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Tout ce qui a été posté par Wallaby

  1. https://books.openedition.org/septentrion/53850?lang=fr Jean Nurdin - Le rêve européen des penseurs allemands (1700-1950) , 2003 Chapitre V. L’idée d’Europe à l’époque bismarckienne 8) Eugen Schlief Pour lui, la paix de l’Europe est indépendante des idéologies. C’est « un pur problème juridique ». Cela dit, il a bien conscience que l’Europe de son temps doit impérativement s’organiser si elle ne veut pas sombrer dans l’anarchie. Il croit lui aussi à un certain nombre de facteurs d’unité : communauté de culture, règlement des problèmes sociaux, imbrication des économies. Signalons toutefois sur ce point une contradiction entre cette interpénétration des économies et le principe « politico-économique » selon lequel, estime Schlief, tout État aurait le droit de se développer de manière autonome. Il est cependant juste de souligner que l’auteur récuse le système protectionniste et les politiques économiques et commerciales agressives. C’est la « communauté des États civilisés » qui doit être le juge compétent en matière de droit. De ces États réunis en un système permanent doit naître un organisme de droit international doté d’une cour de justice. L’auteur de La paix en Europe donne à l’organisme en question le nom de « Système des États européens », institution à vrai dire extrêmement modeste, puisque dépourvue de tout caractère permanent. L’aspect contractuel que lui reconnaît Schlief doit écarter toute possibilité d’évolution vers un système unitaire. C’est pourquoi le projet proscrit toutes les dénominations telles que « Staatenverein » (Union des États), « Staatenbund » (confédération) ou « Etats-Unis d’Europe ». En dépit d’une volonté évidente de sauvegarder l’autonomie des États, l’auteur est bien obligé d’envisager des moyens de pression envers les puissances récalcitrantes. Il compte beaucoup, semble-t-il, sur l’autorité morale de l’« ensemble de l’humanité civilisée ». Ce « système des États » suppose donc la solidarité des intérêts matériels et moraux entre peuples occidentaux. C’est pourquoi aux yeux de Schlief – et ce point est capital – il ne peut comprendre que les Etats européens garants de la civilisation. Dans la pensée de Schlief, le système, pour être efficace, doit comprendre la totalité des États européens, à l’exception de la Turquie, contre laquelle il préconise une véritable croisade. L’optimisme de Schlief ne se dément jamais. Il lui fait entrevoir la pacification de l’Europe comme réalisable à court terme, par paliers et à partir d’un noyau d’Etats influents. Reste le point suivant : de quel pays peut venir la proposition initiale ? L’auteur n’exclut pas les petits Etats, neutres ou pacifistes, ou même la Russie. Mais l’État le plus concerné à cause de sa situation géographique et politique est évidemment l’Allemagne, « cœur de l’Europe », « organe central » du système des États. Ce projet interétatique, radicalement hostile à toute idée de confédération et de participation populaire n’avait pas plus de chance de voir le jour que les projets antérieurs. Il était condamné d’avance à rejoindre dans les oubliettes de l’Histoire ceux que son auteur trouvait si peu réalistes. 9) L'Europe des socialistes Il est vrai, comme cela a été avancé, que l’Europe constitue le cadre où s’inscrit la pensée politique de la plupart des socialistes allemands, mais il n’en reste pas moins que la vision marxiste, comme celle de Fröbel ou de Frantz, tend à déborder les limites du Vieux Continent, et qu’au surplus les circonstances obligent les socialistes à mener prioritairement la lutte sur le plan national. Les discours de Bebel au Reichstag, le 21 juillet 1870 à propos des crédits de guerre, le 26 novembre à propos de l’annexion de l’Alsace-Lorraine évoquent sans ambiguïté les dangers du principe national, du militarisme, de la société de classe et revendiquent pour les peuples d’Europe l’autodétermination. L’éloge de la Commune de Paris le 25 mai 1871 constitue le point culminant des proclamations de Bebel concernant la future révolution socialiste continentale. Une phrase comme celle-ci : « ... le cri de guerre du prolétariat parisien... deviendra celui du prolétariat européen tout entier » ne pouvait manquer de faire impression. 10) Johann Philipp Becker De 1866 à 1871, il dirigea à Genève Der Vorbote, organe central de la section allemande de l’Internationale. L’auteur de Comment et quand ? (Wie und Wann ?) préconise une Europe des nations libres, où serait assuré l’épanouissement des hommes et des peuples, où chaque collectivité jouirait d’une complète autonomie. Pour lui, l’Europe ne peut être qu’une fédération d’associations, ce qui révèle sans aucun doute une influence proudhonienne, mais ce qui ne l’empêche pas de considérer l’Internationale comme l’instrument le plus propre à construire une Europe socialiste, comme « le seul... parti européen ». La pensée de Becker et du Comité central de l’Internationale à Genève trahit, surtout avant 1871, un curieux mélange d’anticapitalisme, de fédéralisme et d’humanitarisme, allant jusqu’à l’évocation d’une future « race européenne » issue des mélanges ethniques. Ce thème anthropologique sera repris un peu plus tard par Nietzsche. A cette époque, l’idée d’« États-Unis d’Europe » populaires, libres, mais solidaires et fraternels apparaît comme la solution adéquate pour unifier et pacifier le continent. Il est rare que l’on revendique alors, comme le fait le « Parti ouvrier de Saxe » fondé en 1865 par Liebknecht et Bebel, un « État social-démocratique européen » unitaire. Le grand modèle est pour Becker sa seconde patrie, la Confédération Helvétique, noyau républicain au milieu d’une Europe essentiellement monarchique. Pas de liberté pour lui sans fédéralisme, notamment sans autonomie des collectivités et des ethnies (Volkerschaften). Il magnifie par ailleurs une future Allemagne républicaine, bastion de la paix, pivot d’une Europe démocratique, médiatrice des peuples et pacificatrice du continent, une Allemagne qui serait avec la Suisse l’organe essentiel de l’équilibre, de la raison et de la justice. 11) Marx et Engels « Il n’y a plus en Europe que deux forces réelles : la Russie et l’absolutisme, la Révolution et la démocratie... Les peuples de l’Ouest remonteront au pouvoir et retrouveront l’unité de but, tandis que le colosse russe sera ruiné par le progrès des masses et la force explosive des idées. » (New York Tribune, 31-12-1853) Il apparaît clairement ici que Marx partage les vues de ses contemporains démocrates et républicains concernant l’opposition entre les peuples occidentaux et le panslavisme, les premiers étant naturellement destinés à être les vecteurs de l’histoire et à changer la face du monde. Cependant l’Occident lui-même est divisé en deux camps rivaux, les puissances conservatrices et réactionnaires d’une part, les forces révolutionnaires de progrès d’autre part. Sa pensée dialectique amène Marx à considérer que le progrès de l’histoire naîtra de la confrontation des forces antithétiques : antagonismes entre Russie et Occident, conflits entre impérialismes nationaux, et surtout lutte des classes. Les puissances conservatrices ne sont pas le seul objet de leurs attaques, qui visent aussi un certain nombre d’idéologies dites « bourgeoises », même si elles sont l’expression de l’esprit républicain et démocratique. Ainsi dès 1849 Engels attaque dans la Nouvelle Gazette rhénane les « rêveurs » comme Lamartine et Ruge, qui croient au mirage de la fraternité des peuples et au fédéralisme européen. En 1850, Marx fustige les émigrés allemands en Suisse et leur « Comité central de la démocratie européenne ». Des hommes comme Ruge, Karl Blind, Fröbel, voire des socialistes comme Jacoby, B. Geiser, J.-R Becker ne sont pas non plus à l’abri des sarcasmes. Fröbel est accusé de s’être rallié à la bourgeoisie américaine et de prédire un avenir américano-russe. Du côté du pacifisme, la désapprobation n’est pas moindre. Marx tonne contre les « charlatans pacifistes » et refuse de collaborer au journal Les Etats-Unis d’Europe. Cette hostilité foncière envers l’idée d’« États-Unis d’Europe » fédératifs, qui a orienté durablement la pensée marxiste, requiert quelques explications concernant la conception de la nation et de l’État national chez Marx et Engels. Ils considèrent en effet que l’histoire travaille en Europe, depuis la fin du Moyen Âge, à la constitution de grandes nationalités, l’État national correspondant à la phase bourgeoise du processus historique. L’État national est donc nécessairement un Etat de classe, dont l’indépendance et la souveraineté sont justifiées par le fait qu’elles conditionnent dialectiquement le développement du mouvement prolétarien. De ces conceptions de base découlent deux affirmations : d’abord que l’Europe doit être composée de grandes nationalités consolidées selon le principe d’autodétermination, ensuite qu’il est nécessaire d’établir une hiérarchie entre les nations. Cette hiérarchisation rappelle de toute évidence la distinction hégélienne entre peuples historiques et non-historiques. L’essentiel pour [Engels] est la création de grands ensembles nationaux centralisés et doués de capacités révolutionnaires. La plus urgente des tâches est, pour lui comme pour Marx, l’affranchissement du prolétariat d’Europe occidentale. Dès le 4 septembre 1870, le jour de la proclamation de la République, le Conseil fédéral des sections parisiennes de l’Internationale s’était adressé aux démocrates socialistes allemands pour leur proposer la réconciliation des deux peuples et la création d’une république universelle des Etats-Unis d’Europe, programme certes peu orthodoxe en matière de marxisme, mais qui n’empêchera pas Marx de dresser, dans La guerre civile en France, un monument aux révolutionnaires de Paris, fussent-ils proudhoniens, blanquistes, anarchistes ou libertaires. Une chose est sûre cependant : le grand mérite de Marx et d’Engels est de dépasser un horizon strictement européen et de donner une vision globale de l’évolution politique, économique et sociale. Ils sont, avec Tocqueville, Fröbel, Jörg parmi les premiers à avoir jugé l’Europe de manière relative, en fonction des impératifs de la situation mondiale, à avoir annoncé l’ascension des puissances extra-européennes et à avoir soumis à une analyse méthodique les répercussions des événements mondiaux sur l’état de l’Ancien Continent. 12) L'Europe des économistes Comme List, et aussi comme d’autres, [Lorenz von Stein] est préoccupé par la future et redoutable concurrence de l’Amérique. Comme Marx, il est impressionné par le développement du commerce américain au cours de la guerre de Crimée, et il en déduit qu’il serait bon « que l’Europe se sente unie face à l’Amérique ». Le plus petit des continents est miraculeusement parvenu à s’assimiler la substance de toutes les civilisations, à créer une philosophie commune, une conception fondamentale de l’univers, à laquelle l’auteur conseille de revenir constamment pour éviter l’affaiblissement de la conscience communautaire dans l’Europe moderne. Fidèle à ses principes de sélection naturelle, Albert Schäffle tient la race anglo-saxonne pour particulièrement vigoureuse. C’est pourquoi il envisage pour l’Europe une émulation fructueuse avec l’Amérique. La concurrence américaine forcera les Européens à « se rassembler en États-Unis d’Europe, graduellement et à partir de l’Europe centrale ». Élu député de Trieste au Parlement de Francfort, [Karl Ludwig von Bruck] devint dès 1848 membre du cabinet Schwarzenberg et orienta d’emblée sa politique vers l’unification de l’Europe centrale en un vaste ensemble économique allant de la Scandinavie à la Mer Noire, du Rhin à l’Adriatique. Ce bloc engloberait donc « tout le centre et la partie principale de l’Europe » et serait seul capable de concurrencer la Grande-Bretagne. Il tente d’harmoniser le système protectionniste et le système libre-échangiste en une vaste construction dont la cohésion reposerait sur l’identité des intérêts. Le centre du continent serait économiquement et politiquement organisé autour de Vienne, en une fédération regroupant l’Autriche, l’Allemagne, la Suisse, la Belgique, la Hollande, la Scandinavie et l’Italie. Il s’agit pour Bruck d’agrandir le Zollverein grâce à des structures fédératives. D’ailleurs il fait du fédéralisme le thème de sa dernière œuvre Les tâches de l’Autriche (Die Aufgaben Österreichs, 1860), où il propose en 1859 de régler la question italienne par la création d’une confédération de la péninsule, qui viendrait compléter les confédérations germanique et helvétique. Bruck est mort à temps pour ne pas assister à l’écroulement de ses rêves, ruinés par l’avènement de l’Allemagne bismarckienne. La revue libérale Deutsche Vierteljahres-Schrift, a joué un rôle considérable dans le débat sur le principe national. Cette revue, qui avait compté F. List au nombre de ses collaborateurs et dans laquelle s’exprimait A. Schäffle, constate que les choses sont en train d’évoluer vers une interdépendance des nations et que « les temps de la vie économique nationale fermée sont révolus », l’industrialisation menant à l’internationalisme économique. Quant à Fröbel, il apportera en 1865 sa contribution à la libéralisation de l’économie et du commerce. S’interrogeant dans L’Autriche et le libre-échange (Österreich und der Freihandel, Wien, 1865) sur le problème de l’ouverture à la libre concurrence, il croit ne pas trahir la pensée de son maître F. List qui, comme lui, avait une connaissance directe de l’Amérique et était capable d’une vision dépassant les limites de la Mitteleuropa. Lujo Brentano (1844-1931), professeur à Breslau, puis à Strasbourg, Leipzig, Vienne et Munich, propose en 1885 la création d’une union douanière austro-allemande étendue aux pays balkaniques. Il est convaincu que le xxe siècle verra s’affronter de grands blocs concurrents et que seul un vaste rassemblement économique du centre et du sud-est de l’Europe sera à même de relever le défi. « On parle sérieusement d’une union douanière commune des États d’Europe centrale contre l’Amérique et la Russie », écrit de son côté en 1882 Gustav Schmoller (1838-1917), « socialiste de la chaire », professeur à Berlin et rédacteur en chef de la revue Jahrbuch für Gesetzgebung, Verwaltung und Volkswirtschaft. Dans l’article qu’il y consacre à La concurrence américaine et la situation de l’agriculture d’Europe centrale, en particulier de l’Allemagne, il élargit le cadre de sa réflexion en notant un peu plus loin : « Les Etats européens dans leur totalité (die gesamten Staaten Europas) seront obligés de faire cause commune pour soutenir la lutte du système douanier européen contre le système américain ». Reprenant en 1880 les idées de Bruck, Baussnern leur fait subir des extensions, des translations et des réductions successives, allant du rassemblement des pays germaniques (y compris l’Angleterre et la Scandinavie) à une « union douanière entre l’Autriche-Hongrie, l’Allemagne et la France ». Baussnern part de l’hypothèse que l’avenir sera dominé par les grands empires économiques et que l’intérêt de l’Allemagne serait d’agir « comme régulatrice de tout le commerce mondial, afin de subsister à côté des puissances mondiales d’Amérique, de Russie et d’Angleterre ». Le philosophe Bruno Bauer, ancien « Jeune hégélien » pourfendu par Marx dans La Sainte Famille (1844), dénonce en 1880 les illusions de l’Europe et l’appauvrissement spirituel de l’Allemagne bismarckienne : « Les journaux allemands répandirent en octobre de l’année dernière la nouvelle qu’une vaste union douanière incluant la France et les Etats voisins plus petits allait inaugurer pour toute l’Europe centrale (Zentraleuropa) l’âge d’or du bonheur et du bien-être... Mais le seul côté réaliste et concret de cette idée était celui-ci : on a eu le sentiment, on a eu conscience que les Etats du continent, qui paraissaient grands, sont en réalité devenus très petits et commencent à s’atrophier ». A. Schäffle, partant de la traditionnelle union douanière entre l’Allemagne et l’Autriche, l’étend à l’ensemble du continent sous la dénomination d’« Association continentale ». Tous les Etats de l’Europe continentale, y compris la Russie, pourraient y adhérer, la solidité de l’ensemble étant assurée par la solidarité des intérêts matériels. La stabilité économique serait garantie par l’harmonisation de l’industrie et de l’agriculture, le règlement des problèmes monétaires dans le cadre continental, l’augmentation de la productivité, les mesures de protection contre les crises de l’économie mondiale. Il s’agit en somme, comme l’indique Schäffle, de trouver une troisième voie entre l’économie nationale et la libre concurrence mondiale. Devant la nouvelle situation mondiale, estime [Alexander von Peez], l’union de l’Europe est indispensable : « Si les Etats continentaux ne veulent pas être broyés économiquement, financièrement et ensuite politiquement par le géant anglo-saxon, s’ils ne veulent pas rétrograder peu à peu jusqu’au rang de petits États, menacés d’étouffement sous le poids de la surpopulation, de la prolétarisation, des partis, de la discorde et de la méfiance, ainsi que des armements qui en sont la conséquence, leur union est une nécessité ». A vrai dire, Peez n’envisage pas autre chose qu’une conférence permanente des représentants des Etats, en l’occurrence la France, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, les petites nations voisines, l’Italie, et éventuellement la Russie. Influencé par l’évolution de la situation diplomatique dans les dernières années de l’ère bismarckienne, il voit poindre à l’horizon une nouvelle menace, celle de la puissance russe, et revient à l’idée d’organiser l’Europe centrale autour de la Triplice en y adjoignant la Scandinavie, la Belgique, la Suisse, les Balkans et même la Turquie. Peez exprime le vœu qu’un jour la France, les Pays-Bas et les peuples ibériques rejoignent cette « union européenne ». Mais il n’ignore pas qu’il s’agit d’un vœu pieux, et c’est pourquoi il met quelque espoir dans un éventuel choc psychologique provoqué par le Congrès panaméricain de Washington en 1890 : « J’espère donc, déclare-t-il en avril 1890, c’est-à-dire peu après la chute de Bismarck, que le panaméricanisme éveillera tôt ou tard un « paneuropéisme », à savoir une alliance de tous les États européens à la manière des amphictyonies de l’antique Hellade... ». En réponse aux suggestions de Peez concernant la formation d’une « union européenne », l’économiste autrichien Alexander von Dorn (1838-1918) dénonce les mobiles nationalistes des hommes d’État en ces termes : « Je crains qu’il ne soit difficile d’amener les nations ou les Etats d’Europe, tant que leur situation ne sera pas pire qu’aujourd’hui, à conclure entre eux une entente, un cartel douanier qui en tout état de cause leur assurerait une existence sensiblement meilleure ». C’est en 1890 que le journaliste et publiciste prussien Konstantin Rössler (1820-1896) publie son écrit L’avenir des peuples de l’Europe centrale (Die Zukunft der Völker von Mitteleuropa), ouvrage nettement pessimiste où l’auteur dresse un constat de faillite. Selon lui, l’Europe véritablement européenne, en l’occurrence celle des peuples latins et germaniques à l’exception de l’Angleterre, est en train de jouer l’avenir de sa civilisation avec le sort de son économie. Voyons ses arguments : à l’extérieur, l’Amérique et la Russie s’émancipent et font surgir grâce aux technologies européennes des civilisations qui sont la négation de la culture, laquelle repose en effet sur des facteurs moraux et spirituels. A l’intérieur règnent l’anarchie, la discorde, l’autodestruction de l’économie et, partant, de la civilisation. Le monde romano-germanique, sommet de l’histoire, est voué à « un lent dépérissement ». https://books.openedition.org/septentrion/53848 Jean Nurdin - Le rêve européen des penseurs allemands (1700-1950) , 2003 Chapitre IV. Les libéraux allemands et l’idée européenne Friedrich List (1789-1846) Il constate tout d’abord que les puissances de l’Europe continentale doivent s’allier contre l’Angleterre, afin de ne pas renforcer sa domination croissante, et que Napoléon avait vu juste, mais qu’il a eu le tort de vouloir substituer à l’hégémonie britannique une hégémonie française. Considérant ensuite l’évolution des relations entre la Grande-Bretagne et les USA, ainsi que le rythme du développement américain, List écrit ce qui suit : « Les mêmes causes... auxquelles l’Angleterre doit son élévation actuelle feront parvenir l’Amérique, vraisemblablement dans le cours du siècle prochain, à un degré d’industrie, de richesse et de puissance qui la placera au-dessus de l’Angleterre autant que l’Angleterre elle-même est aujourd’hui au-dessus de la Hollande. » Un jour viendra, prédit List, où l’Amérique fédérée sous la tutelle des États-Unis tournera ses forces contre les Anglais, ce qui les forcera à sortir de leur isolement : « Alors la Grande-Bretagne cherchera et trouvera dans l’hégémonie des puissances européennes associées sa sûreté et sa force vis-à-vis de la prépondérance de l’Amérique, et un dédommagement pour la suprématie qu’elle aura perdue. » Il prodigue alors ces sages conseils qui prennent de nos jours tout leur sens : « L’Angleterre sera donc avisée de s’exercer de bonne heure à la résignation, de se concilier par des concessions opportunes l’amitié des puissances européennes et de s’accoutumer dès aujourd’hui à l’idée d’être la première parmi des égales. » Quelques mois avant sa mort, List ira proposer à Londres une alliance germano-anglaise et y écrira, en anglais, deux mémoires sur les raisons de sa démarche : l’ascension prodigieuse des États-Unis, l’esprit d’indépendance des Américains vis-à-vis de l’Europe, l’antipathie commune des Français et des Russes envers l’Allemagne. Mais en 1841, dans le Système national, il ne s’agit encore que de l’union du continent contre la suprématie britannique, et cette union ne peut être édifiée que sur l’association de nations libres et égales. La clé de voûte doit en être la nation, considérée par List et les libéraux comme l'échelon intermédiaire indispensable entre l’individu et l’humanité. C’est pourquoi il estime nécessaire de parvenir à l’unification allemande, notamment grâce au Zollverein, car « la civilisation, la formation politique et la puissance des nations sont conditionnées essentiellement par leurs conditions économiques ». Il découle de cela qu’une confédération ne peut être créée que par des nations ayant atteint un niveau analogue de culture et de puissance, et c’est précisément sur ce point que List critique les conceptions de Sully, de l’abbé de Saint-Pierre et des libre-échangistes. Pour lui, les projets irénistes, le cosmopolitisme, le droit international, ne peuvent trouver leur application en cas de disparité entre les nationalités. La tâche ultime de la politique est de parvenir à l’équilibre des puissances à peu près égales entre elles, ce qui suppose — et nous touchons là à un aspect très contestable des théories de List – que toute nation est fondée à remanier la carte de l’Europe selon ses besoins essentiels et légitimes. Notre économiste peut donc être tenu pour l’un des pères spirituels de la géopolitique. Il est vrai que son propos est d’entraver l’hégémonie d’une seule puissance, en l’occurrence l’Angleterre, et de rejeter « un monde d’États anglais dans lequel les nations du continent de l’Europe viendraient se perdre comme des races insignifiantes et stériles ». Après avoir battu en brèche l’impérialisme napoléonien puis britannique, List préconise l’organisation de l’Europe centrale autour d’une Allemagne protectionniste et industrielle, ainsi que l’extension du Zollverein à la Hollande, à la Belgique et à la Suisse. La « pomme de discorde » déjà évoquée par Leibniz doit se transmuer en « médiatrice entre l’Est et l’Ouest du continent européen », fonction qui lui revient de par sa situation géographique, sa constitution fédérative éminemment pacifique, sa tolérance, son ouverture au monde, sa culture. Une Allemagne unie économiquement et politiquement, disposant des ports néerlandais et belges, alliant les avantages des régimes monarchiques et représentatifs garantirait la paix de l’Europe et formerait « le centre d’une alliance continentale durable ».
  2. https://books.openedition.org/septentrion/53850?lang=fr Jean Nurdin - Le rêve européen des penseurs allemands (1700-1950) , 2003 Chapitre V. L’idée d’Europe à l’époque bismarckienne 5) Johann Caspar Bluntschli Nous n’entrerons pas ici dans le détail des réflexions que notre auteur consacre aux caractères géographiques et climatiques de ce continent. Elles abondent, depuis Montesquieu, dans nombre d’ouvrages. Nous en retiendrons surtout que la loi de l’Europe, notamment occidentale, est la variété des paysages, des races, des langues, des cultures, des États. Bluntschli, rappelant en ceci Leibniz, déduit de cette diversité essentielle une sorte d’harmonie préétablie, voulue par la Providence et s’exprimant en particulier dans l’équilibre entre Latins, Germains et Slaves. Bluntschli attend beaucoup de la « fraternité future des Allemands et des Français, dont l’existence conditionne le salut de l’Europe ». Diverse dans ses races, l’Europe l’est aussi dans ses nations. Mais qu’est une nation selon Bluntschli ? Il proscrit la théorie de la filiation ethnique pour affirmer que les nations d’Europe sont des entités historiques, les produits d’une lente maturation. Ce qui relie entre eux les hommes, c’est une culture commune, ce sont des éléments spirituels, linguistiques, psychologiques. Quant à l’État national, Bluntschli estime que nationalité et État ne doivent pas forcément coïncider. L’application intégrale du principe national signifierait la balkanisation du continent. Rappelons que notre juriste est d’origine suisse. De plus, comme beaucoup de ses contemporains, il tend à hiérarchiser les peuples suivant leur prétendue capacité à fonder des États. Il dénie ainsi aux petites nations du Sud-Est européen toute existence autonome. Il pense que l’existence de fragments d’ethnies étrangères au sein des grands États nationaux permettrait une médiation bénéfique entre cultures différentes. Bluntschli rejoint ici le point de vue de ses contemporains E. Renan et K. Frantz, avec lequel il est d’ailleurs en complète opposition sur le problème de l’État moderne. La philosophie politique de Bluntschli a pour objectif essentiel d’introduire les principes de la Raison et du Droit dans les relations entre ces Etats, faisant ainsi de lui l’un des représentants les plus typiques de l’Europe rationaliste d’une part et de l’Europe des réalités politiques et diplomatiques d’autre part. L’auteur du projet que nous nous proposons d’analyser doit admettre que l’idéal kantien de citoyenneté du monde (Weltbürgertum) est encore irréalisable. Il tient la paix éternelle pour une utopie et se déclare également en désaccord avec la théorie de l’équilibre européen, que ce soit à la manière de l’Abbé de Saint-Pierre ou à celle de F. von Gentz. Il souligne à nouveau l’impossibilité d’appliquer à l’Ancien Continent le fédéralisme à l’américaine, l’extrême diversification et la force des sentiments nationaux interdisant une pareille révolution : « L’Europe, écrit-il, se compose de nations très diverses, qui ne se laisseront pas... unir politiquement, car elles sont séparées par le lieu de résidence, la race, l’histoire, la civilisation, les intérêts, le droit. Allemands et Français, Anglais et Russes, Autrichiens et Italiens ne sont aucunement enclins à former un Etat européen unitaire et collectif. Ils considéreraient celui-ci comme une dissolution et une suppression de leur véritable nationalité, à laquelle ils tiennent par-dessus tout. » Il considère qu’à la fin du xixe siècle, une constitution sans liberté n’est plus envisageable et qu’il convient d’harmoniser les constitutions particulières des États et les institutions communautaires. Sur ce point, il partage les vues de son collègue écossais James Lorimer (1818-1890), l’un des fondateurs de l’Institut du Droit international (1873). Les deux juristes sont d’accord sur l’application du principe représentatif, mais divergent sur la possibilité d’introduire en Europe le fédéralisme à l’américaine, car, note Bluntschli, il y a un peuple américain, « mais il n’y a pas de peuple européen ». « Seule la confédération réalisera l’objectif d’une union et d’une communauté durables de l’Europe sans léser la souveraineté des Etats confédérés. » Toujours réaliste, du moins le croit-il, l’auteur fixe à sa confédération des buts limités, des compétences modestes ne nécessitant « ni division des pouvoirs, ni parlement souverain pour la législation, ni gouvernement commun »75. Les objectifs seront uniquement d’assurer la paix, d’appliquer le droit, de promouvoir les valeurs de la civilisation. L’esprit de coopération et la bonne volonté devraient suffire pour l’accomplissement de ces tâches. Le pouvoir, cela va de soi, reviendra aux Etats, qui seront au nombre de dix-huit, dont six grandes puissances : Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, Autriche-Hongrie, Russie. Sont écartés tous les petits peuples, résidus de l’histoire. En tant que personnalités juridiques autonomes, les dix-huit Etats seront égaux en droits, mais les grandes puissances, assumant de plus lourdes responsabilités, disposeront d’une représentation plus forte au sein des organismes communautaires, le « Conseil confédéral » (Bundesrat) et le « Sénat » (Repräsentantenhaus). Soulignons que Bluntschli, qui prend tant de précautions pour que les Etats ne soient pas lésés, prévoit néanmoins le vote à la majorité absolue, et non à l’unanimité. 6) L'Europe des pacifistes Vers 1848, l’idéologie pacifiste se charge d’un contenu nouveau, national et républicain. Nous savons qu’Arnold Ruge, comme d’autres prophètes d’une Europe fédérée tels V. Hugo ou Mazzini, milite au Parlement de Francfort pour le désarmement et une fédération de peuples libres et fraternels. Le slogan des « États-Unis d’Europe » conserve après 1848 tout le prestige, mais aussi tout le flou du romantisme révolutionnaire, si bien que son contenu ira s’affaiblissant au cours des années et que l’idéal pacifiste devra souvent tenter de s’adapter aux réalités politiques. En 1865, Der deutsche Eidgenosse salue la fondation du « Parti populiste allemand » (Deutsche Volkspartei), qui se propose de transformer l’Allemagne en une confédération de type helvétique et l’Europe en une vaste fédération ayant pour objectif la paix générale grâce à un congrès des peuples. En 1868, le chef du nouveau parti, le parlementaire prussien Johann Jacoby (1805-1877), en précise les buts : défense des droits des citoyens et des peuples, affirmation de la solidarité internationale, réalisation de « cette grande idée formulée avec tant d’éloquence au congrès pacifiste de Genève, l’idée des États-Unis libres d’Europe ». La bataille de Sadowa, qui permet en 1866 à Bismarck de triompher de l’Autriche, marque pour Jacoby le début d’une ère nouvelle, symbolisée en 1867 par le grand Congrès pacifiste de Genève, qui donne lieu à la création de la « Ligue internationale de la paix et de la liberté » (Friedens- und Freiheitsliga). La « Ligue internationale de la paix et de la liberté » eut d’illustres parrains, dont Dostoïevski, Bakounine, Garibaldi, V. Hugo, E. Quinet, Louis Blanc, Jules Favre et Jules Simon. De leur côté, les Allemands et les Suisses jouèrent un rôle important dans sa fondation et dans la rédaction de sa revue Les États-Unis d’Europe, qui parut à Berne de 1867 à 1922. la « Ligue » s’est trouvée très vite engagée dans de vives polémiques, notamment avec la Première Internationale. Le congrès de l’Internationale tenu à Bruxelles en 1868 proposa sa dissolution. Elle répliqua que la question sociale n’était pour elle qu’une question parmi d’autres. A cette époque, l’antagonisme franco-allemand contamine, au sein même de la « Ligue », beaucoup des meilleurs esprits. Les messages de V. Hugo aux congrès de 1872 et 1874 illustrent bien cette évolution. Toutefois il est juste de souligner le fait que l’idée d’instaurer une fédération de républiques pacifiques resurgit parfois chez les auteurs allemands comme le social-démocrate Bruno Geiser (1846-1898), gendre de W. Liebknecht et rédacteur en chef de Die neue Welt. C’est en 1886, à l’occasion de la relance du journal Les Etats-Unis d’Europe, que Geiser publie sa brochure Die Überwindung des Kriegs durch Entwicklung des Völkerrechts. Zugleich eine Beantwortung der Frage, wie eine internationale Friedensgesellschaft die Kulturmacht werden kann (Triompher de la guerre par le développement du droit international et répondre à la question : comment une association pacifiste internationale peut-elle devenir la puissance civilisatrice ?) 7) Eduard Löwenthal Au cours de l’été 1870, l’ardent pacifiste gagna Zurich, où il prit la tête d’un nouveau mouvement, le « Parti de l’Union européenne » (Europäische Unionspartei) et publia un journal intitulé Die Freiheitswacht. Dans un Manifeste à nos frères d’Allemagne, Löwenthal déclare la guerre à l’absolutisme et au militarisme. Il demande la réalisation d’une « fédération libérale des peuples européens identique à l’union nord-américaine ». Il exhorte les Allemands à participer, au côté de la république française créée après Sedan, à la défense de la liberté et de la fraternité en Europe. En 1871, il publie à Zurich Das preussische Volker-Dressur-System und die europäische Fôderativ-Republik der Zukunft (Le système prussien de dressage des peuples et la république européenne fédérative de l’avenir). Il y appelle de ses vœux l’Europe des peuples et s’élève contre la « conjuration prusso-russe ». Dans les années 1870, Löwenthal se préoccupe surtout d’arbitrage international, rejoignant les conceptions de juristes comme Bluntschli, auquel il fait du reste grief de « ménager le droit international du plus fort ». Son ouvrage de 1874, Principes de réforme et de codification du droit international89, suggère une première ébauche de « pouvoir législatif international contractuellement reconnu », ce pouvoir devant émaner de la conscience juridique des Etats civilisés et de la communauté d’intérêts des peuples. L’auteur prévoit diverses institutions : assemblée des chefs d’Etat, assemblée des diplomates, tribunal d’arbitrage. Il a bien conscience de la nécessité de moyens coercitifs pour faire appliquer les décisions du pouvoir législatif international, mais il reste très discret à ce sujet. Précisons qu’il existe pour Löwenthal deux réalités politiques : les États, séparés par des institutions différentes, et les peuples, liés par une indissoluble solidarité d’intérêts et par une même civilisation rationaliste et hostile à la guerre. Son optimisme l’incite à croire qu’il suffira d’institutionnaliser cette communauté « par la création d’une confédération européenne ». Par sa croyance en le pouvoir de la raison, Löwenthal est dans la ligne de la philosophie des Lumières, par son argumentation utilitariste, il se range au côté de l’école libérale, selon laquelle le progrès des sciences, des techniques et de l’économie est un facteur décisif de paix. Il n’aspirait ni à une république socialiste, ni aux États-Unis d’Europe républicains, car il considérait que l’organisation de la paix ne devait pas dépendre de la nature des institutions. Il espérait pouvoir renforcer le contrôle parlementaire, y compris dans les Etats dynastiques, et parvenir ainsi à une confédération pacifique. Nourri des principes de 1848, il se rallie finalement à une Allemagne dont il espère qu’elle se réconciliera avec la France pour combattre l’absolutisme russe. En font foi les écrits de 1890 et 1891 Der Kampf um die europàische Suprematie oder die Konsequenzen einer französisch-russischen Allianz (La lutte pour la suprématie européenne ou les conséquences d’une alliance franco-russe), Berlin, 1890, et Ein französisch-deutscher Ausgleich im Hinblick auf die Vorgänge in Russland (Un compromis franco-allemand eu égard aux événements de Russie), Berlin, 1891.
  3. https://books.openedition.org/septentrion/53850?lang=fr Jean Nurdin - Le rêve européen des penseurs allemands (1700-1950) , 2003 Chapitre V. L’idée d’Europe à l’époque bismarckienne 3) Josef Edmund Jörg Contrairement à Fröbel, il est resté toute sa vie très critique envers l’œuvre bismarckienne, d’autant plus qu’il était chef de la « Bayerische demokratische Volkspartei », puis député du « Zentrum » au Reichstag. Il prend en outre une importance particulière en tant que rédacteur en chef de la revue catholique d’extrême-droite, fondée par Joseph Gorres en 1832 à Munich, les Feuilles historico-politiques pour l’Allemagne catholique (Historisch-politische Blätter für das katholische Deutschland). Il y commente pendant un demi-siècle les événements, avertit et exhorte l’Europe, prophétise et vaticine sur la crise de la société bourgeoise ébranlée par les « idées modernes » et minée par les internationales révolutionnaires. A ces périls s’ajoutent, cela va de soi, le principe national, fourrier de la démocratie socialiste, négation du droit, « péché originel personnifié », et, après 1870, le danger du regroupement des peuples en grands blocs ethniques. Cette dénonciation du panslavisme, du pangermanisme, du panlatinisme n’est d’ailleurs pas propre à la revue munichoise. Les crises et les catastrophes, l’éclatement du système européen traditionnel en nations, en classes, en races, ne sont, pour Jörg et ses collaborateurs, que les manifestations multiples d’un mal plus profond : la déchristianisation. Il est avec J. Fröbel l’un des premiers en Allemagne à avoir clamé l’avènement de la politique mondiale, et cela dès 1853. Avenir problématique que celui de l’Europe prise entre la révolution socialiste russe et l’hégémonie libérale nord-américaine. Que propose Jörg pour restaurer l’unité de l’Occident européen et lui éviter la balkanisation, les bouleversements révolutionnaires, les guerres nationales et raciales, l’assujettissement aux futures puissances mondiales ? La croisade soit contre la Russie, soit contre la Turquie, idée courante non seulement dans les publications des conservateurs, mais aussi dans celles des libéraux. Nous verrons que le protestant K. Frantz rejoint sur ce point le catholique Jörg. Jörg a le sinistre pressentiment d’avoir prêché dans le désert. Son rêve d’un Reich pacifique parce que fédératif, chrétien et germanique, placé sous l’égide de l’Autriche et de l’Église catholique était un anachronisme. https://maitron.fr/spip.php?article216361&id_mot=19167 Conscient des tensions sociales de son temps, il en rendit compte dans des termes qui rappellent Lassalle, voire Marx et il ne voulait pas qu’elles soient résolues dans le sens d’une restauration, comme le souhaitaient Haller et Jarcke, mais en répondant aux formes nouvelles de la vie économique et sociale et en remettant aux travailleurs la direction des coopératives de production. Il envisageait en 1870-1871 une Bavière neutre et indépendante. 4) Constantin Frantz Considéré par Bismarck vers 1860 comme un publiciste de talent, il rompt cependant avec le Chancelier en 1866, après Sadowa. Contrairement à Fröbel, il ne se ralliera jamais au Reich bismarckien et consacrera, jusqu’à sa mort en 1891, son œuvre à la défense du fédéralisme chrétien. Frantz est essentiellement l’héritier de l’idéalisme romantique, en particulier de Schelling. Il prolonge jusqu’à la fin du siècle l’idée d’une Europe de la Foi, le mythe du « Reich » œcuménique, organique et rédempteur, dans lequel l’Allemagne jouerait un rôle majeur. Dans ses dimensions comme dans ses caractères, l’Europe de Frantz s’apparente étroitement à celle de Ranke : c’est l’Europe romano-germanique dans les limites de la chrétienté occidentale, dans la sphère d’influence de l’Église romaine. Mais, contrairement à Ranke, notre auteur est, avec Fröbel et Jörg, l’un de ceux qui ont dénoncé avec le plus de force les périls extérieurs venus à la fois de l’Est et de l’Ouest. Dès la guerre de Crimée, et pendant près de quatre décennies, Frantz se fait le héraut des conceptions antirusses. Ses diatribes atteignent leur paroxysme dans sa dernière œuvre Die Gefahr aus Osten (Le péril de l’Est, 1899), où il reprend et amplifie toute l’argumentation des russophobes contemporains. L’opposition entre l’Occident et la Russie atteint chez lui au manichéisme absolu. La Russie est l’antipode de l’Europe, et également l’antipode de l’Amérique. Frantz ne manque pas d’emprunter à Tocqueville le fameux parallèle entre le glaive russe et la charrue américaine. Cependant, s’il préfère le libéralisme de l’Ouest à l’autocratisme de l’Est, il se rend compte que les États-Unis représentent un énorme danger potentiel et que la démocratie nord-américaine sera « aussi dominatrice que toute autre puissance ». L’auteur de Grande puissance et puissance mondiale (Grossmacht und Weltmacht, Tübingen, 1888) imagine les USA, qu’il connaît par la lecture de Tocqueville et par l’expérience de Fröbel, dépassant économiquement l’Europe du xxe siècle, donnant l’exemple du fédéralisme à l’Ancien Continent, mais l’écrasant de tout leur poids du fait de ses divisions internes. Frantz tire à boulets rouges sur ce qu’il estime être l’une des séquelles les plus funestes de la Révolution, à savoir le principe national. Il tient certes la nation pour une phase nécessaire de l’évolution historique, il reconnaît que la nationalité est un lien puissant entre les hommes mais en souligne la relativité. Il croit même voir dès 1865 s’annoncer le déclin des nations. Au lendemain de la fondation de l’Empire bismarckien, il voue aux gémonies le « culte de la nationalité et de la puissance, selon le modèle de l’ancienne Rome », chaque pays se déifiant lui-même. Vouloir faire coïncider en Europe États et nationalités signifierait, affirme-t-il, la figer dans un système rigide et agir contre son génie même. A ce propos, Frantz émet une idée qui mérite attention et qui émane de sa théorie du fédéralisme médiateur : il estime que les États composés de deux ou de plusieurs ethnies sont précisément les moyens termes indispensables à l’apaisement des tensions nationales. Il cite en exemple la Belgique, la Suisse, l’Autriche. Autre cible des attaques de Frantz : le libéralisme, mécaniste, dissolvant, analytique, négatif. Il ruine le droit international, fomente les révolutions, provoque la démocratie, le communisme, l’anarchisme. Ces critiques sont connues, car elles se trouvent chez tous les conservateurs de cette époque. La France, principale représentante du principe latin, héritière de Rome, est ici l’objet d’un mythe caricatural, selon le schéma déjà appliqué par Fichte dans ses Discours. A une Allemagne idéale, on oppose une France dangereuse parce qu’impérialiste, centralisatrice, matérialiste, militariste et corruptrice. Des décennies durant, Frantz ne varie guère dans ses réflexions antifrançaises, et même un fédéraliste comme Proudhon ne trouve guère grâce à ses yeux. Bref, il considère que tout projet français d’unification européenne ne peut être que schématique et mécaniste. Frantz place à la fin du Moyen Âge le grand tournant historique à partir duquel l’idée d’une unité européenne a périclité. Jusque là, l’esprit germanique était le ciment de l’unité incarnée dans le Saint-Empire. Ensuite un esprit nouveau, purement temporel, se substitua à lui, et le « grand Dessein » d’Henri IV et de Sully, projet de république européenne, remplaça la forme germanique et monarchique du Saint-Empire médiéval. Selon Frantz, le Reich bismarckien marque l’ultime dégradation du principe germanique. L’un des principaux griefs envers Bismarck est d’avoir trahi la mission de l’Allemagne et d’ignorer ses traditions morales et spirituelles. En bref, le Chancelier méconnaît la vocation du « Deutschtum » en introduisant au centre de l’Europe l’idée romaine d’État. La « Grande Prusse » païenne et matérialiste ne ressemble pas plus à l’ancien Empire qu’une « caserne moderne à une cathédrale gothique ». Après toutes ces critiques, Frantz réserve à son pays une mission prestigieuse de restauration, sur la base de considérations géopolitiques qu’il développe en particulier dans sa Théorie de la question allemande (Theorie der deutschen Frage, 1866). « ... l’Allemagne forme... au point de vue géographique, le noyau du continent européen. La nature elle-même a fait d’elle le terrain sur lequel se décident en dernier ressort les plus hautes destinées de l’Europe ; c’est que l’Allemagne est précisément le pays du milieu ; elle englobe les organes centraux du corps européen... Et c’est entre l’Est et l’Ouest que s’accomplit l’histoire universelle » (Lettre ouverte à Richard Wagner, 1878). Frantz déduit de ces données, ainsi que des faits historiques, ethnographiques et culturels, que l’Allemagne est « un peuple de peuples » (il souscrit ici à la formule de Schelling), que le principe national stricto sensu ne lui est pas applicable et que « de quelque côté que l’on puisse prendre la question allemande, dès que l’on pénètre dans ses profondeurs, elle se mue en une question européenne ». Ces constatations amènent Frantz à réserver aux Allemands un rôle politique éminent (création d’une « métapolitique »), mais aussi un rôle économique et social décisif grâce à une sorte de corporatisme chrétien et monarchique qui, espérait-il, parviendrait à éviter à l’Europe des crises fatales. Cependant cet avenir n’est possible que par un retour aux sources de l’esprit germanique et par l’élimination des influences latines. Frantz ne cesse de célébrer les mérites du Reich médiéval, préfiguration de l’ère nouvelle au cours de laquelle la communauté européenne d’Occident renforcera sa « parenté intime ». La notion de « Reich » fédératif, reprise à l’idéologie romantique, est au centre de la philosophie politique de Frantz. Pour lui, Reich et fédération sont les deux faces d’une même conception. Il ne s’agit pas de copier le Saint-Empire, mais d’en retrouver l’esprit. Quelle sera la nature de cette organisation que l’auteur tient pour révolutionnaire ? Elle consistera à installer au centre du continent un « corps intermédiaire » (ein Mittleres) qui maintiendra la paix entre les peuples et assurera la synthèse de l’État (Staat) et de la société (Gesellschaft). Seul le Reich fédératif sera à même de réduire les contradictions internes de l’Allemagne et les oppositions européennes. Seul il pourra assurer l’autonomie des collectivités municipales et régionales, permettre l’application des principes d’autonomie et de coopération, concilier unité et liberté. L’idée d’une fédération regroupant tous les pays situés entre la Russie et la France traverse toute son œuvre, sans que cet avatar de la « Mitteleuropa » soit considéré par lui comme un but en soi. Au centre de la confédération restreinte se trouverait l’Allemagne occidentale, complétée dans la confédération élargie par l’Est de la Prusse et par l’Autriche et attirant dans son orbite d’autres pays, à l’Ouest (Pays-Bas, Suisse), et à l’Est. Après quoi Frantz projette une entreprise plus audacieuse, la restauration de la communauté européenne, tâche indispensable, écrit-il en citant Fröbel et son allusion à une « Confédération helvétique » des Etats d’Europe occidentale. Mais s’il abonde dans le sens de Fröbel, il rejette en bloc tous les projets qui ne ressortissent pas au fédéralisme chrétien : ceux de Sully, de l’Abbé de Saint-Pierre, de Kant, des juristes comme J.-C. Bluntschli, ainsi que toutes les conceptions mécanistes d’équilibre européen. Bien entendu, il écarte toute idée d’États-Unis républicains inspirée par les tendances révolutionnaires de 1848. La famille européenne, telle que l’entend Frantz, n’exclut aucun peuple, hormis les Russes. Succédant au rêve d’une « grande alliance germanique », incluant l’Angleterre, la « Sainte-Alliance chrétienne » préconisée par l’auteur de Réponse allemande à la question d’Orient (Deutsche Antwort auf die orientalische Frage, 1877) permettrait de revenir à l’esprit d’un christianisme œcuménique. Frantz s’inspire ici de Leibniz pour proposer aux nations européennes une grande tâche commune, la rechristianisation de l’Orient et la colonisation de l’Afrique et de l’Asie. La postérité a porté sur lui des jugements fort divergents selon les écoles de pensée. Les fédéralistes chrétiens et pacifistes (F.W. Förster, B. Schmittmann) se sont recommandés de ses idéaux, alors que l’on a pu par ailleurs voir en lui un représentant du pangermanisme, et même un précurseur du nazisme. Frantz, qui a eu l’ambition de créer une philosophie politique synthétique et un fédéralisme englobant, a été victime de ses propres ambiguïtés. Adversaire de la solution bismarckienne de la question allemande, il a pourtant exalté un nationalisme germanique mythique, susceptible de gauchissements ultérieurs, mais intéressant au plus haut point l’histoire de l’idée européenne. L’œuvre de Frantz est en effet un jalon capital entre l’Europe mystique des romantiques et l’impérialisme pangermaniste. Elle transmet au xxe siècle l’idée d’une Europe de la foi fondée sur les notions de « Reich » et de chrétienté occidentale.
  4. https://books.openedition.org/septentrion/53850?lang=fr Jean Nurdin - Le rêve européen des penseurs allemands (1700-1950) , 2003 Chapitre V. L’idée d’Europe à l’époque bismarckienne 1) Bismarck L’Europe, pour Bismarck, n’est pas une autorité morale, pas plus qu’un pouvoir juridique supérieur aux Etats. Il le dit et le répète aux hommes d’Etat, en particulier à ceux qui évoquent une éventuelle intervention des pays neutres dans le conflit franco-allemand de 1870-1871. Pour Bismarck, le terme d’Europe n’est la plupart du temps que le masque de l’égoïsme national. Citons ces lignes dictées à son fils Herbert en 1876 : « J’ai toujours entendu le mot d’« Europe » prononcé par ces hommes politiques qui exigeaient d’autres puissances quelque chose qu’ils n’osaient pas revendiquer en leur nom propre... » Il voyait dans l’idée des États-Unis d’Europe l’expression de l’idéologie démocratique, et une imitation des États-Unis d’Amérique envers lesquels il a toujours été très réservé. Bismarck repousse avec force toute « fiction » qui tendrait à faire apparaître le continent comme une « sorte de fédération »10. L’idée de fédération européenne n’est pour lui qu’un rêve de visionnaires, une utopie de songe-creux. Par ailleurs il rejette, comme toute forme d’abstraction, tout idéal d’universalisme chrétien, même si des bases religieuses sont pour lui une garantie de stabilité. Pour Bismarck, chrétienté et Europe ne coïncident pas, ce qui le différencie des romantiques, des conservateurs prussiens et des fédéralistes chrétiens. L’Europe est tout d’abord pour lui une « notion géographique », comme il l’écrit en 1876 dans sa correspondance avec le diplomate russe Gortchakov. Dans ce cadre continental, l’Europe est aussi un ordre politique imposant ses réalités et la loi impérative de l’équilibre. C’est pourquoi, après l’unification allemande, le Chancelier s’attache à éviter les aventures et à maintenir la paix, au besoin par le système de la réciprocité des intérêts étatiques. C’est ainsi que Bismarck, même s’il n’écarte pas le danger panslaviste, applique envers la Russie une politique d’échange de bons procédés et intègre, comme Metternich, Ranke et d’autres, l’Empire tsariste à son système politique. L’Europe bismarckienne est en effet essentiellement une Europe monarchique, fondement de l’ordre social contre la subversion révolutionnaire. Que l’Europe bismarckienne soit conservatrice comme celle de Metternich, du moins à certains points de vue, c’est l’évidence même. Elle est aussi inorganique dans la mesure où aucun projet d’ensemble n’en assure la cohésion. Après Bismarck, rien n’empêchera plus le choc des forces antagonistes. Mais s’il a été l’ordonnateur de l’équilibre des États, il ne semble pas avoir voulu imposer un ordre « organique » à partir d’une domination « grand-allemande » de l’Europe centrale, comme ont prétendu le montrer certains auteurs à l’époque du Troisième Reich. C’est que le Chancelier de fer a une conscience très vive de la situation centrale de son pays et des impératifs de l’équilibre européen. Obsédé par le « cauchemar des coalitions » autant que par celui des révolutions, il s’ingénie à prouver que l’Allemagne veut la paix et à poursuivre le but qu’il s’est fixé : bâtir au cœur du continent « une puissance qui, sans être elle-même conquérante, soit assez forte pour interdire la guerre à ses voisins ». Bismarck pratique donc une « politique du milieu », politique active qui se distingue de celle de la Restauration et du système de balance traditionnel par le renforcement de la partie médiane et l’édification d’un ensemble de forces que l’on a très justement comparé à une cathédrale gothique. La conception bismarckienne de l’équilibre des États était cependant condamnée à disparaître avec Bismarck. L’Europe des États portait en elle sa propre ruine, comme la suite de l’histoire devait le démontrer. 2) Fröbel Fröbel fait partie de ces hommes de gauche qui, après l’échec de la Révolution de 1848, ont dévié vers la Realpolitik. Son expérience de l’Amérique a joué ici un rôle décisif. Elle s’exprime en particulier dans l’écrit L’Amérique, l’Europe et les points de vue politiques du présent (1858), où l’auteur analyse les rapports du Nouveau Monde avec l’Ancien Continent. Il est l’un des premiers intellectuels allemands à rivaliser sur ce point avec Tocqueville et à prédire que l’Europe sera tôt ou tard encadrée par l’Amérique et la Russie. A-t-il lu le fameux parallèle tracé par Tocqueville à la fin de son ouvrage sur La démocratie en Amérique ? Nous l’ignorons. Toujours est-il qu’il se livre, dans l’ouvrage cité plus haut, aux considérations suivantes : l’Europe occidentale, civilisée, « historique » au sens hégélien du terme, cette Europe qui représente la « culture idéale » saura-t-elle prendre conscience de sa nouvelle situation face aux pays du réalisme et de l’utilitarisme, à savoir « l’Ouest américain et l’Est russe » ? La Russie, écrit Fröbel dans Theorie der Politik (Theorie de la politique), est une « Amérique inversée » et les États-Unis une « Russie républicaine ». En d’autres termes, l’Europe résume le dualisme mondial, et en son milieu l’Europe centrale est « pour l’Europe ce que l’Europe est pour la politique mondiale : le point central et par là le champ de bataille des extrêmes ». Vision prophétique, anticipant de près d’un siècle le partage de Yalta. Mais par ailleurs les considérations de Fröbel sur l’avenir européen, comme celles de beaucoup de ses contemporains, n’échappent pas au dilemme suivant : foi en la mission providentielle de l’Europe d’une part, conviction de sa relativité croissante d’autre part. Dans les années 1870, il prône le colonialisme le plus brutal tout en considérant la perte des colonies comme un phénomène inévitable. Il n’écarte pas l’hypothèse d’une colonisation de l’Angleterre par les Américains. Dans les années 1850, il a donc fait table rase des axiomes de 1848. Il est désormais convaincu que si l’Europe veut assumer sa « mission civilisatrice particulière et constante »22 elle ne pourra le faire que par la fusion progressive des esprits, notamment de l’esprit allemand et de l’esprit français créant ensemble un « réalisme moderne tourné vers l’intérieur ». Un dosage équilibré d’idéalisme et de réalisme assurera une organisation collective où chaque pays concourra à représenter l’ensemble. Nous voici parvenus au cœur de l’idée européenne de Fröbel, dont l’expression la plus frappante est sans doute celle-ci : « Les Etats de l’Europe occidentale ne peuvent plus apparaître dans la pénombre de l’avenir que comme les cantons d’une grande confédération (die Kantone einer grossen Eidgenossenschaft) » Fröbel est devenu conscient du fait que, pour construire une fédération, il faut une puissance directrice susceptible d’actions concrètes. Le problème est de savoir quel pays peut jouer ce rôle de fédérateur. Fröbel a songé d’abord à la France, mais dans les années 1860 une Allemagne fédérativement unifiée lui semble préférable à un Etat centralisé. Dans sa Théorie de la politique, il réfléchit au nouvel équilibre européen, voire mondial, et il conclut à une inévitable translation du centre de gravité européen vers l’Est. D’où l’importance croissante du lien entre question allemande et construction européenne. Fröbel préconise alors un aménagement de la Confédération germanique au centre d’une « Mitteleuropa » qui deviendrait elle-même le noyau d’une confédération européenne. Pour [Frantz et Fröbel], le fédéralisme est plus créateur, plus fécond, plus garant de la tradition et plus porteur d’avenir qu’un centralisme purement « mécanique ». C’est pourquoi Fröbel est resté jusqu’à la veille de la guerre de 1870 fidèle à l’Autriche et à l’idée « Grossdeutsch ». Son ralliement final à la « Realpolitik » et à l’Empire bismarckien, dernier avatar de son évolution idéologique, le sépare radicalement de Frantz, comme nous le verrons par la suite. Ce changement de cap, cette conversion à l’État dynastique comme bastion de l’ordre et pilier de la nouvelle triade mondiale sont-ils les raisons de l’indifférence relative dont souffre son œuvre ? Fröbel n’a certes pas échafaudé de projets d’union. Il ne cite jamais les projets irénistes du passé, pas même Kant, auquel il emprunte pourtant le principe de cristallisation progressive autour d’un noyau fédérateur. Le réalisme fröbélien tend à faire abstraction de tout dogmatisme, ce qui n’est sans doute pas dénué d’intérêt pour la construction de l’Europe actuelle. Même si Fröbel n’a pas eu le génie de définir un fédéralisme vraiment novateur, il a été l’un des rares Allemands à déceler les signes de la relativité de l’Europe, à proclamer la nécessité de créer une Europe européenne reposant sur la communauté de civilisation et l’originalité d’un type nouveau de société. L’organisation fédérative de ce continent ne peut surgir que de son génie spécifique. Tel est finalement le message essentiel de Fröbel.
  5. https://www.zonebourse.com/actualite-bourse/En-Pologne-ou-le-charbon-est-roi-les-proprietaires-font-la-queue-pendant-des-jours-pour-acheter-du--41621955/ (27 août 2022) Dans la chaleur de la fin de l'été polonais, des dizaines de voitures et de camions font la queue à la mine de charbon Lubelski Wegiel Bogdanka, tandis que les ménages craignant les pénuries hivernales attendent pendant des jours et des nuits pour faire le plein de combustible de chauffage dans des files d'attente qui rappellent l'époque communiste.
  6. La bonne blague ! Les bureaux du parti des régions étaient incendiés.
  7. https://www.yomiuri.co.jp/election/yoron-chosa/20220904-OYT1T50130/ (4 septembre 2022) Sondage : 76% des personnes interrogées "approuvent" l'annonce du Premier ministre Kishida selon laquelle la politique fondamentale du LDP est de "rompre les relations" avec la "Fédération de la famille pour la paix et l'unification mondiale" (ancienne Église de l'Unification). D'autre part, 72% des personnes interrogées "ne pensent pas" que le LDP pourra couper ces liens avec l'ancienne Église de l'Unification. Concernant la décision d'organiser des funérailles nationales pour l'ancien Premier ministre Shinzo Abe, 56 % (46 % dans le sondage du 5 au 7 août) ne l'approuvent pas, dépassant le chiffre de 38% d'approbation (49% dans l'enquête du 5 au 7 août).
  8. Je ne suis pas sûr que laisser la Russie s'affaiblir soit dans notre intérêt. Comme le disent Wolfgang Streeck : et Hugh White :
  9. Jean-Marc Jancovici dit souvent l'idée qu'une des plus grosses forces de résistance à la sobriété énergétique nécessitée par la décarbonisation de l'économie (qui est son sujet et non pas l'indépendance énergétique), mais cela revient au même, est que nos sociétés sont fondées sur la croissance, à savoir sur l'idée que le gâteau à partager est plus gros chaque année. On arrive à faire oublier aux gens que leur part de gâteau est moins grosse que celle de leur voisin en leur disant : oui mais regardez, cette année, elle est plus grosse que celle que vous avez eu l'année dernière. La croissance sert de baume apaisant. Si on le supprime, cela risque de réveiller des douleurs. C'est grâce à la croissance que l'on se fait à toutes sortes de choses auxquelles on ne se ferait pas sinon. Donc sauf si c'est de courte durée, cela va être compliqué de "s'y faire" et cela peut déclencher en cascade toutes sortes de frustrations.
  10. Je trouve que c'est très noble et très généreux de vouloir payer le prix non pas de sa propre liberté égoïste à soi, mais celle des Ukrainiens.
  11. https://thechinaproject.com/2022/09/02/the-first-signs-of-autumn-phrase-of-the-week/ Une fuite d'une note interne du fondateur de Huawei, Rén Zhèngfēi 任正非, devenue virale sur les médias sociaux chinois, donne une perspective sombre sur l'économie mondiale, et pour l'entreprise. C'est un tableau sombre d'un monde qui se dirige vers une récession économique, sans fin en vue avant au moins cinq ans, selon Ren. Il appelle les employés à se concentrer sur la survie de l'entreprise, à renoncer aux vœux pieux et à arrêter de raconter des histoires (讲故事 jiǎng gùshi) pour se tromper eux-mêmes et tromper l'entreprise. Forcez ces unités commerciales à se fermer [littéralement se suicider] répandant ainsi le froid de l'hiver dans toute l'entreprise. 逼这个业务自杀,把寒气传递下去. bī zhège yèwù zìshā, bǎ hánqì chuándì xiàqù. Ainsi, l'unité commerciale Intelligent Automotive Solution de Huawei, la seule activité déficitaire du groupe, pourrait être en difficulté. Comme le dit un média : Alors que le monde extérieur entend les "premiers signes d'automne" du discours de Ren, un froid hivernal s'est déjà abattu sur les employés de Huawei. 外界从任正非的讲话中一叶知秋时,寒气正笼罩在华为员工们的头顶. wàijiè cóng Rén Zhèngfēi de jiǎnghuà zhōng yí yè zhī qiū shí, hánqì zhèng lǒngzhào zài Huáwéi yuángōngmen de tóudǐng. Les premiers signes de l'automne comme expression idiomatique a une traduction plus littérale, "la première feuille tombée sait que l'automne est là." C'est une vieille expression idiomatique, apparue pour la première fois dans le Huáinánzǐ 淮南子, un recueil d'essais publié vers 139 avant Jésus-Christ, collationné et édité par Liú Ān 劉安, un prince de la dynastie Han et le dirigeant du royaume de Huainan. Les essais sont un compte rendu des débats savants tenus à la cour de Liu, qui cherchait à définir les conditions nécessaires à un ordre parfait dans la société. Selon le Huainanzi, cet ordre est assuré par un souverain parfait. Les essais sont destinés à servir de manuel à un dirigeant éclairé qui veut faire régner l'ordre. Le texte relatif à la première feuille tombée, qui se trouve dans le chapitre "Discours sur les montagnes" (说山训 shuō shān xùn), est le suivant : En voyant une feuille tomber, on sait qu'une année s'achève ; en voyant un pot gelé, on sait que l'hiver est arrivé : Comprendre l'avenir en remarquant ce qui est devant soi [littéralement : prendre le proche comme annonce du lointain] 见一叶落,而知岁之将暮;睹一壶之冰,而知天下之寒:以近论远. jiàn yí yè luò, ér zhī suì zhī jiàng mù; dǔ yì hú zhī bīng, ér zhī tiānxià zhī hán: yǐ jìn lùn yuǎn. De nos jours, cette expression est utilisée de la même manière que cette ancienne phrase chinoise le voulait il y a plus de 2 000 ans : voir les grandes tendances en observant les petits détails au moment où ils se produisent.
  12. Ich stimme hundertprozentig zu. C'est dramatique. Toute l'expertise, toute l'expérience accumulée dans les ministère est finalement sous-utilisée. C'est un beau gâchis. Si tu en as l'occasion, je te conseille de regarder le très divertissant film Quai d'Orsay où Thierry Lhermitte (le jeune politicien qui parle le langage des spin doctors) court-circuite ou maltraite Niels Arestrup (le vieux diplomate qui a l'expérience et qui sait comment vraiment résoudre les problèmes) : Voir aussi ceci :
  13. https://www.swp-berlin.org/publikation/ukraines-possible-eu-accession-and-its-consequences#publication-article-62 (22 juillet 2022) En cas d'adhésion, les partenaires les plus proches de l'Ukraine au sein de l'UE resteraient probablement la Pologne et les Etats baltes, ainsi que d'autres pays d'Europe centrale orientale et du Sud-Est. Avec des perceptions continues de la menace, des expériences comparables et des points de vue similaires sur la Russie, l'Ukraine renforcerait le groupe d'États membres appelant à une position ferme vis-à-vis de Moscou. La Pologne serait un partenaire clé pour l'Ukraine. Les relations avec Varsovie devraient encore se renforcer dans les années à venir, par exemple grâce à un nouvel accord bilatéral qui pourrait être une sorte de traité de l'Élysée de l'Est. Kiev continuera également à approfondir ses relations avec les pays de l'UE qui se considèrent comme des États de la ligne de front de l'Ouest. L'Ukraine entrerait dans l'UE avec une position clairement pro-américaine et ferait entrer dans l'Union ses liens profonds avec les États-Unis (et le Royaume-Uni) en matière de sécurité, de défense et d'armée, tissés pendant la guerre. Cela renforcerait le "club" transatlantique au sein de l'UE. Dans le même temps, étant donné sa non-appartenance à l'OTAN, l'Ukraine aurait intérêt à ce que les clauses de solidarité et de sauvegarde ainsi que les capacités militaires soient développées dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune et à ce que la coopération UE-OTAN soit améliorée. En ce qui concerne l'avenir de l'UE, on peut supposer que Kiev a des objectifs contradictoires. D'une part, l'Ukraine souhaite adhérer à l'UE parce qu'elle veut "plus d'Europe". Une dilution de l'intégration européenne n'est pas dans son intérêt, car elle porterait atteinte à la solidarité financière et politique. D'autre part, un État qui se bat pour son indépendance dans une guerre sera réticent à laisser sa souveraineté être "mise en commun". L'Ukraine serait aussi probablement réticente à accepter des formes d'intégration différenciées, craignant d'être exclue de nombreux projets (comme dans le cas de la zone euro, dont elle ne serait pas membre avant longtemps). Dans l'ensemble, l'adhésion de l'Ukraine accroîtrait l'hétérogénéité politique et socio-économique, qui ne pourrait pas être éliminée par une simple modification des traités. Un nouveau "flanc oriental de l'UE" - renforcé par ses liens étroits avec les États-Unis - aurait plus de poids par rapport aux États membres du sud de l'Union, et le pouvoir formateur du tandem franco-allemand diminuerait. L'Allemagne devrait donc s'investir davantage pour garantir l'unité de l'UE.
  14. Je vais vous faire un aveu, j'ai acheté une noix de coco de Martinique la semaine dernière. Après avoir regardé plusieurs tutoriels sur Youtube pour savoir comment faire, je l'ai ouverte et elle était complètement moisie, impossible à manger. 1.70€ partis à la poubelle. C'est une parabole qui résume ma pensée sur le sujet.
  15. https://www.ledevoir.com/societe/752043/l-epouse-d-un-juge-de-la-cour-supreme-a-incite-des-legislateurs-a-annuler-la-victoire-de-biden (1er septembre 2022) Virginia « Ginni » Thomas, militante conservatrice et épouse du juge de la Cour suprême Clarence Thomas, a contacté au moins deux législateurs de l’État du Wisconsin en 2020 pour les exhorter à annuler la victoire électorale du président Joe Biden dans cet État très convoité, a rapporté jeudi le Washington Post. Le militantisme politique de Ginni Thomas, inhabituel pour l’épouse d’un juge de la Cour suprême, soulève depuis plusieurs années des questions quant à de potentiels conflits d’intérêts pour son mari, rapporte le Washington Post. Elle assure néanmoins que les deux gardent leur vie professionnelle séparée. Elle a été invitée le mois dernier à témoigner devant une commission parlementaire qui s’intéresse à ses échanges avec John Eastman, un avocat proche de Donald Trump, artisan d’un projet visant à annuler les résultats de l’élection présidentielle de 2020. Des messages textes révèlent qu’elle a également été en contact avec le chef de cabinet de la Maison-Blanche de l’époque, Mark Meadows, et l’aurait ainsi encouragé à contester les résultats de l’élection présidentielle.
  16. Le troisième lien, qu'es aquò ? https://www.ledevoir.com/troisieme-lien Le troisième lien routier entre l’est de Québec et l’est de Lévis est une des priorités de François Legault et de la CAQ depuis les élections de 2018. Estimé à l’origine à 4 milliards de dollars, le projet pourrait finalement coûter jusqu’à 9,45 milliards, et ses travaux s’échelonneront sur une décennie. Le 17 mai 2021, Legault et son ministre des Transports, François Bonnardel, présentaient le troisième lien comme un tunnel long de 8,3 kilomètres et large de 19,4 mètres comprenant six voies de circulation. Il s’intègre dans un vaste projet : le Réseau express de la Capitale (REC). Ce REC inclut aussi le projet de tramway de la Ville de Québec, un nouveau réseau de voies réservées ainsi que différents projets en transport sur la Rive-Sud dans la région de Québec. Nombreux sont ceux qui s’opposent au troisième lien, s’inquiétant de son prix, déplorant ses conséquences environnementales et se questionnant sur sa pertinence. Steven Guilbeault, ministre fédéral de l’Environnement, a d’ailleurs promis qu’une évaluation environnementale serait menée pour étudier ce projet. L’ex-maire de Québec Régis Labeaume s’est quant à lui toujours tenu à distance du projet de troisième lien, mettant en doute ses bénéfices possibles sur la congestion routière. source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Troisième_lien_entre_Québec_et_Lévis https://www.ledevoir.com/opinion/idees/752448/point-de-vue-point-de-vue-de-josiane-cossette-borgen-ou-la-vraie-vie-politique (3 septembre 2022) Sa nouvelle mouture est « bitube », son budget a chuté à 6,5 milliards — par on ne sait quelle magie, car il appert que les dépassements de coûts seront vertigineux et que l’évaluation actuelle a pour seule utilité de rendre le nouveau lien un peu plus socialement acceptable. La CAQ continue à balayer du revers de la main tout expert qui parle de trafic induit et de la non-nécessité de ce lien tout droit sorti du siècle passé, mais dont les écosystèmes marins pâtiront encore le siècle prochain… Plusieurs auront de plus fait remarquer que ce projet est incompatible avec les aspirations de densification urbaine mises en avant par le gouvernement Legault. En janvier dernier, c’est Shirley Dorismond qui effectuait la première un virage à 360 degrés pour renier les valeurs qu’elle défendait comme vice-présidente du secteur Sociopolitique, Solidarité, Condition féminine de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ). Dès l’annonce de sa candidature à l’élection partielle dans Marie-Victorin, Mme Dorismond s’est tue. Sa campagne fut essentiellement constituée de poignées de main et de sourires. Décriant auparavant le racisme systémique et les conditions difficiles du personnel de la santé pendant la pandémie (que des études ont depuis confirmés), l’infirmière engagée pour la justice sociale a laissé place, devant les micros des journalistes, à un alter ego qui bafouillait des phrases vides que les spin doctors lui soufflaient à l’oreille. Plus récemment, c’était au tour de Martine Biron de faire réagir. Comme les autres, dans la foulée de son saut en politique avec la CAQ, elle a dû prêter allégeance au tunnel autoroutier qu’elle critiquait jusque-là finement en tant qu’analyste. Plus les candidats sont « ministrables », plus grosses sont les couleuvres à avaler. https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/752394/chronique-l-autoroute-d-eric-duhaime (3 septembre 2022) On peut penser que le troisième lien est un caprice. Aucune étude n’en démontre la nécessité. Mais la proposition de Duhaime [parti conservateur] d’abandonner les travaux pharaoniques de tunnels sous le fleuve et de simplement passer sur l’île d’Orléans puis de prendre le pont qu’il faut reconstruire fait mouche. Les habitants de l’île, enragés, vont dire non. Combien sont-ils ? 7000 ! Le site est patrimonial ? La ministre de la Culture du gouvernement Duhaime (Anne Casabonne ?) fera sauter ce statut. Et comment augmenter la production d'hydrocarbures ? Il n’a qu’à entonner la nouvelle rengaine de l’industrie pétrolière et du gouvernement Trudeau, sur l’extraction carboneutre. Oui, ils disent ça. Des puits de pétrole carboneutres, c’est comme une usine de whisky sans alcool. Si aucun employé ne consomme sur les heures de travail, le tour est joué. Pas leur faute si, ensuite, des clients utilisent le produit et abîment leur foie ou la planète !
  17. https://www.ledevoir.com/opinion/idees/752049/idees-gorbatchev-le-reformateur-total (2 septembre 2022) Écartons d’abord un mythe. En URSS, les réformes n’étaient pas taboues. En 1985, c’est à l’unanimité que le Comité central du Parti communiste élit à sa tête le « tout jeune » Gorbatchev (il a 54 ans), avec le mandat de redynamiser un régime qui donne des signes d’épuisement. Toute la question est de savoir comment mener les réformes, et quel domaine prioriser. L’approche initiale de Gorbatchev, suivant l’exemple de son mentor et prédécesseur Iouri Andropov, tout comme celui d’autres dirigeants communistes comme Deng Xiaoping en Chine, vise à rénover l’économie tout en préservant et même en renforçant le pouvoir du Parti, considéré comme le guide moral de la société. C’est ainsi qu’est adoptée en 1985 une loi qui réduit radicalement la production et la vente d’alcool afin de stimuler la productivité au travail [1]. L’échec de cette mesure ainsi que la gestion catastrophique de l’accident nucléaire de Tchernobyl l'année suivante convainquent Gorbatchev de changer de stratégie. Ce n’est qu’à la fin de l’année 1986 que Gorbatchev adopte l’approche révolutionnaire qui fera sa marque. On peut la résumer par la formule « tout en même temps ». Elle repose sur le principe que la réforme économique ne peut réussir qu’à la condition de réformer simultanément à la fois le régime politique et le système international. À partir de ce moment, Gorbatchev insistera systématiquement sur la nécessité de rénover le communisme sur trois fronts : le marché, la démocratie et la paix. Pourquoi la démocratie ? Selon Gorbatchev, seule la participation du grand nombre permet de lever l’obstruction aux réformes posée par les bureaucrates les plus privilégiés — la « nomenklatura ». Dans ce but, Gorbatchev libère la parole publique, d’abord graduellement — la « glasnost » — puis par l’abolition complète de la censure d’État. Il encourage aussi la participation politique, avec la tenue de premières élections compétitives (avec plus d’un candidat !) et l’abolition du monopole du Parti communiste. Pourquoi la paix ? Mener de profondes réformes à l’intérieur du pays nécessite de sabrer les dépenses militaires engagées dans la guerre froide et de créer les conditions d’une paix mondiale qui garantiraient la sécurité à moindre coût. Dans cette perspective, l’URSS signe avec les États-Unis des accords de désarmement nucléaire, rend son autonomie à l’Europe de l’Est et retire ses forces d’Afghanistan. Cette approche « totale » des réformes détonne dans le monde communiste, et notamment en Chine. Peu se souviennent, en effet, que la célèbre manifestation de la place Tian’anmen, en juin 1989, avait été organisée par des étudiants chinois à l’occasion de la venue à Pékin du leader soviétique. La répression qui s’abattit sur eux horrifia Gorbatchev, qui y vit la confirmation de la justesse de sa stratégie. À l’inverse, la disparition de l’URSS deux ans plus tard horrifia les dirigeants chinois, qui se virent confirmés dans l’idée que les réformes économiques ne doivent pas s’accompagner de démocratisation. Qu’en pensent ceux qui ont dirigé la Russie après la démission de Gorbatchev ? Boris Eltsine et Vladimir Poutine n’ont jamais officiellement renié les trois grands principes de la perestroïka — marché, démocratie, paix —, mais leurs politiques dénotent différents ordres de priorité, c’est le moins qu’on puisse dire. Boris Eltsine choisit de prioriser la réforme économique. Il est convaincu qu’un passage rapide et irréversible du communisme à l’économie de marché capitaliste — la « thérapie de choc » — nécessite un pouvoir exécutif fort, qui ne soit pas exposé aux aléas de la contestation populaire. Il impose en 1993 une nouvelle Constitution qui concentre les pouvoirs dans les mains du président, refuse de mettre son siège en jeu avant 1996, puis n’est réélu qu’au prix de fraudes monumentales [2]. L’érosion démocratique se poursuit sous Vladimir Poutine, mais pour des motifs désormais géopolitiques. La répression des ONG et des médias indépendants comme « agents de l’étranger » obéit à une logique qui associe toute critique à une manoeuvre de déstabilisation pilotée par les adversaires internationaux de la Russie, à commencer par les États-Unis. L’invasion de l’Ukraine en février dernier consacre l’abandon définitif des voeux de paix de Gorbatchev. L’économie de marché est toujours en vigueur en Russie, mais elle va désormais de pair avec un autoritarisme paternaliste et une politique étrangère offensive, dans un curieux retour à l’approche initiale de Gorbatchev en 1985-1986. Faudra-t-il un nouveau Tchernobyl pour inspirer un changement de stratégie ? Guillaume Sauvé a publié Subir la victoire. Essor et chute de l’intelligentsia libérale en Russie (1987-1993). Presses de l’Université de Montréal, 2019. Réédité en 2020 aux Éditions de l’EHESS. [1] Cf Mark Lawrence Schrad [2] Cf le documentaire de Madeleine Leroyer et les révélations de Michael Meadowcroft sur l'édulcoration de ces fraudes par l'OSCE - -
  18. Donc parce qu'il était opposé à la guerre américaine en Irak et doutait des affirmations américaines, Jacques Chirac, en 2003 était "compromis", et la grande majorité de la classe politique française qui l'a suivi l'était aussi. Avec ce genre de raisonnement, on est en pleine pensée totalitaire. Il n'y plus de désaccord loyal possible. Le désaccord avec la ligne des idées dominantes est déclaré illégitime, voué aux gémonies. C'est du Mccarthysme.
  19. https://www.polskieradio.pl/395/7784/Artykul/3029521,Poland-puts-its-WWII-losses-at-EUR-13-trillion-vows-to-seek-reparations-from-Germany (1er septembre 2022) Le dirigeant conservateur polonais Jarosław Kaczyński a déclaré jeudi que son pays demanderait réparation à l'Allemagne pour les dommages infligés par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, les pertes totales de la Pologne pendant la guerre étant estimées à environ 1,3 billion d'euros dans un nouveau rapport. Le rapport a été dévoilé lors d'une cérémonie à Varsovie, 83 ans exactement après que l'Allemagne nazie a envahi la Pologne pour déclencher la guerre, a rapporté l'agence de presse nationale polonaise PAP. Entre-temps, le Premier ministre Mateusz Morawiecki a déclaré que cette nouvelle publication pourrait contribuer à une "véritable réconciliation, à la réparation des relations entre la Pologne et l'Allemagne". Il a ajouté : "Sans vérité, sans réparations, sans compensation, il ne peut y avoir de relations authentiques entre les personnes, les États, les nations." Environ 6 millions de Polonais, dont 3 millions de Juifs polonais, ont été tués au cours de la Seconde Guerre mondiale, et la capitale Varsovie a été rasée à la suite d'un soulèvement de 1944 au cours duquel environ 200 000 civils ont péri, selon l'agence de presse Reuters. Toutefois, en 1953, le gouvernement polonais, alors sous contrôle soviétique, a renoncé à toute demande de réparations de guerre sous la pression de Moscou, qui souhaitait libérer l'Allemagne de l'Est, également sous contrôle soviétique, de toute responsabilité, selon des responsables. https://www.faz.net/aktuell/politik/ausland/reparationen-polen-will-1-3-billionen-euro-von-deutschland-18285364.html (1er septembre 2022) Kaczynski a déclaré que le montant de 1,3 billion d'euros était "une somme que l'économie allemande peut gérer et qui ne lui pèse pas excessivement". Le budget fédéral pour l'année en cours s'élève à environ 495 milliards d'euros. Kaczynski a parlé d'un "processus difficile et peut-être long" pour obtenir des indemnisations "pour tout ce que l'État allemand, le peuple allemand ont fait entre 1939 et 1945". Kaczynski a présenté le fait que la Pologne n'ait pas encore formulé de telles demandes comme un manquement : "Renoncer à ces revendications fondées serait l'expression d'un complexe d'infériorité maladif". Un tel renoncement ne pourrait conduire qu'à une nouvelle oppression et à de nouvelles pertes. Szymon Holownia, du parti Polska 2050, a écrit sur Twitter que le PiS utilisait "cyniquement et exclusivement pour se maintenir au pouvoir" les millions de victimes de la guerre. L'agitation anti-allemande déclenchée par le PiS est une honte", a écrit Holownia. Le président du parti libéral-conservateur Plateforme civique, le plus grand parti d'opposition, Donald Tusk, a lui aussi parlé d'une campagne partisane. Il ne pense pas que le gouvernement veuille vraiment obtenir un résultat. La population polonaise est divisée sur la question des demandes de réparation. Selon un sondage publié jeudi par le journal "Rzeczpospolita", 51,1 pour cent sont favorables à l'idée d'exiger de l'Allemagne des réparations financières pour les dommages de guerre. 41,5 pour cent ne pensent pas que cela soit nécessaire, 7,5 pour cent sont indécis. Toutefois, parmi les partisans du camp gouvernemental, 92 pour cent sont en faveur d'une telle exigence, alors que parmi les sympathisants des partis d'opposition, seul un cinquième environ est favorable. Depuis sa victoire électorale à l'automne 2015, le PiS n'a cessé de réclamer des réparations à l'Allemagne, le plus souvent à des moments où la cote de popularité du parti était en chute libre, comme c'est le cas actuellement. La Pologne est économiquement touchée par les conséquences de la guerre en Ukraine. A cela s'ajoute le fait que le pays risque de perdre une partie des 35 milliards d'euros du fonds de reconstruction Corona de l'UE en raison du différend avec l'UE sur la transformation de son système judiciaire. La Commission européenne a certes laissé entrevoir le principe du versement de cet argent, après que le gouvernement polonais a fait des concessions. Ainsi, la chambre disciplinaire de la Cour suprême a été dissoute. Mais Bruxelles a clairement indiqué que la Pologne ne recevrait les fonds que lorsque toutes les conditions convenues seraient remplies, par exemple la réintégration des juges suspendus par la chambre disciplinaire. Cela n'a pas encore été fait. Officiellement, la Pologne n'avait jusqu'à présent jamais demandé de réparations. Le groupe de travail du Parlement, sur le rapport duquel se base la demande de 1,3 billion d'euros, a été mis en place à l'été 2017. La présentation de son rapport avait été annoncée puis reportée à plusieurs reprises ces dernières années. Son président, Arkadiusz Mularczyk, a déclaré que cette somme avait été fixée de manière "conservatrice". Il est nettement supérieur aux 800 milliards d'euros évoqués à plusieurs reprises par les politiques du PiS ces dernières années. Lors de la présentation du rapport, M. Mularczyk a expliqué que non seulement les dommages matériels directs avaient été pris en compte, mais aussi les dommages économiques résultant de la perte de vies humaines. Ne faudrait-il pas déduire de ce calcul les gains territoriaux faits par la Pologne au détriment de l'Allemagne : Silésie, Poméranie, Mazurie, avec les ressources agricoles, minières, etc... correspondantes ?
  20. 2 septembre 2022 L'ancienne chancelière allemande Merkel, considérée comme l'une des "femmes les plus influentes du monde", a été pressentie pour assister aux funérailles nationales de l'ancien Premier ministre Shinzo Abe, mais des entretiens avec plusieurs sources indiquent qu'elle a décidé de "ne pas y assister".  Le président français Macron a également décidé de ne pas y assister.  Le ministre des Affaires étrangères, Yoshimasa Hayashi : "De nombreux dignitaires étrangers sont attendus au Japon, et nous prévoyons de tenir des entretiens bilatéraux (entre les deux pays) aussi intenses que possible au niveau du sommet et des ministres des Affaires étrangères, de la veille au lendemain des funérailles nationales."  Selon les responsables du ministère des affaires étrangères, la vice-présidente Harris devrait assister aux funérailles à la place du président Biden, et le premier ministre canadien Trudeau sera le seul chef d'État actuel des pays du G7 à assister aux funérailles.  Lors des premières funérailles nationales d'après-guerre de l'ancien Premier ministre Shigeru Yoshida, des envoyés étrangers d'Allemagne de l'Ouest et de l'État de la Cité du Vatican ont également assisté à la cérémonie et offert des fleurs.  Extrait du film documentaire "The State Funeral of the Late Shigeru Yoshida" : "Les 12 pays qui ont envoyé des envoyés spéciaux et les 73 missions diplomatiques au Japon, ainsi que les 137 personnes de chaque pays présentes, donnent un aperçu de la grandeur de l'individu en tant qu'homme d'État international". En outre, lors des funérailles conjointes du cabinet et du LDP de l'ancien Premier ministre Keizo Obuchi en 2000, un total de 377 personnes provenant de 153 pays, de trois régions et de 22 organisations internationales, dont les présidents des États-Unis et de la Corée du Sud, ainsi que les ambassadeurs au Japon, ont assisté à l'événement depuis l'étranger. https://www.lepoint.fr/monde/au-japon-les-funerailles-nationales-de-shinzo-abe-suscitent-la-polemique-27-08-2022-2487543_24.php Un mois jour pour jour avant les funérailles nationales prévues pour l'ex-Premier ministre japonais assassiné le 8 juillet dernier, Shinzo Abe, en présence de quelque 6 400 invités, des centaines de Nippons manifestent, ce samedi 27 août, dans plusieurs villes du pays, dont Tokyo. « Pas d'obsèques nationales pour Abe », « Non à l'utilisation de l'argent du contribuable à cette fin ». Les opposants à cet hommage sont plutôt âgés, mais déterminés, soutenus par des journalistes, constitutionnalistes et juristes. Car, comme l'explique au Point Koichi Nakano, politologue de l'université Sophia à Tokyo, « il existait des funérailles nationales avant-guerre, dans le système impérial, mais cela a été aboli après. Même si le Japon a toujours un empereur, son actuel régime démocratique ne prévoit...
  21. https://www.t-online.de/nachrichten/deutschland/aussenpolitik/id_100047528/annalena-baerbock-und-die-ukraine-kontroverse-das-ist-doch-quatsch-.html (2 septembre 2022) Mercredi, lors d'une discussion en anglais, Baerbock avait déclaré qu'elle tiendrait sa promesse de soutien à l'Ukraine, "peu importe ce que pensent mes électeurs allemands". Le contexte de ses déclarations montre clairement qu'il s'agissait pour Baerbock de promettre à l'Ukraine, envahie par la Russie : Nous resterons à vos côtés l'hiver prochain - même si des vents contraires nous attendent chez nous en raison de la pénurie de gaz et de l'inflation. Mais sa demi-phrase "peu importe ce que pensent mes électeurs" était pour le moins maladroite. Une femme qui représente l'Allemagne dans le monde ne doit pas donner l'impression qu'elle se moque de l'opinion des Allemands.
  22. https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/segolene-royal-met-en-doute-les-crimes-de-guerre-en-ukraine-evoquant-une-propagande-de-volodymyr-zelensky_5338978.html (2 septembre 2022) Dénonçant "une propagande de guerre par la peur" de la part du président ukrainien, Ségolène Royal a mis en doute, jeudi 1er septembre, les crimes de guerre en Ukraine. Sur le plateau de BFMTV, l'ex-candidate socialiste à la présidentielle de 2007 a notamment questionné la réalité de "la maternité bombardée" à Marioupol en mars. "Vous pensez bien que s'il y avait la moindre victime, le moindre bébé avec du sang, à l'heure des téléphones portables on les aurait eues (les images)...", a-t-elle déclaré. Ségolène Royal a aussi mis en doute le massacre de Boutcha ou "le récit de viol d'enfant pendant sept heures sous les yeux des parents". "C'est monstrueux d'aller diffuser des choses comme ça uniquement pour interrompre le processus de paix", a-t-elle affirmé. Selon elle, Volodymyr Zelensky "a utilisé ça" pour interrompre le processus de paix.
  23. Je suis tout aussi interloqué par cette histoire de "privée de ses empires" : je défend moi-même dans le fil "territoires d'Outre-mer" qu'il n'est pas dans notre intérêt de garder ces patates chaudes entre les mains. J'ai sélectionné dans les propos de Christian Mégrelis ce qui me paraissait le plus digeste, mais tu trouveras par ailleurs chez lui des diatribes poutinophobes, donc je ne vois pas où il se fait l'avocat du "non rejet de la Russie". « L'Europe est sous tutelle US depuis la fin de la Première Guerre Mondiale » : J'ai lu cela aussi dans le Civilisation : comment nous sommes devenus américains de Régis Debray (2017) qui reprend cette idée de Paul Valéry : https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2018-3-page-121.htm Pour Régis Debray, ce transfert s’est opéré progressive- ment à partir de 1919, date du Traité de Versailles, où, pour la première fois depuis deux siècles, le texte français d’un accord international ne fait plus foi, le président Wilson exigeant une version en anglais. « avec l'aide bienveillante et efficace des Américains qui y voient un moyen de se débarrasser d'un adversaire avant d'affronter le suivant » Je suis d'accord si les Américains sont capables de faire ce que n'ont réussi ni Hitler, ni Napoléon, à savoir faire capituler la Russie et lui imposer un "regime change". Mais je ne suis pas sûr que les vaillants soldats ukrainiens seront assez forts, assez nombreux, assez puissants, même avec l'aide américaine, pour y parvenir. Et même en admettant que cela réussisse, je ne suis pas persuadé que parvenu à Moscou, Zelensky ne se ferait pas couronner Tsar de toutes les Russies. Et la nouvelle Russie du Tsar Volodymyr Ier défendrait toujours ses propres intérêts non congruents avec ceux de Washington. Je trouve que c'est une stratégie risquée, et que probablement la stratégie Nixon/Kissinger de 1970 : neutraliser un adversaire pour se concentrer sur un seul, est plus réaliste. « la Russie est un fruit bien mûr pour les Chinois » Que nous avons bien mûri pour eux. Là il faudrait savoir. Est-ce que la Russie est un fruit mûr pour les Chinois, ou un fruit mûr pour un "regime change" pro-américain ? Ce n'est pas exactement le même scénario.
  24. Je n'ai pas les références sous la main, mais il y a des intellectuels qui ont fait des mêmes calculs et des remarques du même genre pour l'empire britannique en soulignant que la décolonisation a été un soulagement pour les finances britanniques et que la décolonisation (et non pas la colonisation) était dans l'intérêt égoïste de la Grande Bretagne.
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