Je reviens là dessus parce que ça fait un moment que j'essaye de comprendre quelque chose, sans y arriver...
Rappel sur les spécifications constructeur : EJ-200 (M88)
Diamètre d'entrée : 740 mm (696 mm)
Poussée à sec : 60,1 kN (50 kN)
Poussée max : 90,1 kN (75 kN)
Taux de dilution : 0,4 (0,3)
Débit d'air : 77 kg/s (65 kg/s)
Conso spécifique (à sec) : 0,76 kg/daN.h (0,8 kg/daN.h)
(j'ai retenu les données les plus avantageuses pour l'EJ-200)
Le diamètre d'entrée conduit à :
Surface frontale : 0,430 m2 (0,380 m2)
Poussée spécifique : 780 m/s (769 m/s)
Poussée frontale : 139,6 kN/m2 (131,4 kN/m2)
Débit spécifique : 179 kg/s.m2 (171 kg/s.m2)
où :
poussée spécifique = poussée / débit d'air
poussée frontale = poussée / surface frontale
débit spécifique = débit d'air / surface frontale
Jusque là, on peut dire que l'EJ-200 pousse le bouchon plus loin. En revanche, ça devient plus intéressant lorsqu'on compare avec des moteurs de "référence". On s'aperçoit alors que l'EJ-200 est censé faire mieux que :
- Le F100-PW229, F135-PW400, F404-GE400 et F404-RM12 pour la poussée frontale (F404-RM12 = 136,9)
- Le F404-GE400, F404-RM12 et F414-GE400 pour le débit spécifique (F100-PW229 = 183, M53-P2 = 189)
- Le F100-PW229, F110-GE100, F110-GE400, F110-GE129, F119-PW100 et F404-GE400 pour la poussée spécifique (F404-RM12 = 794)
Parmi ces références, bon nombre sont les ultimes évolutions de bases connues et éprouvées, par des constructeurs en principe "capables".
Conclusion partielle :
- Soit les données d'Eurojet s'appliquent à un moteur testé en laboratoire, donc dans des conditions optimales, et sont donc sur-évaluées par rapport à la concurrence.
- Soit certaines données sont fausses (comme le diamètre d'entrée ou le débit d'air) pour donner l'impression d'un niveau technologique supérieur.
- Soit il s'agit des données opérationnelles, qui conduisent à deux hypothèses :
-- Les autres caractéristiques du moteur ne sont pas comparables (performances moyennes dans le domaine de vol, performances dans des conditions sub-optimales, pilotabilité, résistance aux flux déformés, etc).
-- L'EJ-200 est exploité aux limites du possible, avec les conséquences prévisibles sur les coûts d'utilisation.
On peut aller un peu plus loin en appliquant quelques formules de thermodynamique :
Ratio kérosène/air : 0,023 (0,0222)
Température T3 : 811 °K (795 °K)
Température T4 : 1781 °K (1732 °K)
Puisque l'EJ-200 compresse plus, la température en sortie de compresseur (T3) est naturellement un peu plus élevée. Et comme il brûle apparemment plus de pétrole par volume d'air, la différence est encore plus sensible au niveau de la turbine (T4).
On en arrive à un autre point intéressant : la température d'entrée de turbine est donnée pour 1800 °K (EJ-200) et 1850 °K (M88). Alors que le M88 est apparemment sur la réserve (longévité des modules "chauds"), l'EJ-200 est relativement proche de sa limite. Pour info :
- F100-PW229 : 1632 °K (1772 °K max)
- F404-GE400 : 1758 °K (1621 °K max)
- F404-RM12 : 1696 °K (1664 °K max)
- M53-P2 : 1574 °K (1600 °K max)
- RD-33 : 1646 °K (1680 °K max)
A priori, je mets l'anomalie du F404-GE400 sur le compte d'une donnée fausse (source des températures d'entrée de turbine : rand.org).
Bref, ce calcul de température T4 tend à montrer que les performances de l'EJ-200 sont proches du maximum autorisé, ce qui, pour un moteur récent, laisse entrevoir peu de possibilités d'amélioration sur un plan purement technologique.
Mais ce n'est pas tout. On peut aussi s'interroger sur le compresseur :
- Compresseur basse pression : 3 étages (3 étages)
- Taux de compression BP : 4,2 (3,5)
- Compresseur haute pression : 5 étages (6 étages)
- Taux de compression HP : 6,2 (7)
Ce qui conduit à un taux de compression moyen par étage de :
- Compresseur BP : 1,61 (1,52)
- Compresseur HP : 1,44 (1,38)
Là encore, l'EJ-200 fait mieux que le F100-PW229, le F110-GE100, le F404-GE400 et le F404-RM12 (sauf en BP où il fait 1,63). Le point intéressant, c'est qu'au delà d'un taux de compression de 1,4 il faut utiliser un compresseur transsonique, dont le comportement est assez délicat dans les hautes pressions. Tout le monde le fait en BP, mais seul l'EJ-200 dépasse les 1,4 en HP.
Il se permet même le luxe de ne pas avoir de directrices d'entrées (guide vanne) devant le compresseur BP, et seulement une directrice d'entrée variable devant le compresseur HP (une devant chacun des 3 premiers étages HP du M88, architecture répandue chez Pratt & Whitney et General Electric). A partir de là, on peut se poser des questions sur la tenue du moteur dans un flux déformé (risques de dévissage ou décrochage du compresseur). En parallèle, le choix d'un compresseur transsonique sans (ou presque) directrices d'entrée peut s'expliquer par la recherche de performances maximales pour un poids minimal, sans aucun compromis pour d'autres caractéristiques.
Lorsqu'on regarde le taux de compression moyen sur l'ensemble du compresseur (donc 8 étages) le taux de compression moyen (1,5) dépasse celui de tous les moteurs que j'ai analysé (liste en fin de post). On remarque aussi que c'est le seul moteur de ma liste à n'utiliser que 8 étages de compression à l'exception du M53-P2. Tous les autres ont au minimum 6 étages HP (jusqu'à 10 pour la série des F100)
Vu sous cet angle, le pilotage du moteur repose nécessairement sur la FADEC et une ribambelle de capteurs dont le rôle est d'anticiper les problèmes prévisibles sur une construction aussi "extrême". Ca sous-entend que les performances sont maximales dans des conditions optimales, mais dégradées dans des conditions un peu plus difficiles.
En résumé, il ressemble fort à un moteur optimisé pour les hautes vitesses et la haute altitude (où l'air est moins dense et plus froid), sans compromis pour les autres parties du domaine de vol. Il ne semble pas non plus spécialement étudié pour les conditions extrêmes du combat rapproché où l'alimentation en air est souvent perturbée. L'électronique est là pour éviter la casse, dans la mesure du possible, et les coûts d'utilisation doivent être relativement élevés.
En comparaison avec d'autres moteurs (F100, F110, F119, F135, F404 et leurs dérivés), l'EJ-200 apparaît bien atypique.
Pour TMor :
Si tu augmente encore la poussée sans augmenter le débit d'air, voire le diamètre d'entrée, les différences sont encore plus éclatantes. Aux vues des chiffres que j'ai, le "war setting" est à peine crédible (il impose d'augmenter le ratio kérosène/air, augmente la température T4 de plus de 80 °C pour 65 kN à sec, et fait "exploser" la poussée frontale et la poussée spécifique). En clair, c'est plus facile à "gober" si on formule l'hypothèse que le diamètre d'entrée et le débit d'air sont supérieurs à ce qui est publiquement annoncé (= moteur plus gros).
Liste des moteurs retenus pour la comparaison :
- F100-PW100, F100-PW220, F100-PW229
- F110-GE100, F110-GE400, F110-GE129, F110-GE132
- F119-PW100, F135-PW400
- F404-GE400, F404-GE402, F404-RM12, F414-GE400
- RB-199 Mk104, M53-P2, ATAR 9K50, AL-31FN, RD-33
PS: Certaines données jugées non fiables n'ont pas été retenues, ce qui a disqualifié certains moteurs dans certaines comparaisons.