmes (GTIA), équivalent d’un bataillon, soit un effectif très réduit par rapport à ceux présents au Mali. Nous allons basculer les unités, en particulier nos moyens de soutien santé, de Gao à Niamey, mais ce n’est qu’un changement de localisation, ce ne sont pas un ajout de forces Le soutien santé de nos opérations effectué jusqu’alors à partir de Gao le sera à partir de Niamey. De même, les hélicoptères qui opèrent à partir de Gao opéreront à partir de Niamey.

Une autre différence majeure, et cela ne vaut pas seulement pour le Niger, procède du constat du fort sentiment antifrançais en Afrique. Peut-être pas au point où on le présente parfois, mais il faut se garder du déni. Il n’est pas seulement développé par Wagner. Il est bien présent, et nous devons nous interroger sur ses motivations. Cela montre bien que l’Afrique a changé et qu’il faut faire évoluer la manière dont nous sommes présents. Mes homologues, qui sont à peu près de ma génération, me disent : « cela ne me gêne pas et je comprends la présence de la France en Afrique, mais mes enfants ne comprennent pas ». Et quand ils parlent de leurs enfants, ils parlent aussi de leurs officiers subalternes.

Au-delà de la manœuvre de ré-articulation, il convient de réfléchir à la modification de la présence française en Afrique, et pas seulement du point de vue militaire mais aussi au niveau interministériel et dans la manière dont on communique en Afrique. Cela ne sera pas facile, parce que nous avons nos habitudes. C’est d’autant plus difficile que si notre présence en Afrique a pu être naïve ou maladroite, elle n’a jamais été mal intentionnée. Écrire que l’armée française est en train de piller le Mali ou le Niger ne peut être le fait que de gens qui n’y sont jamais allés. Les Africains aussi devront changer leurs habitudes. Eux aussi ont un travail à faire sur eux-mêmes. Ils doivent être capables de faire évoluer leur communication. C’est à eux d’expliquer pourquoi l’armée française est présente. Eux peuvent avoir les bons mots pour cela et assumer le fait de demander à un pays occidental d’être là pour remplir des missions en appui de leurs actions. Le véritable défi est là. La ré-articulation est une action tactique ; mais la capacité à changer la manière dont nous sommes présents en Afrique est d’un ordre supérieur. Cela ne se fera pas en un claquement de doigts mais c’est une manœuvre décisive.

Vous dites que nous nous sommes transformés en corps expéditionnaires. Nous le faisons assez bien et en effet notre capacité à être une force expéditionnaire ne nous rend pas instantanément aptes à conduire une guerre de haute intensité. Le changement d’échelle et le recouvrement de capacités que nous avons éclipsées sont des défis. Il faudra conserver une capacité expéditionnaire ou de réaction rapide, parce que les crises en Afrique ne vont pas disparaître. Il faudra s’y engager de manière plus comptée et plus maîtrisée mais, face à des opérations de contestation nécessitant une grande réactivité, la capacité expéditionnaire aura toujours du prix.

M. Bastien Lachaud. Depuis longtemps, vous nous parlez de haute intensité, depuis longtemps, vous proposez des pistes. Les retours d’expérience du Haut-Karabagh et surtout de l’Ukraine vous ont-ils conduit à modifier certaines orientations ?

M. le général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées. Les conflits dans le Haut-Karabagh et l’Ukraine valident ce que nous envisagions. Nous avions une vision assez lucide de ce qui nous manquait. Je ne suis pas sûr que tout le monde comprenait bien ce qu’on voulait dire en parlant de ce qui nous manquait. Avec l’Ukraine, c’est devenu plus évident. Cela étant, il s’agit de deux types de conflits de haute intensité différents, et il ne faut jamais se focaliser à un seul type de conflit.

Concernant la guerre en Ukraine, je fais deux constats et je retiens trois enseignements.

Premier constat, nous sommes engagés – pas au sens strict en ce qui nous concerne mais un peu quand même – dans une guerre de longue haleine en Ukraine. Quand la Russie envahit l’Ukraine, en Europe, nous sommes nécessairement concernés. La Russie a développé une stratégie de long terme depuis plusieurs, voire quelques dizaines d’années. Elle a reconstruit son armée dans le domaine capacitaire. Elle a développé des armes nouvelles comme les missiles hypersoniques et les torpilles nucléaires, qui nous posent certains problèmes. Elle a développé sa stratégie de long terme en matière économique et énergétique en se préparant à fonctionner isolément. Elle a structuré la pensée de sa population, remettant en avant depuis plusieurs années, le modèle de la guerre patriotique.

Face à cette stratégie de long terme, nous devons comprendre que nous resterons en compétition avec la Russie, laquelle ne disparaîtra pas. Ce pays, membre du Conseil de sécurité de l’ONU, possède plusieurs milliers de têtes nucléaires et s’étend sur onze fuseaux horaires. La Russie sera toujours là, quelle que soit la manière dont la guerre se terminera en Ukraine.

Ensuite, le premier enseignement est l’importance des forces morales. L’armée ukrainienne donne un exemple époustouflant de force morale et de capacité de résistance. Je ne suis pas sûr que beaucoup parmi nous auraient prédit que, quatre mois après le début de l’offensive, l’Ukraine résisterait toujours à la Russie. Toutefois, la force morale ne se décrète pas. L’Ukraine s’est préparée, elle a consolidé ses forces morales, et pas seulement dans les armées. Les forces morales de l’armée ukrainienne procèdent directement du renforcement de la cohésion nationale. Si des soldats ukrainiens meurent pour défendre chaque village, chaque forêt, chaque rivière, c’est parce que derrière chaque village, chaque forêt, chaque rivière, des Ukrainiens soutiennent leurs soldats. On en mesure bien l’effet sur l’efficacité opérationnelle.

Le deuxième enseignement, c’est l’importance du champ informationnel. Là aussi, l’Ukraine a remarquablement joué. Elle s’est bien préparée en structurant sa capacité d’influence jusqu’au plus bas échelon sur les principes de subsidiarité et de souplesse. Objectivement, elle a gagné la guerre du narratif sur le champ de bataille et probablement en Europe. C’est sans doute moins vrai dans le reste du monde où la Russie semble convaincre par son narratif de niveau stratégique. 53 % des pays n’ont ainsi pas condamné son attaque.

Le troisième enseignement, c’est la nécessité de s’entraîner pour la guerre de haute intensité. La Russie a reconstruit son armée mais elle a probablement mal estimé et trop peu investi dans la part nécessaire à l’entraînement. Durant les deux premières phases de la guerre, on a vu une armée russe en grande difficulté en matière de combat interarmes et de soutien logistique dans les derniers kilomètres. J’ai déjà souligné l’importance de l’entraînement, notion assez abstraite. De quoi s’agit-il ? Combien ça coûte ? Pourquoi ça coûte autant ? Pourquoi ça prend du temps ? Un soldat entraîné n’est pas de couleur verte et un autre, non entraîné, rouge. Cela ne se voit pas beaucoup, mais sur le champ de bataille, le défaut d’entraînement coûte toujours très cher.

Enfin, dernier constat, l’armée russe, à l’image de sa société, est l’armée du mensonge : des chefs ont menti à leurs supérieurs, des chefs ont menti à leurs subordonnés et des chefs se sont menti à eux-mêmes. Dans le métier des armes, mentir coûte cher. Je ne connais cependant pas de vaccin contre le mensonge. Il n’y a pas de petits mensonges. On exécute les ordres reçus et on rend compte à ses supérieurs. On doit apprendre aux gens à ne pas mentir et les chefs doivent accepter que les gens leur disent la vérité.

S’agissant des nouvelles zones de conflit, les Russes agissent là où on ne les attendait pas. Ils n’ont pas joué de guerre hybride. On n’a pas observé à ce stade d’action dans les Balkans ou en Transnistrie, où des minorités auraient pu être agitées. En revanche, dans la zone indopacifique, un fait est passé bizarrement inaperçu. Vingt jours avant le début du conflit, la Russie et la Chine ont signé, de manière officielle, une déclaration commune sur les relations internationales. Il s’agissait dans les faits d’un accord de non-agression entre les deux pays qui s’est immédiatement traduit par le désengagement de forces russes dans des districts militaires de l’est, lesquelles ont été transportées par train depuis l’Extrême-Orient russe vers le champ de bataille.

L’armée française peut-elle à la fois gérer des opérations en Afrique et un conflit majeur de haute intensité ? Plus aucun pays n’est capable d’agir seul. Dans la haute intensité, on privilégie la défense collective. C’est la raison d’être d’alliance comme l’Union européenne ou l’OTAN et c’est bien dans ce cadre que l’on doit assurer notre défense. En Afrique, nous devons maîtriser davantage le cadre de nos interventions. Il n’est plus souhaitable de poursuivre des opérations durant huit ans. Il faut repenser la présence de la France en Afrique et le faire avec d’autres pays européens. Il y a quatre ou cinq ans, on n’imaginait pas le Danemark et l’Estonie prendre une part de responsabilité dans la lutte contre le terrorisme en Afrique. Or ces pays se sont engagés au sein de la task force TAKUBA.

Comme pour tout le monde, l’inflation va peser assez lourd sur le budget des Armées. Je n’ai pas de solution. Il faudra le prendre en compte.

La réserve joue un rôle important, elle sert de réservoir de masse et d’expertise à nos armées. Il existe différents niveaux d’emploi de la réserve citoyenne, réserve de pur volontariat et de bénévolat, et chaque armée ne l’utilise d’ailleurs pas de la même manière. Certaines l’utilisent de manière très répartie sur le territoire, parce qu’elles-mêmes le sont. D’autres, plus concentrées la considèrent comme une réserve de haut niveau en région parisienne. Il n’y a pas un plan d’action, mais on doit mieux mobiliser et surtout mieux informer nos réservistes citoyens sur ce qu’on attend d’eux, c’est-à-dire partager nos messages, les éléments sur lesquels on veut avancer. La réserve citoyenne présente la particularité d’être très diverse. Tout le monde ne vient pas y chercher la même chose. Il faut l’utiliser comme cela. Je ne vois pas la réserve citoyenne se mettre en marche d’un seul bloc dans la même direction. Il faut utiliser les gens en fonction de leurs compétences et de leur appétence. Probablement insuffisamment employée, cette réserve fonctionne plutôt bien.

M. Jean-Michel Jacques. Vous avez décrit les enseignements de la guerre en Ukraine et insisté sur l’entraînement. Cela m’incline à penser que l’armée française présente trois caractéristiques précieuses à cultiver : la subsidiarité, l’autonomie et la singularité. Dans la première partie de la guerre, on a vu beaucoup de forces russes désorganisées après que leurs chefs étaient tombés au combat, parce que, par culture, leur armée est organisée différemment de l’armée française. Comment sanctuariser la plus-value des trois principes de l’armée française ? La société moderne où prévalent le principe de précaution et la tentation de civiliser les fonctionnaires en uniforme ne présente-t-elle pas un risque pour nos armées et la singularité militaire ?

M. Aurélien Saintoul. Au moment nous subissons une nouvelle canicule, existe-t-il un document de référence sur la préparation de nos forces à la crise écologique globale ? Nos infrastructures vont connaître des chocs. Est-on prêt et à quelle échelle ?

Alors que se profile nouvelle loi de programmation militaire, estimez-vous opportune la rédaction d’un livre blanc, laquelle n’avait pas été jugée nécessaire pour la précédente. Un consensus s’exprime sur la mutation des menaces.

L’exercice ORION de préparation à la haute intensité est en cours. La guerre en Ukraine et la mobilisation de nos forces pèsent-elles sur la réalisation de cet exercice ?

Nous avons vécu, ces dernières années, un certain flottement sur le SNU, sa militarité et la part que les armées devaient prendre dans son organisation. Vous connaissez la position de La France insoumise sur le sujet. Nous verrons quelle orientation le Gouvernement voudra lui donner. Apparemment, les armées vont devoir prendre leur part. Cela n’est-il pas de nature à obérer certains efforts vers la haute intensité ?

M. Frank Giletti. Jusqu’à présent, la guerre en Ukraine s’est limitée au territoire ukrainien, montrant que la dissuasion nucléaire a permis d’empêcher une escalade et un débordement vers un pays de l’OTAN, voire vers la Russie. C’est peut-être un sixième enseignement à tirer de cette guerre. Or le traité d’interdiction des armes nucléaires vise à remettre en cause la légitimité de la possession de l’arme nucléaire pour les États dotés selon le traité antérieur. Quelle est votre appréciation sur la dissuasion nucléaire française et son rôle au sein de l’Union européenne ? Le Parlement doit-il réaffirmer le principe de la dissuasion nucléaire et sa légitimité établie dans le cadre du traité de non-prolifération ?

M. le général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées. Les atouts de l’armée française en matière d’organisation de la subsidiarité et d’économie des forces sont précieux. Ils reposent sur l’effort de formation de nos cadres, à tous les niveaux, du caporal au colonel, du quartier-maître au capitaine de vaisseau, tout au long de leur carrière. Dans le commandement, on doit favoriser l’application de la subsidiarité, préparer les gens à prendre des initiatives et donc accepter que celui qui prend des initiatives puisse se tromper. S’il s’est trompé, c’est qu’il a pris une décision, qu’il a agi. S’il n’avait rien fait, il ne se serait pas trompé, mais il n’aurait pas rempli la mission. Ce constat basique mais déterminant est emblématique de la capacité d’une armée à produire des effets sur le terrain.

Sans parler de risque de « civilianisation » des armées, je constate qu’un écart se creuse entre le mode de vie d’un militaire, astreint à des sujétions dans sa vie de tous les jours, et le mode de vie d’un civil. Pour les armées, le défi est de ne pas abaisser le niveau de sujétion, car ces impératifs que le statut nous impose, en particulier l’exigence de disponibilité, sont indispensables pour nous permettre de remplir notre mission. La singularité militaire, c’est d’abord son rapport au temps. Il est disponible et en tout temps, à la différence d’un citoyen ordinaire.

Des entreprises ont expérimenté des semaines de quatre jours, estimant que le personnel était aussi efficace qu’en travaillant cinq jours, sans qu’il soit besoin d’embauche supplémentaire. Bien entendu, cela ne peut pas fonctionner dans les armées. Je dois, comme vous, prendre soin des militaires pour que, d’ici à cinq, dix ou quinze ans, on soit encore capable de recruter de jeunes Français et de jeunes Françaises acceptant de vivre de manière différente en s’engageant pour défendre leur pays. Baisser le niveau de sujétion risquerait de créer une armée qui n’en serait plus une, ce qui reviendrait à gaspiller les ressources qu’on y consacre. Le jour où il le faudrait, ces gens ne seraient pas prêts, n'auraient pas les qualités requises pour s’engager en opération. Il faut veiller à créer les conditions pour continuer d’attirer et fidéliser des jeunes Françaises et de jeunes Français volontaires. Le niveau de sujétion doit rester supportable et l’environnement qu’on leur fournit doit leur permettre de rester. Parmi les propositions envisagées figure la prise en compte des familles, car les sujétions pèsent moins sur les militaires eux-mêmes, qui en comprennent le sens, que sur leurs familles. Un militaire part rarement parce qu’il ne veut plus faire son métier, mais pour tenir compte des aspirations de sa famille.

Existe-t-il une documentation sur le changement climatique et le développement durable ? Les armées concourent directement aux dix-sept objectifs de développement durable de l’ONU couvrant les dimensions environnementale, économique et sociétale. En novembre 2020, une Stratégie de développement durable a été adoptée par les armées. À l’état-major des Armées, un officier général en charge du développement durable décline ces objectifs aux différents niveaux. La réduction de l’empreinte de nos activités ne doit pas nuire aux capacités opérationnelles actuelles et futures mais nous participons directement aux stratégies de la direction des territoires, de l’immobilier et de l’environnement (DTIE) sur la biodiversité. En outre, 80 % du domaine foncier des armées, soit 200 000 hectares, est protégé et classé. Les armées sont assez proches de la nature. Les militaires vivent sur le terrain. Nos camps sont des sortes de zones protégées.

De manière plus stratégique, on voit bien que le dérèglement climatique est un facteur de crise, des zones y étant plus sujettes que d’autres, ce qui est pris en compte dans la planification.

Dans le domaine capacitaire, les développements incluent systématiquement la prise en compte des nouvelles technologies, en particulier dans le domaine de la propulsion. La propulsion électrique est intéressante mais le problème du rechargement sur le terrain n’est pas totalement résolu. L’agence de l’innovation de défense (AID) a travaillé sur des scénarios de rupture pour le futur en prenant en compte la dépendance à l’électricité qui va devenir vitale.

Alors que LPM se profile, faut-il un livre blanc ? Ce n’est pas à moi d’en décider. On ne saurait être totalement surpris par la situation stratégique, dont l’évolution de fond est perceptible depuis longtemps, mais il y a eu le passage à l’acte de la Russie. Dans les faits, cela va certes un peu plus vite que prévu mais la tendance était bien prise en compte. À ce titre, je ne suis pas sûr qu’il y ait un besoin de réécriture. Un ajustement est néanmoins sans doute à opérer pour assurer la plus large prise en compte des problématiques.

ORION, lancé début 2020, soit antérieurement à la crise ukrainienne, se veut un exercice de préparation à la haute intensité. Il prend en compte le changement d’échelle, puisqu’il est de niveau division, alors qu’on travaillait plutôt sur des exercices de niveau bataillon. Dans le domaine de la préparation opérationnelle, nous l’avons également complété par des exercices d’état-major de niveau corps d’armée. Ce qui se passe en Ukraine donne évidemment des idées à ceux qui définissent les thèmes de l’exercice.

Le SNU s’articule autour de la jeunesse. Les armées ont beaucoup de choses à apporter à la jeunesse. Elles s’y sont toujours intéressées. Il y a par exemple le service militaire adapté (SMA) et le service militaire volontaire (SMV) qui, à mon sens, ne peuvent être considérés comme des instruments de militarisation de la jeunesse, car le terme militaire renvoie plus au style d’encadrement qu’au contenu des activités. Or, il y a dans le SMA et le SMV une implication de l’armée beaucoup plus forte que celle prévue dans le SNU sans que cela ne se traduise par une militarisation. De même, je ne vois pas de militarisation dans les classes de défense et sécurité globale organisées en coopération par des professeurs de l’Éducation nationale, qui peuvent rechercher le concours des armées, d’unités militaires pour des témoignages et d’autres activités.

En tant que citoyen, je considère que la jeunesse, qui est l’avenir de notre pays, mérite qu’on s’y intéresse. En tant que militaire, je pense que les armées ont quelque chose à lui apporter. En parlant de cohésion nationale, je ne pense pas : « Engagez-vous ! ». Recruter des jeunes Françaises et de jeunes Français est certes essentiel, mais en matière de force morale, la cohésion nationale est d’un ordre encore supérieur. « Engagez-vous ! » concerne une faible partie des Françaises et des Français, tandis que la cohésion nationale concerne tout le monde. Le SNU est conforme à cette approche globale qui permettra de toucher toute une classe d’âge. En effet, la surface de contact entre les armées et la population civile est très restreinte. Au total, tous les efforts consentis par les armées dans le cadre du SNV, du SMA, des classes de défense et sécurité globale et des préparations militaires touchent environ 40 000 jeunes par an, sur une classe d’âge de 800 000.

Donner une coloration trop militaire au SNU ne donnerait pas les résultats escomptés et ce n’est pas ce que souhaitent les armées.

Je constate que la dissuasion fonctionne. Elle exige des certitudes. La dissuasion est vivante, puisque tous les cas sont différents, et elle s’est adaptée à ce cas de figure. Vous évoquez la dissuasion française et l’Europe. Dans son discours du 7 février 2020, le Président de la République déclarait : « nos forces nucléaires renforcent la sécurité de l’Europe par leur existence même et, à cet égard, ont une dimension authentiquement européenne ». Ces paroles s’adressaient aux pays européens, et la dissuasion, c’est un homme, le Président de la République.

Le traité sur l’interdiction des armes nucléaires affaiblit le processus de désarmement de l’ONU (TNP), auquel nous participons. Il y a deux voies divergentes. Le traité sur la non-prolifération est très important. Soyons attentifs à la capacité de déstabilisation qui pourrait en résulter et à nos préoccupations vis-à-vis de l’Iran.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Merci beaucoup, mon général, pour vos réponses et ces échanges très précieux.

 

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Le CEMAA:

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/cion_def/l16cion_def2122007_compte-rendu#

Les messages principaux:

- dans un conflit de haute intensité si on garde les FAS en réserve on n'a pas assez d'effectif. Il faudrait 40 Rafale de plus (185->225) et des MRTT en plus

- on n'a pas assez de missiles

- on va réintroduire une capacité SEAD avec l'Armement Air-Sol Futur (AASF, j'imagine que c'est la partie SEAD du FC/ASW)

 

Citation

 

Mercredi

20 juillet 2022

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 7

session extraordinaire de 2021-2022

Présidence
de M. Thomas Gassilloud,
président

 

 

—  1  —

 

La séance est ouverte à neuf heures.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Après avoir auditionné le chef d’état-major des armées et le délégué général à l’armement, qui nous ont présenté les enjeux opérationnels et capacitaires communs aux armées, nous souhaitons aujourd’hui aborder les enjeux spécifiques à chaque armée, en commençant ce matin par l’armée de l’air et de l’espace. Nous avons donc le plaisir d’accueillir le général de corps d’armée aérienne Frédéric Parisot, major général de l’armée de l’air et de l’espace, en visioconférence depuis Nouméa.

 

Mon général, le 24 février dernier, quelques heures seulement après le début de l’agression russe contre l’Ukraine, deux Rafale de la base aérienne de Mont-de-Marsan s’envolaient vers la Pologne pour assurer une mission de police, et même, peut-on dire, de défense du ciel, au profit de cet allié. Depuis cette date, les forces armées de l’air et de l’espace sont pleinement engagées dans le dispositif de protection du flanc Est de l’Europe, en Pologne et en Roumanie. Une délégation de la commission de la défense se rendra d’ailleurs dès demain en Roumanie, comportant notamment des représentants du Bureau.

 

Cette opération emblématique ne constitue cependant qu’une des missions de l’armée de l’air et de l’espace, qui a pour habitude de toujours répondre présent. Outre ses engagements extérieurs dans le Sahel et au Moyen-Orient, celle-ci assure en effet au quotidien des postures permanentes de dissuasion nucléaire, de sûreté aérienne et de surveillance de l’espace.

 

Vous aurez certainement à cœur, mon général, de revenir plus en détail sur l’ensemble des missions et engagements assurés par votre armée. Nous souhaiterions naturellement vous entendre évoquer enjeux et les défis à venir de l’armée de l’air et l’espace, ainsi que les points de vigilance que vous souhaiteriez signaler à notre commission, notamment dans le contexte de la prochaine loi de programmation militaire.

 

Avant que je ne vous cède la parole pour aborder ces questions et d’autres que vous souhaiteriez traiter, nous allons entendre l’intervention enregistrée à notre intention par le général Mille, chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace, en déplacement dans le Sahel.

 

M. le général Stéphane Mille, chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace (en vidéo). Contraint de me déplacer au Niger dans le cadre de la réarticulation du dispositif Barkhane et à la rencontre des autorités nigériennes, je tiens néanmoins à vous présenter, en préambule de l’intervention du général Parisot, quelques idées-forces qui sous-tendent ma vision en tant que chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace.

 

Avant toute chose, je souhaite remercier nos concitoyens, à travers la représentation nationale, pour l’effort budgétaire consenti en vue de leur défense. Soyez certains que nous avons pleinement conscience de cet investissement et que nous mettons tout en œuvre pour optimiser notre outil de combat et transformer ces ressources en puissance aérienne.

 

Dans un premier temps, permettez-moi de rappeler quels sont les apports du milieu aérospatial. Tout d’abord, le plus lourd que l’air a rapproché et uni les peuples. Les vecteurs aériens permettent de compresser l’espace et le temps, et d’accélérer le flux des lignes de communication et les échanges entre les hommes. Ainsi, l’aviation a été et reste un catalyseur du progrès et un véhicule des valeurs humanistes que nous défendons. Sur le plan militaire, elle a résolument changé le caractère de la guerre, apportant souplesse d’emploi, puissance et allonge.

 

Plus largement, la puissance aérienne est la continuité de la politique par la troisième dimension. Son pouvoir continue de signifier la détermination et la volonté des décideurs politiques, comme l’ont démontré l’opération Harmattan en Libye, la mission Apagan d’évacuation en Afghanistan ou, le 24 février, les missions aériennes déclenchées en renfort du front Est de l’Europe.

 

Dans un second temps, je tiens à souligner que notre environnement se durcit et se complexifie. Les rivalités de puissance sont une réalité. Comme l’a dit récemment le ministre des armées, avec l’agression russe contre l’Ukraine, la guerre de haute intensité s’est engouffrée sur le sol européen.

 

De plus, l’espace est devenu un milieu d’action stratégique déterminant pour les États. Dans ce contexte, les atouts de l’armée de l’air et de l’espace lui confèrent davantage de responsabilités. Cependant, elle doit faire face à ce défi et son format doit être consolidé. L’enjeu, pour l’armée de l’air et de l’espace, est de poursuivre une modernisation équilibrée pour faire face à une liberté d’action contestée, dans les airs comme dans l’espace, et dans des espaces aériens congestionnés.

 

Fort de ces constats, j’ai élaboré ma vision stratégique, dont le général Parisot vous livrera dans quelques instants les grandes lignes. Nous aurons l’occasion, à la rentrée, d’échanger lors des travaux sur le PLF, le projet de loi de finances pour 2023. Toutefois, je souhaite vous confier dès maintenant mon point d’attention principal : notre aviation de chasse, qui est ma première priorité, la pierre angulaire de notre système de combat. Notre parc de Rafale, seul avion de combat polyvalent de l’armée de l’air et de l’espace, est au niveau où il se trouvait en 2016, et nous venons de fermer un escadron équipé de Mirage 2000-C. Alors que des combats de haute intensité résonnent aux portes de l’Europe, cette situation doit nous interpeller. Recouvrer de l’épaisseur en matière de supériorité aérienne et de projection de puissance passera par une commande affermie des avions nécessaires pour atteindre l’ambition opérationnelle de 2030.

 

Quant au succès des armes, il repose en grande partie sur les forces morales des combattants. En tant qu’héritiers des pionniers de l’aéronautique, les aviateurs sont passionnés, audacieux, courageux. Nous observons, depuis le ciel et l’espace, le monde tel qu’il est. Avec objectivité et responsabilité, nous comprenons que la liberté appartient à ceux qui l’ont acquise et que notre devoir est de continuer de nous battre, depuis les airs et l’espace, pour qu’elle leur reste.

 

Le général Parisot va vous présenter plus en détail notre modèle d’armée.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Général Parisot, notre commission ayant été renouvelée à plus de 80 %, peut-être pourriez-vous, au début de votre propos introductif, nous présenter le rôle d’un major général.

 

M. le général Frédéric Parisot, major général de l’armée de l’air et de l’espace. Monsieur le président, mesdames et Messieurs les députés, je suis ravi d’être parmi vous, depuis la Nouvelle-Calédonie, pour présenter, au nom du chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace, notre armée. Le major général est le numéro deux de cette dernière. Je suis également à la tête de l’état-major de l’armée de l’air et de l’espace, qui se trouve à Paris et où 230 personnes travaillent au quotidien avec les autres armées, directions et services ainsi que l’état-major des armées.

 

Mon propos s’articulera en trois parties. Dans un premier temps, je présenterai en quelques mots et quelques chiffres notre armée de l’air et de l’espace. Je reviendrai ensuite rapidement sur l’analyse de la situation internationale, en développant les défis auxquels elle nous confronte sous l’angle de la puissance aérospatiale. Enfin, je tirerai les conséquences qu’entraînent ces défis, en m’appuyant sur la vision stratégique du général Mille, notre chef d’état-major.

 

Avant d’entrer dans l’aspect descriptif de notre armée de l’air et de l’espace, permettez-moi d’abord exprimer une conviction, partagée par tous les aviateurs : la France est une puissance aérospatiale, et cette caractéristique, qui est avant tout un héritage, est un atout extraordinaire pour notre pays. C’est, bien sûr, un avantage décisif sur le plan militaire et diplomatique, et cela constituera le fil rouge de mon exposé, mais c’est également un atout industriel et économique au service de notre pays. En effet, son ADN d’aviateur a permis à la France de faire naître des champions comme Airbus, Dassault, Arianespace, Thalès ou Safran. Grâce à eux, une nation comme la nôtre peut, dans un XXIe siècle dominé par les grandes puissances, continuer à compter sur la scène économique internationale, à côté de secteurs d’excellence comme le luxe ou le tourisme. L’aviation est née en France, nous avons écrit une part essentielle de son histoire et le maillage de notre territoire par une multitude d’aéroports et d’aérodromes en est une traduction tangible. L’aviation fait partie de notre histoire commune et elle constitue un héritage exceptionnel qu’il nous appartient de faire vivre en l’adaptant à la diversité et l’imprévisibilité des circonstances et des menaces.

 

Sur le plan diplomatique et militaire, être une puissance aérospatiale offre une garantie de souveraineté et de liberté d’action, la faculté d’agir rapidement, avec précision, efficacité et proportionnalité, et une capacité de rayonnement et d’influence très précieuse. L’arme aérienne est l’arme du politique par excellence, produisant des effets immédiats et décisifs sur l’ensemble du spectre de la conflictualité : réactivité, fulgurance, allonge à l’échelle du globe, faible empreinte au sol, effets gradués, réversibilité et maîtrise de l’escalade, tout en garantissant la liberté d’action et l’accès aux espaces communs, maritimes, aériens et spatiaux. De la guerre du Golfe à l’évacuation de Kaboul en août dernier, en passant par l’opération Résilience sur le territoire national, la puissance aérospatiale a été cruciale aussi bien pour les opérations militaires nationales ou alliées que pour incarner sur la scène international la détermination politique et la volonté d’agir sans nécessairement déployer des moyens lourds à forte empreinte au sol pour des issues non maîtrisées. Tous ceux qui négligent la puissance aérienne le paient très cher, et ce n’est pas le déroulement de la guerre russo-ukrainienne qui le contredira.

 

Ces convictions profondes animent les 40 800 aviateurs de l’armée de l’air et de l’espace. Qui sont-ils ? Un premier aspect remarquable est la répartition entre officiers, sous-officiers et militaires du rang. L’armée de l’air et de l’espace est celle dans laquelle la proportion d’officiers est la plus élevée, avec plus de 17 % de son personnel. Cela s’explique par la très forte responsabilité qu’endossent nos équipages et nos équipes sur le terrain. Nos jeunes pilotes de chasse, d’hélicoptère ou de transport, nos opérateurs spatiaux ou de drones, doivent savoir prendre de lourdes décisions dans des temps très courts. C’est la raison pour laquelle ils sont très majoritairement officiers. Plus généralement, le sens de la responsabilité individuelle est ce qui caractérise probablement le mieux l’aviateur au sens large.

 

Les sous-officiers représentent près de 60 % de notre ressource humaine, en raison du très haut niveau technique qu’exigent nos munitions et la complexité des matériels que nous mettons en œuvre. Enfin, les militaires du rang représentent 25 % des personnels. Ce sont des métiers qui permettent à de jeunes gens d’acquérir une expérience, des savoir-faire, un savoir être – en un mot : une éthique – qui leur sont très précieux lorsqu’ils basculent dans la vie civile après des contrats d’une durée de quatre à dix-sept ans. L’armée de l’air et de l’espace est aussi l’une des plus féminisées au monde, puisque 24 % de nos aviateurs sont des aviatrices. Tous nos métiers sont, bien entendu, féminisés, et il n’existe évidemment aucun frein au recrutement de jeunes femmes.

 

L’armée de l’air et de l’espace a connu, lors de la précédente LPM, ou loi de programmation militaire, une déflation de 30 % de son personnel. Pour atteindre ces objectifs, nous avons accompli un effort considérable de réorganisation et de rationalisation, parfois d’externalisation de certaines fonctions. Il faut toutefois convenir que cet effort a été excessif et qu’il est aujourd’hui impératif de rééquilibrer le modèle. Ainsi, la LPM en cours prévoit d’augmenter nos effectifs de 900 personnes entre 2023 et 2025 pour pouvoir honorer nos missions actuelles avec l’efficacité que nos concitoyens attendent. Ces 900 effectifs représentent trois quarts des augmentations des effectifs air prévus sur l’ensemble de la LPM. Une révision à la baisse de ces objectifs ne serait pas soutenable.

 

Nous sommes enracinés sur les bases aériennes, notre outil de combat. Depuis 1996, nous en avons fermé une par an. Aujourd’hui, notre maillage territorial se compose de vingt-sept bases aériennes en métropole, quatre sites outre-mer ou à l’étranger et trois bases aériennes projetées en Jordanie, au Tchad et au Niger.

 

L’armée de l’air et de l’espace possède, à cet égard, une particularité importante qu’il faut garder à l’esprit, puisqu’elle entraîne de nombreuses conséquences : nous opérons au quotidien depuis nos bases aériennes. Autrement dit, une base aérienne n’est pas seulement le lieu où s’entraînent et où stationnent nos unités en attendant d’être déployées : les bases aériennes sont des outils de combat, actives en permanence, tout simplement parce que la notion de distance n’a pas la même signification pour les aviateurs. Vous pouvez ainsi vous réveiller le matin à Saint-Dizier, effectuer une mission à l’autre bout de la Méditerranée et être à nouveau le soir à Saint-Dizier, comme ce fut le cas lors du raid Hamilton, en avril 2018.

 

Les aviateurs sont tournés vers les opérations. Penser pour agir et agir pour être présent là où il le faut, pour garantir l’intérêt supérieur du pays, voilà ce qui nous anime, tous rangs confondus.

 

J’en viens donc aux missions de l’armée de l’air et de l’espace. Les deux missions permanentes et structurantes de l’armée de l’air et de l’espace sont, comme vous l’avez rappelé, Monsieur le président, la dissuasion nucléaire et la protection de l’espace aérien. L’armée de l’air rend compte au Président de la République, sous l’autorité du CEMA, pour la dissuasion, et directement au Premier ministre pour la défense aérienne. La maîtrise de ces deux missions fondamentales permet à l’armée de l’air et de l’espace d’être présente sur tout le spectre de la puissance aérienne, en particulier en matière d’intervention. Cela fait aussi de l’armée de l’air et de l’espace l’une des armées de l’air les plus opérationnelles au monde.

 

Depuis 1964, l’armée de l’air et de l’espace tient en permanence l’alerte nucléaire. La dissuasion nucléaire est avant tout une ambition nationale, dont l’objectif est de garantir la préservation des intérêts vitaux de la nation en faisant peser sur quiconque la menacerait l’éventualité de dommages inacceptables. En ce qui concerne les forces nucléaires, il convient de souligner l’importance de la complémentarité de leurs deux composantes permanentes : les forces aériennes stratégiques et la force océanique stratégique. Mettant en œuvre des moyens différents et utilisant des modes d’action complémentaires, elles permettent au Président de la République de mener un dialogue dissuasif visant à maîtriser l’escalade et à faire renoncer l’adversaire.

 

La composante aérienne, celle qui se voit, est spécifiquement chargée de l’aspect démonstratif que doit avoir toute stratégie de dissuasion pour fonctionner, tout en étant réversible. Cependant, les moyens affectés à la dissuasion nucléaire et aux missions conventionnelles sont largement mutualisés dans les contrats opérationnels, ce qui ne permettrait pas de mener les deux types de mission de front si nous devions nous engager dans un conflit de haute intensité. La démutualisation des contrats opérationnels doit donc être, vue de l’armée de l’air et de l’espace, l’un des axes de travail de la révision de l’Ambition opérationnelle 2030. Cette clé de voûte de notre stratégie de défense suppose de nombreux savoir-faire, dont la maîtrise de la mise en œuvre en toute sécurité et dans le respect absolu des directives du Président de la République n’est pas des moindres.

 

En ce qui concerne l’aspect purement aérien, l’enjeu est de savoir pénétrer chez l’adversaire avec un taux de succès suffisant, en dépit des défenses que celui-ci ne manquera pas de nous opposer. Ce savoir-faire représente le cœur de la puissance aérienne. Nous l’appelons : projection de puissance.

 

C’est parce que l’armée de l’air maîtrise depuis plus de cinquante-cinq ans cette capacité de projection et de pénétration qu’elle est capable aujourd’hui de mettre sur pied et d’exécuter des raids à long rayon d’action en espace aérien contesté. L’opération Hamilton contre des sites chimiques en Syrie en a offert une parfaite illustration en avril 2018. Là encore, la haute intensité est, d’une certaine manière, dans les gènes de l’armée de l’air et de l’espace. Aujourd’hui, le raid nucléaire, composé de Rafale biplaces équipés de missiles ASMPA, ou air-sol moyenne portée améliorés, et de ravitailleurs A330-MRTT, qui remplacent progressivement les vaillants C-135 acquis en 1962. Autour de ce raid, c’est, bien entendu, toute l’armée de l’air qui part au combat, avec ses AWACS et ses chasseurs d’escorte.

 

La défense aérienne du territoire national est la seconde mission permanente de l’armée de l’air. Sous l’autorité du Premier ministre, le commandant de la défense aérienne et des opérations aériennes dispose d’un réseau de surveillance radar couvrant l’intégralité du territoire métropolitain, qui lui permet de faire décoller sous très bref préavis des chasseurs, ou des hélicoptères lorsque la cible est plus lente que 200 kilomètres à l’heure, capables d’intercepter et, le cas échéant, d’arraisonner un potentiel intrus, voire, à l’extrême, d’engager le combat.

 

Maîtriser la défense aérienne confère à l’armée de l’air les compétences requises en matière de combat aérien, y compris dans un scénario de haute intensité. Le reste est principalement une question de nombre – j’y reviendrai.

 

Aujourd’hui, la défense aérienne du territoire est assurée par des plots de chasseurs Mirage 2000-5 ou Rafale, capables de ravitailler en vol si la situation l’exige.

 

De ces deux missions permanentes découlent les autres capacités de l’armée de l’air et de l’espace. Il faut, bien sûr, mentionner la capacité à protéger des sites sensibles et des événements majeurs, comme la Coupe du monde de rugby en septembre 2023, les Jeux olympiques en 2024 et les sommets politiques, ainsi que la surveillance de l’espace exo-atmosphérique ou la participation aux missions de l’État dans l’air, comme la recherche et le sauvetage, ou la lutte contre l’orpaillage clandestin en Guyane.

 

L’armée de l’air et de l’espace garantit la mobilité de nos armées grâce à la projection de forces, qu’il nous faut actuellement renforcer après quelques années difficiles pour l’aviation de transport. Aussi l’intervention, après la défense aérienne et la dissuasion, est-elle la troisième mission primordiale de l’armée de l’espace. On peut y ajouter la connaissance et l’anticipation, qui proviennent largement des moyens aériens dans nos opérations actuelles, notamment les drones MALE – moyenne altitude longue endurance – Reaper au Sahel, ainsi que la prévention, qui contribue à la mission donnée par le CEMA de gagner la guerre avant la guerre.

Par sa présence démonstrative dans les espaces stratégiques, l’armée de l’air et de l’espace manifeste la détermination de notre pays à défendre ses intérêts et la libre circulation aérienne dans les espaces internationaux, comme ce sera le cas cet été avec le déploiement Pégase en Indopacifique.

 

L’arme aérienne, c’est la réactivité, l’allonge, la précision, la réversibilité et la maîtrise des effets. C’est pourquoi elle est, par essence, une arme employée par l’autorité politique pour manifester sa détermination et agir au plus vite dans une crise. Oui, notre arme est plus que jamais l’indispensable bras armé d’une efficacité politique respectée partout où les circonstances l’exigent, dans le temps et dans l’espace. La France est, dans ce domaine, l’une des rares nations capables d’entrer en premier sur un théâtre d’opérations, élément clé pour répondre aux défis lancés par la haute intensité qui est de retour dans notre paysage géostratégique.

 

Je terminerai cette présentation par quelques mots sur les matériels. En 2022, nous mettons en œuvre 195 avions de chasse, 112 avions de transport tactique et stratégique, 77 hélicoptères, 12 drones MALE, 9 satellites et des capacités de renseignement, en particulier d’origine électromagnétique, essentiels pour le combat moderne. Je reviendrai, dans ma dernière partie, sur les défis liés à ce format que l’on peut qualifier de restreint.

 

J’en viens à la situation générale de sécurité. La guerre en Ukraine prouve que l’Europe est encore plus directement menacée qu’on ne le pensait. Les rivalités de puissance, les contradictions d’intérêts et les incompatibilités idéologiques sont des faits. Nous vivons dans un monde complexe et instable. Nous devons envisager des situations plus dures et nous y préparer. L’objectif fixé par le chef d’état-major des armées est, à cet égard, clair : il s’agit d’être suffisamment forts pour gagner avant que la situation ne dégénère et, pour cela, être prêts à nous engager dans un conflit de haute intensité aux côtés de nos alliés, mais en conservant notre autonomie d’appréciation et d’action.

 

Dans le domaine aérospatial, cette évolution du contexte de sécurité se déroule sur fond de congestion des espaces aériens et spatial. Il y a en France 14 000 mouvements aériens par jour, le nombre de drones est passé de 400 000 en 2017 à 2,5 millions en 2021, le trafic spatial est en augmentation accélérée par la démocratisation de l’accès à l’espace, associé au New Space. Aujourd’hui, on compte par exemple 6 000 satellites actifs, au milieu d’un million de débris de plus d’un centimètre. Agir dans et depuis l’air ou l’espace est déjà complexe et très technique, et le deviendra encore plus. Nous ne pouvons pas baisser la garde en matière de technicité et de technologie.

 

Sur cet arrière-plan, le durcissement de la conflictualité se traduit par un défi portant sur l’accès aux espaces aérien et spatial. Là où, auparavant, la supériorité aérienne nous était acquise presque d’emblée, comme au Sahel ou au Levant, nous avons désormais affaire à une contestation par la puissance aérienne du pauvre, voire à des postures de déni d’accès dans l’espace méditerranéen ou baltique. Au cours des dix dernières années, ce ne sont pas moins de 98 chasseurs, 24 avions de transport tactique, 60 hélicoptères et 335 drones qui ont été abattus aux marches de l’Europe, bien avant l’invasion de l’Ukraine, qui est venue confirmer le retour des combats pour la supériorité aérienne.

 

L’attrition fait désormais partie de l’équation, car la supériorité aérienne occidentale, que nous prenions pour acquise, est aujourd’hui clairement contestée. Étant donné notre format, la question de conduire nos opérations conventionnelles tout en assurant la posture de dissuasion prend un sens nouveau : quand faudra-t-il choisir entre la protection des intérêts vitaux de la nation, l’intégrité de son espace aérien et la poursuite du combat conventionnel ?

 

Les conflits de haute intensité portent en effet des enjeux qui amènent rapidement au dialogue de dissuasion et la mutualisation de nos moyens, acceptable depuis trente ans, doit évoluer pour laisser au Président de la République les leviers de son action politique. Notre liberté de circulation elle-même est contestée, avec des impacts importants sur les flux économiques et commerciaux. Les stratégies auxquelles nous avons affaire aujourd’hui présente une combinaison de moyens low-cost – mini-drones, systèmes sol-air portatifs, brouillage GPS – et de très haute technologie. L’apparition des missiles hypersoniques et de systèmes balistiques manœuvrants, l’emploi de satellites dans des opérations spatiales militaires de plus en plus élaborées et l’emploi de lasers ou de tirs antisatellites sont des illustrations d’un monde militaire qui a repris sa course en avant.

 

Enfin, les conflits du XXIe siècle sont globalisés, privatisés et médiatisés, avec une féroce bataille des récits. Nous faisons face à des manipulations croissantes de l’information sur les réseaux sociaux, qui peuvent avoir un impact considérable sur nos opérations. Si ce phénomène n’est pas nouveau en soi, il est décuplé par Internet. Face à ce danger accru de perdre la guerre malgré la victoire sur le champ de bataille, nous devons impérativement renforcer nos capacités cyber et d’influence sur nos compétiteurs et alliés.

 

La vision portée par le chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace, dans la ligne de la vision stratégique du CEMA, consiste à préparer une armée de l’air et de l’espace audacieuse ouverte, connectée et centrée sur ses aviateurs. L’objectif doit être de proposer au CEMA et au Président de la République des éléments décisifs dans la troisième dimension, élargie à l’espace. Le slogan qui traduit cette vision pour vaincre par la 3D est : « décourager, défendre et défaire ». C’est une réponse en miroir au triptyque « compétition, contestation, affrontement » du général Burkhard.

 

Décourager un compétiteur dans sa volonté de menacer la France, cela inclut évidemment la dissuasion, pour laquelle la recherche d’une crédibilité permanente reste le moteur essentiel, mais cela passe également par l’affirmation de notre détermination et de notre liberté de manœuvre dans la troisième dimension.

 

Défendre et protéger nos concitoyens partout où ils se trouvent. Outre la posture permanente de sûreté, notre capacité d’intervention se fonde sur notre faculté à apprécier la situation et sur notre mobilité aérienne, ce qui inclut aussi la projection de forces et de puissance. Il faut, à cet égard, saluer l’effort de la LPM en cours en matière d’aviation de transport, qu’il s’agisse de l’A400M ou du MRTT. Il faut poursuivre, ainsi que le lancement de notre stratégie spatiale de défense.

 

Défaire tout ennemi qui userait de la force, y compris dans un scénario de haute intensité, dans un conflit majeur interarmées ou interalliés. Si la haute intensité a toujours été le cœur de l’armée de l’air et de l’espace, au même titre que l’interopérabilité, des scénarios prévisibles actuellement doivent intégrer une hypothèse d’attrition et de consommation importantes des munitions.

 

Une fois l’horizon tracé et les ambitions fixées, des priorités doivent être tirées en tenant compte des réalités du terrain, y compris budgétaires. Le projet porté par le général Mille est centré sur les aviateurs. Il est donc naturel que je commence par évoquer les priorités en matière de ressources humaines. La première de ces priorités consiste à retrouver un effectif suffisant pour remplir nos missions. Il y a là, bien sûr, un aspect de programmation financière, mais il faut également recruter et, surtout, fidéliser une génération dont les codes sont différents. Le plan DRHAA 4.0, de la Direction des ressources humaines de l’armée de l’air, cherche à adapter notre gestion aux attentes de notre population. Outre la quantité, il nous faut de nouveaux aviateurs et aviatrices possédant de très hautes compétences pour faire face aux enjeux de demain.

 

Les hommes et les femmes qui nous rejoignent partagent nos valeurs. Il nous revient de leur fournir la formation nécessaire. Nous devons, pour cela, renforcer les cadres intermédiaires, qui sont actuellement en nombre insuffisant. Certains métiers sont en tension et exigent une réflexion sur le modèle RH qui nous permettra de résoudre les problèmes de recrutement et de fidélisation.

 

Le troisième défi tient à la crise du covid, qui a durablement changé les attentes de nos personnels et certains modes de travail, qu’il faut généraliser lorsqu’ils sont pertinents.

L’armée de l’air et de l’espace n’usurpe pas sa réputation d’armée jeune. Jeune, elle l’est par l’histoire, mais également par l’état d’esprit, résolument moderne et flexible. Ces atouts, l’armée de l’air et de l’espace les met au service du lien armée-nation, qui participe directement à la construction d’une plus grande résilience dans la nation et au renforcement des forces morales. Les escadrilles Air Jeunesse, mises sur pied récemment par le général Lavigne, sont une initiative très prometteuse dans un domaine qui se trouve au cœur des préoccupations du CEMA.

 

Par ailleurs, le service national universel est un formidable outil de recrutement pour l’avenir, mais il nécessite un renforcement de nos capacités d’accueil et d’encadrement.

 

Le deuxième sujet que j’ai effleuré doit être la recherche du bon équilibre entre quantité et qualité du matériel, en tirant toutes les leçons des engagements en courus, en particulier de la guerre en Ukraine. Tout d’abord, il nous faut absolument affermir la commande des douze Rafale cédés à la Croatie par une commande plus globale prévue en 2023, qui portait sur trente appareils et qu’il convient de porter à quarante-deux Rafale Air, qui seront livrés entre 2027 et 2030. Je précise que l’armée de l’air et de l’espace n’a pris livraison d’aucun avion de chasse depuis 2018.

 

Cette augmentation du parc Rafale en remplacement des Mirage 2000 devra cependant s’accompagner d’un effort significatif en faveur des stocks de missiles air-air et air-sol, ainsi que pour les équipements dits optionnels qui permettent au Rafale de remplir ses missions en termes de combativité et de survivabilité – radars, pods de désignation laser et acquisition de la capacité de suppression des défenses aériennes ennemies.

 

Au-delà de la remise à niveau du format, il conviendra de développer des incréments technologiques pour améliorer notre capacité au combat collaboratif, déjà esquissée par le standard F3R du Rafale et le missile Meteor. Nous devons également nous engager rapidement dans l’hypervélocité, dans un premier temps au profit de la dissuasion avec le missile ASN4G, ou air-sol nucléaire de quatrième génération.

La numérisation des opérations et l’intégration du spatial dans le combat multi-milieux et multi-champs sont également des chantiers sur lesquels nous avons entamé des travaux et qu’il nous faut accélérer pour ne pas être relégués en seconde division avec l’arrivée massive du F-35 en Europe.

 

L’acquisition de capacités n’est pas la fin du chemin : il faut encore savoir maintenir le matériel en condition opérationnelle. Des chantiers ouverts dans le domaine de la maintenance par des contrats « verticalisés » porteront leurs fruits dans le long terme. Il faut cependant rester vigilants quant à l’équilibre final. La place de l’opérationnel reste essentielle dans le MCO, le maintien en condition opérationnelle, pour pouvoir maintenir un bon niveau de disponibilité en toutes circonstances, par exemple pendant la crise du covid, et de conserver les savoir-faire fondamentaux pour agir en toute souveraineté.

 

Dans le domaine capacitaire, le soutien aux exportations, qui fait partie des missions de l’armée de l’air comme acteur de premier plan d’une France puissance aérospatiale, est très dimensionnant sur tout le spectre de nos activités. Le succès du Rafale à l’export est avant tout un succès collectif, dans lequel l’armée l’air et de l’espace a toute sa part. Il nous faut toutefois rester attentifs au risque d’éviction sur nos propres missions et opérations.

 

Enfin, l’armée de l’air et de l’espace doit être ouverte, agile et connectée. Il est naturel, pour un aviateur, de penser effet militaire, interarmées, interalliés, interministériel. Il nous faut continuer à travailler sans relâche dans cette direction, en pensant en particulier à des matériels interopérables et polyvalents. La Boussole stratégique de l’Union européenne représente à ce titre une avancée importante pour garantir notre liberté d’action dans les espaces aériens et agir de concert en matière d’assistance aérienne. L’armée de l’air et de l’espace a réuni récemment les chefs d’état-major des armées européennes et des représentants des institutions européennes pour travailler ensemble sur ces questions d’interopérabilité et de complémentarité. Notre appartenance à l’OTAN et à l’Union européenne doit se traduire en opportunité : celle d’éviter la duplication et de différencier les capacités de l’une et de l’autre selon la nature et la zone des conflits.

 

La coordination interministérielle, enfin, est une question centrale. Elle doit nous permettre d’utiliser à bon escient toutes les ressources de l’État pour atteindre des effets qui, en matière de sécurité et de défense, ne peuvent pas être exclusivement militaires. Cela exige une organisation. Dans le domaine aérien, cette organisation pourrait reposer sur le concept d’action de l’État dans l’air, qui conférera aux acteurs du domaine une autorité fédératrice, seule susceptible d’atteindre in fine les objectifs recherchés.

 

En conclusion, les défis sont nombreux, et le contexte sécuritaire et les attentes des Français nous obligent. Nous avons un atout majeur : les hommes et femmes qui servent dans nos forces. Je le crois très sincèrement, car ils sont habités par un état d’esprit incroyable. Grâce à eux, à leur dévouement et à leur professionnalisme, l’armée de l’air et de l’espace est toujours au rendez-vous des opérations, comme vous l’avez dit, Monsieur le président.

 

Toutefois, je tiens à insister sur cet atout que représente l’armée de l’air et de l’espace pour la France puissance aérospatiale. Elle est notre héritage mais, si nous sommes des héritiers, nous n’en sommes pas pour autant des rentiers. Les circonstances du PLF 2023 et de la prochaine loi de programmation militaire font que nous avons beaucoup de choses à partager à ce moment précis.

Vous serez toujours les bienvenus sur nos bases aériennes pour toucher du doigt la réalité du terrain. En avant-goût de ces visites et avant de répondre à vos questions, je vous propose de visionner un petit film préparé par le SIRPA, le Service d’information et de relations publiques des armées, qui illustrera nos propos. Je souhaite qu’il accompagne notre réflexion commune qui, outre l’indispensable prégnance de l’outil technique que je viens d’exposer, invite chacun d’entre nous au respect des femmes et des hommes qui le servent en allant toujours plus loin.

 

La commission assiste à la projection d’une vidéo.

 

Mme Anne Genetet. Je salue votre effort de communication ; certains ministères régaliens pourraient largement s’en inspirer. Je salue également l’engagement de nos forces, à tout niveau. Nous avons pris bonne note des besoins et je ne doute pas que nous pourrons répondre à nombre de vos attentes lors des débats sur la prochaine loi de programmation militaire (LPM).

 

Le Président de la République a inclus la dimension spatiale dans vos attributions en 2020. Le choix n’est pas neutre – les Américains l’ont fait dès 2019, le Royaume-Uni fin 2021. Le concept de space force – j’espère que vous me pardonnerez cet anglicisme –, composante à part entière des forces armées, n’est pas une création américaine puisqu’il a été formalisé dès 2009 en Chine, pays qui se trouve dans ma circonscription. Ce concept recouvre des enjeux commerciaux, environnementaux et de défense. Quels points saillants ressortent de vos échanges avec vos homologues américains, britanniques, voire chinois ?

 

À l’automne dernier, les Russes ont lancé un missile afin – ont-ils dit – de détruire un de leurs satellites. L’information a été peu relayée. Pourtant, elle me semble essentielle dans le contexte actuel.

 

Dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire, quels chantiers vous semblent prioritaires en matière de défense spatiale ?

 

Enfin, compte tenu du lancement d’un nombre croissant de satellites – et des conséquences de l’exercice russe susmentionné –, comment traiter les déchets spatiaux ?

 

M. Frank Giletti. Dans votre propos, on mesure l’effort que la nation doit faire pour maintenir ses capacités. Ces dernières années, au même titre que l’air, la mer et la terre, l’espace est devenu un lieu stratégique lors des conflits, comme l’a illustré l’espionnage du satellite Athena-Fidus par un satellite russe en 2018, le test de tir antisatellite russe en novembre 2021 ou l’attaque cyber russe contre un satellite KA-SAT le premier jour de la guerre en Ukraine.

 

Comment l’armée de l’air et de l’espace se prépare-t-elle face aux menaces cyber et cinétiques, qui mettent en exergue la vulnérabilité de nos satellites, alors que ceux-ci sont essentiels pour les armées et la nation ? Où en est le développement du programme à effet majeur Action et résilience spatiale (ARES), qui doit doter les forces de moyens d’action offensifs dans l’espace face à nos compétiteurs ? Le démonstrateur patrouilleur YODA – pour yeux en orbite pour un démonstrateur agile – sera-t-il prêt en 2023, comme initialement prévu ? Enfin, travaillez-vous sur des programmes plus offensifs pour nous protéger ?

 

M. François Piquemal. Starlink d’Elon Musk, Blue Origin de Jeff Bezos, ces projets de privatisation de l’espace interpellent. Des astronautes sont d’ailleurs montés au créneau et ont envoyé un courrier au comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique, ou committee on the peaceful uses of outer space (COPUOS) de l’ONU pour demander le soutien de la France face à ces initiatives. Mais ils n’ont reçu aucun soutien des puissances spatiales.

 

De telles initiatives privées posent aussi des problèmes pour l’observation spatiale et les missions scientifiques, à cause de la lumière et des fréquences radios qu’elles génèrent. Ces milliardaires envoient des satellites comme bon leur semble et obtiennent les autorisations nécessaires de leur gouvernement, mais pas forcément celle des autres, alors qu’ils survolent la planète.

 

Depuis 1958, la France a envoyé 90 satellites dans l’espace. Or, en 2018, la Commission fédérale des communications des États-Unis avait autorisé Starlink à envoyer 4 425 satellites, pouvant survoler n’importe quelle zone – même si la société a été privée de ses fréquences radioélectriques en France.

 

Que fera-t-on si des puissances comme la Russie ou la Chine décident d’en faire autant, sans écouter personne ? Cela ne serait-il pas problématique ? Pourrait-on réagir ? Comment un acteur de l’espace peut-il décider seul de lancer ces objets, nuisibles pour tout le monde ? La France plaidera-t-elle pour la relance des négociations internationales afin de compléter le traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, dit traité de l’espace, de 1967 et afin de réglementer l’accès au ciel et à l’espace ?

 

La France vient de signer les accords Artemis qui renforcent la conquête et l’appropriation spatiales, au détriment de l’exploration. Est-ce la ligne que vous avez choisie ?

 

Mme Nathalie Serre. Si ce que nous avons entendu et vu en juin au dernier salon aéronautique ILA à Berlin est avéré, le système de combat aérien du futur (SCAF) bat un peu de l’aile – on mettrait en avant certains industriels, au détriment d’autres. Selon M. Éric Trappier, patron de Dassault, le projet ne sera pas opérationnel avant 2050. Bien sûr, ce n’est pas à vous de vous prononcer sur les aspects politiques de ce projet mais, d’un point de vue capacitaire, est-il toujours intéressant ou devrions-nous revoir notre copie et nous rabattre sur du matériel opérationnel beaucoup plus vite ?

 

M. Jean-Pierre Cubertafon. La décision de retirer du service les deux Transall C-160G Gabriel de l’escadron électronique aéroporté Dunkerque, sans attendre l’arrivée des trois Falcon Archange, prive l’armée de l’air et de l’espace et, par extension, la direction du renseignement militaire (DRM), d’une capacité importante en matière de guerre électronique.

 

Désormais, la capacité de guerre électronique de l’armée de l’air et de l’espace repose uniquement sur les nacelles emportées par les Mirage 2000D, la suite ESM – pour Electronic Support Measure ou mesures de soutien électronique – des quatre Boeing E-3F AWACS – pour Airborne Warning And Control System ou système de détection et de commandement aéroporté – et sur les deux avions légers de surveillance et de renseignement (ALSR) Vador – pour vecteur aéroporté de désignation, d’observation et de reconnaissance.

Ce retrait interpelle à l’heure où nos capacités en matière de guerre électronique sont primordiales. Il pose également la question du maintien des savoir-faire des aviateurs de l’escadron 1/54 Dunkerque d’ici à l’arrivée du premier des trois Falcon Archange.

 

Quelle solution intérimaire est à l’étude ? La presse fait état d’un projet de location d’avions dotés d’une capacité de renseignement d’origine électro-magnétique (ROEM). Qu’en est-il ? Quel type d’avion sera retenu ?

 

Mme Isabelle Santiago. Le SCAF est un projet européen extrêmement important. Le calendrier initial, qui prévoyait un premier vol de démonstration fin 2026 et les premières livraisons en 2040, semble remis en question. Les mois de retard s’accumulent et les discussions n’avancent plus.

 

Pourtant, ce projet est d’autant plus opportun que les événements récents, notamment le conflit en Ukraine, ont mis en lumière la nécessité de l’autonomie stratégique européenne et du développement de l’Europe de la défense.

 

Des avancées sont-elles possibles ? Quelle est votre doctrine ? C’est aussi l’occasion pour la France de se positionner au niveau industriel et militaire, notamment en termes d’innovations, alors que la géopolitique de défense européenne est en pleine évolution, et que nos alliés développent de nouvelles stratégies. Une nouvelle course aux armements est lancée. Les industriels pourront-ils faire face à toutes les demandes ? Ainsi l’Allemagne envisage-t-elle d’investir plus de 100 milliards d’euros dans sa défense et la Grande-Bretagne et l’Italie, qui s’appuiera sur des avions F35, ont-ils lancé le projet Tempest.

 

Le SCAF est-il au point mort ? Avez-vous imaginé des alternatives ? Comment développer plus rapidement la sixième génération d’avions ?

 

M. Jean-Charles Larsonneur. Au salon aéronautique de Farnborough, Boris Johnson a annoncé que le Japon et le Royaume-Uni allaient fusionner leurs programmes, Tempest britannique et FX Fighter japonais, de recherche sur l’avion de combat du futur. Un démonstrateur pourrait voler dans cinq ans et la mise en service de Tempest est envisagée à l’horizon 2035. Peut-être s’agit-il de communication, mais force est de constater que, de notre côté, le SCAF piétine. Le président-directeur général de Dassault, Éric Trappier, espère au mieux un premier standard pour 2040, après avoir évoqué fin juin un potentiel « plan B ».

 

Nous ne devons pas relâcher nos efforts sur le prochain standard du Rafale. Si l’appareil est arrivé à maturité, son évolution se poursuit de manière incrémentale : le standard F4-1 doit être qualifié en décembre et 267 millions d’euros de crédits de paiement y sont affectés dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2022. Pour autant, il ne faut pas négliger l’après. À l’horizon 2035, ce standard pourrait être obsolète. Or le Rafale devrait demeurer le seul vecteur de la dissuasion nucléaire aéroportée jusqu’en 2050 puisque l’ASN-4G est attendu à l’horizon 2035.

 

Pour la prochaine programmation, n’est-il pas temps de commencer à réfléchir à la définition d’un standard F5, avec une ligne budgétaire dédiée ?

 

M. Fabien Roussel. Notre atout majeur, c’est le dévouement des soldats, ces hommes et femmes qui s’engagent, mais aussi de ceux qui, dans l’industrie, produisent nos moyens de défense. Les ateliers industriels de l’aéronautique (AIA), et les compétences des ingénieurs, ouvriers d’État et cadres de l’industrie de défense comptent aussi dans le maintien de notre souveraineté.

 

Avez-vous – et nous donnons-nous – tous les moyens de conserver ces compétences ? Les menaces sur l’emploi sont avérées à ArianeGroup. Nous ne pouvons que le déplorer d’autant que les cascades de sous-traitants pourraient menacer la sécurité des forces armées – la direction d’ArianeGroup a constaté des milliers de non-conformités entre 2017 et 2020. La situation est identique chez Thales.

 

Nous avons besoin de sauvegarder notre souveraineté industrielle et de maîtriser totalement les technologies nouvelles dont vous avez parlé. Avec l’OTAN, nous sommes souvent dépendants de technologies maîtrisées par les Américains. Mettons-nous suffisamment de moyens dans la recherche et la formation pour être souverains ?

 

M. Christophe Naegelen. Comment se passe la mutation de la base aérienne (BA) 116 de Luxeuil ?

 

Quelle part de votre budget est allouée à l’espace ?

 

Vous avez évoqué le recrutement de 900 personnes à très court terme : quels sont leurs profils et quelles seront les affectations de ces nouveaux personnels ?

 

M. le général Frédéric Parisot. Vous m’avez interrogé sur la mise en œuvre du commandement de l’espace. Vous avez raison, même si certains nous ont précédés, nous faisons malgré tout office de précurseur et beaucoup, comme les Britanniques ou les Espagnols, envient notre organisation. Aujourd’hui, à Nouméa, j’ai eu la chance de rencontrer mon homologue australien et c’est l’un des sujets dont nous avons parlé. En 2024, un officier de liaison australien sera d’ailleurs inséré au sein du commandement de l’espace à Toulouse.

 

Quels points saillants évoquons-nous avec nos homologues ? Tout d’abord, les opérations : lorsque la Russie est entrée en Ukraine, les contacts entre les « patrons de l’espace », si vous me permettez l’expression, ont été immédiats. Il s’agissait de faire un point sur nos capacités, et la menace, les Russes étant actifs dans l’espace. Certains satellites dérivaient et nous nous interrogions tous sur leur destination. Nous partageons également nos informations de surveillance de l’espace, sujet majeur. Enfin, nous discutons des projets futurs et de nos besoins opérationnels.

 

Quelles sont les priorités de la LPM 2019-2025 ? L’espace est plutôt bien doté puisque, au total, 5,3 milliards d’euros sont prévus, dont 500 millions d’euros pour les études amont au sein du programme 144, 4,5 milliards pour le programme 146 Équipement des forces. En outre, 300 millions d’euros sont affectés aux services spatiaux et à l’infrastructure, directement du ressort de l’armée de l’air et de l’espace. Le budget, dual, du Centre national d’études spatiales (CNES) – programme 191 – est doté de 800 millions d’euros. En loi de finances pour 2022, environ 650 millions d’euros ont été dépensés dans le domaine spatial.

 

Quel est le retour d’expérience dans le domaine spatial suite à l’agression de l’Ukraine ? Nous nous sommes rendu compte de besoins importants en matière de surveillance de l’espace. Ainsi, le tir antisatellite russe du 15 novembre 2021, que vous avez évoqué, a créé plus de 25 000 débris, certes non conflictuels avec nos moyens ou la Station spatiale internationale, mais qu’il faut surveiller au fur et à mesure de leur descente dans le haut de l’atmosphère puisqu’ils vont rester dans l’espace pendant vingt-cinq ans.

 

Nous avons également constaté la nécessité de revisite – l’importance de disposer, régulièrement, de bonnes images. C’est d’ailleurs l’objectif d’IRIS, le successeur des satellites CSO. Nous y prêtons également attention dans le cadre des achats de capacités plus classiques.

L’importance des constellations et de connectivités sécurisées est, en outre, apparue à cette occasion. Le projet de l’Union européenne nous paraît, à cet égard, intéressant car il réduit la latence – le temps qui s’écoule entre la demande et la réponse.

 

Enfin, le brouillage GPS, ce qu’on appelle le Navigation Warfare (NAVWAR), permet de caractériser les menaces et de savoir si les GPS ou Galileo dérivent, et de s’en prémunir.

 

Ces priorités resteront les mêmes pour la prochaine LPM.

 

Du fait du conflit ukrainien, les lanceurs Soyouz ne sont plus disponibles sur le site de Kourou. Le lancement du satellite CSO3 a donc été décalé d’un an. En conséquence, le lancement de son successeur, IRIS, sera probablement également décalé d’un an. Nous le subissons, ou en profitons peut-être pour étaler nos dépenses et nos capacités.

 

Vous m’avez également interrogé sur la menace cyber. Nous sommes évidemment vulnérables, mais c’est le lot commun de tout notre matériel, et nous l’avons pris en compte. Le commandement cyber étant interarmées, nous échangeons en permanence pour mettre en œuvre des actions de prévention, mais aussi pour nous protéger de nos adversaires. Comme les banques, ou d’autres institutions, nous sommes attaqués en permanence mais notre défense est assez solide. Pour autant, il nous faut investir, notamment au niveau tactique, sur des moyens offensifs pour entrer dans le multimilieux multichamps, afin de combiner des actions dans différents milieux pour obtenir l’effet militaire attendu.

 

Le programme ARES est toujours opérationnel et en phase de développement. Quant à YODA, il s’agit d’une expérimentation visant à s’approcher des satellites de nos compétiteurs. Nous prévoyions initialement un premier vol en 2023, mais il aura probablement lieu en 2024 car nous sommes dépendants du porteur et du lancement du satellite qui va amener la charge utile à destination.

 

Vous m’interrogez sur la réglementation relative aux constellations et sur le nombre d’objets en vol. Le sujet nous concerne car, plus on a d’objets en vol, plus il y a des risques de collision, et donc de débris et de réactions en chaîne, mais la réglementation est du ressort des institutions internationales et, par conséquent, le dossier du ressort du ministère des affaires étrangères. Nous faisons simplement office de conseiller opérationnel. À ma connaissance, la France n’a engagé aucune action majeure pour limiter les constellations ou pour s’opposer à ces lancements. Au contraire, ces dernières nous intéressent car elles permettent la revisite d’images ou d’écoutes et améliorent également la connectivité – avec un plus grand nombre de satellites en vol, la connectivité est permanente et les temps de réaction réduits.

 

Vous avez été nombreux à m’interpeller sur le SCAF, projet porté par la France, l’Allemagne et l’Espagne. Les trois chefs d’état-major des armées de l’air concernées se sont entendus depuis longtemps sur le besoin et l’échéance : en 2040, le besoin est avéré. Si la signature du contrat est retardée, effectivement, le démonstrateur prendra un peu de retard, mais il vaut peut-être mieux asseoir correctement les bases de la coopération, notamment au niveau industriel. Si le projet a un an de retard, ce ne sera pas la fin du monde.

 

Le SCAF, tel qu’envisagé, répond parfaitement aux besoins pour faire face à l’environnement stratégique tel qu’on l’imagine en 2040 – nous avons déjà une idée de la manière dont nos ennemis pourraient contraindre, par exemple, l’accès aux espaces aériens.

 

Nous sommes encore en phase exploratoire et d’affinage des différentes architectures. Je rappelle que le SCAF n’est pas juste un avion de combat ; c’est un système de systèmes, un avion de combat doté d’un combat cloud et d’objets, plus ou moins gros, les remote carriers. Nous analysons cinq architectures, pour ensuite passer à deux et, finalement, en choisir une qui sera développée. Le temps de la réflexion est donc important pour définir à la fois quantitativement et qualitativement le bon système : que peut-on se payer ? Combien d’appareils ? Combien de remote carriers ? Combien d’avions de combat ? D’un point de vue qualitatif, opérationnel, nous avons développé avec nos alliés allemands et espagnols ce que l’on appelle des vignettes – des missions type – sur lesquelles nous testons les différentes architectures pour vérifier si elles répondent aux besoins.

 

Enfin, viendra l’analyse des coûts car il n’est pas question de se retrouver avec un système inutile, doté de très peu d’avions de combat et de remote carriers, dont on ne se servirait quasiment jamais.

 

Il reste des discussions entre industriels. En outre, le Président de la République et son homologue allemand ont rediscuté du projet récemment. Les choses bougent donc mais, nous, armée de l’air et de l’espace, souhaitons une signature rapide pour nous lancer dans le développement de ce système qui répond aux besoins opérationnels. Je pense que nos homologues espagnols et allemands sont sur la même position.

 

Je ne connais pas le plan B à 100 %. Le savoir-faire de Dassault en matière d’avions de combat est incontestable. Néanmoins, tout seul, nous n’arriverons pas à faire la même chose qu’à trois, notamment en termes de moyens financiers – plus de 8 milliards d’euros sont sur la table pour le lancement de la phase 1B.

 

Le projet Tempest nous semble encore surtout un projet papier. Les Britanniques continuent à chercher des alliés, même après l’annonce du partenariat avec le Japon. Il y a quelques mois, ils disaient qu’ils n’avaient pas besoin de démonstrateur ; désormais, ils tiennent le discours inverse. Cela illustre bien que nous ne sommes pas complètement dans le faux.

 

Vous m’avez également interrogé sur les F-35, qui ont envahi l’Europe. En Allemagne, il s’agissait de remplacer les Tornado – ils ne sont donc pas concurrents du SCAF, qui sera opérationnel plus tard, en 2040, l’armée de l’air allemande nous l’a confirmé. Cela leur permet de remplir la mission nucléaire pour le compte de l’OTAN, sous le parapluie américain.

 

Reste à gérer l’interopérabilité. C’est d’ailleurs un sujet que j’ai évoqué avec mon homologue australien – ils ont commandé 72 F-35 et doivent y réfléchir avec nous.

Je le répète, l’intérêt du SCAF est clair : il est essentiel de mener ce projet à son terme car il ne s’agit pas d’un simple avion de combat, mais d’un avion doté d’un système de systèmes, qui devra d’ailleurs intégrer le Rafale, ce dernier restant en service jusqu’en 2070 ou 2075 et devant en conséquence continuer à évoluer. Le standard F4 est en cours de développement et nous travaillons déjà sur le standard F5, qui devra a minima intégrer l’ASN-4G pour la mission nucléaire.

 

Nous souhaiterions un standard F5 plus ambitieux qui pourrait constituer un terrain d’essai pour le SCAF. Il conviendrait donc qu’il soit capable d’emmener un équipier de type Loyal Wingman, mais aussi que le cockpit intègre de l’intelligence artificielle afin d’aider le pilote – comme R2D2 dans Star Wars. Nous voulons développer différents moyens de connectivité afin de faire, ensuite, les bons choix pour le SCAF. Le standard F5 est donc un standard majeur, probablement le dernier qui impliquera des modifications importantes de l’avion, les suivantes étant logicielles, liées à l’amélioration des capteurs et des liaisons de données avec son environnement.

 

Le Rafale doit continuer à évoluer. Lors de mes conférences, je parle régulièrement de standards F6 ou F7 car, si le F5 est déployé en 2035, il ne pourra durer jusqu’en 2075. La nouvelle définition productible F5 permettra ces développements ultérieurs.

 

Vous m’avez également interrogé sur la flotte Gabriel et le programme Archange. Je suis le responsable de l’arrêt des Transall Gabriel et je l’assume : dix Transall nous coûtaient plus de 80 millions d’euros par an, pour une disponibilité de 20 %. Plutôt que de faire des coupes ailleurs, j’ai choisi de les retirer du service.

 

Leurs capacités sont couvertes en partie par la nacelle ASTAC, l’AWACS et l’ALSR. En outre, le programme CERES – pour capacité de renseignement électromagnétique spatiale – nous permet de disposer très régulièrement de données, les satellites passant toutes les heures et demie au-dessus du même point. Le système est en phase d’installation – les premières données ayant été transmises à l’occasion de la crise ukrainienne. Il sera mature à la fin de l’été.

 

Parallèlement, nous nous sommes attachés au maintien du savoir-faire des équipes. Certains personnels ont été mutés sur ALSR, ce qui nous permet de bénéficier de leurs compétences en matière de Communications Intelligence (COMINT) – d’écoute des radios et des téléphones. D’autres – on les compte sur les doigts des deux mains – ont été affectés au centre d’expertise aérienne militaire (CEAM) au sein de l’équipe de marque Archange afin de faire le tuilage avec Archange, machine redoutable, lors de sa mise en service en 2026.

 

Enfin, vous l’avez rappelé, nous avons lancé un appel d’offres afin de disposer d’une capacité intérimaire. Il s’agirait d’un avion de type Saab 340, bimoteur turbopropulseur, afin de réaliser des missions de sept à huit heures. Ses capteurs de toute nouvelle génération nous donneront une capacité intérimaire très intéressante. Sa location nous permettra d’en changer rapidement auprès du prestataire si des capteurs de meilleure qualité arrivent sur le marché, ce qui est très important.

 

Vous m’avez interrogé sur les AIA. Nous travaillons en lien avec le service industriel de l’aéronautique (SIAé). Les ateliers sont particulièrement intéressants car ils nous permettent de bien connaître les vieilles flottes, de plus de trente ans – Alpha Jet, Mirage 2000 – tout en développant les capacités autour des flottes plus récentes. Ainsi, les plans de maintenance de l’Airbus A400M sont réalisés en grande partie par le SIAé, tout comme certaines maintenances des Rafale, notamment les rétrofits entre les standards F3-R et F4. Les compétences sont donc là et elles sont protégées par le plan de charge.

 

Je ne peux pas vous répondre concernant ArianeGroup car je n’ai pas de lien avec eux, mais la direction générale de l’armement (DGA), en charge, s’y intéresse particulièrement. Elle pourrait peut-être répondre à une question écrite si vous avez déjà auditionné son responsable.

 

Concernant les technologies nouvelles, un milliard d’euros sont alloués aux études amont. Nous sommes donc en pointe sur de nombreux sujets. S’agissant de la réglementation américaine sur le trafic d’armes au niveau international ou International Traffic in Arms Regulations (ITAR), nous essayons de réduire notre dépendance aux matériels américains. Nous devons nous assurer que les composants critiques de nos matériels de défense ne sont pas détenus par des nations non européennes. Pour autant, nous ne pouvons recréer des filières sur l’ensemble du spectre. Ainsi, les microprocesseurs sont uniquement produits aux États-Unis et ils ne coûtent que quelques euros.

 

M. Naegelen m’a interrogé sur Luxeuil. En 2019, la ministre avait annoncé que la base aérienne recevrait deux escadrons de Rafale au début de la décennie prochaine. Le plan n’a pas changé et la sixième tranche de Rafale, commandée en fin de décennie, permettra d’alimenter ces deux escadrons.

 

Quelle sera la ventilation des 900 postes ? Nous les orientons vers l’espace et le cyber, mais également vers le commandement et le contrôle (C2), notamment au Centre air de planification et de conduite des opérations (CAPCO) de Lyon, qui est un merveilleux outil que je vous invite à venir visiter. Il est essentiel d’investir dans le C2 pour pouvoir prendre la tête de coalitions en disposant de toutes les informations sur les opérations. Très peu de nations en Europe en sont capables.

 

Nous allons également diriger ces nouveaux effectifs vers des spécialités un peu trop élaguées au moment de la révision générale des politiques publiques (RGPP) : les commandos, la protection des bases aériennes et la lutte antidrone, qui devient une mission à part entière, tant pour protéger les grands événements que nos bases aériennes dont certaines sont survolées très régulièrement. Cela nous laisse à penser que les « agresseurs » sont bien renseignés, ou ont une bonne idée de ce qui se passe sur la base aérienne.

 

Mme Natalia Pouzyreff. La France a pris la responsabilité de nation-cadre dans la présence des forces de l’OTAN en Roumanie, avec pour mission de renforcer la posture de dissuasion et de défense sur le flanc Est de l’Europe. Quel rôle y joue l’armée de l’air, ainsi que dans les pays du flanc oriental ? Quel est votre retour d’expérience de ces opérations ? Quels enseignements en tirez-vous sur les besoins en systèmes de défense sol-air aux frontières de l’Europe ?

 

M. Bastien Lachaud. À la suite notamment de la vente de douze Rafale d’occasion à la Croatie, notre parc se situe au niveau de celui de 2016. Étant entendu que nous devons en acheter douze à l’horizon de 2027, quel sera le coût final de cette opération ? D’ici là, le contrat opérationnel de l’armée de l’air est-il en péril ?

L’épaississement que vous avez évoqué pour répondre aux défis géopolitiques et stratégiques est-il compatible avec le coût du SCAF à l’échéance de 2040-2050 ? Ne pourrait-on pas opter pour un système peut-être moins performant correspondant au « plan B » esquissé par Dassault Aviation ?

 

Mme Josy Poueyto. Les incendies en cours dans le sud du pays auront-ils des répercussions sur la base de Cazaux ?

 

Mme Corinne Vignon. Les secteurs aéronautique et spatial sont stratégiques. Airbus defence and space, direction générale de l’armement (DGA), Centre national d’études spatiales (CNES), ISAE-SUPAREO (Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace) et quantités de sous-traitants mais aussi le Commandement de l’espace (CDE) sont présents dans ma circonscription de Haute-Garonne. D’après les professionnels que j’ai rencontrés, l’investissement dans la filière spatiale est essentiel pour garantir notre avancée technologique et notre souveraineté mais, également, la dynamique de nos territoires et de nos bassins d’emploi.

 

L’Allemagne investit considérablement dans le développement de sa filière spatiale. La France a-t-elle les moyens de ses ambitions face à cet allié qui, par ailleurs, est dans ce domaine un concurrent d’envergure ?

 

Mme Valérie Bazin-Malgras. Depuis 1996, une base aérienne a fermé chaque année mais les effectifs demeurent-ils constants ? Avez-vous des difficultés pour recruter les 900 personnels supplémentaires prévus par la LPM et, si oui, pourquoi ? Les contrats militaires sont-ils au niveau des exigences de ces nouveaux publics ?

 

M. Yannick Chenevard. À vous entendre, nous pourrions être contraints de faire des choix. Il fut un temps où passer sous la barre des 300 appareils était considéré comme inacceptable, or, nous en avons aujourd’hui 195. Après une diminution continue pendant quarante ans, les budgets de la défense sont en augmentation depuis 2018 mais nous savons combien il faut du temps pour bâtir une défense dont les instruments sont de plus en plus complexes. Quels objectifs vous paraissent-ils atteignables ? Des complémentarités entre chasseurs et drones ont-elles été envisagées ? Enfin, quel est le délai entre la commande d’un Rafale et sa livraison ?

 

M. Frédéric Mathieu. De nombreux métiers, militaires et civils, sont en tension. D’importantes suppressions de postes sont intervenues en raison de la logique du « cœur de métier » et un problème d’attractivité se pose, notamment en raison de la concurrence exercée par les industriels de l’armement. Avez-vous des pistes pour améliorer l’attractivité des métiers du maintien en condition opérationnelle (MCO), voire, pour recréer des métiers, par exemple dans le corps des ouvriers de l’État ?

 

Quelle est la disponibilité technique opérationnelle des principaux parcs du système d’armes de l’armée de l’air ? Qu’est-il possible de faire, en particulier dans le cadre de la prochaine LPM, pour ceux qui sont les plus en tension et dont les DTO – rapport entre le nombre de matériels et les matériels en service – sont les plus faibles ?

 

M. Lionel Royer-Perreaut. Quelles sont les missions concernées par la réinternalisation ? Qu’en sera-t-il de la répartition des nouveaux recrutements entre officiers, sous-officiers, techniciens militaires et civils ?

 

Quelles sont les perspectives d’évolution de l’indice de traitement brut des militaires de l’armée de l’air ? Le logiciel Source Solde est-il plus efficace que son prédécesseur, Louvois ? Enfin, quel est le moral des troupes ?

 

M. Christophe Bex. Quels domaines sont concernés par l’externalisation des activités ? L’ouverture de 900 postes représente, grossièrement, 2 % des effectifs mais qu’en est-il du remplacement des personnels qui, chaque année, s’en vont ?

 

Le conflit en Ukraine, de haute intensité, sera sans doute amené à perdurer. Sur le long et le très long terme, quelles sont les capacités de nos forces armées de l’air et de l’espace ?

Enfin, qu’entendez-vous par « conflits privatisés » ?

 

M. le général Frédéric Parisot. Je pense, par exemple, au groupe Wagner, présent en République centrafricaine (RCA), au Mali, et qui l’a été en Syrie. Les organisations non étatiques disposant de moyens comparables à ceux des États doivent-elles être considérées comme combattantes ? Est-il possible d’engager des moyens militaires pour les neutraliser ?

 

S’agissant de l’Ukraine et de la frontière Est des pays de l’OTAN, je souligne que l’armée de l’air et de l’espace a mis moins de quatre heures, depuis Mont-de-Marsan et Istres, pour engager des Rafale et des MRTT. Une telle réactivité s’explique par une parfaite intégration avec l’OTAN grâce à des exercices quasiment annuels réalisés sur une grande échelle. C’est en l’occurrence le commandement aérien allié (AIRCOM) – la branche « Air » de l’OTAN en Europe – qui était à la manœuvre et a demandé à différentes nations de contribuer à l’installation d’une présence dissuasive le long des frontières Est de l’OTAN pour éviter que le conflit déborde.

 

Nous avons également la capacité, à l’instar de la MMF (Multinational MRTT fleet), de ravitailler des appareils en vol mais il n’en reste pas moins que le manque de ravitailleurs est un vrai problème pour l’OTAN, notamment, pour les forces aériennes européennes. Notre capacité MRTT (Multi Role Tanker Transport) repose sur quinze appareils ce qui correspond, grossièrement, aux besoins liés aux raids nucléaires – la sanctuarisation d’une telle capacité au profit du raid nucléaire interdirait toutefois les missions conventionnelles. J’ajoute que le MRTT est une formidable machine puisqu’il peut emporter 270 personnes à bord tout en ravitaillant des chasseurs.

 

Les missions des Rafale et des Mirage 2000-5, depuis Saint-Dizier, Mont-de-Marsan et l’Estonie, ont relevé de la présence aérienne mais aussi, jusqu’à la fin du mois de mai, avec le C-160 Gabriel, puis, avec des Mirage 2000D et un avion léger de surveillance et de reconnaissance (ALSR), du renseignement. Nous disposons aussi depuis peu d’un système MAMBA sol-air moyenne portée, déployé en Roumanie, qui est à même d’intercepter n’importe quel aéronef et dont le radar nous permet de voir ce qui se passe au-dessus de la Crimée et de la mer Noire.

 

Les principaux retours d’expérience concernent le nombre de chasseurs et de ravitailleurs nécessaires pour sanctuariser la dissuasion. Nos stocks, notamment de missiles air-air comme les MICA (missile d’interception, de combat et d’auto-défense) ou les METEOR ne sont pas à un niveau suffisant : nous arriverions le cas échéant assez rapidement à bout de chargeurs.

 

Nous utilisons principalement les drones dans un milieu permissif au-dessus du Sahel mais l’OTAN utilise des Reaper à proximité de l’Ukraine afin d’avoir des renseignements visuels et audio, avec des écoutes électromagnétiques. Le Reaper Block 5 disposera bientôt d’un pod de reconnaissance électromagnétique qui permettra de compléter notre panoplie.

La revisite, dans le domaine spatial, est un vrai problème.

 

Il importe de développer les capacités SEAD – suppression des défenses aériennes ennemies – abandonnées depuis la fin des années 1990 mais indispensables pour pénétrer les défenses aériennes russes du type S-300 et S-400. Pour cela, le programme Armement Air Sol Futur (AASF) doit être avancé.

 

Enfin, notre C2 (chaîne de commandement et de conduite) de Lyon est assez performant mais la connexion avec l’OTAN et nos alliés demeure essentielle pour être au cœur des opérations, voire, dans des cas spécifiques, à leur tête.

 

La vente d’avions d’occasion permet à certains pays d’avoir des Rafale et présente l’intérêt, pour nous, de contribuer à l’achat d’avions neufs, d’un standard supérieur. La différence de coût est analogue à celle d’un changement de véhicule pour un particulier. Nous avons ainsi vendu à la Grèce douze avions pour près de 400 millions d’euros et nous en avons acheté autant pour plus d’1 milliard. Le délai entre une commande et une livraison, pour un Rafale, est de trois ans, ce qui est relativement long en raison de la chaîne de sous-traitance – je pense en particulier aux premières pièces maîtresses de l’avion, en titane – qui ne peut pas être plus réactive. Sans doute l’« économie de guerre » dont a parlé le Président de la République suppose-t-elle de réfléchir à la confection en amont d’un certain nombre de pièces critiques afin d’accélérer la production.

 

Les conséquences de la légère baisse du format Rafale dans les deux années à venir concerneront moins les contrats opérationnels que les capacités d’entraînement des pilotes : cette année, 164 heures par pilote de chasse contre environ 147 heures pour les deux ans à venir. Notre potentiel technique est moindre puisque nous disposons de moins d’avions et que le nombre de pilotes est le même. La situation demeure toutefois acceptable, à condition que les avions des tranches dites « 4T2 », « 4T+ » et « 5T » soient livrés dans les temps.

 

Le choix d’un avion moins performant est une option mais il faut se demander si nous pourrions réaliser nos missions correctement. La première d’entre elles, la pénétration nucléaire, suppose de ne pas se heurter au premier mur de système de défense sol-air, ce qui implique d’avoir des avions suffisamment performants. Parmi les critères d’appréciation figureront forcément celui du coût à l’achat mais, aussi, de la maintenance.

 

Les métiers du MCO sont en tension, en particulier depuis le redémarrage spectaculaire des compagnies aériennes après la crise du covid. Nous pouvons proposer à ces personnels des missions qu’ils n’accompliraient pas ailleurs mais la question de leur fidélisation se pose et elle passe par la rémunération, laquelle dépend de la grille indiciaire et des primes. Des progrès ont été accomplis dans le domaine de la maintenance aéronautique avec l'indemnité de mise en œuvre et de maintenance des aéronefs (IMOMA), qui se situe entre 100 et 200 euros par mois pour les mécaniciens, les sous-officiers et les officiers. Il n’en reste pas moins que les moyens sont limités. Nous sommes intéressés par les « rejoyners », ces personnels – y compris des pilotes – qui intègrent l’armée de l’air pour se former et qui, après un détour par le civil, peuvent être réengagés, riches d’une expérience différente. Cela implique parfois une révision des statuts et quelques adaptations dans le recrutement – je songe par exemple aux limites d’âge –, autant de questions que nous soulèverons dans le cadre de la LPM. Nous avons besoin de souplesse !

 

Des ouvriers de l’État travaillent dans les Ateliers industriels de l’aéronautique (AIA) et cela se passe à mon sens plutôt bien. Le problème est de savoir jusqu’où nous pouvons dépendre du secteur civil. Lorsque nous contractualisons la disponibilité d’un avion en moins de six heures, nous devons néanmoins pouvoir disposer de militaires susceptibles de s’engager dès le déclenchement d’une crise, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, comme pour l’accomplissement de nos missions permanentes telles que la dissuasion ou la posture permanente de sûreté-Air. Il n’est pas question de réinternaliser des contrats mais nous voulons nous assurer qu’en cas de verticalisation – de contractualisation avec un industriel unique – nous puissions disposer d’une petite capacité de réaction immédiate et nous désolidariser d’un contrat forcément optimisé. Nous y travaillons avec la DMAé, la direction de la maintenance aéronautique.

 

S’agissant de l’indice de traitement, un travail important a été réalisé avec la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM). Par ailleurs, des discussions auront probablement lieu dans les prochains mois dans le cadre de la direction des ressources humaines du ministère de la défense (DRHMD).

 

En ce qui concerne Source Solde, aucun problème ne nous a été signalé.

 

Le moral, quant à lui, est très bon : grâce à la LPM en cours, des MRTT remplacent des C-135, des Rafale remplacent des Mirage 2000, des A400M remplacent des Transall. L’armée de l’air bouge, même si la situation n’est certes pas toujours facile à gérer en matière de ressources humaines, de formation, de qualification, d’infrastructures, etc. À cela s’ajoute, depuis 2019, la politique spatiale, ce qui contribue à la dynamique positive d’ensemble.

 

Un tel effort, si nous voulons un outil plus performant et plus optimisé, ne doit pas être interrompu par un étalement des différentes livraisons, ce qui supposerait de remplir nos missions à partir des vieux matériels : le C135 a été acquis en 1962 et le Transall en 1967 ; certains Mirage 2000 viennent d’être retirés après trente-cinq ans de service et d’autres iront jusqu’à quarante ans.

 

Lorsque je me suis engagé dans l’armée de l’air, il y a 36 ans, nous disposions de 750 avions de chasse mais ils étaient « mono-mission ». Un Rafale, en revanche, permet de remplir les missions de plusieurs appareils, quoiqu’il ne soit pas doué d’ubiquité : un plancher de 185 appareils est probablement trop bas ; sans doute faudrait-il tendre vers un plancher de 225 avions afin de pouvoir remplir sereinement nos missions.

 

Ce sont les flottes les plus anciennes qui sont les moins disponibles. À l’aéroport international de Nouméa, la Tontouta, nous avons de la chance lorsqu’un PUMA est disponible sur les trois dont nous disposons. Je rappelle que la moyenne d’âge de la flotte PUMA est de quarante-trois ans et celle du C-135, de presque soixante ans. Lorsque l’on dispose d’un très petit nombre d’avions, le MCO coûte relativement cher ; avec le Rafale, nous arrivons à un plancher et, avec le Transall, nous avons été obligés de maintenir un outil industriel et des compétences qui coûtent très cher. L’armée de l’air et de l’espace doit donc poursuivre sa modernisation. Le MRTT coûte moins cher que le C-135 alors que ses capacités sont démultipliées ; l’A400M, avec une charge offerte de 35 tonnes, coûte finalement moins cher qu’un Transall ou un C-130, dont la charge offerte est de 8 tonnes.

 

Les tensions du MCO portent principalement sur la flotte de PUMA, de C-130 H – la plupart des avions a 35 ans et deux en ont 45. L’armée de l’air et de l’espace soutient le projet européen FCTM (futur cargo tactique médian) – qui disposerait d’une vingtaine de tonnes de charge offerte – pour remplacer le C-130 et le CASA.

 

Nous avons en effet perdu dix-sept bases et les 17 000 personnes qui vont avec. Nous recrutons environ 3 500 à 4 000 personnels par an. Pendant la crise sanitaire, nous avons bénéficié, en quelque sorte, d’un effet d’aubaine avec une diminution des départs faute de débouchés dans le civil. Chaque métier de l’armée de l’air ayant un équivalent dans le civil, l’appel d’air, si j’ose dire, est important, et nous ne pouvons pas lutter contre les salaires proposés. Un sergent-chef, codeur à Mont-de-Marsan, gagne un peu moins de 2 000 euros par mois et triplerait du jour au lendemain son salaire dans le civil. En matière contractuelle, nous devrions être plus souples afin de pouvoir aller chercher des talents.

 

La base de Cazaux est mobilisée pour faire face aux incendies et la brigade des pompiers de l’air, qui y est installée, participe aux actions du service départemental d’incendie et de secours (SDIS 33). Nous avons également utilisé un drone Reaper pour surveiller les feux de forêt, les vidéos étant directement envoyées au SDIS. Enfin, le chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace a décidé d’évacuer les appareils pour prévenir une dégradation des conditions.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Je vous remercie pour cette audition, qui nous a permis de mieux connaître l’armée de l’air et de l’espace et qui nous a éclairés sur les défis à venir. Nous espérons vous retrouver prochainement à l’occasion d’une visite d’une base aérienne.

 

 

 

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14 minutes ago, hadriel said:

on va réintroduire une capacité SEAD avec l'Armement Air-Sol Futur (AASF, j'imagine que c'est la partie SEAD du FC/ASW)

Il y a une partie SEAD? À ma connaissance, c'est juste anti-navire et missile de croisière. Ceci dit, si l'anti-navire est doté d'un autodirecteur double avec radar passif, il pourrait faire les deux.

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il y a 4 minutes, mehari a dit :

Il y a une partie SEAD? À ma connaissance, c'est juste anti-navire et missile de croisière. Ceci dit, si l'anti-navire est doté d'un autodirecteur double avec radar passif, il pourrait faire les deux.

C'est bien ça, l'anti-navire doit être capable de frapper des véhicules. Pas forcément besoin d'un autodirecteur passif cela dit, l'actif doit suffire, les capteurs passifs du tireur ou d'autres engins sur le réseau fournissent la position grossière de la cible.

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  • 2 weeks later...

Bonjour, 

Je n'ai pas les moyens de copier coller, mais il y a un article dans le Figaro où le gouvernement semble confirmer les +3 milliards pour 2023 pour la défense 

C'est dans l'ensemble une bonne nouvelle même si avec le contexte actuel on aurait pu penser que la Défense glane quelques crédits en plus. Mais bon c'est déjà inespéré 

Modifié par Coriace
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il y a 4 minutes, Coriace a dit :

Bonjour, 

Je n'ai pas les moyens de copier coller, mais il y a un article dans le Figaro où le gouvernement semble confirmer les +3 milliards pour 2023 pour la défense 

C'est dans l'ensemble une bonne nouvelle même si avec le contexte actuel on aurait pu penser que la Défense glane quelques crédits en plus. Mais bon c'est déjà inespéré 

J'ai vu ca aussi dans les échos.

Pour moi il faut penser stock de munitions en urgence et en second effet kiss-cool perspective pour les industriels pour qu'ils puissent investir.

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il y a 10 minutes, Coriace a dit :

Bonjour, 

Je n'ai pas les moyens de copier coller, mais il y a un article dans le Figaro où le gouvernement semble confirmer les +3 milliards pour 2023 pour la défense 

C'est dans l'ensemble une bonne nouvelle même si avec le contexte actuel on aurait pu penser que la Défense glane quelques crédits en plus. Mais bon c'est déjà inespéré 

oN LE TROUVE AUSSI SUR CHALLENGE

https://www.lejsl.com/politique/2022/08/08/budget-2023-hausse-des-credits-inedite-pour-l-education-le-travail-et-les-solidarites

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Enfin, on va avoir une députée écolo nous dire que ses milliards seraient plus judicieusement utilisés pour combattre efficacement le réchauffement climatique et les feux de forêt en permettant aux français même au fin fond de la Creuse de prendre le train gratuitement plutôt que sa voiture. :wink:

Modifié par gargouille
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il y a 20 minutes, gargouille a dit :

Enfin, on va avoir une députée écolo nous dire que ses milliards seraient plus judicieusement utilisés pour combattre efficacement le réchauffement climatique et les feux de forêt en permettant aux français même au fin fond de la Creuse de prendre le train gratuitement plutôt que sa voiture. :wink:

Oui, mais d'autres diront qu'il faut faire encore plus. Avec un déficit budgétaire de 5%, ça passera facile. Les restrictions viendront plus tard, quand l'ours Russe sera rentré dans sa tanière.

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il y a 3 minutes, Alberas a dit :

quand l'ours Russe sera rentré dans sa tanière

Je ne suis pas sûr que parier là-dessus soit une bonne idée surtout quand le Dragon Chinois commence à sortir de sa tanière également.

Ce qui me semble le plus important en terme de programmation c'est d'avoir l'outil industriel et militaire pour compenser le volume de feu russe dont je me demande si il n'a pas augmenté depuis 2 ou trois mois. Et cette compensation doit se faire sans l'aide US qui va devoir être entièrement tournée vers la Chine.

L'Europe doit pouvoir compenser le volume de feu russe ni plus ni moins et en partant des capacités actuelles.

Nourir 100 CAESAR avec 10 000 coups / jours voilà en gros le but

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Je ne sais pas si le but de ce topic est vraiment d'établir tout ce qui manque à l'armée Française (surtout sur Air Défense ou on verrait tous bien une dépense à 4% du PIB pour la défense, pour financer nos 10 SNA, 2 PAN, 330 Rafales et le NGF) 

 

 Mais plutôt de faire la veille des Infos sur la LPM et des tendances à venir non ? 

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Il y a 4 heures, Coriace a dit :

C'est dans l'ensemble une bonne nouvelle même si avec le contexte actuel on aurait pu penser que la Défense glane quelques crédits en plus. Mais bon c'est déjà inespéré 

Pour l'instant ils s'en tiennent au plan de financement tel que prévu. Les grande masses sont déjà engagées dans la LPM, nucléaire, sous-marins, frégates, avions, véhicules, etc, etc... tout ça c'est de la programmation moyen / long terme. Faut attendre le rapport commandé par le PR (en fin d'année?) pour voir quelles seront les inflexions /orientations et éventuellement les besoins de financement sup. Mais, ce ne sont pas des décisions qui se prennent sur le coin de la table, surtout qu'il faut arbitrer entre les armées et les autres ministères (la sécu civile a besoin d'avions, par exemple) Faut pas s'attendre à des grands changements dans l'immédiat, sauf aux marges des capacités de gestion, munitions, remplacement CAESAR cédés etc... 

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Il y a 8 heures, herciv a dit :

Je ne suis pas sûr que parier là-dessus soit une bonne idée surtout quand le Dragon Chinois commence à sortir de sa tanière également.

Ce qui me semble le plus important en terme de programmation c'est d'avoir l'outil industriel et militaire pour compenser le volume de feu russe dont je me demande si il n'a pas augmenté depuis 2 ou trois mois. Et cette compensation doit se faire sans l'aide US qui va devoir être entièrement tournée vers la Chine.

L'Europe doit pouvoir compenser le volume de feu russe ni plus ni moins et en partant des capacités actuelles.

Nourir 100 CAESAR avec 10 000 coups / jours voilà en gros le but

On ressuscite  André Citroën pour reconstruire l'usine du Quai de Javel et il en sortira 40000 coups/jour.

https://www.passionnement-citroen.com/post/histoire-citroen-l-usine-du-quai-de-javel

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https://www.forcesoperations.com/des-pistes-pour-inscrire-leconomie-de-guerre-dans-la-prochaine-lpm/

L'economie de guerre inscrite dans la LPM... avec différentes pistes comme utiliser d'avantage les crédits d'urgence opérationnelle.

Ceci dit, quand on voit le décalage annoncé par @Scarabé pour le programme PO du fait du coût des matières premières, on peut se dire qu'il va probablement y avoir un impact sur le lancement/décalage de programmes. Et un abondement au renouvellement des stocks, facilité par les 500m€ de crédits européens.

Modifié par BPCs
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il y a 34 minutes, BPCs a dit :

quand on voit le décalage annoncé  pour le programme PO du fait du coût des matières premières,

Le coût des matières premières a bon dos... Ce projet merde industriellement depuis le début. Le montage industriel c'est une usine à gaz (ça génère surcoûts ?) et financièrement c'est tendu depuis le début. cf les exigences milis de la MN; on est partis d'une idée d'OPV pour atterrir sur une quasi corvette... De plus la MN s'entête à vouloir remplacer les OPV 54 de Cherbourg par 3 de ces navires ... :rolleyes:

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